CA Paris, 14e ch. B, 27 mai 2005, n° 05-03826
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Système U Centrale Nationale (SA)
Défendeur :
Cefab (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cuinat
Conseillers :
MM. Seltensperger, Maunand
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Roblin-Chaix de Lavarenne
Avocats :
Mes Baron, Mebesse.
Vu l'appel relevé par la SA Système U Centrale Nationale d'une ordonnance de référé rendue le 8 décembre 2004 par le président du Tribunal de commerce de Créteil qui, statuant sur les demandes de la SA Cefab, a:
- constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite
- enjoint à la société Système U Centrale Nationale de cesser l'utilisation du fichier des clients de la société Cefab, porteurs de la carte U, sous astreinte de 300 euro par jour de retard et par client démarché, à compter d'un mois suivant la signification de l'ordonnance et pendant une durée de six mois;
- dit qu'il se réservait la liquidation de l'astreinte;
- commis M. Guy Coudert, en qualité d'expert, avec pour mission d'établir l'inventaire de toutes les cartes U émanant de la société Cefab qui ont été renouvelées par ses clients vers d'autres magasins Super U, de conserver le fichier des clients de la société Cefab sur quelque support que ce soit et de vérifier le nombre d'envois effectués à partir du fichier de la société Cefab et à quelle fin ces envois ont été utilisés par la société Système U Centrale Nationale depuis le 31 janvier 2004;
- rejeté toutes autres demandes, y compris celles formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- mis les dépens à la charge de la demanderesse;
Vu les dernières conclusions signifiées le 3 mars 2005 par la SA Système U Centrale Nationale, appelante, qui demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de:
- dire la société Cefab irrecevable et en tout mal fondée en sa demande
- l'en débouter et condamner la société Cefab au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens;
Vu les dernières conclusions signifiées le 31 mars 2005 par la SA Cefab, intimée, qui demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise et, y ajoutant, de:
- dire que l'expert judiciaire devra valoriser le chiffre d'affaires réalisé par ses clients avec leur carte U postérieurement au 24 février 2004;
- condamner la société Système U Centrale Nationale au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel;
Sur ce, LA COUR
Considérant que la société Cefab exploite depuis 1995 à Roth Hambach (57) un supermarché d'une surface de 2 500 m² ; que jusqu'au 31 janvier 2004 elle était associée de la coopérative Système U Centrale Région Est - elle-même associée de l'union des coopératives Système U Centrale Nationale - et exploitait son fonds de commerce sous l'enseigne Super U;
Que le 7 décembre 2001 la société Cefab a adhéré au programme "carte U" ayant pour objet la fidélisation de la clientèle au réseau des magasins U;
Que le 11 juin 2003, la société Cefab a exercé son droit de retrait statutaire à effet du 31 décembre et a été autorisée, par une sentence partielle d'arbitrage rendue le 29 janvier 2004, à déposer l'enseigne Super U et à s'affilier auprès d'un autre partenaire ; que depuis le 28 février 2004, la société Cefab exploite son fonds de commerce sous l'enseigne Atac;
Que la société Cefab va reprocher à la société Système U Centrale Nationale la poursuite d'actes de concurrence déloyale en septembre 2004 consistant à utiliser le fichier de ses milliers de clients, porteurs de la carte U, pour les démarcher et les inviter à se rendre dans le magasin Super U le plus proche;
Que le 8 novembre 2004 la société Cefab a fait assigner la société Système U Centrale Nationale devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Créteil afin qu'il lui soit fait injonction sous astreinte de cesser l'utilisation du fichier et qu'un expert soit désigné;
Que c'est dans ces conditions qu'a été rendue le 8 décembre 2004 l'ordonnance entreprise;
Considérant qu'à l'appui de ses prétentions, la société Cefab expose que le démarchage de sa clientèle par l'utilisation du fichier de ses clients porteurs de la carte U crée un trouble manifestement illicite, au sens de l'article 873, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, qu'il convient de faire cesser; qu'elle rappelle qu'elle est propriétaire de son fonds de commerce et que la clientèle locale constitue l'élément incorporel de ce fonds ; que la société Cefab expose également que le contrat d'adhésion au programme "carte U" a été proposé aux magasins afin de fidéliser leur clientèle et que les frais du système sont financés par les magasins ; qu'elle soutient que la gestion du fichier n'emporte pas propriété de la clientèle et que si le fichier est bien la propriété de la société Système U Centrale Nationale, cela ne l'autorise pas à démarcher les clients du magasin pour les inviter à se rendre dans un autre magasin; que l'appelante fait observer que les effets du contrat "carte U" ont cessé le 28 février 2004, date à laquelle l'enseigne a été déposée et que la société Système U Centrale Nationale ne pouvait plus utiliser le fichier de la clientèle locale de la Cefab après cette date; qu'elle précise que l'interdiction d'utiliser le fichier ne porte pas atteinte aux droits des clients qui conservent la liberté de conserver leur carte et de l'utiliser où bon leur semble; que la société Cefab fait enfin valoir que le bulletin d'adhésion signé par le client ne stipule pas que la " propriété " juridique du client est transférée au profit de la société Système U Centrale Nationale;
Mais considérant qu'il ressort du contrat d'adhésion au programme "carte U", signé le 7 décembre 2001 par la société Cefab et la société Système U Centrale Nationale, que, comme le fait justement observer cette dernière, l'objet de la carte U est de fidéliser les clients non auprès d'un magasin particulier, mais de l'ensemble du réseau ;que l'article 2.1 du contrat stipule expressément que la "base de données Carte U et notamment le fichier " Clients Carte U est la propriété de Système U " et que "Système U pourra donc utiliser librement les informations nominatives et/ou statistiques relatives aux porteurs de Carte U, notamment celles qui lui auront été fournies par l'Associé U";
Qu'il ressort, par ailleurs, des conditions générales d'utilisation de la carte U, dont prend connaissance le client lors de la signature du bulletin d'adhésion, que le programme de fidélisation "carte U" emporte constitution d'un lien contractuel propre entre le client titulaire de la carte et la société Système U Centrale Nationale auquel le magasin émetteur de la carte est étranger;que la délivrance de la carte confère, en effet, au client qui on est porteur le droit de cumuler des points lors des achats qu'il effectue dans tout magasin du réseau Système U participant au programme de fidélisation et d'échanger les points qu'il a obtenus contre des cadeaux;
Qu'il s'ensuit que, en raison de l'autonomie du lien juridique existant entre la société Système U Centrale Nationale et le titulaire de la carte, le fichier survit nécessairement à la disparition du contrat d'adhésion du magasin;
Que, dès lors, le fait pour la société Système U Centrale Nationale d'adresser en septembre 2004 aux porteurs des cartes U, délivrées par le magasin de Roth Hambach avant qu'il ne quittât le réseau Système U, des lettres circulaires pour leur rappeler les avantages attachés à la carte et les informer de l'organisation d'une opération promotionnelle leur permettant de cumuler des points-cadeaux supplémentaires ne constitue pas un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile;
Qu'il convient, dès lors, d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fait droit à la demande formée par la société Cefab tendant à voir interdire sous astreinte à la société Système U Centrale Nationale d'utiliser le fichier des titulaires de la carte U qui ont signé leur bulletin d'adhésion dans le magasin de Roth Rambach;
Considérant que l'ordonnance entreprise sera en revanche confirmée en ce qu'elle a fait droit à la demande d'expertise formée par la société Cefab dès lors que cette dernière justifie d'un motif légitime à voir ordonner une mesure d'instruction afin d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige; qu'en effet, l'application de ce texte n'implique aucun préjugé sur la responsabilité éventuelle des personnes appelées comme parties à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé; qu'il suffit seulement de constater que, comme en l'espèce, un tel procès est possible, qu'il a un objet et un fondement suffisamment déterminés, que sa solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée et que cette dernière ne porte aucune atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d'autrui;
Que rien ne s'oppose, par ailleurs, à ce que la mission de l'expert porte également sur la valorisation du chiffre d'affaires réalisé - ou plutôt apporté - par les clients de la société Cefab avec leur carte U postérieurement au 24 février 2004;
Considérant que la société Cefab, qui succombe dans l'essentiel de ses prétentions, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel; qu'elle ne peut donc obtenir l'indemnité qu'elle sollicite au titre de ses frais de procédure non compris dans les dépens;
Que l'équité ne commande pas qu'il soit fait droit à la demande formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile par la société Système U Centrale Nationale;
Par ces motifs, infirme l'ordonnance entreprise sauf en ses dispositions relatives à l'expertise qui sont confirmées; Statuant à nouveau: Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande tendant à voir enjoindre sous astreinte à la SA Système U Centrale Nationale de cesser l'utilisation du fichier des clients de la SA Cefab porteurs de la carte U; Y ajoutant: Dit que l'expert judiciaire devra valoriser le chiffre d'affaires apporté par les clients de la SA Cefab avec leur carte U postérieurement au 24 février 2004; Rejette les demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la SA Cefab aux dépens de première instance et d'appel et admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.