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Décisions

CJCE, 5e ch., 5 octobre 1994, n° C-55/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Johannes Gerrit Cornelis van Schaik

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Joliet, Rodríguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg

CJCE n° C-55/93

5 octobre 1994

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par arrêt du 16 février 1993, parvenu à la Cour le 1er mars suivant, le Hoge Raad der Nederlanden a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 5, 30, 36, 55, 62, 85 et 86 du traité ainsi que de la directive 77-143-CEE du Conseil, du 29 décembre 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au contrôle technique des véhicules à moteur et de leurs remorques (JO 1977, L 47, p. 47, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un pourvoi en cassation formé par M. Van Schaik contre la condamnation dont il avait fait l'objet pour avoir conduit un véhicule à moteur sans être muni d'un certificat de contrôle valable, en violation de l'article 9a, paragraphe 1, de la Wegenverkeerswet (Code de la route, ci-après la "WVW").

3 Les articles 9a à 9k ont été introduits dans la WVW par la loi du 26 octobre 1978 (Stb. 595) et modifiés, antérieurement aux faits de la procédure au principal, par des lois des 19 juin 1985 (Stbl. 375) et 2 juillet 1986 (Stbl. 389). Ces articles et leurs arrêtés d'exécution sont appelés Algemene periodieke keuring van motorvoertuigen, aanhangwagens en opleggers (réglementation néerlandaise relative au contrôle technique des véhicules à moteur, remorques et semi-remorques, ci-après "APK").

4 Devant la juridiction nationale, M. Van Schaik excipe de l'incompatibilité de la réglementation APK au regard du droit communautaire.

5 Selon l'article 9a, paragraphe 1, de la WVW, il est interdit

a) de laisser stationner un véhicule à moteur sur la voie publique ou de rouler avec ce véhicule sur la voie publique, ou

b) de tracter une remorque ou une semi-remorque avec un véhicule à moteur sur la voie publique,

à moins qu'un certificat de contrôle n'ait été délivré pour ce véhicule à moteur, cette remorque ou semi-remorque et que le délai de validité de ce certificat ne soit pas expiré.

6 En vertu des articles 9e et 9g de la WVW, le ministre des Transports, des Eaux et des Travaux publics peut accorder à des personnes physiques ou morales une autorisation les habilitant à délivrer des certificats de contrôle pour les véhicules à moteur, remorques et semi-remorques immatriculés aux Pays-Bas. Conformément à l'article 16 du Besluit periodieke keuring van motorrijtuigen, aanhangwagens en opleggers du 28 avril 1980 (décret concernant le contrôle périodique des véhicules à moteur, remorques et semi-remorques, Stbl. 217), tel que modifié par le décret du 3 décembre 1985 (Stbl. 640), cette autorisation peut être accordée à des personnes physiques ou morales qui exploitent, soit des stations de contrôle indépendantes n'effectuant pas des travaux d'entretien et de réparation, soit des garages effectuant de tels travaux.

7 Le fait que le contrôle soit effectué par une station de contrôle indépendante ou par un garage agréé n'entraîne aucune différence quant au tarif à payer. Aucune somme n'est cependant due "si le contrôle est effectué dans le cadre d'une révision d'entretien impliquant déjà une vérification des exigences de contrôle" (article 1er, paragraphe 3, de l'arrêté du 9 juillet 1985 concernant les tarifs à appliquer au contrôle périodique des véhicules, applicable à la date des faits objet des poursuites au principal, Stcrt. 133).

8 Selon les constatations du Hoge Raad, sont exclus d'une reconnaissance au sens de l'article 9g de la WVW les exploitants d'entreprises non établies aux Pays-Bas.

9 Au point 6.9 de son arrêt de renvoi, la juridiction nationale relève en particulier:

"6.9.2. La réglementation APK n'empêche pas celui qui préfère faire réviser sa voiture à l'étranger de le faire et de soumettre ensuite sa voiture au contrôle technique aux Pays-Bas.

6.9.3. La réglementation APK peut amener ces propriétaires de voitures à renoncer aux services de garages établis à l'étranger, même s'ils sont meilleur marché à certains égards, ainsi qu'à la possibilité d'y acquérir, notamment, les pièces de rechange nécessaires, parce qu'il est pratique de faire effectuer l'entretien et la réparation dans un garage qui peut également procéder, dans le cadre d'une réparation ou d'une révision, au contrôle périodique. La circulation intracommunautaire des services et des marchandises peut ainsi être affectée, bien que cet effet, qui se produit uniquement à proximité des frontières méridionale ou orientale des Pays-Bas, n'existe qu'à une échelle limitée.

6.9.4. La présente affaire concerne une voiture de tourisme qui, outre le siège du conducteur, n'a pas plus de huit places assises et qui n'est pas un taxi."

10 Le Hoge Raad a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1)a) L'article 30 du traité doit-il être interprété en ce sens qu'une législation nationale telle que la réglementation APK évoquée plus haut, compte tenu des circonstances mentionnées au point 6.9 ci-dessus, constitue une mesure d'effet équivalent au sens dudit article?

b) Ou l'article 30 doit-il être interprété au contraire en ce sens qu'une législation nationale telle que la réglementation APK ne lui porte pas atteinte, parce qu'elle tend à protéger un intérêt général justifié au regard du droit communautaire, n'a pas par nature pour objet le commerce de pièces de rechange et n'affecte pas les échanges au-delà de ce qui est nécessaire?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, sous a), l'article 36 du traité doit-il être interprété en ce sens qu'une législation nationale telle que la réglementation APK est néanmoins compatible avec l'article 30 du traité si elle est justifiée par des raisons de protection de la sécurité publique et de la santé et de la vie des personnes?

3)a) L'article 62 du traité doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale telle que la réglementation APK étant donné que cette dernière peut entraîner, comme conséquence des conditions qui président à l'octroi d'une reconnaissance au sens de l'article 9g de la WVW, une perte de clientèle pour les garages étrangers dans le domaine des services d'entretien par le fait qu'ils ne peuvent pas délivrer de certificats de contrôle pour des voitures néerlandaises?

b) Ou, compte tenu de l'article 55 du traité, l'article 62 doit-il au contraire être interprété en ce sens qu'une législation nationale telle que la réglementation APK ne lui porte pas atteinte parce que les activités de contrôle exercées en vue de la délivrance du certificat de contrôle par les garages reconnus peuvent être considérées comme des activités participant dans l'État à l'exercice de l'autorité publique?

4)a) Les articles 5, 85 et 86 du traité doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale telle que la réglementation APK, étant donné que cette dernière implique que les garagistes établis et reconnus aux Pays-Bas exemptent les clients qui leur confient une voiture pour un entretien du paiement des frais afférents au contrôle, de sorte que les propriétaires de véhicules à moteur sont encouragés à devenir clients de ces garagistes?

b) Ou l'article 90, paragraphe 2, du traité implique-t-il que les garages reconnus doivent être considérés comme des entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général, dont la mission serait entravée si elles ne pouvaient pas accorder l'exemption de frais citée?

5) Dans quelle mesure la réponse aux questions précédentes sera-t-elle différente si les entraves aux échanges intracommunautaires de marchandises et de services ainsi qu'à la concurrence intracommunautaire qui découlent de la législation nationale se manifestent ou non uniquement dans la région frontalière et à une échelle limitée?

6) Dans quelle mesure la réponse aux questions précédentes sera-t-elle différente si la législation nationale se rapporte exclusivement aux véhicules appartenant aux catégories citées à l'annexe à la directive du Conseil des Communautés européennes du 29 décembre 1976 (77-143-CEE), concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au contrôle technique des véhicules à moteur et de leurs remorques (JO L 47 du 18.2.1977), ou si elle se rapporte également à d'autres véhicules, tels que les voitures de tourisme (qui ne sont pas des taxis) et autres véhicules légers?"

11 Par ses questions, la juridiction nationale demande en substance si les dispositions du traité en matière de libre circulation des marchandises, de libre prestation des services et de concurrence ainsi que de la directive 77-143 s'opposent à une réglementation d'un État membre qui exclut la délivrance des certificats de contrôle pour les voitures immatriculées dans cet État par des garages établis dans un autre État.

Sur la libre circulation des marchandises

12 Selon M. Van Schaik, la réglementation APK permet d'influencer le commerce des véhicules d'occasion et constitue un facteur contribuant, dans le cadre du contrôle APK, à faire acheter des pièces détachées presque exclusivement sur le marché interne, puisque la qualité de contrôleur ne peut pas être reconnue à un garagiste établi dans un autre État membre, et que l'achat à l'étranger des pièces détachées, nécessaires à l'obtention du certificat de contrôle, entraîne l'application d'un tarif plus élevé que dans un garage-station de contrôle. Ainsi, la réglementation APK serait contraire à l'article 30 du traité.

13 A cet égard, la Commission a relevé à juste titre que, lors du contrôle technique lui-même, aucune marchandise n'est livrée.

14 En ce qui concerne le fait que l'entretien d'un véhicule dans un autre État membre puisse entraîner une fourniture de marchandises (pièce de rechange, huile, etc.), il convient de constater qu'une telle fourniture n'est pas une fin en soi, mais accessoire à la prestation de services. Elle ne relève donc pas, comme telle, de l'article 30 du traité (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 1994, Schindler, C-275-92, Rec. p. I-1039).

Sur la libre prestation des services

15 M. Van Schaik affirme qu'une situation dans laquelle la prestation de services dépend d'une autorisation d'établissement aux Pays-Bas ne devrait pas être compatible avec l'article 59 du traité. Selon lui, la violation de l'article 59 du traité provient du fait que la reconnaissance de la qualité de contrôleur APK est refusée aux garages établis dans d'autres États membres.

16 A cet égard, il suffit d'observer que l'octroi par l'État néerlandais, à des garages établis dans d'autres États membres, d'une reconnaissance au sens de l'article 9g de la WVW, concerne l'extension d'une prérogative de puissance publique en dehors du territoire national et ne tombe donc pas dans le champ d'application de l'article 59 du traité.

17 La juridiction nationale s'interroge encore sur la compatibilité de la réglementation APK avec l'article 62 du traité, dans la mesure où cette réglementation peut entraîner une perte de clientèle pour les garages étrangers dans le domaine des services d'entretien, par le fait qu'ils ne peuvent pas délivrer des certificats de contrôle à l'occasion de l'entretien de voitures immatriculées aux Pays-Bas.

18 Il est vrai qu'une réglementation telle que l'APK peut amener les propriétaires de voitures à renoncer aux services de garages établis à l'étranger, même si les prix de ces services sont moins élevés à certains égards, ainsi qu'à la possibilité d'y acquérir, notamment, les pièces de rechange nécessaires, parce qu'il est pratique et moins coûteux de faire effectuer l'entretien et la réparation dans un garage qui peut également procéder, dans le cadre d'une révision ou d'une réparation, au contrôle périodique gratuit.

19 Toutefois, une telle réglementation peut être justifiée par des exigences de sécurité routière, qui constituent des raisons impérieuses d'intérêt général au sens de l'arrêt du 25 juillet 1991, Gouda (C-288-89, Rec. p. I-4007, points 13 et 14).

20 L'exigence d'un contrôle périodique des véhicules sert la sécurité routière. L'effectivité de ce contrôle est assurée, notamment, par un certain nombre d'exigences en matière de solvabilité et de compétence professionnelle des garages agréés, et par la surveillance des contrôles effectués, laquelle ne peut être exercée que sur le territoire néerlandais par les autorités néerlandaises.

21 Cette conception est d'ailleurs celle de la directive 77-143, qui est fondée sur l'hypothèse qu'un État membre ne peut exercer une surveillance directe que sur des établissements de contrôle situés sur son propre territoire. L'article 1er de la directive prévoit: "Dans chaque État membre, les véhicules à moteur immatriculés dans cet État ... doivent être soumis à un contrôle technique périodique..." L'article 4 de la directive dispose en outre que le contrôle technique, au sens de la directive, doit être effectué par l'État ou par des organismes ou des établissements désignés par lui et agissant sous sa surveillance directe. La directive établit par conséquent le caractère territorialement limité du contrôle périodique.

22 Il convient de relever également qu'en raison du caractère partiel de l'harmonisation des critères de contrôle, si la directive impose, à son article 5, paragraphe 3, à chaque État membre de reconnaître les certificats de contrôle respectant au moins les dispositions de la directive et délivrés dans d'autres États membres aux véhicules immatriculés sur leur territoire, elle n'oblige pas, en revanche, chaque État membre, eu égard à la multitude des procédés et procédures de vérification, à reconnaître, pour des véhicules immatriculés sur son territoire, des certificats de contrôle établis dans d'autres États membres.

23 Certes, à l'époque des faits au principal, l'obligation d'un contrôle technique périodique ne concernait que des véhicules dont le nombre de places assises, outre le siège du conducteur, excédait huit. L'article 3 de la directive permettait toutefois aux États membres d'étendre l'obligation de contrôle technique périodique à d'autres catégories de véhicules, y inclus les voitures de tourisme. En adoptant la réglementation APK, le royaume des Pays-Bas a fait usage de cette faculté.

24 Dans ces conditions, les articles 59 et 62 ne s'opposent pas à une réglementation telle que l'APK.

Sur les règles de concurrence

25 Pour autant que la juridiction nationale demande l'interprétation des règles communautaires en matière de concurrence, il suffit de constater que la réglementation en cause ne vise pas à autoriser ou à renforcer un accord ou une pratique concertée existants ou à imposer ou favoriser un tel accord ou une telle pratique. Quant à l'existence d'un abus d'une position dominante sur le marché du contrôle des véhicules, elle n'a pas été alléguée.

26 Dans ces conditions, il convient de répondre à la juridiction nationale que les dispositions du traité en matière de libre circulation des marchandises, de libre prestation des services et de concurrence ainsi que la directive 77-143 ne s'opposent pas à une réglementation d'un État membre qui exclut la délivrance des certificats de contrôle pour les voitures immatriculées dans cet État par des garages établis dans un autre État.

Sur les dépens

27 Les frais exposés par les Gouvernements néerlandais, allemand et irlandais ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêt du 16 février 1993, dit pour droit:

Les dispositions du traité en matière de libre circulation des marchandises, de libre prestation des services et de concurrence ainsi que la directive 77-143-CEE du Conseil, du 29 décembre 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au contrôle technique des véhicules à moteur et de leurs remorques, ne s'opposent pas à une réglementation d'un Etat membre qui exclut la délivrance des certificats de contrôle pour les voitures immatriculées dans cet État par des garages établis dans un autre État.