CJCE, 26 juin 1979, n° 177-78
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pigs and Bacon Commission
Défendeur :
Mc Carren and Company Limited
LA COUR,
Motifs de l'arrêt
1. Par jugement du 30 juin 1978, reçu à la Cour le 21 août suivant, la High Court d'Irlande a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une série de questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 92 et 93 en matière d'aides d'état, de l'article 16 relatif à la suppression des droits de douane à l' exportation, de l'article 34 relatif à la suppression des restrictions quantitatives à l'exportation, de l'article 37 du traité en connexion avec l'article 44 de l'acte d'adhésion, en matière de monopoles publics, de l'article 40 du traité et du règlement n° 2759-75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc (JO n° L 282, p. 1), ainsi que des articles 85 et 86 du traité CEE. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la Pigs and Bacon Commission (PBC), organisme public exerçant certaines fonctions dans le domaine de la régulation du marché de la viande porcine et, plus spécialement, de la commercialisation du bacon, d'une part, et un exportateur de bacon, la Mc Carren Cy Ltd., d' autre part, au sujet de la perception, par la PBC, d'une taxe destinée à subventionner la commercialisation en dehors de l'Irlande, et notamment au Royaume-Uni de bacon de haute qualité.
2. Il résulte du jugement de renvoi que l'Irlande a créé dès l'année 1935, pour la production et l'écoulement de la viande de porc sous forme de bacon, une organisation de marché gérée à partir de 1939 par un organisme public, la PBC, composée de représentants du Gouvernement et de représentants des professions intéressées et investie par la loi de pouvoirs étendus en vue de contrôler, en tant qu'office central de régulation du marché (Central Marketing Agency), l'ensemble du secteur considéré. Pour financer ses opérations, la PBC était investie du droit, en vertu de la loi, de prélever une taxe sur les carcasses de porc destinées à la fabrication de bacon. Cette taxe servait, d'une part, au financement des opérations générales de la PBC visant à améliorer la production et la commercialisation du bacon et, d'autre part, au versement d'un subside (bonus)
- accordé, en fait, sous forme de restitution d'une partie de la taxe perçue
- en faveur de l'exportation, principalement vers le Royaume- Uni, de bacon de haute qualité.
3. Au moment de l'adhésion de l'Irlande à la communauté, la compatibilité de ce système avec le droit communautaire a été examinée par les autorités irlandaises et les milieux professionnels intéressés. Il a été admis à cette occasion que les pouvoirs et fonctions exercés par la PBC pourraient ne plus être compatibles à tous égards avec les exigences du droit communautaire. Il a été entendu en conséquence que la PBC renoncerait désormais à ses prérogatives légales (statutory powers) et n'exercerait ses fonctions plus que sur base volontaire, ce qui a été accepté par tous les représentants des professions intéressées.
4. Le caractère volontaire que revêtent désormais les opérations de la PBC comporte cependant une exception : la PBC exerce toujours le droit de prélever en vertu de la loi la taxe destinée à financer ses diverses activités et continue également à verser un subside à l'exportation de bacon de haute qualité, étant entendu que cet avantage reste réservé à ceux des producteurs qui font leurs exportations par l'intermédiaire de la PBC agissant en tant qu'agence centrale de commercialisation. Il en résulte, et ce point n'est pas contesté, que tous les producteurs de carcasses destinées à être transformées en bacon sont astreints au paiement de la taxe, mais que seuls profitent du subside à l'exportation ceux qui se servent de la PBC comme intermédiaire. Le litige concerne essentiellement le fonctionnement de ce système de taxation/subside (levy/bonus scheme) qui, d'après les indications fournies par la juridiction nationale, forme un élément distinct dans l'ensemble des activités de la PBC.
5. Il apparaît du dossier que la défenderesse au principal a participé initialement à l'arrangement intervenu dans les conditions décrites entre les autorités irlandaises et les producteurs. Elle a, pendant cette période, versé la contribution sur les carcasses destinées à la production de bacon et exporte son produit par l'intermédiaire de la PBC en bénéficiant du subside. Considérant à partir d'un moment donné qu'elle pourrait exporter plus avantageusement sa production par la voie directe, la Mc Carren Cy s'est retirée du système avec effet au 30 avril 1975. A partir de cette date, elle a refusé de payer la taxe à la PBC et elle s'est trouvée privée du bénéfice du subside à l'exportation.
6. L'action portée contre la Mc Carren Cy devant la High Court concerne la réclamation, par la PBC, des taxes auxquelles elle estime avoir droit en vertu de la loi. Mc Carren Cy a introduit, pour sa part, une demande reconventionnelle visant à la restitution des taxes qu'elle avait versées après le 1er février 1973, date de la mise en application en Irlande de l'organisation commune de marché pour la viande de porc, et jusqu' au moment où elle a mis fin à ses liens avec la PBC.
7. Devant la juridiction nationale, la Mc Carren Cy a contesté la compatibilité, avec le traité CEE et les dispositions règlementaires relatives à l'organisation commune de marché dans le secteur de la viande porcine, des opérations de la PBC, en ce qui concerne la perception de la taxe sur les carcasses de porc et l'affectation de celle-ci au versement d'un subside réservé exclusivement à ceux des producteurs qui exportent leur bacon par l'intermédiaire de la PBC.
8. Tenant compte des arguments mis en avant par les parties au litige, la High Court a posé neuf questions préjudicielles dans le cadre de l'action principale et une dixième question, additionnelle, relative à la demande reconventionnelle. Ces questions sont libellées comme suit :
1. A) Les articles 92 et 93 doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils prévoient l'obligation d'informer la Commission, conformément au paragraphe 3 de l'article 93, de l'accord conclu en ce qui concerne l'organisation de marché destinée à opérer après le 1er février 1973 et/ou des modifications intervenues dans cette organisation depuis le mois de février 1973 ?
B) Dans l'affirmative, le fait de ne pas avoir informé la Commission implique-t-il que l'organisation était entachée d'invalidité pour toute la période qui s'est écoulée depuis 1973 ou pour une partie de cette période ?
Au cas où les réponses aux questions A) et B) seraient affirmatives, la taxe est-elle due durant la période pendant laquelle l'organisation était entachée d'invalidité ?
2. Si la réponse à la question 1. A) est négative, l'article 92 doit-il être interprété en ce sens qu'il impose l'obligation a une juridiction nationale, lorsque celle-ci estime qu'une aide étatique est susceptible d'être incompatible avec l'article 92, de demander à la Cour de justice de statuer à titre préjudiciel sur la question de savoir si l'organisation de marché est incompatible avec les dispositions de l'article 92, paragraphes 1 et 2 et, au cas où la Cour se prononcerait de façon affirmative sur cette question, si la juridiction nationale doit dans ce cas suspendre la procédure pendante devant elle jusqu'à ce que l'organisation en question ait donné lieu à une décision de la Commission en vertu de l'article 93 ?
3. Au cas où les réponses données aux questions 1. et 2. seraient négatives
A) Les articles 92 et 93 doivent-ils alors être interprétés en ce sens que, lorsqu'un état accorde une aide relevant du champ d'application de ces articles, il appartient, à la Commission et non aux juridictions nationales des Etats membres de se prononcer sur la compatibilité de cette aide avec le Marché commun ?
B) Au cas où la réponse à la question posée sous A) serait négative, les articles en question signifient-ils qu'une aide de l'état au sens de ces mêmes articles est valide jusqu'à ce que la Commission ait pris une décision sur sa compatibilité avec le Marché commun en vertu de l' article 93, paragraphe 2, en dépit du fait que certains aspects de l'aide peuvent être incompatibles avec des obligations du droit communautaire autres que celles prévues aux articles 92 et 93 ?
C) Au cas où les réponses aux questions A) et B) seraient négatives, les articles en question doivent-ils, être interprétés en ce sens que, même si l'aide de l'état est pour partie incompatible avec le droit communautaire, une taxe prélevée en vue de financer cette aide n'en est pas moins due ?
4. L'article 16 doit-il être interprété en ce sens que, si le fonctionnement de l'organisation de marché mentionnée précédemment aboutit à restreindre ou à empêcher les exportations effectuées par certaines entreprises indépendamment de l'office central de régulation du marché, il y a violation de l'article en question et la taxe due en vue de financer l'organisation ne peut être recouvrée ?
5. L'article 34 doit-il être interprété en ce sens que, si le fonctionnement de l'organisation de marché mentionnée ci-dessus restreint ou entrave les exportations effectuées par certaines entreprises, indépendamment de l'office central de régulation du marché, il y a violation de l'article en question et la taxe due en tant qu'élément de l'organisation ne peut être recouvrée ?
6. Les articles 37 du traité et 44 de l' acte d'adhésion doivent-ils être interprétés en ce sens que le fonctionnement de la nouvelle organisation de marché mentionnée ci-dessus satisfait aux obligations imposées par ces articles A) jusqu' au 31 décembre 1977 et B) après cette date ? Dans la négative, la taxe due en tant qu'élément de l'organisation est-elle recouvrable du 1er février 1973 au 31 décembre 1977 ou C) après cette date ?
7. L'article 40 et le règlement n° 2759-75 doivent-ils être interprétés en ce sens que l'organisation de marché mentionnée ci- dessus est incompatible avec l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc et, partant, entachée d'invalidité. Dans l'affirmative, la taxe due en tant qu'élément de cette organisation est-elle recouvrable ?
8. L'article 85 doit-il être interprété en ce sens que l'accord mentionné ci-dessus, en vertu duquel l'organisation de marché s'est appliquée depuis le 1er février 1973, viole l'article en question du fait qu'il empêche ou restreint les exportations effectuées par certaines entreprises indépendamment de l'office central de régulation du marché, ou du fait que certaines exportations sont subventionnées par suite de cet accord ? Dans l'affirmative, la taxe due en tant qu'élément de l'organisation est-elle recouvrable ?
9. A) L'article 86 doit-il être interprété en ce sens que l'office central de régulation du marché cite ci-dessus détient une position dominante sur une partie substantielle du Marché commun ?
B) Dans l'affirmative, doit-il être interprété en ce sens qu'il y a exploitation abusive de cette position par l'office, laquelle affecte le commerce entre les Etats membres du fait que les exportations effectuées par certaines entreprises indépendamment de l'office sont empêchées ou restreintes et/ou du fait qu'une prime à l'exportation n'est payée qu'aux entreprises qui exportent par l'intermédiaire de l'office central de régulation du marché ?
C) Si les réponses aux questions A) et B) sont affirmatives, la taxe due en tant qu'élément de l'organisation est-elle recouvrable ?
10. Si la taxe mentionnée ci-dessus n'est pas légalement due sur la base du droit communautaire, une juridiction nationale saisie d'une demande de restitution de la taxe doit-elle appliquer les principes de son droit national ou les principes du droit communautaire ? Si le droit communautaire est applicable, les principes inhérents à celui-ci permettent-ils de faire droit à une demande visant à ce que des montants effectivement versés soient restitués, avec ou sans déduction de la prime reçue par la défenderesse ?
Considérations préliminaires sur la portée des questions posées
9. l'examen des questions soulevées montre que celles-ci ne peuvent pas être toutes simultanément décisives pour la solution du litige. Sous ce rapport, la situation qui se présente devant la High Court n'est pas sans analogie avec celle qui est à l' origine de l'arrêt de la Cour du 29 novembre 1978, dans l'affaire 83-78 (Pigs Marketing Board (Northern Ireland)/Redmond, recueil, p. 2347), où le juge national a soumis à la Cour la question préalable visant à savoir quelles étaient, en présence de qualifications contradictoires données à une même situation par les parties intéressées, les dispositions communautaires décisives pour l' affaire. Par cet arrêt, la Cour a fait reconnaître que, dans le cas d'un litige portant sur un secteur agricole régi par une organisation commune de marché, il convient d'examiner prioritairement le problème posé sous cet angle de vue, compte tenu de la préséance assurée par l'article 38, paragraphe 2, du traité CEE, aux dispositions spécifiques prises dans le cadre de la politique agricole commune par rapport aux dispositions générales du traité relatives à l'établissement du Marché commun.
10. Appliquée à la présente affaire, cette conception signifie qu'il convient d'examiner en premier lieu la 7 question, relative à l'interprétation de l'article 40 du traité et du règlement n° 2759-75, dont il faut rapprocher les 4 et 5 questions, concernant l'interprétation, respectivement, des articles 16 et 34 du traité. En effet, pour les raisons expliquées dans l'arrêt cite ci-dessus (attendus 52 à 55), les dispositions du traité relatives à la suppression des obstacles tarifaires et commerciaux aux échanges intracommunautaires sont à considérer comme faisant partie intégrante de l'organisation commune des marchés.
11. Cette manière de traiter les questions s'impose encore en fonction d'une autre considération. En vertu de l'article 42 du traité, les dispositions du chapitre relatif aux règles de concurrence - c'est-à-dire l'ensemble des articles 85 à 94 - ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Conseil, dans le cadre des dispositions prises pour l'organisation des marchés agricoles. Dans son règlement n° 26, du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles (JO 1962, p. 993), le Conseil a pris certaines dispositions générales à ce sujet, destinées à permettre une application limitée des règles de concurrence au secteur agricole ; des dispositions spécifiques ont été prises ultérieurement, dans les divers règlements agricoles, en vue d'une application plus étendue des règles de concurrence dans les divers secteurs de marché. Tel est le cas de l'article 21 du règlement n° 2759-75, aux termes duquel " sous réserve de dispositions contraires du présent règlement, les articles 92 à 94 du traité sont applicables à la production et au commerce des produits vises à l'article 1, paragraphe 1 ". Il résulte de cette disposition que, si les articles 92 à 94 sont applicables en plein au secteur de la viande porcine, cette application reste cependant subordonnée aux dispositions qui régissent l'organisation commune de marché instituée par le règlement. En d'autres termes, le recours, par un état membre, aux dispositions des articles 92 à 94 sur les aides ne saurait avoir priorité sur les dispositions du règlement portant organisation de ce secteur de marché. L'article 21 du règlement impose dès lors d'examiner par priorité les questions posées au sujet de l'interprétation du règlement même et des articles du traité relatifs à la suppression des obstacles tarifaires et commerciaux à la liberté des exportations.
Sur l'appréciation des opérations de la PBC au regard de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc et des règles du traité relatives à la liberté des exportations (4, 5 et 7 questions)
12. La 7ème question de la High Court vise à savoir si l'article 40 du traité, ensemble avec le règlement n° 2759-75, comporte des éléments qui feraient apparaître comme incompatible avec le droit communautaire un système de commercialisation caractérisé par la perception d'une taxe a charge de tous les producteurs de bacon et le versement d'une subvention en faveur des seuls exportateurs qui passent par l'intermédiaire de la PBC, comme office central de commercialisation. Les 4 et 5 questions visent à savoir si un tel système, en tant qu'il comporte un désavantage financier à charge des exportateurs qui se dispensent de prendre recours à l'office central, constitue éventuellement une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation, prohibé par l'article 16 du traité, ou une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'exportation, prohibée par l'article 34.
13. La question centrale consiste ainsi à examiner la compatibilité, avec le droit communautaire, d'un système de commercialisation qui s'applique au bacon, produit relevant de l'organisation commune du marché de la viande porcine, et qui consiste à permettre à un organisme investi par la loi du pouvoir de lever une taxe sur la production de l'ensemble des carcasses de porc destinées à la fabrication de bacon, de subventionner l'exportation de certaines qualités de ce produit vers d' autres Etats membres ou vers des pays tiers en réservant l'avantage de ce subside à ceux des exportateurs qui réalisent leurs opérations par l' intermédiaire de ce même organisme, faisant fonction d'agence centrale de commercialisation. Il se pose donc ici en réalité deux questions distinctes ; d' une part, celle de savoir si, en soi, l'octroi de subsides à l'exportation est compatible avec le régime des échanges intracommunautaires et le régime des exportations vers les pays tiers ; d'autre part, si les dispositions qui régissent le secteur de marché en question permettent d'établir une différence de traitement selon qu'un producteur réalise ses ventes sur le Marché commun ou ses exportations en dehors de celui-ci par l'intermédiaire de l'organisme central en question, ou s' il les réalise directement, étant entendu que, dans ce dernier cas, tout en étant astreint au versement de la taxe, il est exclu du bénéfice du subside à la commercialisation.
14. Ainsi que la Cour l'a rappelé itérativement et, en dernier lieu, dans son arrêt déjà cité du 29 novembre 1978, du moment que la communauté a adopté, en vertu de l'article 40 du traité, une règlementation portant établissement d'une organisation commune des marchés dans un secteur déterminé, les Etats membres sont tenus de s'abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte. Le régime de marché institué par le règlement n° 2759-75, dans le cadre du régime de libre circulation des marchandises garanti par les dispositions du traité, vise à assurer la liberté des échanges à l'intérieur de la communauté par l'élimination tant des obstacles aux échanges que de toutes distorsions dans le commerce intracommunautaire, et exclut des lors toutes interventions des Etats membres sur le marché, autres que celles qui seraient expressément prévues par le règlement même. Un état membre ne saurait donc, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un organisme qu'il habilite à cet effet, verser des subsides, sous quelque forme que ce soit, à des produits destinés à être commercialisés dans le Marché commun.
15. Selon la conception qui est à la base du règlement portant organisation du marché de la viande porcine, les produits visés par cette règlementation doivent en effet circuler librement à l'intérieur de la communauté, au niveau de prix résultant du jeu des mécanismes de l' organisation commune de marché, sans que les Etats membres ou des organismes par eux mandatés puissent, au moyen de mécanismes financiers tels que l'octroi de subsides, avantager la commercialisation des produits nationaux par rapport à ceux des autres Etats membres.
16. La même considération s'applique aux exportations vers les pays tiers, alors que l'article 15 du règlement n° 2759-75 prévoit, pour assurer la compétitivité des produits communautaires sur le marché mondial, le versement aux producteurs d'une restitution à l'exportation qui, aux termes du paragraphe 2 du même article, doit être " la même pour toute la communauté ". Cette disposition empêche les Etats membres de conférer un avantage particulier à leurs producteurs en leur assurant un subside à l'exportation en sus de la restitution à recevoir éventuellement en vertu du règlement, au risque de fausser ainsi les conditions de concurrence entre les producteurs de la communauté sur les marchés extérieurs.
17. Il apparaît des lors que le versement d' un subside à la commercialisation de bacon ou d' autres produits relevant de l'organisation commune de marché, destinés à d'autres Etats membres ou à l'exportation en dehors de la communauté, tel qu'il est prévu par le système pratique en Irlande sous l'autorité de la PBC, est en soi incompatible avec les règles du Marché commun telles qu'elles résultent des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises et, plus particulièrement, des dispositions du règlement n° 2759-75.
18. En outre, le système pratiqué par la PBC est incompatible avec les dispositions du règlement n° 2759-75 en raison de la différence de traitement qu'il établit entre producteurs selon qu'ils se servent, ou non, de l'intermédiaire de la PBC pour réaliser la vente de leurs produits dans d'autres Etats membres ou pour les exporter vers les pays tiers. Ainsi que la Cour l'a souligné dans son arrêt du 29 novembre 1978, l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, à l'instar des autres organisations communes de marché, est fondée sur le principe d'un marché ouvert, auquel tout producteur a librement accès et dont le fonctionnement est uniquement réglé par les instruments prévus par cette organisation. Un mécanisme fiscal, consistant à permettre à un office central de commercialisation de prélever une taxe à charge de tous les producteurs de bacon et de réserver le bénéfice d'un subside à la commercialisation de certaines qualités de ce produit aux seuls producteurs qui consentent à opérer leurs ventes par l'intermédiaire du même office, constitue une atteinte à la liberté qui est assurée à tout opérateur économique dans le Marché commun de profiter directement, et sans subir de ce fait un désavantage économique, des facilités de production, d'importation et d'exportation garanties par l'organisation commune de marché.
19. Il résulte de ce qui précède qu'un système tel qu'il est pratiqué par la PBC en Irlande heurte en réalité de deux manières distinctes les règles relatives à la libre circulation des marchandises et à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande porcine. D'une part, parce qu' il est de nature à fausser, par l'octroi d'un subside à la vente du bacon destine à être commercialisé en dehors du territoire national, les Courants d'échange entre Etats membres et la compétition des producteurs de la communauté sur les marchés extérieurs ; d' autre part, par le fait qu'il assure à un organisme central de commercialisation, investi du pouvoir de lever des taxes sur l'ensemble de la production d'un des produits relevant de l' organisation commune de marché, le droit d'établir une taxation dans des conditions telles que se trouvent pénalisés les opérateurs qui choisissent de commercialiser directement leur produit, sans recourir à un intermédiaire privilégié par la loi.
20. Il y a donc lieu de répondre aux 4, 5 et 7 questions réunies que le règlement n° 2759-75, compte tenu des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, doit être interprété en ce sens qu' est incompatible avec l'organisation commune de marché dans le secteur de la viande porcine, un système national ayant pour objet de permettre à un organisme central de commercialisation, investi par la loi du pouvoir de prélever une taxe sur l'ensemble de la production d'une marchandise relevant de l'organisation commune de marché, telle que les carcasses de porc destinées à la production de bacon,
A) d'assurer, grâce à la recette provenant de la perception de la taxe, le versement de subsides à certains produits destinés à être commercialisés sur le Marché commun ou exportés vers des pays tiers ;
B) d'infliger un désavantage financier à tout producteur, astreint à verser la taxe sur la production, en raison du fait qu'il réalise directement ses ventes sans se prévaloir de l'intermédiaire ou des services de l'organisme central de commercialisation.
La taxe exigée dans le cadre d'un régime de commercialisation ainsi caractérise n'est pas due par les producteurs dans la mesure où elle est affectée à des fins incompatibles avec les exigences du traité relatives à la libre circulation des marchandises et avec l'organisation commune des marchés.
21. Il s'ensuit que le recours aux dispositions des articles 92 à 94 du traité ne saurait modifier les exigences découlant, pour les Etats membres, du respect des règles relatives à cette organisation commune. Les questions 1, 2 et 3 posées par la juridiction nationale peuvent dès lors rester sans réponse.
22. Pareillement, les dispositions relatives à l'organisation commune des marchés ne sauraient être mises en échec par la qualification de " monopole national ", au sens de l'article 37 du traité, attachée à un organisme investi de certaines prérogatives légales, telles que la PBC. Cette conséquence découle de l'article 38, paragraphe 2, du traité qui donne priorité aux règles de l'organisation des marchés agricoles par rapport aux règles prévues pour l'établissement du Marché commun général, dans lesquelles l'article 37 se trouve inséré. Cette considération rend superflue toute investigation sur la question de savoir si, en fait, un organisme tel que la PBC peut être légitimement qualifié de " monopole " au sens de l'article 37. La 6ème question peut, des lors, également rester sans réponse.
23. Enfin, compte tenu de la réponse donnée aux 4, 5 et 7 questions, il n'apparaît pas nécessaire d'entrer dans la question de savoir si les opérations de la PBC auraient éventuellement porte atteinte aux dispositions des articles 85 et 86 du traité.
Sur la demande reconventionnelle (10 question)
24. Les questions sur lesquelles il vient d'être pris position ont trait au litige porte devant la juridiction nationale pour autant que celui-ci porte sur la demande introduite en vue du recouvrement de taxes que la défenderesse au principal a refusé de verser à partir du moment où elle a décidé de se retirer du système mis en œuvre par la PBC. Il résulte de ce qui précède que son refus de verser cette taxe était justifié, dans la mesure où celle-ci sert à financer une subvention à la commercialisation de viande porcine, contraire aux règles de l'organisation du marché dans le domaine considéré. La défenderesse ayant, par demande reconventionnelle, réclame également la restitution de la même taxe pour la période antérieure, ou elle avait coopéré avec la PBC et profite en conséquence de l'avantage du subside, la juridiction nationale désire savoir si elle doit appliquer, à une telle réclamation, les principes de son droit national ou les principes du droit communautaire. Elle fait d'ailleurs reconnaître que, sur la base des principes de son droit national, elle serait probablement amenée à repousser la demande reconventionnelle. Elle désire cependant savoir, pour le cas où le droit communautaire serait applicable à une telle réclamation, si les principes inhérents à celui-ci permettent éventuellement de faire droit à une demande visant à ce que des montants effectivement versés soient restitués, avec ou sans déduction de la prime reçue par la défenderesse.
25. Il résulte de ce qui précède que la taxe exigée dans le cadre d'un régime national de commercialisation de la viande porcine n'est pas due dans la mesure où elle est affectée à des fins incompatibles avec les exigences du traité relatives à la libre circulation des marchandises et avec l'organisation commune des marchés dans le secteur concerné. En principe, tout opérateur économique astreint au versement de la taxe a dès lors le droit de réclamer la restitution de la partie de la taxe affectée ainsi à des fins incompatibles avec le droit communautaire. Il appartient au surplus à la juridiction nationale d'apprécier, selon son droit national, dans chaque cas particulier, si et dans quelle mesure la taxe versée peut être récupérée et si une telle créance est compensée éventuellement par les sommes versées à un opérateur économique au titre de subside à l'exportation.
26. Il y a donc lieu de répondre à la 10ème question qu'il appartient à la juridiction nationale de déterminer, d'une part, si et dans quelle mesure la taxe, prélevée sur un produit relevant de l'organisation commune des marchés à des fins incompatibles avec celle-ci, doit être remboursée et, d' autre part, si et pour combien ce droit a remboursement est éventuellement compensé par le montant des subsides versés à l'opérateur intéressé.
Quant aux dépens
27. Les frais exposés par le Gouvernement d'Irlande et par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la High Court d'Irlande, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par la High Court d'Irlande par jugement du 30 juin et par ordonnance du 31 juillet 1978, dit pour droit :
1. Le règlement du Conseil n° 2759-75, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc doit, compte tenu des dispositions du traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises, être interprété en ce sens qu'est incompatible avec l'organisation commune de marché dans le secteur de la viande porcine un système national ayant pour objet de permettre à un organisme central de commercialisation, investi par la loi du pouvoir de prélever une taxe sur l'ensemble de la production d'une marchandise relevant de l'organisation commune de marché, telle que les carcasses de porc destinées à la production de bacon,
A) d'assurer, grâce à la recette provenant de la perception de la taxe, le versement de subsides à certains produits destinés à être commercialisés sur le Marché commun ou exportés vers des pays tiers ;
B) d'infliger un désavantage financier à tout producteur, astreint à verser la taxe sur la production, en raison du fait qu'il réalise directement ses ventes sans se prévaloir de l'intermédiaire ou des services de l'organisme central de commercialisation.
2. La taxe exigée dans le cadre d'un régime de commercialisation ainsi caractérisé n'est pas due par les producteurs dans la mesure où elle est affectée à des fins incompatibles avec les exigences du traité relatives à la libre circulation des marchandises et avec l'organisation commune des marchés.
3. Il appartient à la juridiction nationale de déterminer, d'une part, si et dans quelle mesure la taxe, prélevée sur un produit relevant de l'organisation commune des marchés et affectée à des fins incompatibles avec celle-ci, doit être remboursée et, d'autre part, si et pour combien ce droit à remboursement est éventuellement compensé par le montant des subsides versés à l'opérateur intéressé.