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Décisions

CJCE, 5e ch., 30 avril 1991, n° C-239/90

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Boscher, Studer et Fromentin (SCP)

Défendeur :

British Motors Wright (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Rodríguez Iglesias, Sir Gordon Slynn, Grévisse, Zuleeg

Avocats :

Mes Hermant, Consolo

CJCE n° C-239/90

30 avril 1991

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par arrêt du 3 juillet 1990, parvenu à la Cour le 31 juillet suivant, la Cour de cassation française (chambre commerciale, financière et économique) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 59, 30 et 36 du traité CEE.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la SCP Boscher, Studer et Fromentin, société regroupant des commissaires-priseurs exerçant à Paris, et la SA British Motors Wright e.a ., qui commercialisent des voitures d'occasion de luxe, à propos de l'interdiction d'une vente aux enchères.

3 Selon l'article 1er, paragraphe 1, de la loi française du 25 juin 1841 portant réglementation des ventes aux enchères publiques, nul ne peut faire des enchères publiques un procédé habituel de l'exercice de son commerce. Le paragraphe 3 du même article dispose que sont interdites également les ventes au détail volontaires, par les mêmes moyens, de marchandises ou d'objets quelconques d'occasion dont sont propriétaires ou détenteurs des commerçants qui ne sont pas inscrits au registre du commerce et sur le rôle de patentes, depuis deux ans au moins, dans le ressort du tribunal de grande instance où elles doivent être opérées.

4 La SCP Boscher, Studer et Fromentin avait été chargée par la société Nado, société de droit allemand dont le siège social est à Hambourg, de procéder, le 6 novembre 1988, à la vente aux enchères publiques de véhicules d'occasion dont, selon les constatations du juge des référés initialement saisi, certains étaient des objets de collection et d'autres des véhicules récents de grand prix et de faible kilométrage. La société British Motors Wright et trois autres sociétés ont saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris afin de faire interdire la vente en application de l'article 1er de la loi du 25 juin 1841, précité. Sur la base de cette disposition, le juge a rendu, le 4 novembre 1988, une ordonnance par laquelle il faisait défense aux commissaires-priseurs de procéder à la vente tant qu'il ne serait pas justifié que le propriétaire ou le détenteur des véhicules était titulaire d'une inscription au registre du commerce ou au rôle des patentes, conformément à l'article 1er de la loi du 25 juin 1841, précité. La SCP Boscher, Studer et Fromentin a interjeté appel de cette ordonnance, mais celle-ci a été confirmée le lendemain par un arrêt de la Cour d'appel de Paris. La SCP Boscher, Studer et Fromentin s'est pourvue en cassation contre cet arrêt.

5 C'est dans ce contexte que la juridiction nationale a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) L'article 59 du traité doit-il être interprété dans le sens qu'il peut recevoir application dans l'hypothèse de ventes occasionnelles aux enchères publiques dans un État membre, par un commerçant établi dans un autre État membre, de marchandises d'occasion lui appartenant?

2) En cas de réponse affirmative, des conditions semblables à celles prescrites par la loi du 25 juin 1841 constituent-elles des restrictions?

3) L'article 30 du traité doit-il être interprété en ce sens qu'il serait applicable à des ventes aux enchères publiques de marchandises d'occasion en provenance d'un autre État membre et soumises à des conditions semblables à celles prescrites par la loi du 25 juin 1841?

4) En cas de réponse affirmative, l'exception tenant à l'ordre public prévue par l'article 36 du traité pourrait-elle être invoquée?"

6 Pour un plus ample exposé des faits et du cadre juridique de l'affaire au principal, du déroulement de la procédure et des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la première question (libre prestation des services)

7 Par la première question, la juridiction nationale vise à savoir si la législation d'un État membre qui fixe les conditions auxquelles est soumise la vente, par un commerçant établi dans un autre État membre, de marchandises lui appartenant relève ou non du domaine d'application de l'article 59 du traité.

8 Il y a lieu de constater qu'une telle législation, qui concerne les conditions exigées pour la commercialisation de marchandises faisant l'objet d'échanges entre les États membres, est soumise aux dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

9 Selon l'article 60 du traité, sont considérées comme services les prestations fournies contre rémunération qui ne sont pas régies par les dispositions relatives, notamment, à la libre circulation des marchandises.

10 Il en résulte qu'il y a lieu de répondre à la première question que la législation d'un État membre qui fixe les conditions auxquelles est soumise la vente, par un commerçant établi dans un autre État membre, de marchandises lui appartenant ne relève pas du domaine d'application de l'article 59 du traité.

Sur la deuxième question

11 Compte tenu de la réponse à la première question préjudicielle, il n'y a pas lieu de statuer sur la deuxième question.

Sur les troisième et quatrième questions (libre circulation des marchandises)

12 Par ces questions, la juridiction nationale cherche à savoir si une législation nationale qui subordonne la vente aux enchères publiques de produits d'occasion provenant d'un autre État membre à l'inscription préalable de l'entreprise propriétaire des marchandises mises en vente au registre du commerce du lieu de la vente est ou non compatible avec les articles 30 et 36 du traité.

13 Selon la jurisprudence établie par l'arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville (8-74, Rec. p. 837), l'interdiction des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives édictée à l'article 30 du traité vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible de faire obstacle directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, au commerce intracommunautaire.

14 Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour (arrêts du 15 décembre 1982, Oosthoek, 286-81, Rec. p. 4575, et du 7 mars 1990, GB-INNO, C-362-88, Rec. p. 667) qu'on ne saurait exclure que le fait, pour un opérateur concerné, d'être contraint soit d'adopter des systèmes différents de publicité ou de promotion de ventes en fonction des États membres concernés, soit d'abandonner un système qu'il juge particulièrement efficace peut constituer un obstacle aux importations, même si une telle législation s'applique indistinctement aux produits nationaux et importés. Dans l'arrêt du 16 mai 1989, Buet (382-87, Rec. p. 1235), la Cour a précisé que cette constatation vaut à plus forte raison lorsque la réglementation en cause prive l'opérateur concerné de la possibilité de pratiquer non pas un système de publicité, mais une méthode de commercialisation.

15 Par ailleurs, la Cour a jugé qu'une législation qui impose aux entreprises établies dans un autre État membre les frais supplémentaires qu'entraîne l'obligation d'avoir un représentant dans l'État d'importation devait être considérée comme une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative (arrêts du 2 mars 1983, Commission/Belgique, 155-82, Rec. p. 531, et du 28 février 1984, Commission/Allemagne, 247-81, Rec. p. 1111).

16 Il convient de constater qu'une législation nationale qui exige du vendeur l'inscription préalable au registre du commerce du lieu de la vente aux enchères est de nature à entraver la libre circulation des marchandises, car elle revient à imposer au propriétaire de la marchandise soit de recourir à un commerçant exerçant son activité sur le lieu de la vente, soit de renoncer au système de la vente aux enchères publiques.

17 S'agissant d'une réglementation indistinctement applicable à la vente de produits nationaux et de produits importés, il y a lieu de vérifier si elle peut être justifiée par des exigences impératives tenant à la protection des consommateurs.

18 A cet égard, il a été allégué que l'exigence, pour le vendeur, d'une inscription préalable au registre du commerce du lieu de la vente est nécessaire, sous peine que le système de vente aux enchères publiques n'offre pas des garanties suffisantes au consommateur quant à l'origine et à l'état d'un bien qu'au surplus il achète sans avoir pu disposer d'un délai de réflexion.

19 Ainsi que la Cour l'a précisé à plusieurs reprises, une réglementation visant à satisfaire une exigence impérative doit être proportionnée au but poursuivi, et, si un État membre dispose de moyens moins restrictifs permettant d'atteindre le même but, il lui incombe d'y recourir (arrêt du 16 mai 1989, Buet, précité, point 11).

20 Il convient de constater, d'une part, que la procédure de ventes aux enchères publiques telle qu'elle est décrite au dossier vise le plus souvent des acheteurs spécialement avertis et, d'autre part, qu'elle est assortie de garanties suffisantes pour le consommateur. En tout état de cause, il est possible d'imposer des conditions de nature à protéger les consommateurs et comportant des effets moins restrictifs pour la libre circulation des marchandises que l'exigence de l'inscription préalable de l'entreprise propriétaire des marchandises mises en vente au registre du commerce du lieu de la vente.

21 Il en résulte qu'une législation de la nature de celle visée par la juridiction nationale ne peut pas être justifiée par des exigences impératives tenant à la protection des consommateurs et que, par conséquent, elle est incompatible avec l'article 30 du traité.

22 Une telle législation ne peut pas non plus être justifiée par des raisons d'ordre public au titre de l'article 36 du traité.

23 En effet, l'objectif allégué à cet égard, à savoir celui d'éviter la vente de voitures volées, peut être atteint par des mesures de contrôle appropriées, telles que la vérification du numéro de châssis.

24 Il y a donc lieu de répondre aux questions posées par la juridiction nationale qu'une législation nationale qui subordonne la vente aux enchères publiques de produits d'occasion provenant d'un autre État membre à l'inscription préalable de l'entreprise propriétaire des marchandises mises en vente au registre du commerce du lieu de la vente est incompatible avec les articles 30 et 36 du traité.

Sur les dépens

25 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par la Cour de cassation française (chambre commerciale, financière et économique) par arrêt du 3 juillet 1990, dit pour droit :

1) Une législation d'un État membre qui fixe les conditions auxquelles est soumise la vente, par un commerçant établi dans un autre État membre, de marchandises lui appartenant, ne relève pas du domaine d'application de l'article 59 du traité CEE.

2) Une législation nationale qui subordonne la vente aux enchères publiques de produits d'occasion provenant d'un autre État membre à l'inscription préalable de l'entreprise propriétaire des marchandises mises en vente au registre du commerce du lieu de la vente est incompatible avec les articles 30 et 36 du traité CEE.