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Décisions

CJCE, 5e ch., 15 septembre 1994, n° C-293/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Ludomira Neeltje Barbara Houtwipper

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Gulmann

Juges :

MM. Joliet, Rodríguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg

CJCE n° C-293/93

15 septembre 1994

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 17 mai 1993, parvenue à la Cour le 24 mai 1993, l'Arrondissementsrechtbank te Zutphen (Pays-Bas) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE, en vue d'apprécier la compatibilité, avec le droit communautaire, de la Waarborgwet 1986 (loi néerlandaise sur les normes de garantie des métaux précieux, ci-après "Waarborgwet").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure pénale engagée devant l'arrondissementsrechtbank te Zutphen contre Mme Houtwipper, poursuivie pour avoir détenu ou commercialisé des bagues en or et en argent qui ne portaient pas la marque de contrôle légalement requise par la Waarborgwet.

3 L'article 1er de la Waarborgwet dispose que les ouvrages en métaux précieux doivent avoir les "titres" (quantités de métal précieux pur utilisé) suivants:

° platine: 950 millièmes;

° or: 916, 833, 750 et 585 millièmes;

° argent: 925, 835 et 800 millièmes.

4 Selon le même article, ces "titres" sont garantis par des poinçons apposés conformément à cette loi.

5 L'article 7 prévoit la désignation d'une personne morale dont la tâche est de contrôler les "titres" mentionnés, de les poinçonner et de vérifier leur conformité au droit en vigueur, cette mission devant être accomplie en toute indépendance.

6 Les articles 9 et 10 prévoient que les ouvrages en métaux précieux devront porter: i) le poinçon de titre, ii) le poinçon de l'organisme auprès duquel le poinçonnage a été effectué, iii) une lettre indiquant la date et iv) pour les ouvrages comportant plusieurs pièces ne pouvant pas être poinçonnées séparément, une marque indiquant les poids respectifs des éléments.

7 L'article 30, paragraphe 1, dispose:

"Aucun marchand ne peut détenir ou commercialiser des ouvrages en platine, or ou argent qui doivent être poinçonnés en vertu du droit en vigueur s'ils ne portent pas les poinçons obligatoires..."

8 L'article 48 admet une exception à l'obligation de poinçonnage pour les ouvrages en métaux précieux importés de la Belgique ou du Luxembourg qui ont été officiellement poinçonnés dans ces pays.

9 Estimant que la Waarborgwet a pour effet d'interdire la commercialisation des objets en or et en argent importés aux Pays-Bas qui ne portent pas un poinçon de garantie néerlandais, belge ou luxembourgeois, même lorsque ces objets portent la marque de contrôle d'un autre État membre, le tribunal national a soumis à la Cour de justice la question préjudicielle suivante:

"Une réglementation telle que celle qui figure à l'article 30 de la Waarborgwet 1986 (loi de 1986 sur les normes de garantie, Stb. 38/1987) est-elle compatible avec les articles 30 et 36 du traité instituant la Communauté économique européenne (traité du 25 mars 1957, Trb. 1957, 74 et 91)?"

10 La réponse à la question énoncée ne peut être donnée que sur la base de l'article 30 du traité à l'exclusion de l'article 36, étant donné que des mesures du genre de celles prescrites par la réglementation en cause n'entrent pas dans le champ d'application des exceptions limitativement énumérées par l'article 36 (voir arrêt du 22 juin 1982, Robertson, 220-81, Rec. p. 2349, point 8).

11 Conformément à la jurisprudence "Cassis de Dijon" (arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral, 120-78, Rec. p. 649), constituent des mesures d'effet équivalent, interdites par l'article 30, les obstacles à la libre circulation des marchandises résultant, en l'absence d'harmonisation des législations, de l'application à des marchandises en provenance d'autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises (telles que celles concernant leur dénomination, leur forme, leurs dimensions, leur poids, leur composition, leur présentation, leur étiquetage, leur conditionnement), même si ces règles sont indistinctement applicables à tous les produits, dès lors que cette application ne peut être justifiée par un but d'intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises.

12 Le marché des ouvrages en métaux précieux fait l'objet de réglementations nationales divergentes, notamment en ce qui concerne les titres admis, le type et le nombre des poinçons, la tolérance maximale quant au titre des métaux précieux entrant dans les alliages et les méthodes de contrôle des poinçons.

13 De telles réglementations, lorsqu'elles exigent, comme la Waarborgwet, que les ouvrages en métal précieux importés d'autres États membres, dans lesquels ils sont légalement commercialisés et poinçonnés conformément à la législation de ces États, soient soumis à un nouveau poinçonnage dans l'État membre d'importation, rendent les importations plus difficiles et coûteuses. En effet, ainsi que le Gouvernement allemand l'a observé, elles impliquent l'intervention d'un importateur, le paiement d'une rémunération à l'organisme de contrôle et entraînent des retards dans la commercialisation des produits qui se répercutent dans les coûts respectifs de ceux-ci.

14 Cependant, l'obligation pour l'importateur de faire apposer sur les ouvrages en métal précieux un poinçon indiquant le titre, c'est-à-dire la quantité de métal précieux pur utilisé, est dans son principe de nature à assurer une protection efficace des consommateurs et à promouvoir la loyauté des transactions commerciales. En effet, le consommateur étant incapable de déterminer, au toucher ou à la vue, le degré exact de pureté d'un objet en métal précieux, il pourrait, en l'absence du poinçon, être facilement induit en erreur lors de l'achat d'un tel objet.

15 C'est pourquoi la Cour a relevé dans son arrêt Robertson, précité, qu'un État membre ne saurait imposer un nouveau poinçonnage à des produits importés d'un autre État membre, où ils ont été légalement commercialisés et poinçonnés conformément à la législation de cet État, dès lors que les indications fournies par ce poinçon, quelle qu'en soit la forme, sont équivalentes à celles prescrites par l'État membre d'importation et compréhensibles pour les consommateurs de cet État.

16 Il appartient au juge national de porter les appréciations de fait nécessaires en vue d'établir l'existence ou non d'une telle équivalence.

17 La réglementation en cause exige encore que le poinçon soit apposé par une personne morale satisfaisant à certaines exigences de compétence et d'indépendance.

18 A cet égard, un État membre ne saurait, en soutenant que la fonction de garantie du poinçon ne peut être assurée que par l'intervention de l'organisme compétent de l'État d'importation, s'opposer à la commercialisation sur son territoire d'ouvrages en métal précieux poinçonnés dans l'État membre d'exportation par un organisme indépendant.

19 Sur ce point, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour, que l'existence de doubles contrôles, dans le pays exportateur et dans le pays importateur, ne saurait être justifiée si les résultats du contrôle effectué dans l'État membre d'origine satisfont aux besoins de l'État membre importateur (voir notamment arrêt du 17 décembre 1981, Frans-Nederlandse Maatschappij voor Biologische Producten, 272-80, Rec. p. 3277, point 15). Or, la fonction de garantie du poinçon est satisfaite lorsque celui-ci est apposé par un organisme indépendant dans l'État membre exportateur.

20 A cet égard, il convient d'écarter l'argumentation du Gouvernement allemand selon laquelle un État membre ne saurait interdire la commercialisation sur son territoire d'ouvrages en métal précieux poinçonnés par les producteurs eux-mêmes dans l'État membre d'exportation, dès lors que le respect des dispositions légales et, par conséquent, la protection des consommateurs et la sauvegarde de la loyauté des transactions commerciales sont assurés par un ensemble de mesures aptes à satisfaire la fonction de garantie du poinçon. Tel serait le cas de la réglementation allemande qui prévoit des règles de qualité propres au fabricant, l'application de sanctions de droit public, en cas d'infraction, l'intervention, dans le cadre de la loi sur la concurrence déloyale, de certaines associations ayant le pouvoir d'avertissement, la garantie du fabricant et, enfin, une formation qualifiée des joailliers et des orfèvres.

21 Ainsi que le Gouvernement du Royaume-Uni l'a observé, particulièrement sur le marché des ouvrages en métal précieux il y a lieu de craindre des fraudes. En effet, de petites modifications dans la teneur du métal précieux peuvent avoir une très grande importance sur la marge bénéficiaire du producteur. C'est ainsi que, selon le même Gouvernement, une réduction de 1/1 000 de ladite teneur peut augmenter la marge bénéficiaire jusqu'à 10 %.

22 En l'absence de réglementation communautaire, le choix des mesures adéquates pour faire face à ce risque appartient aux États membres qui disposent d'un large pouvoir d'appréciation. L'option entre le contrôle a priori par un organisme indépendant et un régime comme celui existant en République fédérale d'Allemagne relève de la politique législative des États membres, la Cour n'exerçant son contrôle que dans le cas d'une erreur manifeste d'appréciation. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, comme l'a démontré l'avocat général aux points 27 et 28 de ses conclusions.

23 Il appartient au juge national de vérifier si le poinçonnage des ouvrages en métal précieux importés d'autres États membres a été effectué par un organisme offrant des garanties d'indépendance, ces garanties ne devant pas nécessairement coïncider avec celles prévues dans la réglementation nationale.

24 La réglementation néerlandaise en cause exige aussi que les ouvrages en métal précieux soient marqués avec une lettre indiquant la date. Il convient, dès lors, de vérifier si une interdiction de commercialisation d'ouvrages en métal précieux ne contenant pas une telle mention est justifiée en tant que mesure de protection des consommateurs et de la loyauté des transactions commerciales.

25 A cet égard, à supposer même que les consommateurs ou certains d'entre eux souhaitent connaître l'année de fabrication des ouvrages en métal précieux, un tel intérêt ne saurait justifier une entrave aussi sensible à la libre circulation des marchandises.

26 Ainsi que le Gouvernement allemand l'a fait valoir à juste titre, un tel intérêt ne saurait concerner que certains articles, pour lesquels il peut être laissé au fabricant le soin de le satisfaire. Par contre, les consommateurs, en principe, n'ont aucun intérêt à connaître la date de fabrication des bijoux vendus sur le marché à des prix bas ou moyens, et qui correspondent à des articles de mode. Enfin, lorsque le poinçonnage est effectué par un organisme tiers, la mention de l'année du poinçonnage peut ne pas toujours donner une information fiable sur l'année de fabrication, étant donné que celle-ci peut différer de l'année du poinçonnage surtout lorsqu'il s'agit de biens importés.

27 Il y a lieu dès lors de répondre à la question posée par l'Arrondissementsrechtbank te Zutphen:

"1) L'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale prohibant la mise en vente d'ouvrages en métal précieux non revêtus d'un poinçon de titre répondant aux exigences de cette réglementation, pour autant que ces ouvrages n'ont pas fait l'objet, conformément à la législation de l'État membre d'exportation, d'un poinçonnage ayant un contenu informatif équivalant à celui des poinçons prescrits par la réglementation de l'État membre d'importation, et compréhensibles pour le consommateur de cet État.

2) Lorsqu'une réglementation nationale exige que le poinçon soit apposé par un organisme indépendant, la commercialisation d'ouvrages en métal précieux importés d'autres États membres ne peut être interdite dans le cas où ces ouvrages ont été effectivement poinçonnés par un organisme indépendant dans l'État membre exportateur.

3) Les appréciations de fait nécessaires en vue d'établir l'équivalence des indications fournies par le poinçon doivent être portées par le juge national, auquel il appartient également de vérifier si les ouvrages en métal précieux ont été poinçonnés par un organisme indépendant dans l'État membre exportateur.

4) L'article 30 du traité s'oppose à l'application d'une réglementation nationale prohibant la commercialisation d'ouvrages en métal précieux dépourvus de la mention de la date de fabrication, mais qui, importés d'autres États membres, y sont légalement commercialisés sans cette indication."

Sur les dépens

28 Les frais exposés par les Gouvernements néerlandais, allemand, hellénique, français et portugais, par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par l'Arrondissementsrechtbank te Zutphen, par ordonnance du 17 mai 1993, dit pour droit:

1) L'article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale prohibant la mise en vente d'ouvrages en métal précieux non revêtus d'un poinçon de titre répondant aux exigences de cette réglementation, pour autant que ces ouvrages n'ont pas fait l'objet, conformément à la législation de l'État membre d'exportation, d'un poinçonnage ayant un contenu informatif équivalant à celui des poinçons prescrits par la réglementation de l'État membre d'importation, et compréhensibles pour le consommateur de cet État.

2) Lorsqu'une réglementation nationale exige que le poinçon soit apposé par un organisme indépendant, la commercialisation d'ouvrages en métal précieux importés d'autres États membres ne peut être interdite dans le cas où ces ouvrages ont été effectivement poinçonnés par un organisme indépendant dans l'État membre exportateur.

3) Les appréciations de fait nécessaires en vue d'établir l'équivalence des indications fournies par le poinçon doivent être portées par le juge national, auquel il appartient également de vérifier si les ouvrages en métal précieux ont été poinçonnés par un organisme indépendant dans l'État membre exportateur.

4) L'article 30 du traité s'oppose à l'application d'une réglementation nationale prohibant la commercialisation d'ouvrages en métal précieux dépourvus de la mention de la date de fabrication, mais qui, importés d'autres États membres, y sont légalement commercialisés sans cette indication.