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Décisions

CJCE, 11 décembre 1985, n° 192-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République hellénique

CJCE n° 192-84

11 décembre 1985

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 juillet 1984, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître qu'en octroyant des conditions de crédit plus favorables à l'achat de machines agricoles grecques au détriment des machines de même nature importées d'Etats membres de la Communauté, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité, en liaison avec l'article 35 de l'acte d'adhésion, et qu'en omettant de répondre aux demandes répétées de la Commission visant à obtenir des informations au sujet des machines concernées par ladite pratique discriminatoire, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 5 du traité.

2. Il ressort du dossier que, le 18 septembre 1970, l'ancien Comité de coordination de la politique économique de la République hellénique a adopté une décision (n° 749) qui, entre autres, imposait à la banque agricole de Grèce, principal organisme de crédit pour le secteur agricole, de ne financer l'achat de machines agricoles importées que sur présentation d'une attestation du ministère de l'Industrie certifiant formellement l'absence de fabrication nationale de machines du même type.

3. Par lettre du 22 septembre 1981, le Comité monétaire de la République hellénique a communiqué à toutes les banques un extrait du procès-verbal de sa séance du 20 août 1981, aux termes duquel le comité avait décidé qu' " à partir de la publication de la présente décision, toutes les décisions relatives à l'aide à la fabrication nationale de machines agricoles adoptées en son temps par le comité de coordination de la politique économique sont abrogées " et que, " dans les conditions prévues par les dispositions en vigueur, la banque agricole de Grèce offre aux agriculteurs et aux organisations coopératives des possibilités d'aides financières à l'achat au comptant de machines agricoles provenant tant de la production nationale que de celle des pays de la Communauté économique européenne ". Il ressort en outre de la décision susvisée qu'elle " sera publiée au Journal officiel " grec. Par sa décision 1748 du 24 septembre 1981, le Comité économique de la République hellénique a " approuvé l'abrogation de la décision 749 du Comité de coordination de la politique économique, du 18 septembre 1970 ".

4. La Commission déclare avoir été saisie, dès les premiers mois suivant l'adhésion de la Grèce le 1er janvier 1981 et pendant toute la durée des années 1981 et 1982, de plaintes relatives au traitement discriminatoire pratiqué à l'égard de machines agricoles d'origine communautaire importées en Grèce. La Commission n'a pas explicité le contenu de ces plaintes, sauf à indiquer que le traitement discriminatoire résultait " d'un ensemble de dispositions administratives découlant de la décision 749-70 ".

5. A la suite de ces plaintes, la Commission a demandé au Gouvernement hellénique de lui communiquer " les textes des actes applicables en matière d'octroi de prêts pour l'achat de machines agricoles ainsi que les mesures prises en vue de l'application de ces actes ". Bien qu'aucun texte en cette matière n'ait été transmis par le Gouvernement concerné, la Commission est entrée en possession d'une circulaire n° 96, du 6 mai 1982, de la banque agricole de Grèce, par laquelle cette banque a diffusé à ses services compétents une note n° PH 5.3/42 du ministère de l'Industrie et de l'Energie, du 31 mars 1982. Dans cette note, le ministère prie la banque, 'aussi longtemps que la décision 749-70 de l'ancien Comité de coordination de la politique économique continuera d'être appliquée,... de veiller à ce que vos services exigent, pour l'octroi de prêts à l'achat des centrifugeuses et décanteurs... (pour l'équipement des huileries), que les intéressés produisent une attestation de nos services certifiant qu'il n'existe pas de fabrication des machines en cause par l'industrie nationale'. Dans sa circulaire, la banque prie ses services de faire le nécessaire pour l'application de cette note " et cela, en relation avec les instructions qui vous ont été données en ce qui concerne la préférence à accorder aux produits de fabrication nationale ".

6. Après l'introduction du présent recours, le ministère compétent a révoqué la note n° PH 5.3/42 par une lettre adressée à la banque le 23 septembre 1984 et, par une circulaire n° 238 du 24 septembre suivant, la banque a abrogé sa circulaire n° 96-82 en indiquant qu' " en conséquence, vos services ne demanderont plus aux intéressés de produire de certificat attestant que les appareils... pour les huileries n'ont pas été fabriqués par l'industrie nationale ".

7. Par lettre du 13 septembre 1983, la Commission a mis le Gouvernement de la République hellénique en demeure de présenter, dans le délai d'un mois, ses observations au sujet des mesures décrites ci-dessus, considérées comme étant contraires aux articles 30 et suivants du traité, ainsi que de son omission de fournir à la Commission les éléments d'information nécessaires pour l'appréciation de l'affaire, omission que la Commission a estimée contraire à l'article 5 du traité. Les autorités grecques n'ayant pas donné de suite à la mise en demeure de la Commission, celle-ci a émis, le 16 mars 1984, un avis motivé au titre de l'article 169, alinéa 1, du traité, en accordant au Gouvernement Hellénique un délai d'un mois pour s'y conformer.

8. Par lettre du 2 juillet 1984, le Gouvernement hellénique a répondu que la décision 749-70 avait été abrogée en août 1981 comme contraire aux articles 30 et suivants du traité, que, depuis cette abrogation, aucun acte législatif nouveau n'avait été adopté et que les documents postérieurs, auxquels la Commission avait fait référence, étaient donc dépourvus de validité et n'étaient pas appliqués. N'étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a introduit le présent recours.

9. La Commission fait valoir que tant la note n° PH 5.3/42 du ministère de l'Industrie et de l'Energie, du 31 mars 1982, que la circulaire n° 96-82 de la banque agricole établissent l'existence d'une pratique discriminatoire au détriment des machines importées, en ce qui concerne les machines destinées aux huileries.

10. Une telle pratique serait incompatible avec l'article 30 du traité, qui interdit aux Etats membres d'appliquer des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent dans les échanges intracommunautaires. En vertu de l'article 35 de l'acte d'adhésion, cette interdiction s'appliquerait également à la Grèce à partir de la date de l'adhésion, le 1er janvier 1981. Les mesures en cause favoriseraient l'écoulement des machines fabriquées en Grèce, au détriment des machines importées, les acheteurs étant sinon obligés, du moins incités, à porter leur choix sur une machine de fabrication grecque pour recevoir un prêt de la banque agricole, laquelle constituerait le principal organisme de crédit dans ce secteur.

11. Selon la Commission, tant les documents produits par elle que les plaintes reçues démontrent que la pratique discriminatoire n'a pas pris fin avec l'abrogation de la décision 749-70 le 20 août 1981. La note ministérielle n° PH 5.3/42 du 31 mars 1982 et la circulaire n° 96-82 de la banque agricole y afférente ne seraient que des exemples d'une politique générale s'appliquant à toutes sortes de machines agricoles et poursuivie même après la révocation formelle de ces derniers actes.

12. La Commission admet que, s'agissant d'autres catégories de machines que celles destinées aux huileries, elle n'est pas en mesure de donner des précisions. Ce fait serait toutefois dû à l'omission par le Gouvernement hellénique de fournir les textes relatifs à ces autres machines, omission qui constituerait une violation du devoir de coopération découlant de l'article 5 du traité.

13. Le Gouvernement hellénique reconnaît qu'une pratique administrative accordant des conditions de crédit plus favorables à l'achat de machines agricoles nationales, au détriment de machines de même nature importées d'autres Etats membres, constitue une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation. Il conteste toutefois formellement qu'une telle pratique ait subsisté après l'abrogation de l'ancienne décision 749-70 par les deux décisions prises respectivement le 20 août et le 24 septembre 1981 par le comité monétaire et le comité économique.

14. La note ministérielle n° PH 5.3/42 du 31 mars 1982 n'aurait pas eu de base légale et aurait donc été dépourvue de validité. Elle n'aurait jamais été appliquée et aurait même été révoquée à la demande de la Commission, bien que cela n'eut pas été nécessaire d'un point de vue juridique.

15. Le Gouvernement hellénique fait enfin valoir que, dès le début de l'enquête de la Commission, il n'existait plus de règles, à caractère législatif ou autre, relatives à des conditions de crédit plus favorables à l'achat de machines agricoles grecques qu'à l'achat de machines de même nature importées d'autres Etats membres. Pour cette raison, il n'aurait pas été en mesure de fournir le texte de pareilles règles à la Commission. En conséquence, il n'y aurait pas eu violation de l'article 5 du traité.

16. Il convient d' abord d'observer que la décision 749-70, du 18 septembre 1970, du Comité de coordination de la politique économique était en vigueur à la date de l'adhésion de la République hellénique à la Communauté économique européenne et qu'elle comportait des conditions de crédit plus favorables à l'achat de machines agricoles nationales qu'à l'achat de machines importées des autres Etats membres. Ainsi que le Gouvernement hellénique l'a expressément reconnu, de telles règles constituent une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives, en ce qu'elles incitent l'acheteur à porter son choix sur des machines de production nationale. Elles relèvent donc de l'interdiction prévue à l'article 30 du traité qui, conformément à l'article 35 de l'acte d'adhésion, a été applicable à la République hellénique dès son adhésion. Il ressort du dossier que ladite décision n'a été abrogée qu'au moment où la décision du comité monétaire, du 20 août 1981, approuvée par le comité économique le 24 septembre 1981, est entrée en vigueur par sa publication au Journal officiel grec. Cependant, ce moment se situe, de toute manière, avant l'expiration du délai que la Commission a indiqué dans son avis motivé. De ce fait, le maintien en vigueur de la décision 749-70 après l'adhésion ne fait pas partie de la présente affaire en manquement.

17. Il convient ensuite d'observer que, par sa note n° PH 5.3/42, du 31 mars 1982, le ministère de l'Industrie et de l'Energie a demandé à la banque agricole de Grèce d'exiger, pour l'octroi de prêts à l'achat des centrifugeuses et décanteurs importés pour l'équipement des huileries, une attestation du ministère qu'il n'existe pas de fabrication des machines en cause par l'industrie nationale. Bien que cette note renvoie à la décision 749-70 abrogée et qu'elle soit, selon le Gouvernement hellénique, dépourvue de validité, le seul fait que, par sa circulaire n° 96-82, la banque agricole l'a diffusée à ses services et a prié ceux-ci d'y donner suite suffit pour constater que la note a créé une situation ambiguë et incertaine, au détriment des machines importées. Il n'a été mis fin à cette situation que par la lettre du ministère du 23 septembre 1984, révoquant ladite note, et par la circulaire n° 238 de la banque agricole du 24 septembre 1984, abrogeant la circulaire n° 96-82. Une telle situation doit être considérée comme constituant, en soi, une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30. Il y a donc lieu de constater l'existence d'un manquement en ce qui concerne les machines mentionnées dans la note pour la période comprise entre sa transmission à la banque et sa révocation.

18. Par contre, la Commission n'a pas apporté des éléments de preuve suffisants pour établir que ladite note n'est qu'un exemple d'une politique générale de la part du Gouvernement hellénique visant à accorder à l'achat de machines agricoles grecques des conditions de crédit plus favorables qu'à l'achat de machines de même nature importées des autres Etats membres, voire qu'une telle politique s'est poursuivie après la révocation de la note.

19. En ce qui concerne la violation alléguée de l'article 5 du traité, il y a lieu de souligner que cette disposition impose aux Etats membres l'obligation de faciliter l'accomplissement de la mission que l'article 155, premier tiret, a confiée à la Commission, à savoir la tache de veiller à l'application des dispositions du traité et de celles prises par les institutions en vertu de celui-ci. Les Etats membres sont donc tenus à coopérer de bonne foi à toute enquête entreprise par la Commission en vertu de l'article 169 et de fournir à celle-ci toutes les informations demandées à cette fin. Dans le cas d'espèce, il convient de constater, à cet égard, que la procédure précontentieuse fait apparaître des malentendus, dont certains auraient pu être évités si le Gouvernement hellénique avait fourni plus d'informations à la Commission.

20. Cependant, il n'en reste pas moins que la Commission, lorsqu'elle introduit un recours en manquement pour violation de l'article 5, doit préciser les actes ou omissions constituant, à son avis, une telle violation. Au cours de la procédure devant la Cour, la Commission a précisé que ses griefs concernent l'omission par le Gouvernement hellénique de lui communiquer le texte des dispositions régissant les conditions de crédit à l'achat d'autres machines agricoles que celles visées par la note n° PH 5.3/42 précitée. Or, compte tenu de l'affirmation de ce Gouvernement selon laquelle il n'existait plus, à l'époque, de règles de crédit favorisant les machines agricoles grecques par rapport aux machines importées d'autres Etats membres, sauf justement la note précitée, l'omission de donner suite aux demandes de la Commission de lui fournir le texte de telles règles ne saurait être estimée contraire à l'article 5 du traité. Comme la Commission n'a pas précisé d'autres éléments de fait susceptibles de constituer un manque de coopération caractérisé de la part du Gouvernement hellénique, il convient de rejeter le recours en tant qu'il est basé sur l'article 5 du traité.

21. Il convient donc de conclure que la République hellénique, en n'ayant révoqué que le 23 septembre 1984 la note n° PH 5.3/42 du ministère de l'Industrie et de l'Energie, du 31 mars 1982, invitant la banque agricole de Grèce à veiller à ce que les services de celle-ci exigent, pour l'octroi de prêts à l'achat de centrifugeuses et de décanteurs pour l'équipement des huileries, que les intéressés produisent une attestation du ministère relative à l'absence d'une fabrication grecque de telles machines, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE, en liaison avec l'article 35 de l'acte d'adhésion. En revanche, le recours doit être rejeté pour le surplus.

Sur les dépens

22 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, alinéa 1, du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Dans le cas d'espèce, il y a lieu de faire usage de cette possibilité et de faire supporter à chaque partie ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) la République hellénique, en n'ayant révoqué que le 23 septembre 1984 la note n° PH 5.3/42 du ministère de l'Industrie et de l'Energie, du 31 mars 1982, invitant la banque agricole de Grèce à veiller à ce que les services de celle-ci exigent, pour l'octroi de prêts à l'achat de centrifugeuses et de décanteurs pour l'équipement des huileries, que les intéressés produisent une attestation du ministère relative à l'absence d'une fabrication grecque de telles machines, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE, en liaison avec l'article 35 de l'acte d'adhésion.

2) le recours est rejeté pour le surplus.

3) chacune des parties supportera ses propres dépens.