CJCE, 20 mars 1984, n° 314-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume de Belgique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocat :
Me Putzeys
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 décembre 1982, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître qu'en percevant des droits d'expertise à l'importation sur les viandes de volaille fraîches, séchées, salées et fumées en provenance d'autres Etats membres, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 12 du traité CEE.
2. Selon la loi belge du 15 avril 1965 concernant l'expertise et le commerce du poisson, des volailles, des lapins et du gibier et l'arrêté royal du 21 septembre 1970 relatif à l'expertise et au commerce des viandes de volaille, la viande de volaille susceptible d'être consommée par l'homme est soumise en Belgique à un contrôle sanitaire. Ce contrôle comporte, pour les animaux abattus en Belgique, un contrôle ante mortem et un contrôle post mortem à l'abattoir et des contrôles au moment du découpage, dans les unités de transformation de la viande et au stade de la distribution et du transport sur le territoire national. En ce qui concerne la viande de volaille importée, un contrôle a lieu à l'importation, soit dans le bureau de douane, soit au lieu de destination de la marchandise, et, selon le stade où se trouve la viande lors de l'importation, aux mêmes stades que pour la viande indigène.
3. En vertu de l'article 6 de la loi susmentionnée, il peut être perçu des droits destinés à couvrir les frais résultant de l'examen sanitaire, de l'expertise et du contrôle à l'importation. Les droits d'expertise à l'importation, litigieux en l'espèce, ont été fixés par l'article 59 de l'arrêté susmentionné du 21 septembre 1970, avec ses modifications ultérieures, à 80 francs belges par 100 kg ou fraction de 100 kg de viande de volaille, montant non indexé et perçu par les services de douane. Pour les animaux abattus en Belgique, l'arrêté du 28 août 1981, tel que modifié ultérieurement, a fixé, pour couvrir les frais résultant de l'examen sanitaire avant l'abattage et de l'expertise après l'abattage, un droit s'élevant à 276 francs belges par visite de l'expert vétérinaire et, selon l'espèce et le poids de l'animal, à 1 ou 2, 4 ou 8 francs belges par animal, montants indexés et payables chaque mois en faveur des organisations professionnelles de vétérinaires.
4. Lesdits contrôles sanitaires systématiques à l'importation ont donné lieu à l'arrêt de la Cour du 6 octobre 1983 (SA Delhaize Frères " Le Lion ", 2, 3 et 4-82, Recueil 1983, p. 2973) selon lequel un tel contrôle, portant sur l'évolution de l'état de la viande au cours du transport depuis l'état expéditeur, ainsi que sur son état de conservation au moment où elle pénètre sur le territoire de l'état de destination, rentre dans le champ d'application du contrôle sanitaire effectué dans le pays expéditeur conformément aux directives du Conseil 64-433 du 26 juin 1964 (JO du 29.7.1964, p. 2012) et 71-118 du 15 février 1971 (JO L 55, p. 23), portant toutes deux sur le contrôle sanitaire des viandes de boucherie et de volaille.
5. Au cours de la procédure dans la présente affaire, le Gouvernement belge a soutenu que lesdites dispositions communautaires, de même que les articles 30 et 36 du traité CEE, ne s'opposaient pas aux contrôles sanitaires effectués en Belgique sur la viande de volaille importée, car ces contrôles, nécessaires dans l'intérêt de la santé publique, d'une part, porteraient sur l'état d'évolution de la viande postérieure à l'importation et, d'autre part, auraient pour objet des domaines expressément réservés aux Etats membres par la réglementation communautaire.
6. Dans ce contexte, le Gouvernement belge s'est notamment référé à l'article 9 de la directive 71-118 selon lequel un Etat membre peut interdire sur son territoire la mise en circulation de viandes fraîches de volaille provenant d'un autre Etat membre s'il a été constaté, lors de l'inspection sanitaire effectuée dans le pays destinataire, que ces viandes sont impropres à la consommation humaine. Il s'agirait donc en l'espèce de contrôles trouvant leur base dans la directive elle-même, pour lesquels, selon la jurisprudence de la Cour, la perception d'un droit serait de ce fait admise.
7. A cet égard, il y a lieu, tout d'abord, de souligner que le présent recours, tout comme l'avis motivé adressé au Gouvernement belge par la Commission le 10 février 1982, n'a pour objet que la compatibilité des droits perçus à l'occasion desdits contrôles avec l'interdiction des droits de douane et des taxes d'effet équivalent entre les Etats membres. La question de savoir si le contrôle systématique qui est à la base de la perception des droits litigieux est, lui-même, conforme au droit communautaire a été expressément exclue du présent recours en manquement par la Commission.
8. En ce qui concerne l'argument tiré de l'article 9 de la directive 71-118, il suffit de constater que l'article 9 de cette directive n'impose nullement aux Etats membres de prendre de telles mesures de contrôle sur la viande importée, mais pourrait tout au plus être compris comme autorisant celles-ci. Ne s'agissant pas de contrôles effectués en exécution de la directive 71-118, celle-ci ne saurait être invoquée pour justifier la perception d'un droit d'expertise au titre de ces contrôles.
9. Pour fonder son recours, la Commission a fait valoir que les droits litigieux, perçus à l'occasion des contrôles sanitaires de viandes de volaille importées, constituent des taxes d'effet équivalant à des droits de douane au sens de l'article 9 du traité parce qu'il s'agit de charges unilatéralement imposées par l'Etat belge qui ne font pas partie d'un système général d'imposition intérieure.
10. Selon le Gouvernement belge, les droits litigieux constituent la rémunération d'un service rendu à l'importateur. En outre, ces droits correspondraient aux droits perçus pour le contrôle de la viande de volaille indigène, les charges étant, dans les deux cas, tout à fait identiques si l'on tient compte, pour les produits importés, des droits déjà perçus dans l'Etat membre d'exportation. Malgré certaines différences formelles dans les modalités de la perception des droits, ils relèveraient d'un système général d'imposition intérieure.
11. L'article 9 du traité comporte l'interdiction entre les Etats membres des droits de douane et de toutes taxes d'effet équivalent. Cette interdiction, n'admettant aucune distinction selon le but poursuivi par la perception des charges pécuniaires dont elle prévoit la suppression, comprend également les droits exigés du fait des contrôles sanitaires effectués en raison de l'importation de marchandises. Il n'en serait autrement, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, que si les charges pécuniaires relevaient d'un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères ou si ces charges constituaient la rémunération d'un service effectivement rendu à l'importateur (voir notamment les arrêts du 14.12.1972, Marimex, 29-72, Recueil 1972, p. 1309, et du 11.10.1973, Rewe-Zentralfinanz, 39-73, Recueil 1973, p. 1039).
12. Ainsi que la Cour l'a itérativement constaté depuis son arrêt susmentionné du 11 octobre 1973 (voir arrêts du 5.2.1976, Bresciani, 87-75, Recueil 1976, p. 129 ; du 15.12.1976, Simmenthal, 35-76, Recueil 1976, p. 1871 ; et du 8.11.1979, Denkavit Futtermittel, 251-78, Recueil 1979, p. 3369), des contrôles comme ceux de l'espèce, relevant de l'activité d'une administration de l'état destinée à garantir, dans un but d'intérêt général, la santé et la salubrité publiques, ne sauraient être considérés comme un service rendu à l'importateur de nature à justifier la perception d'une charge pécuniaire en contrepartie.
13. Conformément à la jurisprudence susmentionnée, la qualification des droits litigieux au regard du traité dépend donc de la question de savoir si ces droits sont déterminés selon des critères non comparables aux critères servant à fixer les charges grevant les produits nationaux comparables, ou s'il s'agit de charges pécuniaires relevant d'un régime général de redevances intérieures, appréhendant systématiquement, aux fins du contrôle en question, les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères.
14. A cet égard, la Commission a d'abord fait valoir que les viandes de volaille séchées, salées et fumées indigènes, à la différence des produits importés, ne seraient pas frappées par les droits litigieux.
15. Le Gouvernement belge a dû reconnaître la justesse de cette affirmation. Il a annoncé à l'audience que les mesures nécessaires pour abolir les contrôles et la perception des droits litigieux à l'importation pour ces catégories de viande avaient été prises ; par la suite, il a informé la Cour que cette abolition était intervenue par un arrêté royal du 6 décembre 1983 portant modification de l'arrêté royal du 21 septembre 1970.
16. En ce qui concerne cet aspect du litige, la Cour ne peut que prendre acte de la déclaration du Gouvernement belge et constater qu'avant la modification de la réglementation en cause, la perception des droits à l'importation ne trouvait, pour ces catégories de viande, aucune équivalence dans des droits frappant les produits indigènes comparables. Ces droits constituaient donc, pour ce qui est de ces catégories de viande de volaille, une taxe équivalant à des droits de douane au sens susmentionné.
17. Au sujet des droits d'expertise pour la viande de volaille fraîche, le Gouvernement belge a fait valoir que les différences des modalités administratives de la perception des droits pour les deux groupes de produits seraient justifiées par des raisons objectives. Les montants des droits seraient calculés de telle manière que les droits grevant les produits importés s'élèveraient à 60 % du montant des droits grevant les produits nationaux, ce qui s'expliquerait par le fait que 40 % des droits d'expertise sur les produits indigènes serviraient à effectuer l'expertise ante et post mortem, contrôle qui n'aurait pas lieu, au moins à l'intérieur du pays, pour les produits importés, alors que 60 % des droits sur les produits indigènes serviraient à effectuer les autres contrôles, pratiqués après l'abattage jusqu'au stade de la consommation, tant pour les produits importés que pour les produits indigènes.
18. A cet égard, il faut constater que la perception des droits d'expertise pour la viande de volaille importée et pour la viande indigène fait partie d'un système réglementaire dérivé d'une même loi de base. Il y a cependant lieu de relever que les droits à l'importation sont perçus en vertu d'un arrêté du 21 septembre 1970, alors que les droits perçus pour le contrôle de la viande indigène résultaient, jusqu'à ce que l'état ne les fixe par un arrêté du 28 août 1981, d'un commun accord entre les organisations professionnelles intéressées. En outre, les droits sur la viande indigène sont versés directement en faveur des organisations professionnelles des vétérinaires concernés, alors que les droits à l'importation, perçus par les autorités douanières, entrent dans le budget général de l'état et ne sont qu'indirectement destinés à couvrir les frais des contrôles sanitaires.
19. De plus, les critères pour le calcul des droits sont différents pour les deux groupes de produits. Dans le cas de la viande indigène, il y a, d'une part, une somme forfaitaire pour la visite de l'expert vétérinaire et, d'autre part, un certain montant par animal contrôlé, calculé selon un taux indexé. Les droits concernant la viande importée sont fixes à un montant forfaitaire fixé par 100 kg ou fraction de 100 kg et ne sont pas indexés. Ces différences entre les critères rendent difficile toute comparaison entre les charges qui en résultent effectivement pour les deux groupes de produits.
20. Les calculs présentés à ce sujet par le Gouvernement belge et non-contestés par la Commission, à supposer qu'ils soient exacts, n'ont en tout cas pour objet que de comparer les charges moyennes pour les deux groupes de produits. Dans certains cas, les différences de critères pour les deux groupes peuvent par contre aboutir à grever plus lourdement les produits importés. Tel est en particulier le cas lorsque le montant fixé est dû pour une petite fraction de 100 kg, notamment en cas d'importation de quantités réduites, ou lorsque l'importation a lieu au stade où la marchandise est destinée à être distribuée directement au consommateur, sans opération de transformation en Belgique, et où le nombre des contrôles effectués en Belgique est donc limité.
21. L'appréciation de la réglementation nationale en cause au regard tant de sa forme que de son contenu et de ses effets fait donc apparaître que les droits d'expertise perçus sur la viande indigène ne relèvent pas d'un système général d'imposition intérieure imposant une même charge, selon les mêmes critères, aux produits nationaux et importés.
22. Au cours de la procédure précontentieuse ainsi que devant la Cour, le Gouvernement belge a fait valoir que, compte tenu des différences des frais ou droits d'inspection vétérinaire d'un Etat membre à l'autre, il y aurait, en cas de suppression des redevances d'inspection vétérinaire à l'importation, une distorsion de concurrence dans l'hypothèse d'exportation d'un Etat membre où ces frais et droits sont peu élevés vers un Etat membre où ils sont plus élevés, au détriment de ce dernier état.
23. Cette argumentation ne saurait être admise. L'interdiction des taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation est générale et n'est pas subordonnée à la condition que le prix de revient, y compris les charges publiques, des produits qui doivent pouvoir circuler librement dans la Communauté soit au préalable harmonisé. Par ailleurs, la motivation avancée tend à démontrer que les droits litigieux ne sont pas perçus, indépendamment de l'origine des produits, dans le cadre d'un régime général de redevances intérieures, mais frappent au contraire d'une façon spécifique les produits importés, ce qui les caractérise comme taxe d'effet équivalant à des droits de douane. Le fait qu'ils sont destinés à compenser des charges que les produits indigènes doivent supporter ne leur ôte pas ce caractère.
24. Il résulte de ce qui précède qu'en percevant des droits d'expertise à l'importation sur les viandes de volaille fraîches, séchées, salées et fumées en provenance d'autres Etats membres, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 12 du traité CEE.
Sur les dépens
25. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Royaume de Belgique ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1) en percevant des droits d'expertise à l'importation sur les viandes de volaille fraîches, séchées, salées et fumées en provenance d'autres Etats membres, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 12 du traité CEE.
2) le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.