CA Paris, 4e ch. B, 27 mai 2005, n° 03-15328
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
SNEIP (SA)
Défendeur :
Auchan (SA), SED (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mme Regniez, M. Marcus
Avoués :
SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Mira-Bettan, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Champagner Katz, Masson, Chauvin.
LA COUR est saisie de l'appel formé par la Société Nationale d'Extrusion et d'Injection de Plastiques, ci-après la SNEIP, à l'encontre du jugement rendu contradictoirement par le Tribunal de commerce de Bobigny le 26 juin 2003 qui a condamné la SNEIP à payer au titre de l'article 700 du NCPC la somme de 1 500 euro à la société anonyme Auchan et à la société à responsabilité limitée SED chacune et aux dépens.
Il convient de rappeler que la SNEIP fabrique des cintres en plastique destinés à supporter des vêtements présentés dans les magasins et les grandes surfaces. Elle revend ces cintres à une autre société avec laquelle elle dispose de liens, la société SOS Cintres, laquelle distribue cette production auprès de centrales d'achat ou à des confectionneurs qui eux-mêmes vendent des vêtements présentés sur cintres à des grandes surfaces et plus particulièrement en l'espèce à la société Auchan. Les cintres fabriqués par la société SNEIP sont gravés des mentions suivantes:
SOS Cintres tél. 01 48 18 14 00
SNEIP AU45 (AU45 référence du cintre)
Made in France
Triangle de 3 flèches sur lequel est inscrit 06.PS.
La SNEIP reproche à la société Auchan d'avoir commercialisé des vêtements confectionnés par la société SED et présentés sur des cintres identiques en tous points à ceux qu'elle fabrique mais qui ne proviendraient pas de son usine.
Elle a obtenu par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Lille l'autorisation de commettre un huissier pour effectuer des opérations de constat au siège social de la société Auchan, dans les magasins Auchan de Villeneuve d'Asq, Faches Thumesnil et Englos, ainsi qu'après ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Versailles, au sein de la société SED, confectionneur de vêtements.
Par acte du 26 juin 2001, la SNEIP a assigné la société Auchan, ses établissements secondaires, les sociétés Auchan V2, Auchan Faches Thumesnil, Auchan Englos et Auchan Bagnolet et la société à responsabilité limitée SED et son établissement secondaire la société SED Fourqueux en concurrence déloyale et parasitaire.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 9 mars 2005, la SNEIP, appelante, demande à la cour de:
- ordonner aux sociétés Auchan de communiquer l'ensemble des factures relatives aux commandes des vêtements livrés sur les cintres litigieux, la fiche de référencement relative au cintre AU 45;
- ordonner à la société SED de communiquer l'ensemble des documents douaniers relatifs aux commandes des vêtements livrés sur les cintres litigieux, les factures correspondantes, les bons de livraison correspondants;
- valider les procès-verbaux de constats dressés le 18 avril 2001;
- valider le procès-verbal de constat dressé le 22 mai 2001;
- dire et juger que les sociétés intimées se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société SNEIP en commercialisant des vêtements suspendus sur des cintres de moindre qualité portant en inscription le nom commercial SNEIP;
- dire et juger que les sociétés intimées ont violé sciemment les dispositions de l'article L. 217-1 du Code de la consommation en commercialisant des vêtements suspendus sur des cintres portant en inscription le nom commercial SNEIP, alors qu'elle n'a pas fabriqué lesdits cintres, et en usurpant le nom commercial de la société SNEIP;
- condamner en conséquence les sociétés intimées à verser solidairement à la société SNEIP la somme de 457 347 euro en réparation du préjudice subi par la société SNEIP du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire;
- interdire aux sociétés intimées, ainsi qu'à l'ensemble de leurs sous-traitants, grossistes, détaillants et autres revendeurs de fabriquer et faire fabriquer et! ou commercialiser, faire commercialiser, des cintres sur lesquels est reproduit de manière illicite le nom commercial SNEIP et ce, sous astreinte définitive de 1 524,50 euro par infraction constatée et par jour à compter de la date de l'arrêt à intervenir, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte directement;
- ordonner la confiscation des cintres utilisant de manière illicite le nom commercial SNEIP, et ce tant au siège social des sociétés intimées, qu'à l'ensemble de leurs établissements secondaires, succursales, usines, sous-traitants, grossistes et détaillants;
- ordonner la destruction des cintres en cause par un huissier au choix de l'appelante, à ses frais avancés qui lui seront remboursés par les sociétés intimées sur simple présentation des factures justificatives
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 10 journaux ou publications professionnels, au choix de la société SNEIP et aux frais solidaires des sociétés intimées, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 4 573,50 euro HT, soit la somme globale de 45 735 euro HT;
- débouter les sociétés SED et Auchan en toutes leurs demandes, fins et conclusions;
- condamner solidairement les sociétés intimées à verser à la société SNEIP la somme de 22 867 euro, au titre de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens. Dans ses dernières conclusions signifiées le 12 avril 2005, la société Auchan France, intimée, demande à la cour de:
- constater que la SNEIP ne rapporte pas la preuve que les cintres litigieux ne proviennent ni de ses usines, ni de ses propres distributeurs;
- constater que la société Auchan ne connaît pas la provenance des cintres fournis par la société SED;
- constater que la société SNEIP ne justifie de l'existence d'aucun préjudice;
- débouter la société SNEIP de sa demande de communication de pièces formulée à l'encontre de la société Auchan;
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bobigny du 26 juin 2003 en ce qu'il a débouté purement et simplement la SNEIP de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société Auchan;
- subsidiairement, condamner la société SED à relever indemne la société Auchan de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre;
- condamner la SNEIP à payer à la société Auchan à titre de dommages intérêts pour procédure abusive la somme de 75 000 euro;
- condamner la SNEIP, et à titre subsidiaire la société SED, à payer à la société Auchan la somme de 15 000 euro au fifre des dispositions de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 21 avril 2005, la société SED, intimée, demande à la cour de:
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bobigny du 26 juin 2003 en toutes ses dispositions;
- débouter la SNEIP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;
- subsidiairement, débouter la société Auchan de sa demande en garantie de toutes condamnations formées à l'encontre de la société SED;
- condamner la SNEIP à payer à la société SED la somme de 8 000 euro en application de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens.
Ceci étant exposé
Considérant qu'en l'absence de contestation sur ce point, les procès-verbaux de constats dressés le 18 avril 2001 et le procès-verbal de constat dressé le 22 mai 2001 seront validés;
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Considérant que la société SNEIP soutient à l'appui de ses prétentions tendant à sanctionner la concurrence déloyale et parasitaire des sociétés Auchan et SED pour avoir commercialisé des cintres identiques aux siens mais non fabriqués par elle que les cintres sur lesquels sont suspendus les vêtements vendus par la société Auchan ne proviennent pas de son usine de production;
Considérant que la société Auchan réplique que la SNEIP ne le démontre pas;
Considérant toutefois que la société SED, qui a vendu à la société Auchan les vêtements qui reposent sur les cintres litigieux, n'a pas communiqué les factures les concernant et indique dans ses conclusions que son fournisseur serait la société chinoise Wollam;
Qu'au vu de ces déclarations et en l'absence de toute indication précise sur le bon de commande produit par la société SED, il peut en être seulement déduit que les cintres litigieux ne proviennent pas d'une des usines de production de la SNEIP ou d'un de ses fournisseurs;
Considérant que la société Auchan expose qu'elle utilise exclusivement les cintres comme objets nécessaires à la présentation des vêtements qu'elle commercialise; que les contrôles de qualité, lorsqu'ils sont effectués, visent le produit acheté par le consommateur, en l'espèce le vêtement et non le cintre sur lequel il est suspendu ; qu'elle ne connaissait d'ailleurs pas l'origine des cintres utilisés par la société SED pour la présentation des vêtements commandés et qu'elle entendait commercialiser;
Que dans la mesure où elle vend des vêtements et non les cintres sur lesquels ils sont présentés, les sociétés SNEIP et Auchan ont des domaines d'activités distincts ; que dès lors il ne saurait y avoir de risque de confusion dans l'esprit du public; que les sociétés Auchan et SNEIP n'ayant pas la même activité, la société Auchan ne saurait concurrencer la société SNEIP et encore moins commettre des agissements parasitaires à son encontre;
Considérant que la société SED soutient que la société SNEIP ne rapporte ni la preuve d'une faute ni celle de son préjudice; que la reproduction des cintres à l'identique n'est pas un fait constitutif de concurrence déloyale et qu'elle ignorait que les cintres litigieux portaient la dénomination "SNEIP" ; qu'ayant uniquement demandé à son fournisseur de suspendre les vêtements sur des cintres de 45 cm de style MAINETTI AU 45 de couleur grise avec crochet métallique elle n'a dès lors pas sciemment diffusé des cintres faisant apparaître de manière illicite le nom de la SNEIP;
Mais considérant que les cintres litigieux comportent l'inscription "SNEIP AU 45" ainsi que le triangle composé de trois flèches dans lequel est inscrit le chiffre 06 et sous lequel sont inscrites les lettres PS;
Que le fait que le nom commercial de la SNEIP soit inscrit sur des produits non fabriqués par elle suffit à provoquer un risque de confusion, ce dernier étant accru par la reprise du triangle composé de trois flèches dans lequel est inscrit le chiffre 06 et sous lequel sont inscrites les lettres PS, mention que la société SNEIP fait apparaître sur ses cintres;
Que l'argument selon lequel les sociétés Auchan et SNEIP ne seraient pas en concurrence est inopérant dès lors que la société Auchan a exploité la dénomination litigieuse pour désigner des cintres semblables à ceux de la SNEIP;
Que l'activité de la SNEIP est la fabrication industrielle de cintres destinés à suspendre des vêtements ;que compte-tenu de sa notoriété dans le secteur du cintre, des contrôles inhérents aux centrales d'achats, du référencement obligatoire des sociétés travaillant avec la société Auchan et des relations commerciales existant entre la SNEIP et les intimées, ces dernières ne pouvaient ignorer que les cintres litigieux comportaient une dénomination frauduleuse;
Qu'en tout état de cause, la société SED a fait preuve de négligence professionnelle en ne vérifiant pas l'origine des cintres qu'elle avait commandés, alors qu'elle les destinait à la revente;
Qu'en commercialisant des cintres reproduisant le nom commercial de la SNEIP sans s'être assurées de leur licéité, les sociétés Auchan et SED ont commis une faute;que leurs agissements ont entraîné une confusion dans l'esprit de la clientèle de l'appelante ce qui lui a manifestement causé un préjudice commercial et a porté atteinte à son image, les cintres commercialisés par les intimées étant avérés être de moindre qualité;
Que dans ces conditions, les sociétés SED et Auchan ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire et violé les dispositions de l'article L. 217-2 du Code de la consommation en ce qu'il réprime l'exposition en vente ou la mise en circulation d'objets marqués de noms supposés ou altérés;
Que le jugement sera infirmé en ce qu'il a constaté que la SNEIP ne démontrait pas l'existence d'actes de concurrence déloyale et parasitaire de lapait des sociétés Auchan et SED;
Sur le préjudice et les mesures réparatrices
Considérant que les sociétés intimées contestent le préjudice subi par la SNEIP au motif que cette dernière ne verse pas aux débats d'éléments permettant d'évaluer le préjudice qu'elle invoque;
Considérant que la SNEIP demande à cette fin à la cour d'ordonner à la société Auchan de lui communiquer l'ensemble des factures relatives aux commandes des vêtements livrés sur les cintres litigieux, ainsi que la fiche de référencement relative au cintre AU 45 et à la société SED de communiquer l'ensemble des documents douaniers relatifs aux commandes des vêtements livrés sur les cintres litigieux, les factures et les bons de livraison correspondants;
Considérant toutefois qu'il n'apparaît pas nécessaire d'enjoindre aux sociétés Auchan et SED de communiquer ces documents, les éléments tirés des constats d'huissier étant suffisants;
Qu'il résulte en effet de ces constats que 239 cintres portant le nom "SNEIP" se trouvaient dans les magasins Auchan et que par ailleurs 17 220 articles avaient été commandés; que les cintres sont vendus par la SNEIP environ 0,90 francs HT l'unité;
Qu'eu égard aux éléments dont la cour dispose, le préjudice subi par la SNEIP au titre de la perte de marché et de l'atteinte à son image sera justement réparé par l'allocation de dommages et intérêts dont le montant sera évalué à la somme de 10 000 euro;
Qu'il sera fait interdiction aux sociétés intimées de fabriquer et faire fabriquer et/ou commercialiser et faire commercialiser des cintres sur lesquels est reproduit de manière illicite le nom commercial SNEIP et ce, sous astreinte de 100 euro par infraction constatée dans le délai de quinze jours à compter de la signification du présent arrêt;
Que la confiscation des cintres utilisant de manière illicite le nom commercial SNEIP sera ordonnée, et ce tant au siège social des sociétés intimées, qu'à l'ensemble de leurs établissements secondaires, succursales, usines, sous-traitants, grossistes et détaillants;
Que la destruction des cintres en cause par un huissier au choix de l'appelante sera ordonnée, à ses frais avancés qui lui seront remboursés par les sociétés intimées sur simple présentation des factures justificatives;
Considérant en revanche qu'il n'y a pas lieu à des mesures de publication;
Sur la demande reconventionnelle
Considérant que la société Auchan demande des dommages et intérêts pour procédure abusive;
Mais considérant que la demande de la SNEIP ayant été accueillie pour partie, cette prétention sera rejetée;
Sur la demande en garantie
Considérait que la société Auchan appelle la société SED en garantie de toute condamnation prononcée à son encontre en sa qualité de vendeuse des produits litigieux au titre de la garantie d'éviction sur le fondement des articles 1625 et 1626 du Code civil et de l'obligation de délivrance sur le fondement de l'article 1604 du Code civil;
Considérant toutefois que la société Auchan qui a participé à la concurrence déloyale et parasitaire n'est pas fondée à obtenir la garantie de la société SED pour l'éviction qu'elle subit, qui relève en partie de son fait;
Que concernant l'obligation de délivrance, les cintres livrés étaient conformes à la commande passée par la société Auchan;
Que la demande en garantie sera rejetée;
Sur l'article 700 du NCPC et les dépens
Considérant que les sociétés Auchan et SED seront condamnées in solidum à verser à la SNEIP la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du NCPC;
Considérant que les sociétés Auchan et SED seront condamnées in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel;
Que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la SNEIP à verser la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du NCPC à chacune des sociétés Auchan et SED et aux dépens.
Par ces motifs, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Statuant de nouveau, Valide les procès-verbaux de constats dressés le 18 avril 2001 et le procès-verbal de constat dressé le 22 mai 2001 ; Dit que les sociétés Auchan et SED se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la SNEIP; Dit que ces sociétés ont violé les dispositions de l'article L. 217-1 du Code de la consommation; Les condamne in solidum à verser à la SNEIP la somme de 10 000 euro en réparation de son préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire; Dit qu'il sera fait interdiction à ces sociétés de fabriquer et faire fabriquer et/ou commercialiser et faite commercialiser des cintres sur lesquels est reproduit de manière illicite le nom commercial SNEIP et ce, sous astreinte de 100 euro par infraction constatée à compter du 15e jour suivant la signification du présent arrêt; Ordonne la confiscation des cintres utilisant de manière illicite le nom commercial SNEIP, au siège social des sociétés Auchan et SED ,et chez leurs établissements secondaires, succursales, usines, sous-traitants, grossistes et détaillants; Ordonne la destruction des cintres en cause par un huissier au choix de la SNEIP, à ses frais avancés qui lui seront remboursés par les sociétés Auchan et SED sur simple présentation des factures justificatives; Condamne in solidum les sociétés Auchan et SED à verser à la SNEIP la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toute autre demande; Les condamne in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SCP Bernabe, Chardin et Cheviller conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.