Cass. 1re civ., 6 mars 1996, n° 94-13.927
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Clochard
Défendeur :
Terre de Vienne (SCA), Proxima (Sté), UCAAB (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lemontey
Rapporteur :
M. Chartier
Avocat général :
Mme le Foyer de Costil
Avocats :
Mes Vuitton, Vincent
LA COUR : - Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que M. Clochard, éleveur de chèvres, démarché par un conseiller en alimentation de la société coopérative agricole dite " Terre de Vienne ", a, en février 1992, changé de fournisseur du concentré qu'il donnait à ses animaux, et acheté, par l'intermédiaire de cette société, un autre concentré, fabriqué par la société Proxima, selon des formules élaborées par la société Union coopératives agricoles aliments du bétail (UCAAB) ; que très rapidement après le changement de nourriture, une importante partie du cheptel est tombée malade pour finalement mourir, ou devoir être abattue, le reste du troupeau accusant une baisse importante de production ; que, après interruption de la distribution du nouveau concentré, les troubles ont régressé, puis disparu ; que M. Clochard a, au vu d'un rapport d'expertise ordonnée en référé, assigné en paiement de dommages-intérêts les sociétés Terre de Vienne, UCAAB et Proxima ;
Sur le premier moyen : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté M. Clochard de ses demandes contre le concepteur, le fabricant et le vendeur des produits, pour non-respect de l'obligation de sécurité du produit, alors, selon le moyen, que l'utilisateur même habituel d'un produit n'est pas un professionnel de la fabrication de ce produit, que la cour d'appel ayant constaté que l'ingestion du produit n'avait pas entraîné les effets escomptés mais au contraire causé un dommage, ne pouvait décharger le vendeur, le concepteur, le fabricant du produit au seul motif qu'aucune faute n'était démontrée à leur encontre, et qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 1641 et 1643 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté que M. Clochard était un professionnel averti ; qu'il résultait d'analyses, auxquelles celui-ci n'apportait aucune critique sérieuse, que l'aliment produit par Proxima n'est pas toxique en soi, et que son conditionnement comportait une étiquette mentionnant des précautions d'emploi ; que, sans avoir à retenir une obligation de sécurité en l'absence de toxicité du produit, elle a pu ne mettre qu'une obligation de conseil à la charge du seul vendeur ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses diverses branches : - Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir laissé un quart de responsabilité à la charge de M. Clochard, alors, selon le moyen, que d'une part, l'arrêt attaqué ne pouvait sans contradiction tout à la fois déclarer que le nouveau produit utilisé était comparable à l'ancien, et affirmer par ailleurs que M. Clochard avait substantiellement modifié le mode d'alimentation de son élevage, et qu'ainsi, l'arrêt attaqué a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, alors que, d'autre part, l'utilisateur d'un produit n'est pas un professionnel de ce produit et n'est donc pas, comme tel, tenu à une obligation de se renseigner, et qu'en mettant à la charge de M. Clochard une telle obligation, l'arrêt a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil, et alors, enfin, que, en déclarant que M. Clochard avait l'obligation de se renseigner, bien que le vendeur soit contractuellement tenu de fournir tous les renseignements indispensables à l'usage du produit vendu, l'arrêt a violé les articles 1135, 1147 et 1604 du Code civil ;
Mais attendu qu'en retenant que M. Clochard, en sa qualité de professionnel averti, ne pouvait méconnaître le mode d'emploi figurant sur l'emballage de l'aliment et se devait, s'il l'estimait nécessaire, de réclamer toute précision utile sur les conditions d'emploi du nouvel aliment et sur les conséquences du changement, la cour d'appel, abstraction faite du motif critiqué par la première branche du moyen, a ainsi légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le troisième moyen : - Vu les articles 1353 du Code civil, et 238 du nouveau Code de procédure civile ; - Attendu qu'il appartient au juge d'apprécier les éléments de preuve qui lui sont soumis ;
Attendu que, pour évaluer le préjudice de M. Clochard comme elle l'a fait, la cour d'appel s'est fondée sur le rapport d'expertise, en refusant d'examiner des documents versés aux débats au motif qu'ils n'ont pas été présentés en temps utile à l'expert ; En quoi la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs, Casse et annule, mais seulement sur l'évaluation du préjudice, l'arrêt rendu le 12 janvier 1994, entre les parties, par la Cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Poitiers, autrement composée.