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Décisions

CJCE, 26 février 1980, n° 94-79

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vriend

CJCE n° 94-79

26 février 1980

LA COUR,

1. Par jugement du 10 mai 1979, parvenu à la Cour le 14 juin 1979, le Gerechtshof d'Amsterdam, chambre économique, a saisi, en application de l'article 177 du traité CEE, la Cour de justice de deux questions préjudicielles concernant l'interprétation des articles 30 à 47 inclus du traité CEE, ainsi que du règlement n° 234-68 du Conseil du 27 février 1968, portant établissement d'une organisation commune des march2s dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture (JO 1968, n° L 55, p. 1).

2. Les questions ont été soulevées au cours d'un appel introduit par un commerçant, établi à Andijk, contre le jugement du juge de police économique de l'arrondissement " arrondissementsrechtbank " d'Alkmaar, lui faisant grief d'avoir vendu, en mai et juin 1975, dans la commune d'Andijk ou du moins aux Pays-Bas, plusieurs lots de pieds de chrysanthème, sans être affilié à la " Nederlandse Algemene Keuringsdienst voor Siergewassen " (Naks), et d'avoir ainsi violé les dispositions de la loi sur les semences et plantes du 6 octobre 1966 (' zaaizaad- en plantgoedwet '), ainsi que celles de l'arrêté du 5 avril 1967 (aansluitingsbesluit Naks '), pris en exécution de cette loi. Il ressort du dossier que le commerçant en question avait acheté les produits litigieux auprès de producteurs affiliés à la Naks susdite.

3. La loi sur les semences et plantes du 6 octobre 1966 prévoit, à l'article 87, paragraphe 1, qu'" il peut être décidé pour une plante de culture... Que le fait de se livrer à titre professionnel à la production, la conservation et la transformation à d'autres fins qu'en vue de l'utilisation dans sa propre entreprise, ainsi qu'à la commercialisation, la revente, l'importation, l'exportation et l'offre en vue de l'exportation de matériel de reproduction, ou de faire exercer ces activités à titre professionnel, soit exclusivement réservé à une personne affiliée à une institution de contrôle prévue pour cette plante... ". L'article 88 de cette même loi, relatif aux institutions de contrôle, prévoit, en cas de non observation par un affili2 de l'obligation lui incombant en vertu des statuts ou des prescriptions générales en vigueur, l'application de sanctions de caractère pénal, y compris la mise sous surveillance ou une suspension temporaire de l'affiliation. En ce qui concerne plus particulièrement les plants de chrysanthème, l'article 1, paragraphe 1, a), de l'arrêté précité du 5 avril 1967 reprend l'interdiction énoncée par ladite règlementation, en réservant la commercialisation, la vente, l'importation, l'exportation et l'offre en vue de l'exportation de matériel de reproduction de ces plants aux personnes affiliées à une institution de contrôle. Cette institution, en l'espèce la Naks ci-dessus mentionnée, a été homologuée par le ministre de l'agriculture et de la pêche le 22 décembre 1967. L'article 26 de l'acte de constitution prévoit, pour les recours formés par l'affilié contre les décisions autres que celles concernant l'agréation du matériel de reproduction prises par l'un des organes de l'institution, la compétence obligatoire d'un organe propre de l'institution, dénomme " raad van beroep ", dont la composition et le fonctionnement sont régis par un règlement de procédure particulier et dont les jugements revêtent le caractère d'un avis liant les destinataires.

4. C'est au vu de cette règlementation nationale que la juridiction nationale a saisi la Cour du présent renvoi en lui posant les questions suivantes :

' 1. Faut-il interpréter les articles 30 à 47 inclus du traité CEE ainsi que le règlement n° 234-68 du Conseil, du 27 février 1968, portant établissement d'une organisation commune du marché dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture, en particulier l'article 10, paragraphe 1, de celui-ci, en ce sens qu'est entièrement incompatible avec ces dispositions une réglementation du genre de celle que prévoit l'article 87 de la " zaaizaad- en plantgoedwet " combine avec l'" Aansluitingsbesluit Naks ", règlementation qui, ainsi qu'il apparaît de la genèse de la loi, a principalement pour but de garantir la bonne qualité du matériel de reproduction à commercialiser et sur la base de laquelle il est interdit aux Pays-Bas à tout qui n'est pas affilié à la " stichting algemene keuringsdienst voor siergewassen ", de commercialiser, de revendre, d'importer et d'offrir à l'exportation du matériel de reproduction du chrysanthème (chrysanthemum morifolium ram), tels que des plants de chrysanthème, peu importe que ce matériel de reproduction satisfasse ou non aux critères de qualité fixes par ladite " stichting ".

2. Si les articles 30 à 47 précités et le règlement précité du Conseil doivent être compris en ce sens que la règlementation visée dans la première question n'est pas incompatible avec ces dispositions de droit communautaire - ou ne l'est que pour partie -, ces derniers tolèrent-elles l'existence d'une réglementation du type de celle qui est décrite dans le cadre de la première question et en vertu de laquelle l'affiliation à la " stichting " de ceux qui pratiquent le commerce de chrysanthèmes est limitée, aux termes des statuts de la " stichting " considérés en liaison avec les dispositions des articles 87 et 90 de la zaaizaad- en plantgoedwet, aux seuls postulants qui acceptent que les sentences du'" raad van beroep " de la " stichting " relatives aux décisions qu'un organe de la " stichting " a prises à leur endroit et qui ne regardent pas l'agréation du matériel de reproduction, revêtent le caractère d'un avis les liant, ce qui, en droit néerlandais, exclut tout recours de pleine juridiction devant le juge civil?

5. S'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d'une procédure introduite en vertu de l'article 177 du traité CEE, sur la compatibilité d'une règlementation de droit interne avec des dispositions de droit communautaire, elle est en revanche compétente pour fournir à la juridiction nationale tous éléments d'interprétation relevant du droit communautaire et permettant à celle-ci de juger de la compatibilité de cette règlementation avec les règles communautaires évoquées. Il y a donc lieu de considérer les questions posées comme tendant pour l'essentiel à savoir si les articles 30 à 47 inclus du traité et le règlement n° 234-68 du Conseil du 27 février 1968 s'opposent à ce qu'un Etat membre institue, dans le secteur des semences et des plantes, et plus particulièrement du matériel de reproduction, un cadre règlementaire tel que celui décrit par la juridiction nationale, réservant exclusivement aux personnes affiliées à une institution de contrôle déterminée la commercialisation, la vente, l'importation, l'exportation ou l'offre en vue de l'exportation dudit matériel.

6. Il est constant que les produits litigieux constituent des " plants " au sens de la sous position 06.02 D. S'agissant ainsi de produits relevant du chapitre 6 du TDC, ils sont régis, conformément à l'article 1 du règlement n° 234-68 du Conseil du 27 février 1968, par l'organisation commune établie par ce règlement. Ainsi que la Cour l'a affirmé dans sa jurisprudence - arrêt 190-73, Van Haaster, du 30 octobre 1974 (Recueil, p. 1123), arrêt 51-74, Van der Hulst's zonen, du 23 janvier 1975 (Recueil, p. 79) - le règlement n° 234-68 a établi, dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture relevant du chapitre 6 du TDC, une organisation de marché qui comporte, selon l'article 1, un " régime de normes de qualité et des échanges ". Le règlement affirme, dans son troisième considérant, que le régime de normes de qualité, arrêtées selon la procédure de l'article 43, paragraphe 2, du traité, pour des produits ou groupes de produits régis par l'organisation commune de marché, doit entre autres " avoir pour effet... de faciliter les relations commerciales sur la base d'une concurrence loyale " et n'interdit, à l'alinéa 2 de l'article 3, la circulation de ces produits ou groupes de produits que pour autant qu'ils ne répondent pas aux normes de qualités ci-dessus mentionnées.

7. Quant au " régime des échanges ", le règlement précise, dans son huitième considérant, que " l'organisation commune des marchés implique la suppression de tous les obstacles mis à la libre circulation des marchandises considérées aux frontières intérieures de la communauté ", et considère de ce fait les dispositions du traité portant suppression des obstacles tarifaires et commerciaux aux échanges intracommunautaires et, en particulier, les articles 30 et 34 relatifs à la suppression des restrictions quantitatives et de toutes mesures d'effet équivalent, à l'importation et à l'exportation, comme faisant partie intégrante de l'organisation commune des marchés dont il s'agit. A ces fins, l'article 10 du règlement interdit, parmi les obstacles mis à la libre circulation des marchandises " dans le commerce intérieur de la communauté... Toute restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent " et n'admet, sous certaines conditions, une dérogation temporaire à cette interdiction que pour les produits des positions tarifaires 06.02 A I, 06.02 B et 06.02 C II, à l'exclusion donc de ceux relevant, comme en l'espèce, de la position 06.02 D.

8. Il résulte ainsi de l'économie générale du règlement n° 234-68, qu'en ce qui concerne le commerce intérieur de la communauté, l'organisation commune de marché des produits en cause est fondée sur la liberté des transactions commerciales et s'oppose à toute règlementation nationale susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire.

9. Sont de ce fait incompatibles avec l'organisation commune établie par le règlement n° 234-68 toutes dispositions ou pratiques nationales susceptibles de modifier les Courants d'importation ou d'exportation par le fait de refuser aux producteurs d'opérer librement la commercialisation des produits concernés. Tel serait précisément le cas d'une règlementation nationale, du genre de celle litigieuse, qui subordonne la liberté des opérateurs économiques de commercialiser, de revendre, d'importer et d'exporter ou d'offrir à l'exportation le matériel de reproduction végétale dont il s'agit à la condition pour ces opérateurs d'être affiliés à un organisme public, ou homologué par l'autorité publique, tel que la Naks visée par la juridiction nationale. Une telle limitation de la liberté des transactions commerciales est contraire à l'article 10 du règlement n° 234-68 énonçant le principe d'un marché ouvert qui est à la base de l'organisation commune en cause et contrevient par ailleurs à l'exigence d'une concurrence loyale et efficace, puisqu'en raison de sa portée générale à l'égard des produits commercialises par des non affiliés, elle a pour effet d'éliminer du marché même les produits qui ont une qualité satisfaisante.

10. Pour ces raisons, il y a lieu de répondre à la première question qu'une réglementation nationale, du genre de celle visée par la juridiction nationale, par laquelle un Etat membre, directement ou par l'intermédiaire d'organes créés ou homologues par l'autorité publique, réservé exclusivement aux personnes affiliées à un tel organisme la commercialisation, la revente, l'importation, l'exportation et l'offre à l'exportation de matériel de reproduction végétale, tel que les plants de chrysanthème, régi par l'organisation commune des marchés dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture établie par le règlement n° 234-68 du Conseil du 27 février 1968 (JO 1968, n° L 55, p. 1) et, à défaut d'une telle affiliation, interdit de commercialiser, de revendre, d'importer d'exporter et d'offrir à l'exportation ces produits, quelle que soit leur qualité, est incompatible avec ledit règlement ainsi qu'avec les articles 30 et 34 du traité CEE.

11. Vu la réponse donnée à la première question, l'examen de la deuxième question est sans objet.

Sur les dépens

12. Les frais exposés par le Gouvernement du royaume des Pays-Bas et la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions a elle soumises par le Gerechtshof d'Amsterdam, par jugement du 10 mai 1979, dit pour droit :

Une réglementation nationale, du genre de celle visée par la juridiction nationale, par laquelle un Etat membre, directement ou par l'intermédiaire d'organes créés ou homologués par l'autorité publique, réservé exclusivement aux personnes affiliées à de tels organes la commercialisation, la revente, l'importation, l'exportation et l'offre à l'exportation de matériel de reproduction végétale, tel que les plants de chrysanthème, régi par l'organisation commune des marchés dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture établie par le règlement n° 234-68 du Conseil du 27 février 1968 (JO 1968, n° L 55, p. 1) et, à défaut d'une telle affiliation, interdit de commercialiser, de revendre, d'importer, d'exporter et d'offrir à l'exportation ces produits, quelle que soit leur qualité, est incompatible avec ledit règlement ainsi qu'avec les articles 30 et 34 du traité CEE.