CJCE, 28 novembre 1989, n° C-186/88
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kakouris (faisant fonction)
Présidents de chambre :
MM. Schockweiler, Zuleeg
Avocat général :
M. Darmon.
Juges :
MM. Koopmans, Mancini, Moitinho de Almeida, Grévisse
Avocat :
Me Knopp
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 7 juillet 1988, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître que la République fédérale d'Allemagne, en procédant à ses frontières à des contrôles systématiques, tels que ceux prévus par l'article 24 de la "Gefluegelfleischhygienegesetz" (loi sur l'hygiène de la viande de volaille) ainsi que par l'article 7 du "Gefluegelfleischuntersuchungsverordnung" (règlement sur l'inspection de la viande de volaille), a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE, du règlement n° 2777-75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille (JO L 282, p. 77), de la directive 71-118 du Conseil, du 15 février 1971, relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges de viandes fraîches de volaille (JO L 55, p. 23), et de la directive 83-643 du Conseil, du 1er décembre 1983, relative à la facilitation des contrôles physiques et des formalités administratives lors du transport des marchandises entre États membres (JO L 359, p. 8).
2 D'après la réglementation en vigueur en République fédérale d'Allemagne, à savoir la "Gefluegelfleischhygienegesetz" du 12 juillet 1973 et le "Gefluegelfleischuntersuchungsverordnung" du 3 novembre 1976, tel que modifié par un règlement du 27 juillet 1978, toute importation de viande de volaille fraîche en République fédérale d'Allemagne est soumise à une procédure qui comporte l'obligation, pour l'importateur, de déclarer la marchandise, en temps utile, au bureau d'entrée compétent pour être soumise à inspection, d'indiquer la nature et la quantité de la marchandise, ainsi que le moment auquel l'inspection doit avoir lieu. Cette inspection vise à vérifier si le lot importé est accompagné d'un certificat de salubrité valable, si la marchandise faisant l'objet dudit lot correspond à la marchandise indiquée dans le certificat et si certains marquages ont bien été effectués. Cette inspection est obligatoirement effectuée par des agents vétérinaires.
3 Dans son arrêt du 20 septembre 1988, Moormann (190-87, Rec. 1988, p. 0000), la Cour, statuant sur un renvoi préjudiciel du Bundesverwaltungsgericht (juridiction fédérale suprême en matière administrative), a dit pour droit :
"1. Constituent des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives, au sens de l'article 30 du traité CEE, des mesures d'inspection de viandes de volailles effectuées à l'entrée dans le pays de destination par un vétérinaire ou un expert en matière sanitaire. Ces mesures, pour autant qu'elles ont pour objet de vérifier systématiquement le respect des conditions sanitaires prescrites par la directive 71-118 ... ne peuvent trouver de justification dans l'article 36 du traité CEE.
2. L'article 11, paragraphe 2, du règlement n° 2777-75 ... a trait aux échanges avec les pays tiers et ne s'applique pas aux échanges commerciaux intracommunautaires.
...
4. La notion de 'contrôles physiques', au sens de la directive 83-643 ..., doit être comprise comme visant tous les contrôles effectués sur la marchandise et qui impliquent une action physique sur celle-ci. La notion de " formalités administratives " doit être comprise comme concernant toutes les opérations qui consistent dans la vérification des documents et certificats accompagnant la marchandise, et qui visent à s'assurer, par une simple inspection visuelle, que celle-ci correspond aux documents et certificats, dès lors que ces opérations peuvent être effectuées par les agents investis d'une compétence générale pour le contrôle des marchandises à la frontière. Compte tenu de ces définitions, il appartient au juge national de décider dans quelle catégorie il convient de classer les mesures visées dans la quatrième question, en prenant en considération les modalités de celles-ci.
5. La notion de " contrôles " visée à l'article 2 de la directive 83-643 doit être interprétée en ce sens que seuls les contrôles physiques au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive ne peuvent plus avoir lieu que par sondages, sans qu'il soit possible d'en tirer une conclusion sur les modalités d'accomplissement des formalités administratives."
4 A la suite de cet arrêt, la Commission a, au stade de la réplique, précisé l'objet du recours en manquement en demandant à la Cour de constater que la République fédérale d'Allemagne, en soumettant les viandes fraîches de volaille provenant d'autres États membres à des contrôles systématiques aux frontières, comportant une obligation de déclaration préalable, allant au-delà d'une simple vérification de la conformité des documents et certificats accompagnant la marchandise, ainsi que d'une inspection visuelle de celle-ci, destinée à s'assurer de sa conformité avec les documents, effectuées par des agents investis d'une compétence générale pour le contrôle d'une marchandise à la frontière, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE, du règlement n° 2777-75, de la directive 71-118 et de la directive 83-643.
5 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure, et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
6 Ainsi qu'il résulte de la procédure écrite au niveau de la réplique et de la duplique ainsi que des débats contradictoires à l'audience, la Commission reproche, en substance, à la République fédérale d'Allemagne de procéder, par l'intervention obligatoire d'agents vétérinaires chargés de l'accomplissement des formalités administratives, à des contrôles systématiques de nature vétérinaire.
7 La République fédérale d'Allemagne a reconnu que l'obligation de déclaration préalable des marchandises s'explique par la nécessité d'assurer la présence des vétérinaires sur les points de passage des frontières et de coordonner leur intervention. Elle se défend toutefois de procéder à des contrôles allant au-delà de l'accomplissement systématique des formalités au sens de la directive 83-643, telle qu'interprétée par la Cour dans l'arrêt du 20 septembre 1988, précité. L'intervention des vétérinaires assurerait un accomplissement plus efficace et plus rapide des formalités administratives systématiques.
8 A la différence de ce qui se passerait pour le franchissement de la frontière par d'autres marchandises, l'intervention des vétérinaires pour l'accomplissement des formalités administratives dans le secteur du transport des viandes fraîches de volaille serait conforme au système de la réglementation communautaire et justifiée au vu de la nécessité de la protection de la santé publique.
9 Pour apprécier le bien-fondé du recours introduit par la Commission, il y a lieu de rappeler que, dans l'arrêt du 20 septembre 1988, précité, la Cour a souligné que la directive 71-118 du Conseil, du 15 février 1971, relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges de viandes fraîches de volaille (JO L 55, p. 23), a mis sur pied un système de contrôles sanitaires harmonisé basé sur un contrôle complet de la marchandise dans l'État d'expédition, qui se substitue au contrôle de l'État de destination et qui doit permettre la libre circulation des produits concernés, dans des conditions analogues à celles d'un marché intérieur (point 11). En conséquence, la Cour a dit que les produits couverts par la directive 71-118 ne peuvent plus faire l'objet, de façon systématique, de contrôles sanitaires s'étendant, entre autres, à toute mesure de contrôle exercée par l'État d'importation visant à établir que les conditions sanitaires prescrites ont effectivement été observées, lorsque cette mesure requiert l'intervention d'un vétérinaire ou d'un expert en matière sanitaire (point 14).
10 La Cour en a conclu que les produits couverts par la directive 71-118 ne peuvent plus, lors du passage d'une frontière intracommunautaire, faire l'objet, de façon systématique, que des seuls contrôles de nature administrative auxquels sont assujetties toutes les marchandises franchissant la frontière (point 16).
11 La Cour a encore dit dans l'arrêt précité que les formalités administratives, dont la directive 83-643 autorise un accomplissement systématique, doivent être comprises comme des opérations pouvant être effectuées par des agents investis d'une compétence générale pour le contrôle des marchandises à la frontière (point 29).
12 L'interprétation que la Cour a donnée de la notion de formalités administratives n'interdit pas en soi à un État membre de faire accomplir ces formalités par des agents plus qualifiés, en l'occurrence par des agents vétérinaires, à condition toutefois que l'intervention de ces agents, d'une part, ne retarde pas l'accomplissement des formalités de passage de la frontière et, d'autre part, ne transforme pas les formalités administratives en contrôles de nature vétérinaire.
13 L'obligation de déclaration préalable des marchandises que la législation allemande impose, de façon systématique, aux transporteurs de viandes fraîches de volaille ne peut être considérée comme une formalité administrative dont l'accomplissement systématique est autorisé au titre de la directive 83-643.
14 En effet, cette directive, visant, au vu de la nécessité de renforcer et de développer davantage le marché intérieur, à alléger au maximum les formalités et contrôles aux frontières intérieures de la Communauté, ne permet pas des formalités ou contraintes allant au-delà des exigences normales inhérentes au franchissement de la frontière par toute marchandise, quelle que soit sa nature.
15 Or, d'après les explications du Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, la déclaration préalable a comme unique objectif de coordonner l'intervention systématique des vétérinaires et d'assurer leur présence aux postes frontaliers au moment du franchissement de la frontière par les marchandises. Le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne entend justifier cette intervention obligatoire des vétérinaires, outre par des considérations d'efficacité, par la nature particulière de la marchandise transportée et par les responsabilités incombant aux services vétérinaires dans le secteur du transport de la viande fraîche, en particulier au regard de l'impératif de protéger la santé publique.
16 Au regard du système de contrôles sanitaires harmonisé, mis en place par la réglementation communautaire et basé, comme la Cour l'a souligné dans l'arrêt du 20 septembre 1988, précité, sur un contrôle complet de la marchandise dans l'État d'expédition, qui se substitue au contrôle de l'État de destination, des considérations liées à la nécessité de protéger la santé ne sauraient justifier des contraintes spécifiques supplémentaires imposées aux transporteurs lors du franchissement de la frontière.
17 Il y a, dès lors, lieu de constater que la République fédérale d'Allemagne, en imposant, de façon systématique, aux transporteurs de viandes fraîches de volaille l'obligation de déclarer au préalable la marchandise en vue d'assurer une intervention systématique des vétérinaires, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE et des directives 71-118 et 83-643.
Sur les dépens
18 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République fédérale d'Allemagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1) La République fédérale d'Allemagne, en imposant, de façon systématique, aux transporteurs de viandes fraîches de volaille l'obligation de déclarer au préalable la marchandise en vue d'assurer une intervention systématique des vétérinaires, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE et des directives 71-118 du Conseil, du 15 février 1971, relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges de viandes fraîches de volaille, et 83-643 du Conseil, du 1er décembre 1983, relative à la facilitation des contrôles physiques et des formalités administratives lors du transport des marchandises entre États membres.
2) La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.