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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 10 octobre 1999, n° 99-01694

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Avocat général :

Mme Auclair

Conseillers :

Mme Marie, M. Seltensperger

Avocat :

Me Soustiel

CA Paris n° 99-01694

10 octobre 1999

Rappel des faits

Le 9 avril 1997, la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Rhône constatait, dans une station-service, l'exposition à la vente d'articles textiles de marque A comportant un étiquetage dont les mentions d'entretien étaient écrites en langue étrangère ; ces articles provenaient de la société à responsabilité limitée B qui s'était approvisionnée auprès de la société C à Lentilly (Rhône), dont le gérant indiquait qu'il était distributeur agréé de la société à responsabilité limitée X ;

Six cent soixante et onze produits (sweat et tee-shirt) destinés à être commercialisés étaient relevés dans les locaux de la société C, comportant, sur l'étiquetage, les mentions suivantes : "Machine wash warm / do not bleach ; Do not iron decoration ; Do not dry clean/tumble dry medium ; Manufactured by/Fabricado por Y ; Made in Ireland";

Sur ce:

Considérant que les articles 1er et 2 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 disposent :

- article 1er: "Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics. Elle est le lieu privilégié des États constituant la communauté de la francophonie";

- article 2: "Dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue des conditions de garantie d'un bien ou d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire..."

Que le décret n° 95-240 du 3 mars 1995 sanctionne les personnes physiques d'une amende contraventionnelle de 5 000 F au titre des infractions aux dispositions citées ci-dessus et les personnes morales d'une amende de 25 000 F;

Considérant que la société prévenue fait valoir que les étiquettes litigieuses sont conformes à la loi du 4 août 1994 aux motifs que les instructions d'entretien des vêtements vendus, en langue anglaise, sont reprises, chacune, sous la forme d'un pictogramme, que les indications en cause ne sont pas des indications essentielles obligatoires mais seulement facultatives et que les informations données aux consommateurs sont facilement compréhensibles par eux ;

Mais considérant que, si la société X a estimé devoir faire inscrire, sur les étiquettes de ses vêtements, le texte incriminé dans une et même deux langues étrangères, dont il n'est au demeurant pas contestable que ledit texte n'est nullement obligatoire, c'est sur le fondement de la loi du 4 août 1994 qu'elle est poursuivie, et non sur l'un de ces contenus dans le Code de la consommation;

Que le moyen soulevé, tendant à convaincre la cour que le "consommateur moyen " est, quelle qu'ait été la langue employée, française ou étrangère, suffisamment informé, est inopérant dans le cadre de la prévention, et ce, quel que soit le caractère facultatif des inscriptions incriminées et quel que soit leur caractère le cas échéant compréhensible;

Considérant que la société prévenue n'établit en aucune façon que la loi n° 94-665 du 4 d'août 1994 relative à l'emploi de la langue française constituerait une entrave à la libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne en tant qu'instaurant une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation et qu'elle serait, comme telle, contraire aux articles 30 et suivants, notamment 36 du traité de Rome;

Que ladite loi, contrairement à ce que soutient la société prévenue, ne tend pas à réglementer l'étiquetage des produits du commerce, mais, généralement, à imposer l'utilisation de la langue française, "élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France", dans le cadre de "l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics" ;

Qu'il y a lieu de rejeter les demandes formées par la société à responsabilité X à ce titre et, par voie de conséquence, celle, présentée à titre subsidiaire tendant à ce que la cour pose une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes;

Considérant, en conséquence, que, compte tenu de l'ensemble des éléments soumis à l'appréciation de la cour et des débats à l'audience, il y a lieu, les faits étant constants, de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité de la société X ;

Que, en répression, il y a lieu de faire une application plus sévère de la loi pénale ainsi qu'il sera dit au dispositif du présent arrêt ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement; Rejetant les demandes présentées par la société prévenue ; Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité de la société à responsabilité limitée X ; L'infirme en répression ; Condamne la société X à six cent soixante et onze amendes de cinquante francs ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.