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Décisions

CJCE, 17 janvier 1980, n° 95-79

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procureur du Roi

Défendeur :

Charles Kefer et Louis Delmelle

CJCE n° 95-79

17 janvier 1980

LA COUR,

1. Par jugements du 7 et du 30 mai 1979, parvenus à la Cour respectivement le 15 et le 19 juin 1979, le Tribunal de première instance de Namur (chambre correctionnelle) a posé à la Cour de justice, en application de l'article 177 du traité CEE, des questions préjudicielles relatives à l'interprétation du règlement n° 805-68 du conseil du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO 1968, n° L 148, p. 24), et du règlement n° 121-67 du conseil du 13 juin 1967, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc (JO 1967, n° L 117, p. 66).

2. Ces questions ont été soulevées à l'occasion de poursuites pénales engagées contre deux détaillants en viande à Andenne (affaire 95-79) et à Namur (affaire 96-79), auxquels il est fait grief d'avoir majore, respectivement le 14 octobre 1976 et le 13 avril 1977, les prix de vente au détail des viandes bovines et porcines, dans une mesure contraire aux dispositions de l'arrêté ministériel belge du 27 mars 1975 (moniteur belge du 29 mars 1975) qui, aux articles 1 et 2, prévoit que les prix de vente au consommateur des viandes bovines et, respectivement, des viandes porcines pratiques par les détaillants en viande ne peuvent dépasser les montants qui résultent du prix d'achat moyen pondéré, majoré d'une marge commerciale maximum de 22 BFR par kg, et du montant de la taxe sur la valeur ajoutée. A ces fins, l'article 2, paragraphe 4, de l'arrêté précise que le prix d'achat moyen pondéré est calcule en divisant le total des factures par type d'achat, taxe sur la valeur ajoutée non comprise, pendant les quatre semaines précédentes, par le nombre de kilos correspondant, moins 2,5 %.

3. Les deux prévenus ont fait valoir que les dispositions précitées sont incompatibles avec les règlements communautaires ayant institue les organisations communes de marché dans le secteur de la viande porcine et dans celui de la viande bovine et ne sauraient de ce fait constituer la base légale des deux poursuites engagées à leur égard.

4. Pour éclaircir ce problème, la juridiction nationale a pose à la Cour de justice, dans l'affaire 95-79, les questions suivantes :

' L'arrêté ministériel du 27 mars 1975 déterminant le prix de vente aux consommateurs de viandes bovines ou porcines a-t-il contenu une violation du :

1. Règlement (CEE) n° 805-68 du conseil du 27 juin 1968 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine, plus particulièrement article 5, 3, 1 : article 6, 1/a et b, et des règlements ayant etabli le prix de base de la viande bovine, plus particulièrement les règlements tels que rendus exécutoires par les règlements :

- n° 1652-72 du 31 juillet 1972 ;

- n° 1192-73 du 8 mai 1973 ;

- n° 667-74 du 28 mars 1974 ;

2. Règlement n° 121-67-CEE du conseil du 13 juin 1967 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, plus particulièrement article 3, 4, 1 : article 5, 1, alinéa 2, et des règlements ayant etabli le prix de base de la viande porcine, plus particulièrement les règlements rendus exécutoires par les règlements :

- n° 2305-71 du 29 octobre 1971 ;

- n° 1351-73 du 15 mai 1973 ;

- n° 1133-74 du 29 avril 1974.'

Dans l'affaire 96-79, ladite juridiction a pose à la Cour de justice la question suivante :

' Les dispositions de l'AM du 27 mars 1975 déterminant le prix de vente au consommateur des viandes bovines et porcines contiennent-elles une violation du règlement (CEE) n° 805-68 du conseil du 27 juin 1968 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine ?'

5. S'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d'une procédure introduite en vertu de l'article 177 du traité CEE, sur la compatibilité de normes de droit interne avec des dispositions de droit communautaire, elle est par contre compétente pour fournir à la juridiction nationale tous éléments d'interprétation relevant du droit communautaire et permettant à cette juridiction de juger de la compatibilité de ces normes avec la règle communautaire évoquée. Il y a partant lieu de considérer les questions posées comme tendant à savoir si et dans quelle mesure le règlement n° 121-67-CEE du conseil du 13 juin 1967, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, et le règlement (CEE) n° 805-68 du conseil du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine, laissent subsister un pouvoir pour les Etats membres de réglementer, par voie de normes internes, les prix de vente aux consommateurs dans les secteurs précités. Vu la connexité existant entre ces questions, il convient de les examiner conjointement.

6. En l'espèce, il ressort des articles 1 et 2 de l'arrêté ministériel du 27 mars 1975, visé par la juridiction nationale, que les mesures nationales litigieuses ont trait à la formation des prix au stade de la vente aux consommateurs. Il est d'autre part constant que les produits dont les prix sont affectes par les mesures susdites sont régis par l'organisation commune établie par le règlement n° 121-67 dans le secteur de la viande de porc et par le règlement n° 805-68 dans le secteur de la viande bovine.

7. Ainsi que la Cour l'a indiqué dans son arrêt du 29 juin 1978 (Dechmann, 154-77, Recueil p. 1573), en ce qui concerne le règlement n° 121-67, et dans son arrêt du 12 juillet 1979 (Grosoli, 223-78), en ce qui concerne le règlement n° 805-68, les organisations communes des marchés établies par ces règlements ont pour objet la réalisation, dans le secteur de la viande porcine et, respectivement, de la viande bovine, d'un marché unique pour la communauté, soumis a une gestion commune. En vue d'aboutir à cette unité des marchés, lesdits règlements ont institué un système réglementaire et un cadre d'organisation ou une place centrale revient a un " régime de prix " applicable aux stades de la production et du commerce de gros. Ces particularités des organisations communes des marchés établies par les règlements n° 121-67 et n° 805-68 ne sont affectées ni par les règlements adoptes ultérieurement par le conseil et vises par la juridiction nationale, qui ont uniquement pour objet de mettre en exécution les règlements de base précités en déterminant, pour chaque période considérée, certains éléments de leur régime de prix ou certaines conditions de commercialisation, ni, en ce qui concerne plus particulièrement le règlement n° 121-67, par le règlement n° 2759-75 du conseil du 29 octobre 1975 (JO 1975, n° L 282, p. 1), qui se limite à présenter une version codifiée du règlement n° 121-67 et des modifications ultérieures.

8. Ainsi que la Cour l'a en outre affirme dans sa jurisprudence - arrêt du 23 janvier 1975 (Galli, 31-74, Recueil p. 47), arrêts du 29 février 1976 (Tasca, 65-75, et Sadam, 88 a 90-75, Recueil p. 291 et p. 323), arrêt du 29 juin 1978 (Dechmann, 154-77, Recueil p. 1573), arrêt du 12 juillet 1979 (Grosoli, 223-78), arrêt du 18 octobre 1979 (Buys, 5-79) et arrêt du 11 novembre 1979 (Danis, 16 à 20-79) -, dans les domaines couverts par une organisation commune des marchés, à plus forte raison lorsque cette organisation est fondée sur un régime commun de prix, les Etats membres ne peuvent plus intervenir par des dispositions nationales, prises unilatéralement, dans le mécanisme de formation des prix, tel qu'il résulte de l'organisation commune. Par cette même jurisprudence, il a été précisé que les dispositions d'un règlement agricole communautaire comportant un régime de prix s'appliquant aux stades de la production et du commerce de gros laissent intact le pouvoir des Etats membres - sans préjudice d'autres dispositions du traité - de prendre des mesures appropriées en matière de formation des prix aux stades du commerce de détail et de la consommation, à condition qu'elles ne mettent pas en danger les objectifs ou le fonctionnement de l'organisation commune des marchés, notamment son régime de prix.

9. La fixation d'une marge commerciale maximale à prélever par le détaillant dans la vente au consommateur n'est pas, en principe, de nature a mettre en danger les objectifs et le fonctionnement d'une telle organisation, pourvu que la marge commerciale soit pour l'essentiel calculée à partir des prix d'achat, tels qu'ils sont pratiques au stade de la production et du commerce de gros, et de manière à ne pas affecter le fonctionnement du régime de prix sur lequel repose l'organisation commune des marchés concernée.

10. Tel n'est cependant pas le cas lorsque les prix d'achat pris en considération ne tiennent pas compte des frais de commercialisation et d'importation que le détaillant a effectivement exposés tant au stade de l'approvisionnement qu'a celui de la vente aux consommateurs, ou lorsque la marge commerciale elle-même est fixée à un niveau qui, compte tenu des modalités de calcul des prix d'achat, n'est pas propre à assurer au détaillant une rémunération équitable de son activité. Une marge commerciale ne répondant pas à ces conditions pourrait en effet comporter un blocage des prix maximaux à la vente au détail, qui serait de nature à affecter le mécanisme de fixation des prix aux stades antérieurs de commercialisation, tel qu'il résulte de l'organisation commune des marchés, ou à affecter les échanges intracommunautaires par une diminution appréciable des importations.

11. Pour ces raisons, il y a lieu de répondre à l'ensemble des questions posées que le règlement n° 121-67 du conseil du 13 juin 1967, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, et le règlement n° 805-68 du conseil du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine, considères l'un et l'autre à la lumière des autres règlements mentionnes par la juridiction nationale, ne s'opposent pas à la fixation unilatérale par un Etat membre d'une marge commerciale maximale pour la vente au détail des viandes porcines ou bovines, calculée essentiellement à partir des prix d'achat, tels que pratiques aux stades antérieurs de la commercialisation et variant en fonction de ces prix, pourvu que les prix d'achat servant au calcul de la marge soient majorés des frais de commercialisation et d'importation effectivement exposés par le détaillant au stade de l'approvisionnement et de la vente aux consommateurs, et que la marge soit fixée à un niveau qui n'entrave pas les échanges intracommunautaires.

Sur les dépens

12. Les frais exposés par le Gouvernement belge et la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions a elle soumises par le Tribunal de première instance de Namur par jugements du 7 mai 1979 (affaire 95-79) et du 30 mai 1979 (affaire 96-79),

Dit pour droit :

Le règlement n° 121-67 du conseil du 13 juin 1967, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, et le règlement n° 805-68 du conseil du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine, considères l'un et l'autre à la lumière des autres règlements mentionnes par la juridiction nationale, ne s'opposent pas à la fixation unilatérale par un Etat membre d'une marge commerciale maximale pour la vente au détail des viandes porcines ou bovines, calculée essentiellement à partir des prix d'achat, tels que pratiques aux stades antérieurs de la commercialisation et variant en fonction de ces prix, pourvu que les prix d'achat servant au calcul de la marge soient majorés des frais de commercialisation et d'importation effectivement exposés par le détaillant au stade de l'approvisionnement et de la vente aux consommateurs, et que la marge soit fixée à un niveau qui n'entrave pas les échanges intracommunautaires.