Cass. 1re civ., 11 octobre 1983, n° 82-13.633
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Pertuzon (Consorts)
Défendeur :
Gentia (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ponsard
Rapporteur :
M. Raoul Béteille
Avocat général :
M. Gulphe
Avocats :
SCP Boré Capron Xavier, Mes de Ségogne, Foussard
LA COUR : - Sur les deux moyens réunis : - Attendu, selon les juges du fond, que, pour fixer du carrelage sur le mur de sa cuisine, M. Pertuzon a procède à l'application au pinceau d'une couche de colle à base de néoprène ; que, presque aussitôt, cette colle a pris feu, le fourneau à gaz situé dans la pièce étant en fonctionnement, et les vapeurs du produit étant entrées en contact avec la flamme par suite de l'apparition d'un courant d'air ; que l'incendie qui s'est alors déclaré a provoqué la mort d'un enfant de quatre ans et occasionné des brûlures et des blessures à plusieurs membres de la famille de M. Pertuzon, ainsi que des dégâts matériels ; que, les consorts Pertuzon ayant assigné la société Gentia, fabricant de la colle, en réparation de leurs préjudices, la cour d'appel a retenu la responsabilité de cette société, tant contractuelle à l'égard de M. Pertuzon que délictuelle à l'égard des autres victimes de l'accident, au motif qu'il y avait eu manquement à l'obligation de renseigner l'utilisateur sur les dangers présentés par le produit et sur les précautions à prendre lors de son emploi ; que l'arrêt attaqué à toutefois dit que l'imprudence de M. Pertuzon avait concouru pour un sixième à la production du dommage ;
Attendu que la société Gentia reproche aux juges du second degré d'avoir ainsi statué alors, selon le moyen, d'une part, qu'elle avait fait valoir dans ses conclusions que les colles à base de néoprène sont sur le marché depuis plusieurs années, que les dangers des substances volatiles connus de l'utilisateur moyen, l'étaient à fortiori d'un professionnel comme M. Pertuzon, gérant d'une "station-service", que l'obligation de renseignement pesant sur le fabricant est, dans ce cas, nécessairement moins étendue qu'en ce qui concerne les produits nouveaux, et qu'en définissant l'obligation de renseignement de Gentia sans tenir compte du caractère banal du produit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, et alors, d'autre part, que le manque de prudence dans le maniement du produit, lorsqu'il s'accompagne de la connaissance du risque présenté par l'usage de ce produit, exclut l'existence d'un lien de cause à effet entre le dommage et un éventuel défaut d'information de la part du fabricant, que la cour d'appel a énoncé "qu'en l'absence de précision sur le processus possible d'inflammation, Maurice Pertuzon devait se garder d'employer le produit dans un air confiné, a proximité d'une flamme, et de provoquer le courant d'air qui a déplacé vers la flamme les vapeurs inflammables déjà répandues dans l'air", qu'il résultait de ces énonciations qu'aucun lien de cause à effet ne pouvait être caractérisé entre le fait de la société Gentia et le dommage, et que la cour d'appel a donc violé les articles 1137, 1147, 1641 et 1382 du Code civil ;
Mais attendu que, d'une part, quelle que soit la prétendue absence de nouveauté du produit, l'arrêt attaqué relève qu'en raison du fait qu'il était "particulièrement inflammable", aucune des deux étiquettes apposées sur son emballage ne comportait de renseignements suffisants "sur les périls dont la colle était porteuse" et dont le degré, très élevé, nécessitait une information beaucoup plus explicite que le symbole signifiant "facilement inflammable" qui y figurait, étant ajouté qu'aucune notice d'utilisation n'accompagnait ce produit, enfin "que, si Maurice Pertuzon avait eu son attention attirée par des avertissements adéquats (...), il aurait pris les précautions nécessaires" ; que, de ces constatations, la cour d'appel, qui a, d'autre part, souverainement apprécié le niveau de connaissance du produit que pouvait avoir en l'espèce son acquéreur, a déduit à bon droit l'existence d'une faute du fabricant et d'un lien de causalité entre cette faute et le dommage, en même temps que celle d'une imprudence de l'utilisateur ; qu'en présence de "ces fautes respectives", elle a décidé un partage de responsabilité ; qu'elle a ainsi légalement justifié son arrêt sur les deux points considères ; qu'aucun des deux moyens ne peut être accueillis ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi forme contre l'arrêt rendu, le 27 avril 1982, par la Cour d'appel de Rouen.