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Décisions

CJCE, 17 mai 1983, n° 132-82

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des communautés européennes

Défendeur :

Royaume de Belgique

CJCE n° 132-82

17 mai 1983

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 avril 1982, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que le Royaume de Belgique, en percevant des droits de magasin lors de la présentation de marchandises importées en Belgique, originaires d'un Etat membre où se trouvant en libre pratique, à un magasin spécial en vue de l'accomplissement des formalités douanières, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 12 du traité.

2. La loi du 20 février 1978 relative aux entrepôts douaniers et au dépôt temporaire (Moniteur belge du 22. 3. 1978) définit les entrepôts douaniers comme des lieux où les marchandises peuvent séjourner en franchise de tous droits d'entrée et de toutes impositions pendant la durée de l'entreposage. La loi pose le principe que les marchandises déposées dans les entrepôts publics sont frappées de " droits de magasin ", dont le produit net est versé aux communes qui fournissent les locaux. Conformément à l'article 25 de la même loi, un arrêté royal du 29 janvier 1979 (Moniteur belge du 7.3.1979) a déterminé la liste des entrepôts publics, fixé le taux maximal des droits de magasins et réglé leur mode de perception.

3. Cette législation répond, dans son principe, aux orientations définies par la directive 68-312 du Conseil, du 30 juillet 1968 (JO L 194, p. 13). Cette directive a fixé les règles que doivent comporter les législations nationales concernant le dépôt provisoire des marchandises que les importateurs ne désirent pas placer immédiatement sous un régime douanier déterminé. Ces marchandises doivent être placées dans des entrepôts publics ou privés désignés par les autorités nationales, et aux conditions fixées par celles-ci, pour une période limitée à quinze jours, qui peut être prorogée dans certaines conditions.

4. Le développement du transit communautaire défini et favorisé par le règlement n° 222-77 du Conseil, du 13 décembre 1976 (JO L 38, p. 1), qui a codifié le règlement n° 542-69 du Conseil, du 18 mars 1969, modifié, a ainsi donné aux importateurs la possibilité d'acheminer leurs marchandises en franchise de droits et d'impositions de la frontière jusqu'à des entrepôts publics situés à l'intérieur du pays. Ils peuvent faire procéder, dans ces entrepôts, aux opérations de dédouanement, et ils ont également la faculté d'y placer les marchandises en dépôt provisoire, notamment lorsqu'ils ne désirent pas leur affecter immédiatement un régime douanier déterminé.

5. C'est la perception des droits de magasin sur les marchandises présentées à de tels entrepôts publics situés à l'intérieur du pays, qui est à l'origine du présent litige.

6. La Commission estime que les droits de magasin perçus par les autorités belges constituent des taxes d'effet équivalant à des droits de douane, au sens des articles 9 et 12 du traité, dans la mesure où le paiement de ces droits ne correspond pas à la rémunération d'un service rendu à l'importateur mais est lié au seul accomplissement des formalités douanières.

7. Le Gouvernement belge considère que la qualification de taxe d'effet équivalant à des droits de douane ne peut être retenue étant donné que ce ne sont ni le franchissement de la frontière ni l'accomplissement des formalités douanières qui constituent juridiquement le fait générateur des droits litigieux, mais l'usage, par les importateurs, des entrepôts publics mis à leur disposition par les communes. Un tel usage constituerait un service rendu aux importateurs et serait susceptible de donner lieu à la perception de droits.

8. Il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que selon une jurisprudence constante, toute charge pécuniaire, fut-elle minime, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité, alors même qu'elle ne serait pas perçue par l'Etat. Il n'en est autrement que si la charge en question constitue la rémunération d'un service effectivement rendu à l'importateur et si son montant est proportionné audit service, lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'une redevance frappant exclusivement des produits importés.

9. La justification de l'interdiction des taxes d'effet équivalant à des droits de douane, énoncée par les dispositions du traité, réside dans l'entrave que des charges pécuniaires, appliquées en raison ou à l'occasion du franchissement de la frontière, constituent pour la libre circulation des marchandises.

10. S'agissant d'apprécier, au regard de ces principes, si les droits de magasin litigieux revêtent ou non le caractère de taxes d'effet équivalant à des droits de douane, il convient de noter, en premier lieu, que le placement de marchandises importées en dépôt provisoire dans les magasins spéciaux des entrepôts publics constitue, à l'évidence, un service rendu aux opérateurs économiques. Un tel placement ne peut, en effet, être décidé que sur leur demande et assure la conservation en franchise de droits des marchandises qui en font l'objet jusqu'à ce que les intéressés aient décidé de la destination à leur donner. La Commission ne conteste d'ailleurs pas que le placement des marchandises en dépôt provisoire puisse légalement donner lieu au paiement de droits proportionnés au service ainsi rendu.

11. Il ressort cependant tant des dispositions combinées des articles 16, 30 et 34 de l'arrêté royal belge du 29 janvier 1979, que des débats menés devant la Cour, que les droits de magasin sont dus également dès lors que les marchandises sont présentées à l'entrepôt public pour le simple accomplissement des formalités douanières, alors même qu'elles ont été dispensées d'emmagasinage et qu'aucune mise en dépôt provisoire n'a été demandée par l'importateur.

12. Le Gouvernement belge fait valoir, il est vrai, que même dans cette hypothèse, un service serait rendu à l'importateur. Celui-ci aurait toujours la possibilité d'échapper au paiement des droits litigieux en choisissant de faire dédouaner ses marchandises à la frontière, ou une telle opération est gratuite. En outre, le passage par un entrepôt public donnerait à l'importateur la commodité de pouvoir faire procéder au dédouanement à proximité des lieux de destination de ses produits, et le dispenserait soit de disposer lui-même d'installations propres à permettre le dédouanent, soit de recourir, à cet effet, à des installations privées dont l'usage est plus onéreux que celui des entrepôts publics. Il serait donc légitime de prélever un droit proportionné à ce service.

13. Cette argumentation ne peut cependant être retenue. S'il est exact que le passage en entrepôt public situé à l'intérieur du pays procure aux importateurs certains avantages, il apparaît d'abord que ces avantages sont liés au seul accomplissement des formalités douanières qui, quel qu'en soit le lieu, constitue toujours une obligation. Il faut observer, en outre, que ces avantages résultent du régime de transit communautaire, qui a été institué par les règlements n° 542-69 et 222-77, non pas dans l'intérêt particulier des opérateurs économiques, mais, ainsi que l'indiquent clairement les quatrième et sixième considérants du règlement n° 222-77, en vue d'accroître la fluidité du mouvement des marchandises et de faciliter le transport à l'intérieur de la Communauté. Il ne saurait donc être question de frapper de charges quelconques des facilités de dédouanement accordées dans l'intérêt du Marché commun.

14. Il résulte de ce qui précède que le paiement des droits de magasin exige lors du simple accomplissement des formalités douanières ne peut être regardé comme correspondant à la rémunération d'un service effectivement rendu à l'importateur.

15. Il convient, par conséquent, de considérer qu'en percevant des droits de magasin lors de la présentation de marchandises importées en Belgique, originaires d'un Etat membre ou se trouvant en libre pratique, à un magasin spécial en vue du seul accomplissement des formalités douanières, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 12 du traité.

Sur les dépens

16. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En l'espèce, le Royaume de Belgique ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête:

1) En percevant des droits de magasin lors de la présentation de marchandises importées en Belgique, originaires d'un Etat membre où se trouvant en libre pratique, à un magasin spécial en vue du seul accomplissement des formalités douanières, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 12 du traité.

2) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.