CJCE, 9 août 1994, n° C-363/93
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
René Lancry (SA); Dindar Autos (Sté)
Défendeur :
Direction générale des douanes; Dindar Confort (Sté); Christian Ah-Son; Paul Chevassus-Marche; Conseil régional de la Réunion; Direction régionale des douanes de la Réunion
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Diez de Velasco, Edward
Avocat général :
M. Tesauro
Juges :
MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Rodríguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn, Murray
Avocats :
Mes Charrière-Bournazel, Champetier de Ribes, Spitzer, Dubois, Bouchard, Gudin, Vialaneix
LA COUR,
1 Par arrêt du 7 juillet 1993, parvenu à la Cour le 26 juillet 1993, la Cour d'appel de Paris a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle sur la validité de la décision 89-688-CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au régime de l'octroi de mer dans les départements français d'outre-mer (JO L 399, p. 46, ci-après la "décision octroi de mer"). Par jugements du 23 août 1993, parvenus à la Cour le 1er octobre 1993, le Tribunal d'instance de Saint-Denis (Réunion) a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 9 et suivants du traité CEE et sur la validité de la décision octroi de mer.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de plusieurs demandes de remboursement de sommes perçues à titre d'octroi de mer.
3 Il ressort du dossier que, lors de l'entrée en vigueur du traité, l'octroi de mer était perçu dans les départements français d'outre-mer (ci-après les "DOM"). Il frappait, du fait de leur introduction dans le DOM concerné, toutes les marchandises de toute origine, y compris celles provenant de France métropolitaine. En revanche, les produits de la région échappaient à l'octroi de mer ou à toute taxe équivalente interne. Il est constant que l'octroi de mer poursuivait deux objectifs, le premier étant de percevoir des recettes fiscales et le second de favoriser les activités économiques locales.
4 L'octroi de mer ayant fait l'objet d'un certain nombre de plaintes, la Commission a, en 1984, ouvert une procédure d'infraction à l'encontre de la République française. Elle a, plus tard, décidé de suspendre cette procédure, préférant rechercher une solution politique, dans le cadre de laquelle le Conseil a adopté deux décisions sur la base des articles 227, paragraphe 2, et 235 du traité.
5 La première décision est la décision 89-687-CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, instituant un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité des départements français d'outre-mer (Poséidom) (JO L 399, p. 39, ci-après la "décision Poséidom"). Dans les deuxième et quatrième considérants de cette décision, il est relevé notamment que les DOM subissent un retard structurel important aggravé par plusieurs phénomènes, ce qui rend nécessaire le renforcement du soutien de la Communauté en vue de promouvoir leur développement économique et social.
6 La seconde décision est la décision octroi de mer, qui met en œuvre le volet fiscal de la décision Poséidom. L'article 1er de la décision octroi de mer prévoit que les autorités françaises prennent, le 31 décembre 1992 au plus tard, les mesures nécessaires pour que le régime de l'octroi de mer actuellement en vigueur dans les DOM soit applicable indistinctement aux produits introduits et aux produits obtenus dans ces régions. Son article 4 dispose que la République française est autorisée à maintenir, jusqu'au 31 décembre 1992 au plus tard, le régime actuel de l'octroi de mer, à condition que tout projet d'extension de la liste des produits soumis à l'octroi de mer ou d'augmentation de ses taux soit notifié à la Commission, qui pourra s'y opposer dans un délai de deux mois.
7 Dans l'affaire Legros e.a. (arrêt du 16 juillet 1992, C-163-90, Rec. p. I-4625), la Cour avait été saisie de plusieurs questions préjudicielles portant sur l'interprétation du traité, au regard d'une taxe ayant les caractéristiques de l'octroi de mer. Dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit qu'une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens perçue par un État membre sur les marchandises importées d'un autre État membre en raison de leur introduction dans une région du territoire du premier État membre constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, en dépit du fait que la taxe frappe également les marchandises introduites dans cette région en provenance d'une autre partie de ce même État. La Cour a toutefois limité les effets dans le temps de cet arrêt.
8 Dans l'affaire Legros e.a., les faits étaient antérieurs à la date d'entrée en vigueur des décisions Poséidom et octroi de mer. La Cour ne s'est dès lors prononcée ni sur leur interprétation ni sur leur validité.
Sur les faits de l'affaire C-363-93, Lancry
9 La Martinique ne produit pas de farine. Ce produit a donc toujours été importé de France métropolitaine, d'autres pays de la Communauté ou des États-Unis. En 1974, un octroi de mer portant sur la farine a été introduit en Martinique.
10 La société René Lancry SA (ci-après "Lancry"), qui commercialise en Martinique des farines, provenant notamment de France métropolitaine, a poursuivi plusieurs actions en justice. Par jugements des 2 avril 1985 et 25 avril 1989 du Tribunal administratif de Fort-de-France, confirmés par l'arrêt du 2 avril 1993 du Conseil d'État français, Lancry a obtenu l'annulation des délibérations fixant le taux de l'octroi de mer à 25 % et plus tard à 20 %. En vertu de ces jugements, elle a obtenu le remboursement de la différence entre le taux annulé et le taux antérieur de 15 %. Lancry a ensuite saisi le Tribunal d'instance de Fort-de-France afin d'obtenir le remboursement de toutes les sommes versées par elle, au titre de l'octroi de mer, durant la même période.
11 Lancry a également saisi le Tribunal d'instance du 7e arrondissement de Paris d'une demande en paiement de dommages et intérêts contre la direction générale des douanes, du fait de la perception de l'octroi de mer sur l'introduction de farines en Martinique. Ayant été déboutée de sa demande, Lancry a fait appel.
12 Dans son arrêt du 7 juillet 1993, la Cour d'appel de Paris a déduit de l'arrêt Legros e.a., précité, que, dans son régime antérieur à la date d'adoption de la décision octroi de mer, à savoir le 22 décembre 1989, l'octroi de mer perçu sur les farines commercialisées par Lancry depuis 1974 était une taxe d'effet équivalant à un droit de douane contraire au traité de Rome. Elle a donc condamné le défendeur à restituer à Lancry l'octroi de mer versé par cette société sur la commercialisation de farines depuis 1974 jusqu'au 22 décembre 1989.
13 La cour d'appel a toutefois observé que la Cour ne s'était pas prononcée sur la validité de la décision octroi de mer et elle l'a donc saisie de la question préjudicielle suivante:
"Par la décision du 22 décembre 1989 relative au régime de l'octroi de mer dans les départements français d'outre-mer (89-688-CEE), prise par application des articles 227, paragraphe 2, et 235 du traité instituant la Communauté économique européenne, le Conseil des Communautés européennes a-t-il valablement autorisé la République française à maintenir, jusqu'au 31 décembre 1992, le régime actuel de l'octroi de mer qui, aux termes de l'arrêt préjudiciel de la Cour de justice des Communautés du 16 juillet 1992, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane?"
Sur les faits des affaires C-407-93 à C-411-93, Dindar Confort, Ah-Son, Chevassus-Marche, Conforéunion et Dindar Autos
14 Par acte du 26 janvier 1993, la société Dindar Confort a saisi le Tribunal d'instance de Saint-Denis d'une demande de remboursement avec intérêts de certaines sommes qu'elle avait versées à titre d'octroi de mer. Ces sommes avaient été perçues sur des importations effectuées postérieurement à l'arrêt Legros e.a.
15 Par acte du 21 décembre 1992, M. Christian Ah-Son a saisi ce même tribunal d'une demande de restitution d'une somme acquittée en novembre 1992, représentant le montant d'une taxe d'octroi de mer qui lui avait été imposée à la suite de l'entrée sur le territoire de la Réunion d'un véhicule fabriqué en République fédérale d'Allemagne et acquis par lui en France métropolitaine.
16 Par actes des 11 et 12 février 1993, M. Paul Chevassus-Marche a saisi ce même tribunal d'une demande de remboursement d'une taxe d'octroi de mer acquittée le 3 décembre 1992 et perçue sur une livraison de bière en provenance de France métropolitaine.
17 Par acte du 10 mars 1993, la société Conforéunion a saisi ce même tribunal d'une demande de remboursement d'une somme, versée par elle à titre d'octroi de mer, perçue sur des marchandises introduites sur le territoire de la Réunion en novembre 1992. Certaines de ces marchandises provenaient d'autres régions de France, certaines d'autres États membres de la Communauté et d'autres, enfin, directement de pays tiers.
18 Par actes des 26 janvier et 23 février 1993, la société Dindar Autos a saisi ce même tribunal de demandes de remboursement de certaines sommes correspondant au paiement de la taxe d'octroi de mer pour des marchandises introduites sur le territoire de la Réunion entre juillet et décembre 1992. Certaines de ces marchandises provenaient d'autres régions de France, certaines d'autres États membres de la Communauté et d'autres, enfin, directement de pays tiers.
19 Saisi de ces litiges, le Tribunal d'instance de Saint-Denis a sursis à statuer et posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Les dispositions des articles 9 et suivants du traité CEE, en ce qu'elles fondent un principe d'unicité du territoire douanier communautaire, doivent-elles être interprétées comme prohibant la perception par un État membre d'une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, sur des marchandises en provenance d'autres régions de ce même État, du seul fait de leur introduction dans une région de l'État, étant précisé qu'en tant qu'elle frappait également les marchandises introduites dans cette région en provenance d'autres États membres, cette taxe a été jugée comme constituant une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation?
2) L'article 4 de la décision du Conseil des Communautés européennes du 22 décembre 1989 (89-688-CEE), en ce qu'il autorise la République française 'à maintenir jusqu'au 31 décembre 1992 au plus tard le régime actuel de l'octroi de mer', dans les conditions qu'il énonce, a-t-il été valablement pris, alors que l'octroi de mer résultant du régime alors en cours constituait une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, et alors qu'il résulte de l'article 227, paragraphe 2, premier alinéa, du traité que les dispositions du traité mentionnées dans ce premier alinéa, parmi lesquelles celles relatives à la libre circulation des marchandises, ont été applicables dans les DOM dès l'entrée en vigueur du traité?"
20 Par ordonnance du 19 octobre 1993, prise en application de l'article 43 du règlement de procédure de la Cour, les affaires C-407-93, C-408-93, C-409-93, C-410-93 et C-411-93 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale et de l'arrêt. Par ordonnance du 8 avril 1994, prise en application de ce même article, l'affaire C-363-93 a été jointe à ces affaires jointes, aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.
21 Il convient d'examiner, d'abord, la question de savoir si une taxe telle que l'octroi de mer constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, en tant qu'elle frappe les marchandises en provenance du même État membre et, ensuite, la validité de la décision octroi de mer, en tant qu'elle autorise le maintien en vigueur de cette taxe jusqu'au 31 décembre 1992.
Sur l'interprétation des articles 9 et suivants du traité (première question préjudicielle du Tribunal d'instance de Saint-Denis)
22 Par sa première question préjudicielle, le Tribunal d'instance de Saint-Denis demande si une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par un État membre sur toutes les marchandises introduites dans une région de son territoire, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation en tant qu'elle frappe les marchandises introduites dans cette région en provenance d'une autre partie de ce même État.
23 Le Conseil estime que, dans la mesure où le régime de l'octroi de mer est applicable aux marchandises en provenance d'autres parties du territoire français, la situation est totalement cantonnée à l'intérieur de cet État membre et que, dès lors, les dispositions de droit primaire qui imposent aux États membres certaines interdictions pour ce qui concerne les relations entre eux ne sont pas applicables. Plus particulièrement, selon le Gouvernement espagnol, le fait que le commerce intracommunautaire soit affecté est un élément essentiel pour l'application des dispositions du traité sur la libre circulation des marchandises, de sorte que les articles 9 et suivants du traité ne s'appliquent pas quand les marchandises en question circulent entre deux points du territoire d'un seul État membre.
24 Cet argument ne saurait être retenu.
25 En effet, en premier lieu, il est de jurisprudence constante que la justification de l'interdiction de droits de douane et de taxes d'effet équivalent réside dans l'entrave que des charges pécuniaires, appliquées en raison du franchissement d'une frontière, constituent pour la circulation des marchandises (voir notamment arrêt du 1er juillet 1969, Sociaal Fonds Diamentarbeiders, 2-69 et 3-69, Rec. p. 211, point 14).
26 Dans l'arrêt Legros e.a., précité, la Cour a relevé (point 16) qu'une taxe perçue à une frontière régionale en raison de l'introduction de produits dans une région d'un État membre porte atteinte à l'unicité du territoire douanier communautaire et constitue une entrave au moins aussi grave à la libre circulation des marchandises qu'une taxe perçue à la frontière nationale en raison de l'introduction des produits dans l'ensemble du territoire d'un État membre.
27 Or, l'atteinte portée à l'unicité du territoire douanier communautaire par l'établissement d'une frontière régionale douanière est égale, que ce soient des produits nationaux ou des produits en provenance d'autres États membres qui sont frappés d'une taxe en raison du franchissement de cette frontière.
28 En outre, l'entrave à la libre circulation des marchandises constituée par l'imposition, sur les produits nationaux, d'une taxe perçue en raison du franchissement de cette frontière n'est pas moins grave que celle constituée par la perception du même type de taxe sur les produits en provenance d'un autre État membre.
29 En effet, le principe même de l'union douanière s'étendant à l'ensemble des échanges de marchandises, telle qu'elle est prévue par l'article 9 du traité, exige que soit assurée de manière générale la libre circulation des marchandises à l'intérieur de l'union et non uniquement le commerce interétatique. Si les articles 9 et suivants ne visent expressément que les échanges entre États membres, c'est parce qu'ils ont présupposé l'inexistence de taxes présentant les caractéristiques d'un droit de douane à l'intérieur de ces États. L'absence de telles taxes étant une condition préalable indispensable à la réalisation d'une union douanière couvrant l'ensemble des échanges de marchandises, les articles 9 et suivants impliquent également leur interdiction.
30 En deuxième lieu, le problème ne se présente pas comme une situation dont les éléments sont totalement cantonnés à l'intérieur d'un État membre. En effet, ainsi que le Gouvernement français l'a fait remarquer à juste titre, la perception d'une taxe ayant les caractéristiques de l'octroi de mer ne pourrait être qualifiée de situation purement interne que si elle était exclusivement perçue sur des produits en provenance du même État membre. Or, il est constant que l'octroi de mer s'applique à tous les produits introduits dans le DOM concerné, indépendamment de leur origine. Dans ces circonstances, il serait incohérent de juger, d'une part, que l'octroi de mer constitue une taxe d'effet équivalent en tant qu'il est perçu sur les marchandises en provenance d'autres États membres, et d'admettre, d'autre part, que cette même taxe ne constitue pas une taxe d'effet équivalent lorsqu'elle est perçue sur des marchandises en provenance de la France métropolitaine.
31 Enfin, sur un plan pratique, puisqu'une taxe telle que l'octroi de mer frappe tous les produits indistinctement, il serait très difficile, voire impossible, d'opérer une distinction entre les produits d'origine nationale et les produits originaires d'autres États membres. Par exemple, un produit qui comporterait des éléments en provenance d'un autre État mais qui serait fabriqué sur le territoire national, ou un produit qui serait importé sur le territoire national et, plus tard, acheminé dans un DOM, ne devrait pas être qualifié de produit national. Cela entraînerait la nécessité de déterminer dans chaque cas, même dans celui de livraisons de produits en provenance du même État, si ceux-ci ne seraient pas en réalité originaires d'un autre État membre de la Communauté. Une telle procédure de vérification engendrerait des procédures administratives et des retards supplémentaires qui en soi constitueraient des entraves à la libre circulation des marchandises.
32 Il convient, dès lors, de répondre à la première question du Tribunal d'instance de Saint-Denis qu'une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par un État membre sur toutes les marchandises introduites dans une région de son territoire, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, non seulement en tant qu'elle frappe les marchandises introduites dans cette région en provenance d'autres États membres, mais également en tant qu'elle est perçue sur les marchandises introduites dans cette région en provenance d'une autre partie de ce même État.
Sur la validité de la décision octroi de mer (question de la Cour d'appel de Paris et seconde question du Tribunal d'instance de Saint-Denis)
33 La Cour d'appel de Paris, par sa question, et le Tribunal d'instance de Saint-Denis, par sa seconde question, demandent si la décision octroi de mer est valide en tant qu'elle autorise la République française à maintenir, jusqu'au 31 décembre 1992, le régime de l'octroi de mer en vigueur lors de l'adoption de cette décision.
34 Les Gouvernements espagnol et français, le Conseil et la Commission font valoir que, se fondant sur la double base des articles 227, paragraphe 2, et 235 du traité, le Conseil a pu valablement autoriser la République française à maintenir la taxe en question jusqu'au 31 décembre 1992.
35 Il convient, tout d'abord, de rappeler le libellé de l'article 227, paragraphe 2, du traité:
"2. En ce qui concerne l'Algérie et les départements français d'outre-mer, les dispositions particulières et générales du présent traité relatives:
° à la libre circulation des marchandises,
° à l'agriculture, à l'exception de l'article 40 paragraphe 4,
° à la libération des services,
° aux règles de concurrence,
° aux mesures de sauvegarde prévues aux articles 108, 109 et 226,
° aux institutions,
sont applicables dès l'entrée en vigueur du présent traité.
Les conditions d'application des autres dispositions du présent traité seront déterminées au plus tard deux ans après son entrée en vigueur, par des décisions du Conseil statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission.
Les institutions de la Communauté veilleront, dans le cadre des procédures prévues par le présent traité et notamment de l'article 226, à permettre le développement économique et social de ces régions."
36 Selon la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 10 octobre 1978, Hansen, 148-77, Rec. p. 1787, et arrêt Legros e.a., précité, point 8), il résulte de cet article que les dispositions du traité mentionnées explicitement au paragraphe 2, premier alinéa, ont été applicables dans les DOM dès l'entrée en vigueur du traité, alors que pour les autres dispositions, il est possible de prévoir ultérieurement, même après le délai de deux ans mentionné au deuxième alinéa, des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires.
37 L'article 227, paragraphe 2, en autorisant explicitement le Conseil à déterminer les conditions d'application uniquement des dispositions du traité qui ne sont pas énumérées au premier alinéa, exclut la possibilité de déroger à l'application dans les DOM des dispositions qui y sont mentionnées, y compris celles relatives à la libre circulation des marchandises. Interpréter l'article 235 du traité en ce sens qu'il permet au Conseil de suspendre, ne serait-ce qu'à titre temporaire, l'application dans les DOM des articles 9, 12 et 13 du traité méconnaîtrait la distinction fondamentale établie par l'article 227, paragraphe 2, et priverait d'effet utile son premier alinéa.
38 Il s'ensuit que le Conseil n'a pas pu valablement, dans la décision octroi de mer, autoriser la France à maintenir en vigueur une taxe telle que l'octroi de mer, laquelle constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane et relève, dès lors, des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.
39 Il convient, dès lors, de répondre aux juridictions de renvoi que la décision octroi de mer est invalide en tant qu'elle autorise la République française à maintenir, jusqu'au 31 décembre 1992, le régime de l'octroi de mer en vigueur lors de l'adoption de cette décision.
Sur les effets dans le temps du présent arrêt
40 Le Gouvernement français, soutenu par la région Réunion, demande à la Cour, dans l'hypothèse où elle déclarerait invalide la décision octroi de mer, de limiter dans le temps les effets de l'arrêt, comme elle l'a fait dans l'arrêt Legros e.a., précité. Le Gouvernement français estime en effet que les conditions fixées par la Cour pour une telle limitation, à savoir, en premier lieu, le risque de répercussion économique grave et, en second lieu, une incertitude quant à la portée des dispositions communautaires, sont remplies en l'espèce. Quant à la première condition, les conséquences financières d'un arrêt déclarant invalide la décision octroi de mer seraient difficilement supportables par les collectivités locales bénéficiaires de l'octroi de mer puisque, selon le Gouvernement français, la limitation à laquelle la Cour a accepté de recourir dans l'arrêt Legros e.a. ne porte que sur l'octroi de mer perçu sur le seul fondement du droit national et ne s'applique pas aux sommes perçues sur le fondement de l'article 4 de la décision octroi de mer, après le 22 décembre 1989, date d'adoption de cette décision. Quant à la seconde condition, le Gouvernement français rappelle que la Cour a jugé, dans l'affaire Legros e.a., que les particularités de l'octroi de mer et les spécificités des DOM ont créé un état d'incertitude quant à la légitimité de cette taxe au regard du droit communautaire, incertitude qui, selon le Gouvernement français, paraissait avoir été levée par la décision octroi de mer.
41 Cette argumentation ne saurait être retenue.
42 En effet, en premier lieu, il convient de rappeler que la Cour déclare invalide dans le présent arrêt la décision octroi de mer, en tant qu'elle autorise la République française à maintenir en vigueur le régime de l'octroi de mer jusqu'au 31 décembre 1992. Il s'ensuit que l'octroi de mer perçu, entre la date d'entrée en application de la décision du 22 décembre 1989 et le 31 décembre 1992, avait exactement la même nature juridique que l'octroi de mer perçu avant cette période, à savoir celle d'une taxe d'effet équivalant à un droit de douane perçu sur le fondement du droit national.
43 Il en découle que la limitation dans le temps décidée dans l'arrêt Legros e.a. s'applique également à des demandes de restitution de montants perçus, à titre d'octroi de mer, postérieurement à l'entrée en application de la décision du 22 décembre 1989 et jusqu'au 16 juillet 1992, date de prononcé de cet arrêt.
44 En second lieu, il convient de rappeler que, dans ses conclusions du 21 octobre 1991 et du 20 mai 1992, l'avocat général M. Jacobs avait fait très clairement état de son opinion selon laquelle la décision octroi de mer était invalide en tant qu'elle autorisait le maintien du régime de l'octroi de mer en vigueur lors de son adoption. Il est vrai que, dans l'arrêt Legros e.a., la Cour ne s'est pas prononcée sur la validité de la décision octroi de mer. Toutefois, lors de l'audience dans l'affaire Legros e.a. tenue le 31 mars 1992, le Gouvernement français a fait valoir notamment que la Cour n'était pas appelée, dans le cadre de ce renvoi préjudiciel, à se prononcer sur la validité de cette décision. La République française ne pouvait donc pas raisonnablement déduire du silence de la Cour sur ce sujet que la décision octroi de mer l'autorisait valablement à maintenir, après le 22 décembre 1989, le régime de l'octroi de mer alors en vigueur.
45 Il en résulte que le Gouvernement français ne pouvait pas, après le 16 juillet 1992, date de l'arrêt Legros e.a., continuer raisonnablement à estimer que la législation nationale en la matière était conforme au droit communautaire. En outre, les intérêts des collectivités locales sont suffisamment protégés par la limitation dans le temps énoncée dans l'arrêt Legros e.a. Il n'y a pas lieu dès lors de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.
Sur les dépens
46 Les frais exposés par les Gouvernements espagnol et français, par le Conseil de l'Union européenne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant les juridictions nationales, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par la Cour d'appel de Paris, par arrêt du 7 juillet 1993, et par le Tribunal d'instance de Saint-Denis, par jugements du 23 août 1993, dit pour droit:
1) Une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par un État membre sur toutes les marchandises introduites dans une région de son territoire, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, non seulement en tant qu'elle frappe les marchandises introduites dans cette région en provenance d'autres États membres, mais également en tant qu'elle est perçue sur les marchandises introduites dans cette région en provenance d'une autre partie de ce même État.
2) La décision 89-688-CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au régime de l'octroi de mer dans les départements français d'outre-mer est invalide en tant qu'elle autorise la République française à maintenir, jusqu'au 31 décembre 1992, le régime de l'octroi de mer en vigueur lors de l'adoption de cette décision.