CJCE, 2e ch., 26 juin 1980, n° 788-79
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Gilli, Andres
LA COUR,
1. Par ordonnance en date du 26 octobre 1979, parvenue à la Cour le 31 octobre 1979, le Pretore de Bolzano a posé à la Cour de justice, en vertu de l'article 177, une question tendant à savoir si l'interdiction, édictée à l'article 51 du décret n° 162 du Président de la République italienne (DPR) du 12 février 1965 (Gazzetta Ufficiale n° 73 du 23.3.1965) - ci-après DPR 162 - modifié par l'article 20 de la loi n° 739 du 9 octobre 1970, de mettre en circulation des produits contenant de l'acide acétique non dérivé de la fermentation acétique du vin, constitue une restriction quantitative à l'importation ou mesure d'effet équivalent visée à l'article 30 du traité CEE.
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'une poursuite pénale du chef de fraudes contre deux commerçants demeurant à Bolzano prévenus l'un, d'avoir mis en circulation et détenu en vue de la vente du vinaigre de pomme d'origine allemande contenant de l'acide acétique non dérivé de la fermentation acétique du vin, et l'autre, d'avoir détenu en vue de la vente le même produit, infractions prévues et réprimées par les articles 51 et 94 du DPR 162, qui interdit d'utiliser directement ou indirectement dans le domaine alimentaire, entre autres, des produits contenant de l'acide acétique ne provenant pas de la fermentation de vin, même lorsque ces produits sont importés de l'étranger.
3. Le prévenu au principal ayant fait valoir que l'interdiction d'importer de la République fédérale d'Allemagne et de commercialiser en Italie du vinaigre de pomme constituait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative contraire à l'article 30 du traité CEE, le juge national a demandé la Cour de se prononcer à titre préjudiciel sur la question suivante:
" Les termes " restriction quantitative à l'importation ainsi que toute mesure d'effet équivalent " visés à l'article 30 du traité instituant la Communauté économique européenne doivent-ils être interprétés en ce sens que l'interdiction, édictée à l'article 51 du DPR n° 162 du 12 février 1965, de mettre en circulation des produits contenant de l'acide acétique non dérivé de la fermentation acétique du vin constitue une restriction quantitative à l'importation ou une mesure d'effet équivalent? "
4. La juridiction nationale demande ainsi d'obtenir les éléments d'interprétation permettant d'apprécier si une interdiction, telle que celle instituée par l'article 51 du DPR 162, relève ou non de la catégorie des restrictions quantitatives à l'importation ou des mesures d'effet équivalent visées à l'article 30 du traité CEE.
5. En l'absence d'une réglementation commune de la production et de la commercialisation du produit en cause, il appartient aux Etats membres de régler, chacun sur son territoire, tout ce qui concerne la production, la distribution et la consommation de celui-ci, à la condition toutefois que ces réglementations ne fassent pas obstacle directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, au commerce intracommunautaire.
6. Ce ne serait que lorsqu'une réglementation nationale, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, pourrait être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant en particulier à la protection de la santé publique, à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs, qu'elle pourrait déroger aux exigences découlant de l'article 30.
7. Or, il apparaît des pièces du dossier qu'il est constant, premièrement, que le vinaigre de pomme est dépourvu de substances nocives et n'est pas préjudiciable à la santé, deuxièmement que les récipients contenant ce vinaigre sont munis d'une étiquette suffisamment explicite indiquant qu'il s'agit effectivement de vinaigre de pomme et évitant ainsi toute possibilité pour le consommateur de le confondre avec le vinaigre de vin.
8. Ainsi, tant sur le plan de la protection de la santé publique que sur celui de la loyauté des transactions commerciales ou encore sur celui de la défense des consommateurs, aucun élément ne justifie une restriction à l'importation du produit en cause.
9. Il en résulte que les prescriptions relatives à l'interdiction de la commercialisation de produits contenant de l'acide acétique autre que celui dérivant du vin, telles que précisées à l'article 51 du DPR 162, ne poursuivent pas un but d'intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises, qui constitue l'une des règles fondamentales de la Communauté.
10. L'effet pratique des prescriptions de ce genre consiste principalement à protéger la production nationale interdisant la mise sur le marché national des produits d'autres Etats membres ne répondant pas aux spécifications imposées par la réglementation nationale.
11. Il apparaît dès lors que l'exigence unilatérale, imposée par la réglementation d'un Etat membre, de l'interdiction de mise sur le marché des vinaigres ne provenant pas de la fermentation acétique du vin constitue un obstacle aux échanges incompatible avec les dispositions de l'article 30 du traité.
12. En conséquence, il y a lieu de répondre à la question posée par le Pretore de Bolzano que la notion de " mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation ", figurant à l'article 30 du traité CEE, est à comprendre en ce sens que relève de cette disposition une interdiction édictée par un Etat membre d'importer ou de commercialiser du vinaigre contenant de l'acide acétique non dérivé de la fermentation acétique du vin, et notamment du vinaigre de pomme, lorsqu'il s'agit de vinaigre légalement produit et commercialisé dans un autre Etat membre.
Sur les dépens
13. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Pretore de Bolzano par ordonnance du 26 octobre 1979, dit pour droit:
La notion de " mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation ", figurant à l'article 30 du traité CEE, est à comprendre en ce sens que relève de cette disposition une interdiction édictée par un Etat membre d'importer ou de commercialiser des produits contenant de l'acide acétique non dérivé de la fermentation acétique du vin, lorsqu'il s'agit de vinaigre légalement produit et commercialisé dans un autre Etat membre.