Livv
Décisions

CJCE, 1re ch., 28 novembre 2000, n° C-88/99

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Roquette Frères SA

Défendeur :

Direction des services fiscaux du Pas-de-Calais

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Wathelet

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Juges :

MM. Jann, Sevón

Avocats :

Mes Dutat, De Bellis

CJCE n° C-88/99

28 novembre 2000

LA COUR (première chambre),

1 Par jugement du 24 mars 1998, parvenu à la Cour le 15 mars de l'année suivante, le tribunal de grande instance de Béthune a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle sur le point de savoir si le droit communautaire s'oppose à une disposition fiscale nationale prévoyant que, lorsqu'elle est fondée sur une déclaration juridictionnelle de non-conformité d'une règle de droit avec une règle de droit supérieure, l'action en répétition de l'indu ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Roquette Frères SA (ci-après "Roquette") à l'administration fiscale à propos du droit d'enregistrement sur les apports mobiliers versé par cette société en 1987, à la suite d'une opération de fusion, en application d'une réglementation fiscale nationale jugée ultérieurement contraire au droit communautaire.

La réglementation nationale

3 L'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales précise les conditions de délai dans lesquelles doivent être présentées les réclamations en matière fiscale. Il dispose:

"Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l'Administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas:

a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement;

b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement;

c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation.

Toutefois, dans les cas suivants, les réclamations doivent être présentées au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle, selon le cas:

a) De la réception par le contribuable d'un nouvel avis d'imposition réparant les erreurs d'expédition que contenait celui adressé précédemment;

b) Au cours de laquelle les retenues à la source et les prélèvements ont été opérés s'il s'agit de contestations relatives à l'application de ces retenues;

c) Au cours de laquelle le contribuable a eu [une] connaissance certaine de cotisations d'impôts directs établies à tort ou faisant double emploi".

4 L'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dont les deuxième et troisième alinéas ont été introduits par l'article 36, I, de la loi de finances rectificative pour 1989 (loi n_ 89-936, du 29 décembre 1989), dispose:

"Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes, pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'Administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire.

Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure.

Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue."

Le litige au principal et la question préjudicielle

5 À la suite d'une opération de fusion-absorption réalisée en juin 1987, Roquette a, le 8 juillet 1987, acquitté à la recette des impôts de Béthune une somme de 757 926 FRF au titre du droit d'enregistrement proportionnel de 1,20 % sur les apports mobiliers effectués dans le cadre de cette opération, en application de l'article 816-1, I, 2_, du Code général des impôts en vigueur à l'époque.

6 Dans son arrêt du 13 février 1996, Bautiaa et Société française maritime (C-197-94 et C-252-94, Rec. p. I-505), la Cour a constaté que cette imposition, qui était alors prévue à l'article 816, I, 2_, du Code général des impôts, constituait un droit d'apport au sens de la directive 69-335-CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25).

7 Dans le même arrêt, la Cour a jugé que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 69-335, dans sa version résultant de la directive 85-303-CEE du Conseil, du 10 juin 1985 (JO L 156, p. 23), applicable à compter du 1er janvier 1986, faisait obligation aux États membres d'exonérer de tout droit d'apport les opérations d'augmentation du capital par l'apport de la totalité de l'actif d'une société à une autre et s'opposait donc à l'application d'une législation nationale maintenant à 1,20 % le taux du droit d'enregistrement sur les apports mobiliers effectués dans le cadre d'une fusion.

8 Le droit d'enregistrement de 1,20 % a été supprimé par la loi de finances pour 1994 (loi n_ 93-1352, du 30 décembre 1993), entrée en vigueur le 1er janvier 1994.

9 Le 24 décembre 1996, Roquette a contesté l'exigibilité de la somme acquittée en 1987 au titre de ce droit d'enregistrement et en a demandé la restitution à la direction des services fiscaux du Pas-de-Calais.

10 La réclamation de Roquette a été jugée recevable comme ayant été présentée avant l'expiration du délai de recours prévu à l'article R.*196-1, premier alinéa, sous c), du livre des procédures fiscales, l'"événement" l'ayant motivée, au sens de cette disposition, étant l'arrêt Bautiaa et Société française maritime, précité.

11 Par décision du 3 avril 1997, l'administration fiscale a toutefois rejeté la demande de Roquette sur le fond au motif que, en application de l'article L. 190, troisième alinéa, du livre des procédures fiscales, son action en répétition ne pouvait utilement porter que sur des impositions dont elle se serait acquittée après le 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision juridictionnelle révélant la non-conformité était intervenue, soit après le 1er janvier 1992.

12 Le 5 juin 1997, Roquette a assigné le directeur des services fiscaux du Pas-de-Calais devant le tribunal de grande instance de Béthune afin d'obtenir la décharge de l'imposition contestée et la restitution de la somme acquittée le 8 juillet 1987, majorée des intérêts légaux.

13 Devant cette juridiction, Roquette a soutenu que l'article L. 190, troisième alinéa, du livre des procédures fiscales était contraire au droit communautaire en matière de répétition de l'indu, car il instaurait des modalités procédurales qui étaient moins favorables pour les recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire que pour des recours similaires de droit interne et qui rendaient plus difficile, voire impossible, et à tout le moins limitaient de façon très restrictive l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire. Selon elle, l'article L. 190, troisième alinéa, du livre des procédures fiscales organisait une procédure spécifique pour les recours fondés sur la violation d'une norme de droit communautaire, qui dérogeait aux dispositions régissant les actions en répétition fondées sur la violation de dispositions du droit national.

14 Roquette a également prétendu qu'aucun délai de forclusion ne pouvait être opposé à son action en répétition dès lors que, dans son arrêt du 25 juillet 1991, Emmott (C-208-90, Rec. p. I-4269), la Cour aurait posé pour principe qu'un État membre ne peut opposer un délai de recours de droit interne à une action judiciaire introduite à son encontre par un contribuable en vue de la protection des droits que lui reconnaissent les dispositions d'une directive tant que ladite directive n'a pas été transposée par cet État membre dans son droit national. Elle a rappelé que, en ce qui concerne le droit d'apport de 1,20 % prévu à l'article 816-1 du Code général des impôts, la directive 69-335 n'avait été transposée en droit français que par la loi de finances pour 1994.

15 Considérant que la solution du litige nécessitait une interprétation du droit communautaire, le tribunal de grande instance de Béthune a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour:

"la question préjudicielle de la légalité de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, en lui demandant notamment si le Gouvernement français a pu valablement opérer, entre la forclusion de l'action et la forclusion de la période de restitution, une distinction qui se traduit par une différence de traitement entre les recours purement internes et les recours qui trouvent leur origine dans la constatation par le juge communautaire de l'illégalité d'une norme nationale, au regard du droit communautaire".

Sur la question préjudicielle

16 À titre liminaire, il y a lieu de relever que la juridiction de renvoi s'est fondée sur la prémisse que la disposition nationale en cause au principal établit une distinction entre les recours qui trouvent leur origine dans la constatation par le juge national de l'illégalité d'une norme nationale au regard d'une norme de droit interne supérieure et ceux qui trouvent leur origine dans la constatation par le juge communautaire de l'illégalité d'une norme nationale au regard du droit communautaire.

17 Or, ainsi que l'ont relevé dans leurs observations écrites et orales tant les Gouvernements français et italien que la Commission, le libellé de l'article L. 190, deuxième et troisième alinéas, du livre des procédures fiscales n'établit pas semblable distinction puisqu'il se réfère de manière générale à toute décision juridictionnelle révélant la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application pour percevoir une taxe avec une règle de droit supérieure, sans viser spécifiquement les décisions émanant des juridictions communautaires ni les cas de non-conformité avec une règle de droit communautaire. Au demeurant, il ressort des éléments communiqués à la Cour par le Gouvernement français que la Cour de cassation française a itérativement jugé que la limitation dans le temps de la période sur laquelle peut porter la restitution de sommes indûment versées, qui résulte de l'article L. 190, troisième alinéa, du livre des procédures fiscales, s'applique également aux actions en répétition de l'indu trouvant leur origine dans la constatation de l'illégalité d'une norme nationale au regard d'une norme de droit interne supérieure.

18 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée par l'article 177 du traité, il appartient à celle-ci de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi (arrêt du 17 juillet 1997, Krüger, C-334-95, Rec. p. I-4517, point 22). Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler la question dont elle est saisie (arrêt Krüger, précité, point 23).

19 Il y a dès lors lieu de comprendre la question préjudicielle comme demandant en substance si le droit communautaire s'oppose à la réglementation d'un État membre prévoyant que, en matière fiscale, l'action en répétition de l'indu fondée sur la déclaration par une juridiction nationale ou communautaire de la non-conformité d'une règle nationale avec une règle nationale supérieure ou avec une règle communautaire ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision juridictionnelle révélant la non-conformité est intervenue.

20 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en l'absence de réglementation communautaire en matière de restitution des impositions nationales indûment perçues, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire, étant entendu que ces modalités ne peuvent ni être moins favorables que celles régissant des recours similaires de nature interne ni être aménagées de manière à rendre impossible en pratique l'exercice des droits que les juridictions nationales ont l'obligation de sauvegarder (voir arrêts du 16 décembre 1976, Rewe, 33-76, Rec. p. 1989, point 5; Comet, 45-76, Rec. p. 2043, points 13 et 16; du 27 mars 1980, Denkavit Italiana, 61-79, Rec. p. 1205, point 25, et du 29 juin 1988, Deville, 240-87, Rec. p. 3513, point 12).

21 La Cour a jugé, en particulier, que les conditions de délai fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne (principe d'équivalence) et ne sauraient être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation (principe d'effectivité) (arrêt du 10 juillet 1997, Palmisani, C-261-95, Rec. p. I-4025, point 27). Une telle règle vaut également en matière de répétition de l'indu.

22 En ce qui concerne, en premier lieu, la compatibilité d'une condition de délai telle que celle prévue à l'article L. 190, troisième alinéa, du livre des procédures fiscales avec le principe d'effectivité du droit communautaire, il y a lieu de constater que la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion satisfait, en principe, à cette exigence dans la mesure où elle constitue une application du principe fondamental de sécurité juridique (voir, notamment, arrêts précités Rewe, point 5; Comet, points 17 et 18, et Palmisani, point 28).

23 En ce sens, la Cour a jugé que de tels délais ne sauraient être considérés comme étant de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire, même si, par définition, l'écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l'action intentée (arrêt du 2 décembre 1997, Fantask e.a., C-188-95, Rec. p. I-6783, point 48).

24 À cet égard, il y a lieu de considérer comme raisonnable un délai national remontant au minimum à quatre années et au maximum à cinq années avant l'année où a été prononcée la décision juridictionnelle révélant la non-conformité de la règle de droit ayant fondé l'imposition avec une règle de droit supérieure.

25 En effet, ainsi que l'a relevé l'avocat général au point 33 de ses conclusions, la limitation de la période englobée par la réclamation aux quatre ou cinq années antérieures au prononcé de la décision de justice peut certes signifier, dans certains cas, le rejet total de l'action, mais elle ne rend pas en pratique impossible ni excessivement difficile l'exercice par les particuliers de droits conférés par l'ordre juridique communautaire.

26 Quant au point de savoir, en second lieu, si une condition de délai telle que celle prévue à l'article L. 190, troisième alinéa, du livre des procédures fiscales est conforme au principe d'équivalence, Roquette soutient que, jusqu'en 1989, les règles internes régissant l'action en remboursement des droits acquittés en violation d'une norme supérieure ne dérogeaient pas au droit civil, la prescription trentenaire édictée à l'article 2262 du Code civil étant applicable en la matière. L'article L. 190, troisième alinéa, du livre des procédures fiscales aurait instauré, pour les recours fondés sur la violation par une norme nationale d'une disposition de droit communautaire, une procédure spécifique différente de celle qui s'applique lorsque l'action en répétition de l'indu est fondée sur une norme de droit interne.

27 Roquette précise à cet égard que les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 190 ont été ajoutés par la loi de finances rectificative pour 1989, qui aurait été votée à la suite de l'arrêt du Conseil d'État français du 3 février 1989, Compagnie Alitalia, dans lequel cette juridiction a déclaré contraires à la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives au taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), certaines restrictions au droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que de dix-sept arrêts rendus par la Cour de cassation française le 7 novembre 1989, dans lesquels cette juridiction a considéré que l'action en répétition de l'indu visant au remboursement d'une imposition préalablement déclarée contraire au droit communautaire était soumise à la prescription trentenaire de droit commun.

28 Ce faisant, le législateur français aurait entendu instaurer une limitation spécifique de la période sur laquelle peuvent utilement porter les actions en répétition d'un impôt indûment versé, s'agissant des actions ayant pour origine une décision juridictionnelle révélant la non-conformité de la norme ayant fondé l'imposition avec une norme supérieure. En effet, le délai prévu à l'article L. 190, troisième alinéa, du livre des procédures fiscales n'aurait vocation à s'appliquer que dans les litiges nés d'une violation du droit communautaire constatée par la Cour. En conséquence, dans le cas de recours fondés sur un arrêt de la Cour, la période couverte par une réclamation introduite, en matière fiscale, dans le délai prescrit à l'article R.*196-1, serait limitée aux quatre ou cinq années précédant la déclaration juridictionnelle de non-conformité alors qu'elle serait de trente ans pour les recours similaires de nature interne.

29 À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, le respect du principe d'équivalence suppose que la procédure nationale s'applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit communautaire et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne, s'agissant d'un même type de taxes ou de redevances. Ce principe ne saurait en revanche être interprété comme obligeant un État membre à étendre à l'ensemble des actions en restitution de taxes ou de redevances perçues en violation du droit communautaire son régime de prescription le plus favorable (voir arrêts du 15 septembre 1998, Edis, C-231-96, Rec. p. I-4951, point 36; Spac, C-260-96, Rec. p. I-4997, point 20, et du 17 novembre 1998, Aprile, C-228-96, Rec. p. I-7141, point 20).

30 Ainsi, le droit communautaire ne s'oppose pas, en principe, à ce que la législation d'un État membre comporte, à côté d'un délai de prescription de droit commun applicable aux actions en répétition de l'indu entre particuliers, des modalités particulières de réclamation et de recours en justice moins favorables pour la contestation des taxes et autres impositions (arrêts Edis, précité, point 37; Spac, précité, point 21; du 22 octobre 1998, IN. CO. GE'90 e.a., C-10-97 à C-22-97, Rec. p. I-6307, point 27, et Aprile, précité, point 21). Il n'en irait autrement que si ces modalités n'étaient applicables qu'aux seules actions en remboursement de ces taxes ou impositions fondées sur le droit communautaire (arrêts précités Edis, point 37; Spac, point 21, et Aprile, point 21).

31 En l'espèce, il convient de rappeler qu'un délai tel que celui prévu à l'article L. 190, deuxième et troisième alinéas, du livre des procédures fiscales ne peut être considéré comme s'appliquant aux seuls recours fondés sur le droit communautaire.

32 En effet, il ressort du texte même de cette disposition ainsi que des éléments communiqués à la Cour par le Gouvernement français que la règle procédurale qu'elle édicte est applicable à toute action en remboursement d'un prélèvement fiscal fondée sur la non-conformité, constatée par une décision d'une juridiction nationale, internationale ou communautaire, de la règle de droit nationale qui justifiait ledit prélèvement avec une règle de droit supérieure, qu'elle soit nationale, internationale ou communautaire. Un délai tel que celui prévu à l'article L. 190, troisième alinéa, du livre des procédures fiscales s'applique donc indifféremment aux recours fondés sur le droit communautaire et à ceux fondés sur le droit interne.

33 Il est vrai que, au point 23 de l'arrêt Emmott, précité, la Cour a jugé que, jusqu'au moment de la transposition correcte d'une directive, l'État membre défaillant ne peut pas exciper de la tardiveté d'une action judiciaire introduite à son encontre par un particulier en vue de la protection des droits que lui reconnaissent les dispositions de cette directive et qu'un délai de recours de droit national ne peut commencer à courir qu'à partir de ce moment.

34 Toutefois, comme l'a confirmé l'arrêt du 6 décembre 1994, Johnson (C-410-92, Rec. p. I-5483, point 26), il découle de l'arrêt du 27 octobre 1993, Steenhorst-Neerings (C-338-91, Rec. p. I-5475), que la solution dégagée dans l'arrêt Emmott, précité, était justifiée par les circonstances propres à cette affaire, dans lesquelles la forclusion aboutissait à priver totalement la requérante au principal de la possibilité de faire valoir son droit à l'égalité de traitement en vertu d'une directive communautaire (voir, également, arrêts du 17 juillet 1997, Haahr Petroleum, C-90-94, Rec. p. I-4085, point 52; Texaco et Olieselskabet Danmark, C-114-95 et C-115-95, Rec. p. I-4263, point 48; du 15 septembre 1998, Ansaldo Energia e.a., C-279-96 à C-281-96, Rec. p. I-5025, point 20; Spac, précité, point 29, et Fantask, précité, point 51).

35 Roquette soutient que, dans l'arrêt Bautiaa et Société française maritime, précité, la Cour a déjà condamné l'application d'un délai tel que celui prévu à l'article L. 190, troisième alinéa, du livre des procédures fiscales aux actions visant au remboursement du droit d'apport prélevé en application de l'article 816-1 du Code général des impôts, dans la mesure où elle a jugé, au point 49 de cet arrêt, qu'il n'y avait pas lieu de déroger à la règle selon laquelle les effets d'un arrêt en interprétation doivent remonter à la date d'entrée en vigueur de la règle interprétée, et a donc refusé de limiter les effets de l'arrêt dans le temps.

36 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la circonstance que la Cour a rendu un arrêt préjudiciel statuant sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire sans limiter les effets dans le temps de cet arrêt n'affecte pas le droit d'un État membre d'opposer aux actions en remboursement d'impositions perçues en violation de cette disposition un délai national de forclusion (arrêt Edis, précité, point 26).

37 Il convient dès lors de répondre à la question préjudicielle que le droit communautaire ne s'oppose pas à la réglementation d'un État membre prévoyant que, en matière fiscale, l'action en répétition de l'indu fondée sur la déclaration par une juridiction nationale ou communautaire de la non-conformité d'une règle nationale avec une règle nationale supérieure ou avec une règle communautaire ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision juridictionnelle révélant la non-conformité est intervenue.

Sur les dépens

38 Les frais exposés par les Gouvernement français et italien ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre)

Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal de grande instance de Béthune, par jugement du 24 mars 1998, dit pour droit:

Le droit communautaire ne s'oppose pas à la réglementation d'un État membre prévoyant que, en matière fiscale, l'action en répétition de l'indu fondée sur la déclaration par une juridiction nationale ou communautaire de la non-conformité d'une règle nationale avec une règle nationale supérieure ou avec une règle communautaire ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision juridictionnelle révélant la non-conformité est intervenue.