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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 27 janvier 1997, n° 96-03971

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Avocat général :

M. Blanc

Conseillers :

MM. Guilbaud, Paris

Avocat :

Me Bailly-Caplan

T. pol. Paris, 2e ch., du 7 mars 1996

7 mars 1996

Rappel de la procédure:

La prévention:

Y Olivier est poursuivi pour l'emploi de terme étranger dans un document commercial malgré l'existence de mot français équivalent, vente de matériels informatiques avec un mode d'emploi rédigé en langue anglaise, en l'espèce 61 matériels

- 8 souris pour micro-ordinateur de marque "Glidepoint"

- 17 souris pour micro-ordinateur de marque "Life Time Point";

- 7 logiciels pour micro-ordinateur de marque "CD Rom Webster's";

- 20 logiciels pour micro-ordinateur de marque "Image Sharpner"

- 7 logiciels pour micro-ordinateur de marque "Video Graphics Accelerator for Avi and Mpeg play-back";

- 7 logiciels pour micro-ordinateur de marque "CD Rom Kodak Photo CD Access Software and Samplers"

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, par application de l'article 410 al. 1 du Code de procédure pénale, a :

Rejeté les exceptions soulevées, déclaré Y Olivier coupable d'emploi de terme étranger dans document commercial malgré l'existence de mot français équivalent,

Faits commis le 14 juin 1995, à Paris,

Infraction prévue par les articles 3, 1 al. 1, 2 loi 75-1349 du 31/12/1975, décret 72-19 du 07/01/1972 et réprimée par les articles 3 loi 75-1349 du 31/12/1975, articles L. 214-2 al. 1 Code de la consommation

Et, en application de ces articles,

L'a condamné à 61 amendes de 100 F chacune,

Dit que la décision était assujettie à un droit fixe de procédure de 150 F dont est redevable chaque condamné.

Déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Philippe Maillard.

Les appels:

Appel a été interjeté par :

Monsieur Y Olivier, le 15 mars 1996, sur les dispositions pénales,

SA X, le 15 mars 1996, sur les dispositions pénales,

M. l'Officier du Ministère public, le 15 Mars 1996 contre SA X, Monsieur Y Olivier

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par Y Olivier et la SA X des seules dispositions pénales du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé de la prévention. Le Ministère public a également interjeté appel de cette décision à l'encontre de Olivier Y et de la SA X;

Représenté par son conseil la SA X accepte de comparaître volontairement devant la cour ;

Par voie de conclusions conjointes Olivier Y et la SA X, qui reprennent pour l'essentiel l'argumentation par eux développée dans leurs écritures de première instance, soulèvent, in limine litis, la nullité de la procédure;

Subsidiairement au fond ils sollicitent de la cour, par infirmation, leur relaxe des fins de la poursuite et, très subsidiairement, l'indulgence ;

Monsieur l'avocat général requiert pour sa part la cour de joindre l'incident au fond, de rejeter les exceptions de nullité soulevées et de confirmer le jugement déféré ;

Considérant qu'après en avoir délibéré la cour a joint les incidents au fond ;

Considérant qu'il convient de statuer par un seul et même arrêt sur les incidents et sur le fond ;

Sur les exceptions de nullité

Les procès-verbaux de déclaration en date du 14 juin 1995

Considérant que vainement les concluants soutiennent que les deux procès-verbaux du 14 juin 1995, dits procès-verbaux de déclaration, étaient en réalité des procès-verbaux de constatation et qu'ils auraient dû dès lors être adressés au Procureur de la République dans le délai de 5 jours exigé à peine de nullité par l'article 18 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 ;

Considérant en effet que peu importe que les personnes entendues le 14 juin 1995 aient utilisé à plusieurs reprises l'expression "vous constatez" lors de leurs déclarations ;

Que malgré cette impropriété de langage il n'en demeure pas moins que le procès-verbal de contravention proprement dit, établi à l'issue de l'enquête, l'a été le 7 septembre 1995 et que seul ce procès-verbal devait être transmis au Procureur de la République dans le délai prévu par l'article 18 de la loi du 4 août 1994 ;

Que dès lors la cour rejettera l'exception de nullité soulevée ;

Le procès-verbal de contravention du 7 septembre 1995

Considérant que les concluants exposent qu'ils n'ont pas trouvé au dossier la preuve de la transmission au Parquet dans les cinq jours du procès-verbal de contravention du 7 septembre 1995 ;

Considérant que la cour constate que cette preuve résulte d'un document intitulé "feuille de transmission d'un dossier au Procureur de la République" ;

Que ce document, daté du 8 septembre 1995 est signé du chef du Service Départemental de l'Administration concernée ;

Considérant que la cour rejettera l'exception de nullité soulevée ;

Sur l'application du décret n° 95-240 du 3 mars 1995

Considérant que les concluants soutiennent que les agents de la Direction Départementale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes, qui avaient effectivement identifié les biens ou produits mis en cause et présumé l'infraction, avaient, par application des articles 5 et 6 du décret n° 95-240 du 3 mars 1995, l'obligation de prélever des échantillons et de les mettre sous scellés ;

Que le non-respect de cette garantie essentielle des droits de la défense et du principe du contradictoire a entaché de nullité la procédure ;

Considérant que la cour observe, comme les premiers juges, que les dispositions de l'article 16 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française n'imposent aucunement le prélèvement d'un exemplaire des biens ou produits mis en cause ;

Considérant que, par ailleurs, les dispositions des articles 5 et 6 du décret n° 95-240 du 3 mars 1995 ne sont pas prévues à peine de nullité;

Qu'en l'espèce la matérialité des faits n'étant pas con[testée], le non-respect des dispositions précitées n'a pu avoir pour effet de porter atteinte aux intérêts des parties concernées ;

Que par suite la cour rejettera l'exception de nullité soulevée ;

Sur la non-production de pièces

Considérant que les concluants exposent que le second procès-verbal en date du 7.9.1995 fait mention d'une plainte d'un M. Raymond Alexandre mais que nulle part la procédure ne mentionne l'identité complète de ce plaignant, son activité professionnelle et surtout le contenu exact de la dite plainte ;

Que de même ne figurent pas au dossier les annexes 13 et 14 mentionnées au procès-verbal ;

Que si l'on peut supposer à la lecture du procès-verbal que la côte n° 14 reproduit le contenu du décret 95-240 du 3 mars 1995, ce qui dès lors ne fait pas grief, en revanche, rien n'est dit s'agissant de la côte n° 13;

Considérant que la matérialité des faits n'étant aucunement contestée les omissions ou prétendues omissions relevées par les concluants n'ont pu avoir pour effet de porter atteinte aux intérêts des parties concernées;

Considérant que la cour rejettera l'exception de nullité soulevée ;

Sur la date de rédaction du procès-verbal de contravention

Considérant que les concluants exposent que les procès-verbaux de déclaration ont été rédigés le 14 juin 1995 et le procès-verbal de contravention, seulement le 7 septembre 1995 ;

Qu'ils soutiennent que le procès-verbal de contravention ne contenant que les éléments réunis dès le 14 juin, un délai de deux mois n'était pas justifié pour sa rédaction ;

Considérant que la cour observe que le délai écoulé entre les procès-verbaux de déclaration et le procès-verbal de contravention est des plus raisonnable surtout compte tenu de la période estivale ;

Que l'article 6-3 a de la Convention européenne des Droits de l'Homme mentionné par les concluants dans leurs écritures est rigoureusement inapplicable en l'espèce ;

Que la cour rejettera l'exception de nullité soulevée ;

Sur les mentions des procès-verbaux du 14 juin 1995

Considérant que les concluants exposent que ces deux procès-verbaux comportent, pré-imprimé, en marge de la première page un nota bene qui précise que "le déclarant sera invité à signer, après lecture de sa déclaration, sous la mention "lecture faite persiste et signe" ;

Que force est de constater

- que cette mention n'a pas été rayée sur les procès-verbaux

- mais que pour autant elle ne figure pas à la fin des procès-verbaux

Considérant que la cour observe que les procès-verbaux du 14 juin 1995 sont régulièrement signés par la personne entendue et les agents de l'Administration ;

Que l'exception de nullité soulevée sera rejetée ;

Sur les mentions du procès-verbal du 7 septembre 1995

Considérant que les prévenus ne peuvent utilement faire plaider que le procès-verbal en date du 7 septembre 1995 n'a été signé, ni par l'inspecteur Gilles Fievre ni par le contrôleur Charles Danjou alors que le procès-verbal précise :

"... Nous soussignés Gilles Fievre, Chantal Ferrandi, Charles Danjou, respectivement, inspecteur, chef de section et contrôleur des services déconcentrés de la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes";

Qu'en effet la cour constate que le procès-verbal de contravention du 7 septembre 1995 a, malgré les assertions des concluants, été signé tant par l'inspecteur Gilles Fievre que par le contrôleur Charles Danjou ;

Considérant qu'il convient de rejeter l'exception de nullité soulevée et d'examiner l'affaire au fond ;

Sur le fond

Considérant que le 14 juin 1995 des agents de la Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la région Île-de-France effectuaient un contrôle <adresse> 75011 Paris au magasin exploité par la SA X dont le prévenu est le président directeur général;

Qu'ils constataient dans les locaux de cette entreprise spécialisée dans la distribution de matériel informatique la détention en vue de la vente des matériels suivants dont les documents d'accompagnement relatifs aux instructions d'emploi et d'installation étaient rédigés exclusivement en langue anglaise :

- 8 souris pour micro-ordinateur de marque "Glidepoint"

- 17 souris pour micro-ordinateur de marque "Life Time Point";

- 7 logiciels pour micro-ordinateur de marque "CD Rom Webster's";

- 20 logiciels pour micro-ordinateur de marque "Image Sharpner"

- 7 logiciels pour micro-ordinateur de marque "Video Graphics Accelerator for Avi and Mpeg play-back";

- 7 logiciels pour micro-ordinateur de marque "CD Rom Kodak Photo CD Access Software and Samplers"

Soit au total 61 matériels

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 "dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation ... ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire..." ;

Considérant que l'emploi de la langue française est donc impératif y compris dans le domaine de la micro-informatique où l'emploi de termes étrangers s'avère générateur de contresens, d'incompréhension ou de malentendus qui peuvent conduire les utilisateurs à commettre des erreurs d'installation et d'utilisation ;

Considérant que la matérialité des faits n'est pas contestée ;

Considérant que la prédominance de fait de la langue anglaise sur le marché de la micro-informatique ne dispense aucunement une société distributrice telle que la SA X de respecter les dispositions de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française;

Que d'ailleurs dans une note de service du 29 janvier 1995 la direction de la SA X elle-même précisait "nous vous rappelons qu'il est de notre responsabilité en tant que professionnel averti de vérifier que chaque produit est accompagné d'une notice d'emploi en français ... ;

Considérant que le prévenu ne peut utilement faire plaider le défaut d'élément intentionnel compte tenu de la teneur de la note de service précitée et du nombre de matériels dépourvus de documents d'accompagnement en langue française, constaté lors du contrôle du 14 juin 1995 ;

Considérant que la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits;

Considérant que vainement Olivier Y soutient qu'il n'a pris aucune part personnelle aux faits poursuivis et qu'il n'a été mis au courant des faits que postérieurement à l'intervention des enquêteurs;

Qu'en effet la cour est convaincue que le prévenu, qui n'a jamais contesté exercer la direction effective de la SA X, savait pertinemment que l'entreprise dont il était le premier responsable commercialisait nombre de matériels démunis de mode d'emploi en langue française et qu'il a délibérément contrevenu aux dispositions de la loi du 4 août 1994 pour des motifs purement économiques ;

Considérant que la cour confirmera le jugement entrepris sur les déclarations de culpabilité mais, par infirmation, majorera, ainsi que précisé au dispositif, les amendes prononcées pour mieux tenir compte de la gravité des agissements poursuivis ;

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Statuant sur les dispositions pénales seules en cause d'appel, Donne acte à la SA X de sa comparution volontaire, Joint les incidents au fond, Rejette les exceptions de nullité soulevées, Rejette les conclusions de relaxe des prévenus, Confirme le jugement dont appel sur les déclarations de culpabilité, L'infirme sur les peines, Condamne Olivier Y et la SA X chacun à 61 amendes de 300 F (61 x 300), Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamne.