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Décisions

CJCE, 5e ch., 18 juin 1991, n° C-369/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Piageme, Société générale des grandes sources et eaux minérales françaises, Evian, Apollinaris, Vittel

Défendeur :

Peeters BVBA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Rodríguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg, Sir Gordon Slynn

Avocats :

Mes Horsmans, Puts, Danckaerts

CJCE n° C-369/89

18 juin 1991

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 5 décembre 1989 parvenue à la Cour le 8 décembre suivant, le rechtbank van koophandel te Leuven (Belgique) a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 30 du traité CEE et de l'article 14 de la directive 79-112-CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard (JO L 33, p. 1).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant l'association des producteurs, importateurs et agents généraux d'eaux minérales étrangères (Piageme), la Société générale des grandes sources et eaux minérales françaises (SGGSEMF), et les sociétés Évian, Apollinaris et Vittel (ci-après "demanderesses au principal"), qui importent et distribuent diverses eaux minérales en Belgique, à la société Peeters, établie dans la région linguistique flamande de ce pays où elle met en vente ces eaux minérales en bouteilles étiquetées uniquement en français ou en allemand.

3 S'estimant lésées, les parties demanderesses au principal ont assigné la société Peeters devant le rechtbank van koophandel te Leuven en faisant valoir que l'article 10 de l'arrêté royal du 2 octobre 1980, remplacé par l'article 11 de l'arrêté royal du 13 novembre 1986 (Moniteur belge du 2.12.1986, p. 16317), qui a pour objet de transposer la directive 79-112, précitée, en droit belge, dispose que les mentions réglementaires portées sur les étiquettes doivent être libellées au moins dans la langue ou les langues de la région linguistique où les denrées alimentaires sont mises en vente.

4 La société Peeters a excipé de l'incompatibilité de la réglementation belge avec l'article 30 du traité CEE et l'article 14 de la directive précitée qui prévoit que les mentions en question doivent figurer "dans une langue facilement comprise par les acheteurs, sauf si l'information de l'acheteur est assurée par d'autres mesures". Dans ces conditions, le Tribunal de commerce de Louvain a sursis à statuer pour poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

"L'article 10 de l'arrêté royal du 2 octobre 1980, actuellement l'article 11 de l'arrêté royal du 13 novembre 1986, est-il ou non incompatible avec l'article 30 du traité CEE et avec l'article 14 de la directive 79-112-CEE du 18 décembre 1978 ?"

5 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la réglementation applicable ainsi que des observations écrites présentées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la compétence

6 Les demanderesses au principal contestent la compétence de la Cour par deux moyens. D'une part, elles soutiennent que la Cour n'est pas compétente pour apprécier la conformité des dispositions nationales avec le droit communautaire ni, par conséquent, pour répondre à la question posée par le juge national. D'autre part, elles affirment que la question préjudicielle qui a été posée ne répond à aucune nécessité.

7 Sur le premier point, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, s'il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre de l'article 177 du traité, de se prononcer sur la compatibilité d'une réglementation nationale avec le droit communautaire, elle est, en revanche, compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant de ce droit qui peuvent lui permettre d'apprécier cette compatibilité pour le jugement de l'affaire dont elle est saisie (voir, par exemple, l'arrêt du 21 novembre 1990, Caisse d'assurances sociales pour travailleurs indépendants "Integrity", point 9, C-373-89, Rec. p. I-4243).

8 Par la question préjudicielle, la juridiction nationale vise, en substance, à savoir si l'article 30 du traité CEE et l'article 14 de la directive 79-112, précitée, font obstacle à ce que la législation d'un État membre impose l'emploi de la langue de la région linguistique dans laquelle les denrées alimentaires sont commercialisées et s'oppose à l'emploi éventuel d'une autre langue facilement comprise par les acheteurs ou à toute dérogation dans le cas où l'information de l'acheteur est assurée par d'autres mesures.

9 Par leur second moyen, les demanderesses au principal soutiennent que le litige devant le juge national ne porte pas sur le point de savoir si la réglementation belge devait prévoir, de façon dérogatoire, la possibilité d'assurer l'information de l'acheteur par d'autres moyens que par une étiquette libellée dans la langue de la région, mais sur le point de savoir si, dans la mesure où cette possibilité dérogatoire serait admise, d'autres moyens permettraient d'assurer efficacement une telle information. Le litige porterait ainsi sur une question de preuve relevant de la seule compétence du juge national et non de celle de la Cour qui serait, dès lors, saisie d'une question préjudicielle inutile à la solution du litige au principal.

10 Il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 8 novembre 1990, Gmurzynska, point 20, C-231-89, Rec. p. I-4003).

Sur la question préjudicielle

11 Les parties demanderesses au principal considèrent que l'obligation d'étiquetage dans la langue de la région linguistique où les produits sont mis en vente correspond de manière raisonnable à l'objectif de la directive qui est de fournir au consommateur des précisions sur les produits vendus et d'assurer à cet égard la sécurité juridique nécessaire face à la diversité des langues pratiquées dans une région; elles soulignent que l'article 14 de la directive impose aux États membres l'obligation d'interdire la commercialisation de produits dont l'étiquetage n'est pas conforme à la réglementation et ne se borne pas à une obligation de tolérance permettant un étiquetage facilement compréhensible pour l'acheteur.

12 A cet égard, il y a lieu de souligner que l'obligation imposée aux États membres par l'article 14 de la directive consiste à "interdire sur le territoire le commerce" de ces produits si les mentions prévues "ne figurent pas dans une langue facilement comprise par les acheteurs, sauf si l'information de l'acheteur est assurée par d'autres moyens".

13 La seule obligation est donc d'exclure du commerce les produits dont l'étiquetage n'est pas aisément compréhensible pour l'acheteur plutôt que de fixer l'emploi d'une langue particulière.

14 Il est vrai que, selon une interprétation littérale de l'article 14, celui-ci ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui n'admettrait, pour l'information du consommateur, que l'emploi de la langue ou des langues de la région où les produits sont vendus, dans la mesure où une telle règle permettrait aux acheteurs de comprendre aisément les mentions portées sur les produits. La langue de la région linguistique est la langue qui apparaît en effet la plus "facilement comprise".

15 Une telle interprétation de l'article 14 méconnaîtrait cependant l'objectif de la directive. Il résulte, en effet, de ses trois premiers considérants que la directive 79-112 vise en particulier à supprimer les différences qui existent entre les dispositions nationales et qui entravent la libre circulation des produits. C'est en raison de cet objectif que l'article 14 se borne à exiger une langue facilement comprise par l'acheteur en prévoyant, par ailleurs, que l'entrée des denrées alimentaires sur le territoire d'un État membre peut être autorisée quand les mentions pertinentes ne figurent pas dans une langue facilement comprise "si l'information de l'acheteur est assurée par d'autres mesures".

16 Il résulte de ce qui précède que, d'une part, imposer une obligation plus stricte que celle de l'emploi d'une langue facilement comprise, à savoir, par exemple, le recours exclusif à la langue de la région linguistique, et, d'autre part, méconnaître la possibilité d'assurer l'information du consommateur par d'autres mesures va au-delà des exigences de la directive. L'obligation d'utiliser exclusivement la langue de la région linguistique constituerait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative des importations, interdite par l'article 30 du traité.

17 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la question posée par la juridiction nationale que l'article 30 du traité CEE et l'article 14 de la directive 79-112 s'opposent à ce qu'une réglementation nationale impose exclusivement l'utilisation d'une langue déterminée pour l'étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité que soit utilisée une autre langue facilement comprise par les acheteurs ou que l'information de l'acheteur soit assurée par d'autres mesures.

Sur les dépens

18 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a déposé des observations devant la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle posée par le rechtbank van koophandel te Leuven, par ordonnance du 5 décembre 1989, dit pour droit :

L'article 30 du traité CEE et l'article 14 de la directive 79-112-CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard s'opposent à ce qu'une réglementation nationale impose exclusivement l'utilisation d'une langue déterminée pour l'étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité que soit utilisée une autre langue facilement comprise par les acheteurs ou que l'information de l'acheteur soit assurée par d'autres mesures.