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Décisions

CJCE, 16 décembre 1980, n° 27-80

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Anton Adriaan Fietje

CJCE n° 27-80

16 décembre 1980

LA COUR,

1. Par jugement du 19 décembre 1979, parvenu à la Cour le 18 janvier 1980, l'Economische Politierechter de l'Arrondissementsrechtbank de Assen a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 30 du traité, en vue d'apprécier la compatibilité, avec le droit communautaire, de l'article 1 du " Likeurbesluit " néerlandais, en ce que cet article prévoit l'obligation d'utiliser le mot " Likeur " pour les boissons qui y sont définies.

2. La question est posée dans le cadre d'une procédure pénale dirigée contre un négociant en boissons poursuivi pour avoir livré une boisson, importée de la République fédérale d'Allemagne et dénommée " Berentzen Appel - aus Apfel mit Weizenkorn 25 vol.% ", qui ne portait pas la dénomination " Likeur " alors qu'elle tombe sous le coup de la disposition précitée.

3. Le " Likeurbesluit " a été promulgué sur la base des articles 14 et 15 de la " Warenwet " néerlandaise (loi sur les marchandises) du 28 décembre 1935 (Staatsblad 793). Ces articles prévoient, entre autres, que, pour protéger la santé publique ou promouvoir la loyauté dans les transactions commerciales, des règlements d'Administration générale peuvent déterminer des dénominations qui doivent être utilisées dans le commerce des marchandises si celles-ci sont d'un type ou d'une composition prévus dans le règlement.

4. L'article 1, paragraphe 1, du " Likeurbesluit " du 11 septembre 1953 (Staatsblad 466) est actuellement libellé comme suit :

' Tout produit contenant comme composants caractéristiques de l'alcool éthylique, du sucre, des matières aromatiques et/ou du jus de fruits, pour autant qu'il satisfasse aux dispositions de l'article 3, peut et doit être exclusivement désigné par un des termes suivants : " Likeur ", " Tussenlikeur ", " Verloflikeur " (le terme " Likeur " pouvant le cas échéant s'orthographier " Liqueur "), ou " Likorette ", cette dernière désignation devant être immédiatement suivie de celle de la teneur en alcool en pourcentage de volume à 15°C. Ces désignations peuvent être utilisées conjointement avec des termes précisant le goût ou l'arôme. "

L'article 3 du " Likeurbesluit " dispose que tout produit dénommé conformément à l'article 1, paragraphe 1, doit avoir une certaine teneur minimale en sucre. Il prévoit également que le produit dénommé " Likeur " doit avoir une teneur en alcool d'au moins 22 % en volume et il fixe des teneurs en alcool différentes, inférieures à cette limite, pour les autres produits qu'il cite. En outre, l'article 3 contient diverses autres dispositions sur la composition et la qualité des produits. Suivant l'article 6, le nom fixé pour le produit doit figurer sur tout emballage qui est destiné ou se prête à être livré avec le produit au consommateur.

5. L'article 2 du " Likeurbesluit " énonce un certain nombre d'exceptions à l'obligation d'utiliser les dénominations visées à l'article 1. Une de ces exceptions concerne les produits " dénommés à l'aide d'une appellation généralement en usage dans la pratique commerciale courante pour designer une liqueure ", lorsque ces liqueurs ont une teneur en alcool d'au moins 24 % en volume et que le directeur du service compétent a donné son agrément. D'autres exceptions visent des boissons, qui sont énumérées dans l'article et désignées par des appellations dont la plupart sont typiquement néerlandaises. Enfin, l'article 14, paragraphe 4, de la " Warenwet " donne aux ministres compétents le pouvoir d'accorder des exemptions, entre autres, aux règles du " Likeurbesluit ".

6. Le prévenu ayant invoqué l'incompatibilité de cette réglementation nationale avec l'article 30 du traité CEE, l'Economische Politierechter a estimé nécessaire, avant de rendre son jugement dans la procédure pénale, que la Cour statue sur la question suivante :

' Le concept de " mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives ", figurant à l'article 30 du traité CEE, s'étend-il à la disposition de l'article 1 du " Nederlandse Likeurbesluit ", réglant l'obligation d'utiliser le mot " liqueur " pour les boissons qui y sont définies, en sorte que des produits provenant d'autres Etats membres qui présentent les caractéristiques définies à l'article 1 du " Likeurbesluit ", mais à l'égard desquels il n'existe pas dans ces états d'obligations d'utiliser la dénomination " liqueur ", doivent être étiquetés différemment aux fins de l'importation aux Pays-Bas ?'

7. Avant de répondre à la question posée, il convient de relever qu'en l'absence d'une réglementation commune de la production et de la commercialisation de l'alcool il appartient, en principe, aux Etats membres de régler, chacun sur son territoire, tout ce qui concerne la commercialisation des boissons alcooliques, y compris la dénomination et l'étiquetage de ces boissons, sous réserve de toute mesure communautaire prise en vue de rapprocher les législations nationales dans ces domaines.

8. Au stade actuel du droit communautaire, les éléments d'interprétation dont le juge national aura besoin ne concernent donc pas la compatibilité, avec ce droit, de l'obligation d'utiliser une certaine dénomination pour la commercialisation de boissons alcooliques déterminées. Comme le juge l'à lui-même indiqué par le libellé de la question préjudicielle, il s'agit de savoir si l'extension d'une telle obligation aux boissons importées d'autres Etats membres, de manière à rendre impossible la commercialisation du produit importé sans modification de l'étiquette sous laquelle la boisson est légalement commercialisée dans l'Etat membre exportateur, est à considérer comme mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative interdite par l'article 30 du traité.

9. Pour répondre à cette question, il faut examiner si l'extension de la réglementation nationale est susceptible d'entraver la libre circulation des marchandises entre les Etats membres et, le cas échéant, dans quelle mesure une telle entrave est justifiée par les raisons d'intérêt général qui sont à la base de la réglementation nationale.

10. Si l'extension, aux produits importés, d'une obligation d'utiliser une certaine dénomination sur l'étiquette n'exclut pas, de façon absolue, l'importation dans l'Etat membre concerne de produits originaires d'autres Etats membres ou se trouvant en libre pratique dans ces états, elle peut néanmoins rendre leur commercialisation plus difficile, surtout en cas d'importation parallèle. Comme le Gouvernement néerlandais l'admet lui-même dans ses observations, elle est ainsi susceptible d'entraver, au moins indirectement, les échanges entre les Etats membres. Il y a donc lieu d'examiner si elle peut être justifiée par des raisons d'intérêt général tenant à la défense des consommateurs, raisons qui, selon les observations du Gouvernement néerlandais et conformément à la " Warenwet ", sont à base de la réglementation en cause.

11. Si une réglementation nationale concernant un produit déterminé comprend l'obligation d'utiliser une dénomination suffisamment précise pour permettre à l'acheteur de connaître la nature du produit et de le distinguer des produits avec lesquels il pourrait être confondu, il peut certainement être nécessaire, pour donner aux consommateurs une protection efficace, d'étendre cette obligation également aux produits importés, même de manière à imposer la modification des étiquettes originaires de certains de ces produits. Sur le plan de la législation communautaire, cette éventualité est reconnue par plusieurs directives relatives au rapprochement des législations des Etats membres concernant certaines denrées alimentaires, ainsi que par la directive 79-112 du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard (JO L 33, p. 1).

12. Cependant, la nécessité d'une telle protection n'existe plus lorsque les indications portées sur l'étiquette originaire du produit importé ont un contenu informatif, quant à la nature du produit, qui comporte au moins les mêmes informations et qui est aussi compréhensible pour les consommateurs de l'Etat importateur que la dénomination exigée par la réglementation de cet Etat. Dans le cadre de l'article 177 du traité, les appréciations de fait nécessaires en vue d'établir l'existence ou non d'une telle équivalence relèvent de la compétence du juge national.

13. Dans leurs observations, tant la Commission que le Gouvernement néerlandais tirent des arguments de l'existence, dans la réglementation néerlandaise, de plusieurs dispositions prévoyant des exemptions. Le Gouvernement souligne la possibilité, suivant l'article 2 du " Likeurbesluit ", de permettre une appellation généralement en usage dans la pratique commerciale pour désigner une liqueur ainsi que l'article 14, paragraphe 4, de la " warenwet " qui prévoit la possibilité d'accorder des exemptions à toute règle adoptée en vertu dudit article. La Commission, au contraire, estime que les exceptions prévues à l'article 2 du " Likeurbesluit " ont pour effet d'opérer une discrimination à l'égard des produits importés et relativement peu connus sur le marché néerlandais.

14. Face à ces arguments, il y a lieu de rappeler qu'une mesure qui relève de l'interdiction prévue par l'article 30 du traité n'échappe pas à cette interdiction par le seul fait que l'autorité compétente est habilitée à accorder des exemptions, même si cette habilitation est utilisée libéralement en faveur des produits importés. Par contre, pour une mesure justifiée par des raisons reconnues par le traité, celui-ci n'interdit pas, en principe, de prévoir la possibilité de dérogations par des décisions individuelles laissées à l'appréciation de l'Administration. Cependant, des règles d'exception ne doivent pas conduire à favoriser les produits nationaux, ce qui constituerait une discrimination arbitraire ou une restriction déguisée à l'encontre des produits importés d'autres Etats membres. Sous cette dernière réserve, il ne semble pas que les exemptions prévues par la réglementation néerlandaise apportent des éléments nouveaux concernant la question posée par le juge national.

15. Il convient donc de répondre à la question préjudicielle posée que l'extension, par un Etat membre, d'une disposition, prohibant la vente de boissons alcooliques déterminées sous une dénomination autre que celle prescrite par la législation nationale, aux boissons importées d'autres Etats membres de manière à rendre nécessaire une modification de l'étiquette sous laquelle la boisson importée est légalement commercialisée dans l'Etat membre exportateur, est à considérer comme mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, interdite par l'article 30 du traité, dans la mesure où les indications portées sur l'étiquette originaire ont, pour les consommateurs, en ce qui concerne la nature du produit en cause, un contenu informatif équivalant à celui de la dénomination légalement prescrite. Les appréciations de fait nécessaires en vue d'établir l'existence ou non d'une telle équivalence sont à porter par le juge national.

Sur les dépens

16. Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ; la procédure revêtant, à l'égard du prévenu au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par l'Economische Politierechter de l'Arrondissementsrechtbank de Assen, par jugement du 19 décembre 1979, dit pour droit :

1) l'extension, par un Etat membre, d'une disposition, prohibant la vente de boissons alcooliques déterminées sous une dénomination autre que celle prescrite par la législation nationale, aux boissons importées d'autres Etats membres de manière à rendre nécessaire une modification de l'étiquette sous laquelle la boisson importée est légalement commercialisée dans l'Etat membre exportateur, est à considérer comme mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, interdite par l'article 30 du traité, dans la mesure ou les indications portées sur l'étiquette originaire ont, pour les consommateurs, en ce qui concerne la nature du produit en cause, un contenu informatif équivalant à celui de la dénomination légalement prescrite.

2) les appréciations de fait nécessaires en vue d'établir l'existence ou non d'une telle équivalence sont à porter par le juge national.