CJCE, 3 juillet 1991, n° C-355/89
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTĂS EUROPĂENNES
ArrĂȘt
PARTIES
Demandeur :
Department of Health and Social Security
DĂ©fendeur :
Christopher Stewart Barr et Montrose Holdings Ltd
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mancini
Présidents de chambre :
MM. O'Higgins, Moitinho de Almeida, RodrĂguez Iglesias, DĂez de Velasco
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
Sir Gordon Slynn, MM. Joliet, Schockweiler, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn
LA COUR,
1 Par ordonnance du 13 novembre 1989, parvenue à la Cour le 21 novembre suivant, la Deputy High Bailiff's Court, Douglas (ßle de Man), a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, des questions préjudicielles relatives à l'interprétation des dispositions du protocole n° 3 concernant les ßles Anglo-Normandes et l'ßle de Man (JO 1972, L 73, p. 164, ci-aprÚs "protocole n° 3 ") de l'acte relatif aux conditions d'adhésion et aux adaptations des traités (JO 1972, L 73, p. 14, ci-aprÚs "acte d'adhésion "), annexé au traité relatif à l'adhésion à la Communauté économique européenne et à la Communauté européenne de l'énergie atomique du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO 1972, L 73, p. 5, ci-aprÚs "traité d'adhésion ").
2 Ces questions ont Ă©tĂ© soulevĂ©es dans le cadre d'une procĂ©dure pĂ©nale introduite sur la base de plaintes dĂ©posĂ©es par le Department of Health and Social Security (Ăźle de Man) Ă l'encontre de M. Barr, en tant que travailleur, et de Montrose Holdings Limited (ci-aprĂšs "Montrose "), en tant qu'employeur, pour violation de certaines dispositions du Control of Employment Act (loi sur le contrĂŽle de l'emploi) de l'Ăźle de Man de 1975. M. Barr, ressortissant britannique, avait, en effet, occupĂ© un emploi de juriste d'entreprise au service de la sociĂ©tĂ© Montrose, sans ĂȘtre dĂ©tenteur du permis de travail exigĂ© par le Control of Employment Act pour les personnes occupant ce type d'emploi et n'ayant pas la qualitĂ© de travailleur de l'Ăźle de Man.
3 Les prĂ©venus au principal ont admis la rĂ©alitĂ© des faits, exposĂ©s dans les citations en justice, tout en estimant que les poursuites devaient ĂȘtre rejetĂ©es parce que la lĂ©gislation de l'Ăźle de Man Ă©tait contraire Ă l'article 4 du protocole n° 3, selon lequel les autoritĂ©s des territoires concernĂ©s "appliquent le mĂȘme traitement Ă toutes les personnes physiques et morales de la CommunautĂ© ".
4 C'est dans ces conditions que la Deputy High Bailiff's Court, Douglas, a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes :
"1) Le Control of Employment Act de 1975 (tel que modifiĂ©), un 'Act of Tynwald'(loi de l'Ăźle de Man), est-il contraire aux dispositions du protocole n° 3 de l'acte annexĂ© au traitĂ© d'adhĂ©sion de 1972, au sens oĂč ce protocole doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©, dans la mesure oĂč ledit 'Act of Tynwald':
a) prévoit, en ce qui concerne l'emploi, sur l'ßle de Man, de personnes autres que les travailleurs de l'ßle de Man au sens indiqué dans cet 'Act of Tynwald'tel que modifié, des contrÎles ou des restrictions discriminatoires au regard du métier, de la profession ou du type d'emploi;
b) applique aux personnes physiques et morales de la Communauté, en ce qui concerne l'emploi sur l'ßle de Man, un traitement différent de celui qui est accordé au Royaume-Uni aux ressortissants de l'ßle de Man?
2) L'article 4 dudit protocole n° 3, tel qu'il doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©, signifie-t-il uniquement que les autoritĂ©s de l'Ăźle de Man ne sont pas autorisĂ©es Ă prĂ©voir, Ă l'Ă©gard des personnes physiques et morales de la CommunautĂ©, des discriminations sur la base de la nationalitĂ©?"
5 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-aprÚs que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la compétence de la Cour
6 Il convient d'examiner Ă titre liminaire si la Deputy High Bailiff's Court, Douglas, doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une juridiction habilitĂ©e Ă interroger la Cour de justice en vertu de l'article 177 du traitĂ©, alors mĂȘme que, selon le droit du Royaume-Uni, la Deputy High Bailiff's Court, Douglas (Ăźle de Man), ne fait pas partie de l'organisation judiciaire britannique.
7 A cet égard, il y a lieu de rappeler qu'il ressort de l'article 227, paragraphe 5, sous c), du traité CEE, tel qu'il résulte de l'acte d'adhésion, que les dispositions du traité CEE ne sont applicables aux ßles Anglo-Normandes et à l'ßle de Man que dans la mesure prévue par le protocole n° 3.
8 Il y a lieu de relever ensuite que, en vertu de l'article 1er, paragraphe 3, du traité d'adhésion, les dispositions concernant les pouvoirs et compétences des institutions des Communautés s'appliquent à l'égard du protocole n° 3 qui, selon l'article 158 de l'acte d'adhésion, fait partie intégrante dudit acte. DÚs lors, la compétence préjudicielle attribuée à la Cour par l'article 177 du traité s'étend au protocole n° 3.
9 Il convient de considĂ©rer Ă©galement que l'application uniforme du protocole n° 3 ne pourrait ĂȘtre assurĂ©e dans l'Ăźle de Man si les juridictions qui y sont Ă©tablies ne pouvaient interroger la Cour sur l'interprĂ©tation de ce protocole, sur celle de la rĂ©glementation communautaire Ă laquelle ce protocole renvoie et sur la validitĂ© de cette rĂ©glementation ainsi que sur l'interprĂ©tation et la validitĂ© des actes pris par les institutions de la CommunautĂ© sur la base du protocole n° 3.
10 Il en rĂ©sulte que, en vue d'assurer cette application uniforme, la Deputy High Bailiff's Court doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une juridiction habilitĂ©e Ă interroger la Cour de justice sur ces questions en vertu de l'article 177 du traitĂ©.
Sur les questions préjudicielles
11 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d'une procédure introduite en vertu de l'article 177 du traité, la Cour ne peut pas se prononcer sur la compatibilité avec le droit communautaire d'une disposition législative ou réglementaire nationale. Elle peut, toutefois, fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire et permettant à cette juridiction d'apprécier la compatibilité de ces normes avec la rÚgle communautaire invoquée.
En ce qui concerne la premiĂšre partie de la premiĂšre question et la seconde question
12 Ces questions doivent ĂȘtre comprises et prĂ©cisĂ©es Ă la lumiĂšre des donnĂ©es du litige telles qu'elles rĂ©sultent de la lĂ©gislation de l'Ăźle de Man, des observations dĂ©posĂ©es devant la Cour, ainsi que des explications fournies Ă l'audience.
13 Selon les prĂ©venus au principal, l'article 4 du protocole n° 3 s'oppose Ă l'application des dispositions Ă©noncĂ©es par le Control of Employment Act. Ce dernier texte prĂ©voit, sous peine de sanctions, qu'une personne ne doit ni occuper un emploi dans l'Ăźle de Man, s'engager ou ĂȘtre engagĂ©e dans pareil emploi, Ă moins qu'elle ne soit un travailleur de l'Ăźle de Man, ni employer une personne qui ne soit pas un travailleur de l'Ăźle de Man, sauf si un permis a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ© par le Department of Health and Social Security. Toutefois, certains emplois, qui sont Ă©numĂ©rĂ©s Ă l'annexe 1 de la loi, mais dont ne fait pas partie l'emploi de juriste d'entreprise exercĂ© par M. Barr, peuvent ĂȘtre occupĂ©s sans permis par des personnes n'ayant pas la qualitĂ© de travailleur de l'Ăźle de Man.
14 Les prévenus au principal estiment que ces dérogations à l'exigence d'un permis de travail aboutissent à réserver l'accÚs à certains emplois, tels que les emplois dans le corps de police, dans les forces armées ou dans la fonction publique de l'ßle de Man, à des ressortissants du Royaume-Uni, comme M. Barr, ou à des ressortissants irlandais et à créer ainsi une inégalité de traitement en leur faveur. Ils en concluent que l'ensemble des dispositions du régime établi par le Control of Employment Act, y compris l'exigence du permis de travail pour un emploi comme celui occupé par M. Barr, sont contraires à l'article 4 du protocole n° 3.
15 Dans ces conditions, il y a lieu d'estimer que la premiĂšre partie de la premiĂšre question et la seconde question visent en substance Ă savoir si le fait, pour les autoritĂ©s de l'Ăźle de Man, d'exiger la possession d'un permis de travail de la part de tous les ressortissants de la CommunautĂ© qui veulent exercer un emploi dĂ©terminĂ© constitue une violation de l'obligation d'assurer l'Ă©galitĂ© de traitement Ă©noncĂ©e Ă l'article 4 du protocole n° 3, lorsque la lĂ©gislation nationale prĂ©voit des dĂ©rogations Ă cette obligation pour d'autres emplois et que celles-ci aboutissent, dans quelques cas, Ă rendre ces emplois accessibles aux seuls ressortissants de deux Ătats membres.
16 A cet Ă©gard, il y a lieu de relever que, comme le souligne Ă juste titre le Royaume-Uni, la rĂšgle Ă©noncĂ©e Ă l'article 4 du protocole n° 3 ne saurait ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de maniĂšre Ă en faire un moyen indirect pour appliquer sur le territoire de l'Ăźle de Man des dispositions communautaires qui n'y sont pas applicables en vertu de l'article 227, paragraphe 5, sous c), du traitĂ© CEE et de l'article 1er du protocole n° 3, telles que les rĂšgles relatives Ă la libre circulation des travailleurs.
17 Toutefois, contrairement Ă ce que soutient le Royaume-Uni, le principe d'Ă©galitĂ© de traitement Ă©tabli par l'article 4 du protocole n° 3 ne se limite pas aux seuls domaines de la rĂ©glementation communautaire visĂ©s par l'article 1er du protocole n° 3. En effet, l'article 1er vise la libre circulation des marchandises, alors que l'article 4 concerne les personnes physiques et morales. Cette derniĂšre disposition doit donc se voir reconnaĂźtre une portĂ©e autonome. Elle doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e dans le sens qu'elle s'oppose Ă toute discrimination entre les personnes physiques et morales des Ătats membres en ce qui concerne les situations qui, dans les territoires oĂč le traitĂ© s'applique intĂ©gralement, sont rĂ©gies par le droit communautaire.
18 L'accĂšs Ă l'emploi Ă©tant l'une des matiĂšres rĂ©gies par le droit communautaire, la rĂšgle Ă©noncĂ©e par l'article 4 du protocole n° 3 s'y applique, mĂȘme si les ressortissants communautaires ne peuvent obtenir ainsi dans l'Ăźle de Man le bĂ©nĂ©fice des rĂšgles relatives Ă la libre circulation des travailleurs.
19 A la lumiĂšre de ces dĂ©veloppements, il y a lieu de considĂ©rer que l'Ă©ventualitĂ© d'un traitement discriminatoire des ressortissants de certains Ătats membres de la CommunautĂ© par rapport aux ressortissants d'autres Ătats membres, en ce qui concerne certains emplois, ne saurait affecter la compatibilitĂ© avec le droit communautaire de l'exigence d'un permis de travail pour d'autres emplois, dĂšs lors que cette exigence s'applique de façon non discriminatoire Ă tous les ressortissants communautaires. En effet, contrairement Ă ce qu'ont soutenu les prĂ©venus au principal, l'Ă©ventualitĂ© d'une discrimination pour certains emplois n'a pas nĂ©cessairement pour effet de rendre tout le systĂšme mis en place par le Control of Employment Act incompatible avec le droit communautaire.
20 Dans ces conditions, il convient de rĂ©pondre Ă la premiĂšre partie de la premiĂšre question et Ă la seconde question que le fait, pour les autoritĂ©s de l'Ăźle de Man, d'exiger la possession d'un permis de travail de la part de tous les ressortissants de la CommunautĂ© qui veulent exercer un emploi sur cette Ăźle ne constitue pas pour la gĂ©nĂ©ralitĂ© des emplois une violation de l'obligation d'assurer l'Ă©galitĂ© de traitement Ă©noncĂ©e Ă l'article 4 du protocole n° 3, mĂȘme si la lĂ©gislation nationale prĂ©voit des dĂ©rogations Ă cette obligation pour certains emplois et que celles-ci aboutissent, dans quelques cas, Ă des diffĂ©rences de traitement en raison de la nationalitĂ©.
En ce qui concerne la seconde partie de la premiĂšre question
21 La seconde partie de la premiĂšre question vise en substance Ă savoir si les dispositions du protocole n° 3 obligent les autoritĂ©s de l'Ăźle de Man Ă accorder aux ressortissants communautaires le mĂȘme traitement, en ce qui concerne l'emploi, que celui que le Royaume-Uni accorde aux ressortissants de l'Ăźle de Man.
22 De l'article 2 du protocole n° 3, il ressort que les droits dont bénéficient les ressortissants de ce territoire au Royaume-Uni ne sont pas affectés par l'acte d'adhésion. Cependant, cet article précise que ceux-ci ne bénéficient pas des dispositions communautaires relatives à la libre circulation des personnes et des services.
23 L'article 2 du protocole n° 3 ne saurait donc ĂȘtre interprĂ©tĂ© en ce sens qu'il oblige les autoritĂ©s de l'Ăźle de Man Ă traiter les personnes physiques ou morales de la CommunautĂ© de la mĂȘme maniĂšre que les ressortissants de cette Ăźle sont traitĂ©s au Royaume-Uni. Une telle rĂšgle ne dĂ©coule pas non plus d'autres dispositions du protocole.
24 Dans ces conditions, il convient de rĂ©pondre Ă la seconde partie de la premiĂšre question que les dispositions du protocole n° 3 doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es en ce sens qu'elles n'obligent pas les autoritĂ©s de l'Ăźle de Man Ă accorder aux ressortissants communautaires le mĂȘme traitement, en ce qui concerne l'emploi, que celui que le Royaume-Uni accorde aux ressortissants de l'Ăźle de Man.
Sur les dépens
25 Les frais exposĂ©s par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des CommunautĂ©s europĂ©ennes, qui ont soumis des observations Ă la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procĂ©dure revĂȘtant, Ă l'Ă©gard des parties au principal, le caractĂšre d'un incident soulevĂ© devant la juridiction nationale, il appartient Ă celle-ci de statuer sur les dĂ©pens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par la Deputy High Bailiff's Court, Douglas (ßle de Man), par décision du 13 novembre 1989, dit pour droit :
1) Le fait, pour les autoritĂ©s de l'Ăźle de Man, d'exiger la possession d'un permis de travail de la part de tous les ressortissants de la CommunautĂ© qui veulent exercer un emploi sur cette Ăźle ne constitue pas pour la gĂ©nĂ©ralitĂ© des emplois une violation de l'obligation d'assurer l'Ă©galitĂ© de traitement Ă©noncĂ©e Ă l'article 4 du protocole n° 3 concernant les Ăźles Anglo-Normandes et l'Ăźle de Man de l'acte relatif aux conditions d'adhĂ©sion et aux adaptations des traitĂ©s, annexĂ© au traitĂ© relatif Ă l'adhĂ©sion Ă la CommunautĂ© Ă©conomique europĂ©enne et Ă la CommunautĂ© europĂ©enne de l'Ă©nergie atomique du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, mĂȘme si la lĂ©gislation nationale prĂ©voit des dĂ©rogations Ă cette obligation pour certains emplois et que celles-ci aboutissent, dans quelques cas, Ă des diffĂ©rences de traitement en raison de la nationalitĂ©.
2) Les dispositions du protocole n° 3 doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es en ce sens qu'elles n'obligent pas les autoritĂ©s de l'Ăźle de Man Ă accorder aux ressortissants communautaires le mĂȘme traitement, en ce qui concerne l'emploi, que celui que le Royaume-Uni accorde aux ressortissants de l'Ăźle de Man.