CJCE, 18 mai 1977, n° 111-76
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Officier van Justitie
Défendeur :
Beert van den Hazel
LA COUR,
1. Attendu que, par arrêt du 28 octobre 1976 enregistre au greffe de la Cour le 24 novembre 1976, le gerechtshof d'Amsterdam a posé en vertu de l'article 177 du traité une question préjudicielle visant à savoir si : " la réglementation prévue par le règlement " produktie slachtpluimveesector 1974 du " produktschap voor pluimvee en eieren " doit être jugée contraire au règlement n° 123-67-CEE du conseil de la Communauté économique européenne du 13 juin 1967, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille ou aux articles 30 a 37 du traité CEE';
2. Que la réglementation nationale visée par la question contingente, pour la seconde moitié de l'année 1974, l'abattage de volailles de chair, en fixant des quotas calcules par rapport à une période de référence ;
3. Qu'à l'occasion d'une poursuite pénale engagée contre l'exploitant d'un abattoir de volailles, du chef d'avoir abattu une quantité de poulets supérieure au contingent qui lui avait été alloué par le " produktschap voor pluimvee en eieren ", organisme de droit public assurant la gestion de l'organisation de marché dans ce secteur, la question s'est posée de savoir si la réglementation dont la violation était reprochée au prévenu n'était pas incompatible avec le règlement n° 123-67 du conseil ou avec les articles 30 à 37 du traité ;
4. Attendu que si la Cour, statuant dans le cadre de l'article 177 du traité, ne peut se prononcer sur l'interprétation et la validité de dispositions législatives ou réglementaires nationales, elle peut cependant fournir à la juridiction nationale les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui permettront à celle-ci de résoudre le problème juridique dont elle se trouve saisie ;
5. Qu'ainsi comprise, la question posée revient à savoir si le règlement n° 123-67 du conseil et, le cas échéant, les articles 30 à 37 du traité doivent être interprétés comme interdisant dans le secteur de la viande de volaille des mesures de restriction de la production ou de la commercialisation du type de celles mises en œuvre par la réglementation nationale visée ;
6. Attendu que l'organisation du marché dans le secteur de la viande de volaille instaurée par le règlement n° 123-67 du conseil comporte, en ce qui concerne le marché intérieur, l'interdiction d'aides d'état, de tout droit de douane ou taxe d'effet équivalent et de toute restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent ainsi que l'adoption de normes de commercialisation, mais n'instaure pas de système d'intervention sous quelque forme que ce soit ;
7. Que l'article 2 du règlement prévoit cependant qu'un certain nombre de mesures communautaires peuvent être prises par le conseil " en vue d'encourager les initiatives professionnelles et interprofessionnelles permettant de faciliter l'adaptation de l'offre aux exigences du marché, à l'exclusion de celles relatives au retrait du marché ";
8. Qu'à la date des faits litigieux et jusqu'à présent le conseil n'a pas fait usage des pouvoirs qui lui sont reconnus à cet égard ;
9. Attendu qu'une surproduction dans le marché de la viande de volaille et une baisse sensible des prix ayant été constatées au cours de l'année 1974, le conseil a, en vue de remédier à cette situation, alloue une aide financière à des campagnes de publicité en faveur de la consommation de ces produits tandis que la Commission, d'une part, favorisait l'exportation en augmentant les restitutions et, d'autre part, suggérait que les producteurs des différents Etats membres prennent des initiatives visant à limiter volontairement la production des volailles d'abattage ;
10. Que, selon les déclarations de la Commission au cours de la procédure orale, des mesures de concertation entre entreprises, d'ailleurs favorisées dans certains cas par des aides d'état, auraient, selon des méthodes différentes d'un Etat membre à l'autre, amené une baisse de la production d'environ 10 % par rapport à 1973, diminution qui, d'après le rapport de la Commission sur la situation de l'agriculture pour 1974, correspondait à l'objectif visé ;
11. Que cette concertation volontaire entre producteurs n'ayant, semble-t-il, pu être réalisée aux Pays-Bas, le produktschap, organisation de la profession dans ce secteur, a édicté, avec l'assentiment du ministre néerlandais de l'Agriculture, une mesure de contingentement de l'abattage des poulets de chair en fixant, pour la seconde moitie de 1974, des quotas calculés sur des quantités abattues pendant une période de référence ;
12. Que la question posée doit permettre de décider si, compte tenu de l'incitation, par les autorités communautaires, à réduire la production en vue de remédier à la baisse des prix, la mesure nationale litigieuse doit être considérée comme incompatible avec les dispositions du droit communautaire citées par la juridiction nationale ;
13. Attendu que, du moment que la communauté a adopté en vertu de l'article 40 une réglementation portant établissement d'une organisation commune des marchés dans un secteur déterminé, les Etats membres sont tenus de s'abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou a y porter atteinte ;
14. Que dans sa communication du 23 janvier 1967 au conseil (doc./CEE/sec (67) 115 final) la Commission justifie l'absence, dans le règlement relatif à l'organisation de marché de la viande de volaille qu'elle propose d'adopter, de toutes mesures d'intervention par la considération que, en raison de la nature de la production dans ce secteur, de la structure tant de cette production que de la commercialisation, ainsi que de la part importante des éléments variables dans les coûts de production " l'intervention sur le marché des oeufs et de la viande de volaille n'est pas souhaitable ";
15. Qu'elle avait, dans ce même document, également observé que l'adaptation rapide du volume de la production à la demande, caractéristique, selon elle, du marché de la viande de volaille, aurait pour effet que " avant que le mécanisme d'intervention visant à retirer du marché une certaine quantité de marchandises ait pu se traduire par des résultats positifs, des forces qui tiennent au processus même de la production sont déjà en marché pour redresser les prix a un niveau plus normal ";
16. Attendu qu'il découle de ces considérations que l'absence de mesures visant à retirer, le cas échéant, des produits du marché n'est pas le fruit d'une omission ou de la volonté de laisser des mesures de cette nature à l'appréciation des Etats membres, mais la conséquence d'un choix délibéré de politique économique s'en remettant essentiellement aux forces du marché pour assurer les équilibres souhaités ;
17. Attendu que cette conclusion se trouve confirmée non seulement par l'article 13 du règlement selon lequel sont interdites dans le commerce intracommunautaire toutes restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent, mais encore par l'article 2 de ce même règlement selon lequel des mesures peuvent être édictées en vue d'encourager les initiatives professionnelles et interprofessionnelles permettant de faciliter l'adaptation de l'offre aux exigences du marché, mais a " l'exclusion de celles relatives au retrait du marché ";
18. Qu'ainsi, il résulte tant de l'économie générale que des textes du règlement, qu'en ce qui concerne le commerce intérieur de la communauté l'organisation de marché du produit en cause est fondée sur la liberté des transactions commerciales, dans des conditions de concurrence loyale ;
19. Que, même si les restrictions nationales à l'abattage devaient être considérées comme visant la production et non la commercialisation des produits, elles sont interdites à la fois par l'article 2 du règlement n° 123-67 comme équivalant à un retrait de la marchandise et comme constituant des restrictions quantitatives de nature à affecter, à tout le moins potentiellement, le régime des échanges tel qu'organise par l'organisation de marché mise en place par le règlement n° 123-67 ;
20. Attendu qu'il y a cependant lieu d'examiner si la circonstance que la Commission aurait suggéré aux organisations professionnelles et interprofessionnelles de faire accepter une limitation volontaire de production par leurs membres ne justifierait pas une interprétation de l'article 2 selon laquelle serait conforme à cette disposition et, des lors, admissible, une décision d'une autorité publique nationale chargée de l'organisation de la profession qui imposerait une mesure de même nature à l'ensemble des entreprises concernées ;
21. Attendu que, si l'article 2 du règlement n° 123-67 prévoit, en vue d'adapter l'offre aux exigences du marché, la possibilité de recourir à des initiatives professionnelles et interprofessionnelles, c'est à la condition expresse qu'il s'agisse de mesures communautaires et à l'exclusion de celles relatives au retrait du marché ;
22. Que si l'adoption de mesures de nature communautaire n'implique pas nécessairement des modalités d'application à tous égards identiques sur l'ensemble du territoire de la communauté, elle exclut cependant des mesures adoptées de leur propre initiative par des organisations professionnelles et interprofessionnelles, chacune dans un cadre spécifiquement national, une action dispersée étant de nature à provoquer des discriminations entre producteurs et consommateurs et des distorsions dans les échanges entre Etats membres ;
23. Attendu, en outre, que, même si une concertation de cette nature entre producteurs ou associations de producteurs pouvait être considérée comme compatible avec le règlement n° 26-62 du 4 avril 1962 portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles (JO 30 du 20. 4. 1962, p. 993), de tels accords ne pourraient cependant avoir pour objet de violer la disposition expresse de l'article 2 du règlement n° 123-67 interdisant des mesures relatives au retrait du marché ;
24. Que l'on peut, des lors, sérieusement douter de la conformité avec l'article 2 du règlement n° 123-67 des incitations ou suggestions que la Commission aurait faites aux organisations professionnelles ou interprofessionnelles dans ce sens ;
25. Attendu que la circonstance que les autorités communautaires auraient favorise des pratiques non conformes au droit communautaire ne saurait conduire à admettre la compatibilité avec le règlement n° 123-67 de mesures édictées aux mêmes fins par un organisme public d'un Etat membre ;
26. Que, par ailleurs, il y a lieu d'observer qu'il y a, de toute façon, une différence marquée entre des mesures de réduction volontaire et des mesures contraignantes imposées par une autorité de droit public ;
27. Qu'il y a donc lieu de répondre à la question posée que le règlement n° 123-67 et en particulier ses articles 2 et 13 doivent être interprétés en ce sens que sont incompatibles avec ces dispositions des mesures édictées par les autorités nationales et visant à contingenter l'abattage des volailles de chair ;
28. Attendu que la réponse donnée rend sans objet une interprétation des articles 30 à 37 du traité ;
Sur les dépens
29. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement néerlandais et la Commission des communautés européennes qui ont soumis des observations à la Cour ne peuvent faire l'objet de remboursement ;
30. Que, la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question a elle soumise par le gerechtshof d'Amsterdam par arrêt du 28 octobre 1976 dit pour droit :
Le règlement n° 123-67 et en particulier ses articles 2 et 13 doivent être interprétés en ce sens que sont incompatibles avec ces dispositions des mesures édictées par les autorités nationales et visant à contingenter l'abattage des volailles de chair.