Livv
Décisions

CJCE, 22 janvier 1980, n° 30-79

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Land de Berlin

Défendeur :

Firma Wigei, Wild-Geflügel-Eier-Import GmbH & Co. KG

CJCE n° 30-79

22 janvier 1980

LA COUR,

1. Par ordonnance du 1 décembre 1978, parvenue au greffe de la Cour le 23 février 1979, le Bundesverwaltungsgericht a saisi, en application de l'article 177 du traité CEE, la Cour de justice d'une question relative à l'interprétation de l'article 15 de la directive du Conseil 71-118 du 15 février 1971 (JO n° L 55, p. 23) relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges de viandes fraîches de volaille.

2. Par cette question, il est demande si 'l'article 15 de la directive 71-118 du Conseil du 15 février 1971 autorise (-t-il) la perception d'une redevance destinée à couvrir les frais d'une inspection à l'importation de viandes fraîches de volaille provenant de pays tiers, qui a pour objet de déterminer si les lots sont munis des indications et des attestations nécessaires et si, sur la base d'échantillons prélevés, la viande de volaille présentée à l'importation s'avère propre à la consommation, alors que, d'après le droit de l'Etat membre, l'importation de ces viandes n'est autorisée qu'à la condition que dans le pays (tiers) d'exportation aient été respectées toutes les prescriptions de police sanitaire que la directive précitée imposé dans les échanges intracommunautaires au pays d'expédition et lorsque le pays tiers perçoit à ce titre d'après son droit une redevance? Faut-il tenir compte sous ce rapport du niveau de la redevance perçue dans le pays tiers'?

3. Cette question est posée à l'occasion d'un litige opposant l'administration du land de Berlin à une entreprise qui, ayant importé au cours de l'année 1976, à Berlin-Ouest, en provenance de Hongrie, des lots de viande fraîche de volaille, s'est vu réclamer, en application de la 'Gebuhrenverordnung - Geflugelfleischhygiene' (ordonnance sur les redevances de contrôle sanitaire en matière de viandes de volaille), des redevances liées aux contrôles sanitaires auxquels lesdites viandes ont été soumises à l'occasion de leur importation en exécution de là législation allemande sur l'hygiène des viandes de volaille (Geflugelfleischhygienegesetz du 12 juillet 1973 - BGBL. I, p. 776).

L'entreprise en question a contesté le paiement de ces redevances en faisant valoir qu'elles constituaient des taxes d'effet équivalant à des droits de douane dont la perception était incompatible avec l'article 11, paragraphe 2, du règlement n° 2777-75 du Conseil du 29 octobre 1975 (JO n L 282, p. 77) portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille, qui a remplacé, avec effet au 1 novembre 1975, l'article 11, paragraphe 2, du règlement n° 123-67 (JO p. 2301).

Selon ledit article 11, paragraphe 2, tel qu'il était rédigé au moment des importations litigieuses, 'sauf dispositions contraires du présent règlement ou dérogation décidée par le Conseil, statuant sur proposition de la Commission à la majorité qualifiée, sont interdites:

- la perception de tout droit de douane ou de taxe d'effet équivalent,

- l'application de toute restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent ...'

4. L'administration du land de Berlin a contesté ce point de vue en faisant valoir, dans un premier stade, que la notion de taxe d'effet équivalant à des droits de douane, appliquée à des redevances de contrôle sanitaire, avait une signification différente lorsqu'il s'agit d'importations en provenance de pays tiers ou dans le commerce intracommunautaire.

5. Le Bundesverwaltungsgericht, après avoir reconnu que les redevances litigieuses constituent effectivement des taxes d'effet équivalant à des droits de douane au sens tant de l'article

9. Du traité CEE que de l'article 11, paragraphe 2, des règlements n° 123-67 et 2777-75 (déjà cités), observe que cette dernière disposition comporte la possibilité de déroger à l'interdiction qu'elle édicte. Compte tenu de l'arrêt de la Cour de justice du 28 juin 1978 (affaire 70-77, Simmenthal, Recueil 1978, p. 1453), dans lequel la Cour a considéré que l'article 9 de la directive 64-433 du 26 juin 1964, relative a des problèmes sanitaires en matière d'échanges intracommunautaires de viandes fraîches (JO p. 2012), déroge à l'interdiction de percevoir des redevances de contrôle sanitaire dans l'organisation de marché concernée, la juridiction nationale pose la question de savoir si l'article 15 de la directive du Conseil 71-118 du 15 février 1971 comporte également pareille dérogation. Selon cette disposition, 'jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions communautaires relatives aux importations de viandes fraîches de volaille en provenance de pays tiers, les Etats membres appliquent à ces importations des dispositions au moins équivalentes à celles qui résultent de la présente directive'. Tout en déclarant qu'il n'a pas de doute sur la portée dérogatoire qu'il convient d'attribuer audit article 15, le Bundesverwaltungsgericht estime néanmoins nécessaire, en vue de clarifier la situation juridique, de poser la question d'interprétation ci-dessus mentionnée.

6. L'article 11, paragraphe 2, des règlements n° 123-67 et 2777-75 interdit effectivement de percevoir, dans les échanges de viandes fraîches de volaille avec les pays tiers, des droits de douane autres que ceux prévus au tarif douanier commun ou des taxes d'effet équivalent nationales, mais cette interdiction ne joue que sous réserve soit des dispositions contraires contenues dans ces règlements eux-mêmes - ce qui n'est pas le cas en ce qui concerne les redevances litigieuses - soit d'une dérogation décidée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission.

7. L'article 15 de la directive 71-118 du 15 février 1971, mentionnée par la juridiction nationale, constitue effectivement une dérogation au sens de l'article 11, paragraphe 2, des règlements n° 123-67 et 2777-75 à l'interdiction pour les Etats membres de percevoir des taxes d'effet équivalant à des droits de douane. Cette disposition est, en effet, rédigée en termes similaires à ceux de l'article 9 de la directive du Conseil 64-433 du 26 juin 1964 relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges intracommunautaires de viandes fraîches (JO p. 2012) et la rédaction des deux textes indique clairement leur portée identique.

8. Dans son arrêt du 28 juin 1978 (affaire 70-77, Simmenthal, précitée), la Cour a reconnu que ledit article 9 a pour objet spécifique d'instituer à titre provisoire, en attendant la mise en application d'un système communautaire de contrôle sanitaire des importations de viandes fraîches en provenance des pays tiers, une règle applicable aux régimes de contrôle sanitaire nationaux demeures en vigueur. En vue d'empêcher que ces régimes nationaux soient moins sévères et moins onéreux pour les produits en provenance de pays tiers que le régime de contrôles sanitaires imposés par la directive en question pour les échanges intracommunautaires, ce qui entraînerait des distorsions de concurrence, l'article 9 de la directive 64-433 prévoit que les contrôles 'pays tiers' ne doivent pas être 'plus favorables' que ceux qui régissent, en vertu de la directive, les échanges intracommunautaires. La Cour a précisé que cette règle tend a empêcher que les opérateurs économiques qui mettent sur le marché des viandes fraîches d'origine communautaire ne soient défavorisés par rapport à leurs concurrents qui importent des viandes en provenance de pays tiers et que des lors elle vise non seulement les contrôles eux-mêmes, mais encore les redevances perçues à cette occasion.

9. La rédaction similaire des articles 15 de la directive 71-118 et 9 de la directive 64-433 conduit à la conclusion qu'il faut reconnaître à l'article 15 de la directive 71-118, en ce qui concerne la possibilité pour les Etats membres de prélever des redevances de contrôle sanitaire, la même portée dérogatoire que celle qu'il y à lieu d'attribuer à l'article 9 de la directive 64-433.

10. Il en résulte que l'interdiction de percevoir des taxes d'effet équivalant à des droits de douane, édictée à l'article 11, paragraphe 2, des règlements n° 123-67 et 2777-75, ne peut être invoquée pour empêcher les Etats membres de percevoir aux frontières extérieures de la communauté des redevances liées aux contrôles sanitaires qu'ils effectuent sur les importations de viandes fraîches de volaille en provenance de pays tiers.

11. La circonstance que la directive 71-118 ne fait pas expressément mention de la perception de redevances de contrôle sanitaire à l'occasion des échanges intracommunautaires est à cet égard sans pertinence. La Cour a en effet reconnu dans son arrêt du 25 janvier 1977 (affaire 46-76, Bauhuis, Recueil 1977, p. 5) que des redevances nationales perçues à l'occasion de contrôles sanitaires imposés par une disposition communautaire - telle en l'occurrence la directive 71-118 (viandes de volaille) - uniformes et devant obligatoirement être effectués avant l'expédition dans l'Etat membre expéditeur, ne constituent pas des taxes d'effet équivalant à des droits de douane et peuvent donc être instaurées par les Etats membres à condition que leur montant ne dépasse pas le coût réel du contrôle à l'occasion duquel elles sont perçues. L'existence de ces redevances justifié à son tour la perception de redevances de contrôle sanitaire aux frontières extérieures de la communauté afin de satisfaire à l'obligation imposée aux Etats membres par l'article 15 de la directive 71-118 d'appliquer aux importations en provenance de pays tiers des dispositions 'au moins équivalentes' à celles qui résultent de cette même directive pour les échanges intracommunautaires des mêmes marchandises.

12. Il appartient des lors aux juridictions nationales saisies de litiges relatifs à des redevances de contrôle sanitaire perçues par un Etat membre à l'occasion d'importations dans cet Etat membre de viandes fraîches de volaille en provenance de pays tiers de comparer ces redevances avec les redevances intérieures que ce même état perçoit à l'occasion des contrôles internes prévus par la directive 71-118 pour les échanges intracommunautaires. Si une correspondance exacte entre les deux types de redevances ne saurait être exigée, d'une part, parce que l'article 15 de la directive 71-118 impose seulement des redevances aux frontières extérieures 'au moins équivalentes' aux charges résultant de la mise en œuvre de ladite directive sur le plan intracommunautaire et, d'autre part, parce qu'il n'est pas exclu que des contrôles aux frontières extérieures de la communauté se révèlent plus onéreux que des contrôles effectués dans l'Etat membre avant l'expédition, il y a cependant lieu d'observer que si les contrôles sanitaires aux frontières extérieures de la communauté étaient manifestement disproportionnés par rapport à l'objectif recherche ou si les redevances dépassaient manifestement le coût de ces contrôles, on se trouverait hors du champ d'application de la dérogation autorisée par l'article 11, paragraphe 2, des règlements n° 123-67 et 2777-75, précités.

13. Il ressort tant du libelle de la question posée que des motifs de l'ordonnance de renvoi que le Bundesverwaltungsgericht désire également être éclairé sur le point de savoir si la dérogation énoncée à l'article 15 de la directive 71-118 peut être invoquée dans l'Etat membre concerne pour percevoir des redevances de contrôle sanitaire lorsque: 1) là législation dudit Etat membre n'autorise l'importation de viande de volaille qu'à la condition qu'aient été respectées dans le pays tiers exportateur une série de prescriptions sanitaires d'un niveau équivalant à celles que les directives communautaires imposent pour les échanges entre Etats membres, en particulier des contrôles avant l'expédition, et 2) lorsqu'en outre ces contrôles donnent lieu, dans le pays tiers exportateur, à la perception de redevances.

14. Dans l'état actuel du droit communautaire, des contrôles sanitaires systématiques de la nature décrite dans la question posée et les redevances y afférentes n'appellent pas de réserves, même s'ils se révèlent plus sévères et si elles sont plus onéreuses que ceux et celles qui résultent, pour les échanges intracommunautaires, de l'application de la directive 71-118. Il résulte en effet du libelle même de l'article 15 de la directive 71-118 que cette disposition permet des contrôles plus rigoureux aux frontières extérieures que ceux prévus par la directive pour les échanges intracommunautaires. Par ailleurs, le droit communautaire ne fait pas obligation aux Etats membres de témoigner à l'égard des pays tiers du même degré de confiance que celui qui, sur la base de la directive 71-118, doit caractériser les relations entre Etats membres et dont la conséquence est la suppression des contrôles systématiques dans les échanges entre Etats membres.

15. Les mêmes considérations conduisent à la conclusion que la circonstance que des redevances de contrôle sanitaire ont été perçues dans le pays tiers exportateur est en principe sans influence sur le niveau des redevances de contrôles sanitaires perçues par les Etats membres aux frontières extérieures de la communauté. La seule limite tant en ce qui concerne la nature des contrôles qu'en ce qui concerne le niveau des redevances est celle déjà indiquée ci-dessus en ce sens que l'exception de l'article 15 de la directive 71-118 ne couvrirait pas et des redevances sans proportion avec le coût des contrôles, les Etats membres disposant cependant, a cet égard, d'une marge d'appréciation raisonnable.

16. Il y a des lors lieu de répondre au Bundesverwaltungsgericht que l'article 15 de la directive du Conseil 71-118 du 15 février 1971 relative a des problèmes sanitaires en matière d'échanges de viandes fraîches de volaille autorise un Etat membre à percevoir une redevance destinée à couvrir les frais d'une inspection à l'importation de viande fraîche de volaille provenant de pays tiers, même si le droit de cet Etat membre ne permet l'importation qu'à la condition que dans le pays tiers exportateur aient été respectées des prescriptions de police sanitaire d'un niveau équivalant à celles que la directive 71-118 imposé pour les échanges entre Etats membres et même si ces contrôles donnent déjà lieu dans le pays tiers exportateur à la perception de redevances. La circonstance que des redevances de contrôle sanitaire ont été perçues dans le pays tiers exportateur est en principe sans influence sur le niveau des redevances de contrôle sanitaire perçues par les Etats membres aux frontières extérieures de la communauté. Ces contrôles peuvent être systématiques et avoir pour objet de déterminer si les lots importés sont munis des indications nécessaires et si, sur la base d'échantillons prélevés, la viande de volaille présentée à l'importation s'avère propre à la consommation. Il importe cependant d'observer que si les contrôles sanitaires aux frontières extérieures de la communauté étaient manifestement disproportionnés par rapport à l'objectif recherche ou si les redevances dépassaient manifestement le coût des contrôles, on se trouverait hors du champ d'application de la dérogation autorisée par l'article 11, paragraphe 2, du règlement du Conseil n° 2777-75 du 29 octobre 1975 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille.

Sur les dépens

17. Les frais exposés par le Gouvernement allemand et par la Commission des Communautés Européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement; la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question a elle soumise par le Bundesverwaltungsgericht, par ordonnance du 1 décembre 1978, enregistrée à la Cour le 23 février 1979, dit pour droit:

1) L'article 15 de la directive du Conseil 71-118 du 15 fevrier 1971 relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges de viandes fraîches de volaille autorise un Etat membre à percevoir une redevance destinée à couvrir les frais d'une inspection à l'importation de viande fraîche de volaille provenant de pays tiers, même si le droit de cet Etat membre ne permet l'importation qu'à la condition que dans le pays tiers exportateur aient été respectées des prescriptions de police sanitaire d'un niveau équivalant à celles que la directive 71-118 impose pour les échanges entre Etats membres et même si ces contrôles donnent déjà lieu dans le pays tiers exportateur à la perception de redevances.

2) La circonstance que des redevances de contrôle sanitaire ont été perçues dans le pays tiers exportateur est en principe sans influence sur le niveau des redevances de contrôle sanitaire perçues par les Etats membres aux frontières extérieures de la communauté. Ces contrôles peuvent être systématiques et avoir pour objet de déterminer si les lots importés sont munis des indications nécessaires et si, sur la base d'échantillons prélevés, la viande de volaille présentée à l'importation s'avère propre à la consommation.

3) si les contrôles sanitaires aux frontières extérieures de la Communauté étaient manifestement disproportionnes par rapport à l'objectif recherche ou si les redevances dépassaient manifestement le coût des contrôles, on se trouverait hors du champ d'application de la dérogation autorisée par l'article 11, paragraphe 2, du règlement du Conseil n° 2777-75 du 29 octobre 1975 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille.