CJCE, 5e ch., 27 février 2003, n° C-389/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Edward
Juges :
MM. La Pergola, Jann, von Bahr, Rosas
Avocat général :
M. Tizzano.
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 octobre 2000, la Commission a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en promulguant le Gesetz über die Überwachung und Kontrolle der grenzüberschreitenden Verbringung von Abfällen, (Abfallverbringungsgesetz) [loi relative à la surveillance et au contrôle des transferts transfrontaliers de déchets (loi relative aux transferts de déchets)], du 30 septembre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 2771, ci-après l"AbfVerbrG"), établissant un fonds de solidarité pour la réintroduction de déchets et imposant aux exportateurs de déchets, notamment vers d'autres États membres, de cotiser à ce fonds, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 23 CE et 25 CE.
Cadre juridique
La convention de Bâle et le droit communautaire
2 Aux termes des articles 23 CE et 25 CE, la Communauté est fondée sur une union douanière qui s'étend à l'ensemble des échanges de marchandises et qui comporte l'interdiction, entre les États membres, des droits de douane à l'importation et à l'exportation et de toutes taxes d'effet équivalent.
3 Les transferts de déchets à l'intérieur, à l'entrée et à la sortie de la Communauté sont soumis aux dispositions du règlement (CEE) n° 259-93 du Conseil, du 1er février 1993, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne (JO L 30, p. 1). Les transferts de déchets exclus du champ d'application de ce règlement sont précisés à son article 1er, paragraphes 2 et 3.
4 Le règlement n° 259-93 met notamment en œuvre les obligations assumées par la Communauté et par les États membres en leur qualité de parties à la convention sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, signée à Bâle le 22 mars 1989 (ci-après la "convention de Bâle"). Cette convention a été approuvée au nom de la Communauté par la décision 93-98-CEE du Conseil, du 1er février 1993 (JO L 39, p. 1). Outre la Communauté, tous les États membres sont parties à la convention de Bâle.
5 Aux termes de l'article 4, paragraphe 5, de la convention de Bâle, les parties à cette convention n'autorisent pas les exportations de déchets dangereux ou d'autres déchets vers un État non partie ou l'importation de tels déchets en provenance d'un État non partie. Des dérogations à cette règle sont néanmoins prévues, sous certaines conditions, à l'article 11 de ladite convention.
6 L'article 8 de la convention de Bâle édicte une obligation, à la charge de l'État d'exportation, de veiller à ce que, lorsqu'un mouvement transfrontière de déchets dangereux ou d'autres déchets auquel les États concernés ont consenti ne peut être mené à terme conformément aux clauses du contrat, l'exportateur réintroduise ces déchets dans l'État d'exportation, si d'autres dispositions ne peuvent être prises pour éliminer les déchets selon des méthodes écologiquement rationnelles dans un délai de 90 jours.
7 L'article 9, paragraphe 2, sous a), de la convention de Bâle dispose que, au cas où un mouvement transfrontière de déchets dangereux ou d'autres déchets est considéré comme trafic illicite du fait du comportement de l'exportateur ou du producteur, l'État d'exportation veille à ce que les déchets dangereux en question soient repris par l'exportateur ou le producteur ou, sil y a lieu, par lui-même sur son territoire.
8 L'obligation de réintroduction prévue à l'article 8 de la convention de Bâle est mise en œuvre, dans l'ordre juridique communautaire, par l'article 25, paragraphe 1, du règlement n° 259-93, libellé comme suit:
"Lorsqu'un transfert de déchets, auquel les autorités compétentes concernées ont consenti, ne peut être mené à terme conformément au document de suivi ou au contrat visé aux articles 3 et 6, l'autorité compétente d'expédition veille à ce que, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter du moment où elle en a été informée, le notifiant réintroduise les déchets dans son ressort ou ailleurs à l'intérieur de l'État d'expédition, à moins quelle ne soit convaincue que leur élimination ou valorisation peut s'effectuer d'une autre manière, selon des méthodes écologiquement saines."
9 L'article 26, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 259-93 transpose dans les termes suivants l'obligation de réintroduction prévue à l'article 9, paragraphe 2, de la convention de Bâle:
"Si le trafic illégal est le fait du notifiant des déchets, l'autorité compétente d'expédition veille à ce que les déchets en question:
a) soient ramenés dans l'État d'expédition par le notifiant ou, le cas échéant, par l'autorité compétente elle-même [1/4 ]"
10 En outre, l'article 27, paragraphe 1, du règlement n° 259-93, dispose:
"Tout transfert de déchets relevant du champ d'application du présent règlement est soumis à la constitution d'une garantie financière ou d'une assurance équivalente couvrant les coûts de transport, y compris dans les cas prévus aux articles 25 et 26, ainsi que les coûts d'élimination ou de valorisation."
11 S'agissant de l'imputation des frais administratifs et des coûts liés aux transferts, à l'élimination ou à la valorisation des déchets, l'article 33 du règlement n° 259-93 précise:
"1. Les frais administratifs appropriés pour la mise en œuvre de la procédure de notification et de surveillance et les coûts habituels des analyses et inspections appropriées peuvent être imputés au notifiant.
2. Les coûts afférents à la réintroduction des déchets, y compris le transfert, l'élimination ou la valorisation des déchets selon d'autres méthodes écologiquement saines en vertu de l'article 25 paragraphe 1 et de l'article 26 paragraphe 2, sont imputés au notifiant ou, si cela est impossible, aux États membres concernés.
3. Les coûts afférents à l'élimination ou à la valorisation selon d'autres méthodes écologiquement saines en vertu de l'article 26 paragraphe 3 sont imputés au destinataire.
4. Les coûts afférents à l'élimination ou à la valorisation, y compris au transfert éventuel, en vertu de l'article 26 paragraphe 4, sont imputés au notifiant et/ou au destinataire en fonction de la décision prise par les autorités compétentes concernées."
La réglementation nationale
12 L'article 8, paragraphe 1, de l'AbfVerbrG établit un fonds de solidarité pour la réintroduction de déchets ("Solidarfonds Abfallrückführung", ci-après le "fonds de solidarité").
13 Les sixième et septième phrases de ce paragraphe disposent:
"Afin de couvrir les prestations et les frais administratifs du fonds de solidarité, les notifiant au sens du règlement [n° 259-93] sont tenus de cotiser à ce fonds dans une mesure qui tient compte du type et de la quantité des déchets à transférer. Les cotisations non encore utilisées à l'issue d'une période de trois ans sont restituées au prorata aux débiteurs de cotisation après remboursement préalable des compléments de couverture payés en vertu du paragraphe 2."
14 À cet égard, la première phrase de l'article 8, paragraphe 2, de l'AbfVerbrG est ainsi libellée:
"Dans la mesure où les moyens que le fonds de solidarité doit fournir [...] ne sont pas suffisants pour couvrir les frais occasionnés par la réintroduction et par la valorisation non dommageable ou la destruction sous une forme conforme à l'intérêt général, les Länder sont tenus, après déduction d'une part fédérale à déterminer par règlement [...], de compléter la couverture selon une clé de répartition établie en fonction de la population et des recettes fiscales (clé de Königstein) ou selon une autre clé convenue entre les Länder."
15 L'obligation de cotiser au fonds de solidarité s'ajoute à l'obligation du notifiant, prévue à l'article 7, paragraphe 1, de l'AbfVerbrG, de constituer une garantie financière ou de fournir la preuve d'une assurance équivalente relative à l'opération de transfert de déchets, conformément à l'article 27 du règlement n° 259-93.
16 L'article 17 de la Verordnung über die Anstalt Solidarfonds Abfallrückführung (règlement relatif au fonds de solidarité pour la réintroduction de déchets), du 20 mai 1996 (BGBl. 1996 I, p. 694, ci-après le "règlement relatif au fonds de solidarité"), précise que l'obligation de cotiser naît avec l'obligation de notifier les déchets à transférer en dehors du territoire de la République fédérale d'Allemagne. L'article 18 du même règlement définit les modalités de calcul des cotisations dont les montants s'élèvent à 0,30 DEM, 3,00 DEM, 10,00 DEM ou 15,00 DEM par tonne, selon la nature des déchets.
Procédure précontentieuse
17 Par lettre de mise en demeure du 25 mai 1998, la Commission a informé les autorités allemandes quelle estimait que la cotisation au fonds de solidarité perçue en vertu de l'AbfVerbrG constituait une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation, interdite par les articles 9 et 12 du traité CE (devenus, après modification, articles 23 CE et 25 CE). Elle a souligné, en outre, qu'une telle cotisation n'était pas prévue par le règlement nº 259-93.
18 Dans leur réponse datée du 11 septembre 1998, les autorités allemandes ont soutenu que la cotisation au fonds de solidarité constituait la contrepartie proportionnée d'un avantage spécifique et/ou individualisé procuré à des opérateurs économiques et quelle n'était donc pas, de ce fait, une taxe d'effet équivalent. Le Gouvernement allemand a en outre fait valoir que les caractéristiques spéciales des déchets justifiaient certaines restrictions à la libre circulation de ce type de marchandises.
19 Le 16 août 1999, la Commission a adressé à la République fédérale d'Allemagne un avis motivé dans lequel elle rejetait les arguments qui avaient été avancés par les autorités allemandes, précisant toutefois quelle ne remettait pas en cause la cotisation versée au titre d'une exportation de déchets depuis l'Allemagne vers un pays tiers. Elle a invité cet État membre à se conformer audit avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
20 Le Gouvernement allemand ayant, dans sa réponse du 21 janvier 2000, continué de contester l'infraction au traité qui lui était reprochée, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le manquement
21 La Commission fait valoir que l'obligation imposée à tout exportateur de déchets de s'acquitter d'une cotisation au fonds de solidarité, qui découle de l'AbfVerbrG, est partiellement incompatible avec le droit communautaire. Elle estime en effet que, en tant que cette cotisation est due en cas de transfert de déchets à destination d'autres États membres, elle constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation, interdite par les articles 23 CE et 25 CE.
22 À cet égard, il convient de rappeler d'emblée que, ainsi que la Cour la constaté à maintes reprises, la justification de l'interdiction des droits de douane et de toutes taxes d'effet équivalent réside dans l'entrave que des charges pécuniaires, fussent-elles minimes, appliquées en raison du franchissement des frontières, constituent pour la circulation des marchandises, aggravée par les formalités administratives consécutives. Dès lors, toute charge pécuniaire, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait quelles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent au sens des articles 23 CE et 25 CE, alors même quelle ne serait pas perçue au profit de l'État (voir, entre autres, arrêts du 9 novembre 1983, Commission/Danemark, 158-82, Rec. p. 3573, point 18, et du 27 septembre 1988, Commission/Allemagne, 18-87, Rec. p. 5427, point 5).
23 Selon la jurisprudence de la Cour, une telle charge échappe toutefois à cette qualification si elle relève d'un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement, selon les mêmes critères, les produits nationaux et les produits importés et exportés, si elle constitue la rémunération d'un service effectivement rendu à l'opérateur économique, d'un montant proportionné audit service, ou encore, sous certaines conditions, si elle est afférente à des contrôles effectués pour satisfaire à des obligations imposées par le droit communautaire (voir arrêt Commission/Allemagne, précité, point 6, et jurisprudence citée).
24 Il est constant que, en l'espèce, la cotisation obligatoire au fonds de solidarité constitue une charge pécuniaire dont le montant est déterminé en fonction de la nature et de la quantité des déchets à transférer, conformément à l'article 8, paragraphe 1, sixième phrase, de l'AbfVerbrG. En vertu de cette disposition, lue en combinaison avec l'article 17 du règlement relatif au fonds de solidarité, l'obligation de cotiser pèse sur toute personne tenue de notifier un transfert de déchets au sens du règlement n° 259-93 et naît avec l'obligation de notifier un transfert de déchets en dehors du territoire de la République fédérale d'Allemagne.
25 Le Gouvernement allemand reconnaît que la cotisation litigieuse correspond en apparence à la notion de "taxe d'effet équivalent" retenue par la jurisprudence de la Cour. Il conteste, cependant, que ladite cotisation soit une charge interdite par les articles 23 CE et 25 CE.
26 En effet, selon ce Gouvernement, la cotisation au fonds de solidarité constitue, d'une part, une rémunération adéquate pour des services effectivement et individuellement rendus aux opérateurs économiques. D'autre part, elle constituerait une charge licite en tant que compensation d'une mesure imposée aux États membres par le droit communautaire en vue de promouvoir la libre circulation des marchandises. La cotisation litigieuse relèverait donc, à ce double titre, des exceptions admises par la jurisprudence de la Cour qui permettent de considérer qu'une charge pécuniaire n'est pas une taxe d'effet équivalant à un droit de douane.
Sur la cotisation au fonds de solidarité en tant que rémunération d'un service rendu aux opérateurs économiques
27 Le Gouvernement allemand soutient, en substance, que l'État rend aux opérateurs économiques un service financier en acceptant de garantir, conformément aux dispositions pertinentes de la convention de Bâle et du règlement nº 259-93, le financement de la réintroduction de déchets sur son territoire en cas d'exportations illégales ou n'ayant pas pu être menées à terme, lorsque le responsable n'est pas en mesure d'en supporter les frais ou ne peut être identifié. Ce service procurerait un avantage effectif aux opérateurs qui exportent des déchets à partir du territoire de la République fédérale d'Allemagne, étant donné que la garantie subsidiaire assumée par l'État leur permettrait d'accéder aux marchés des autres États membres de la Communauté, ainsi qu'à ceux des autres États parties à la convention de Bâle.
28 Selon le Gouvernement allemand, bien que les moyens du fonds de solidarité soient employés pour la réintroduction de déchets exportés illégalement, seuls les opérateurs qui exportent légalement des déchets et qui cotisent au fonds tirent un avantage du fait que l'État garantit la réintroduction. Le service ainsi rendu par l'État profiterait individuellement à chaque exportateur de déchets, lequel utilise, à chaque opération légale notifiée conformément au règlement nº 259-93, les possibilités d'exportation créées par la garantie. En outre, le montant de la cotisation perçue pour chaque exportation déterminée, fixé en fonction de la nature et de la quantité des déchets à transférer, serait lui-même en relation adéquate, au sens de la jurisprudence de la Cour, avec le service concret rendu à l'opérateur. La cotisation de chaque notifiant serait donc perçue en contrepartie de l'utilisation concrète de la possibilité d'exporter créée par la garantie de réintroduction.
29 Le Gouvernement allemand souligne que la cotisation prévue à l'article 8 de l'AbfVerbrG vise précisément à couvrir les coûts entraînés par la garantie de financement qui rend possible chaque transfert individuel de déchets au-delà de la frontière. En conséquence, il serait justifié de mettre, de façon équitable et proportionnelle, le coût réel de ce service à la charge des opérateurs économiques qui en bénéficient.
30 À cet égard, il convient de relever que l'argumentation développée par le Gouvernement allemand repose sur la thèse selon laquelle les possibilités d'exportation de déchets dont bénéficient les opérateurs économiques établis en Allemagne peuvent être attribuées, dans une mesure significative, au fait que l'État accepte, à titre subsidiaire, de garantir le financement des opérations de réintroduction de déchets, lorsque celles-ci s'avèrent nécessaires.
31 Toutefois, il y a lieu de constater que les possibilités d'exportation dont bénéficient ces opérateurs économiques ne sont nullement différentes de celles ouvertes à leurs concurrents établis dans d'autres États membres.
32 En effet, les transferts de déchets à partir de l'Allemagne obéissent aux mêmes règles et sont soumis aux mêmes conditions que celles applicables aux transferts effectués à partir des autres États membres, lesdites règles et conditions étant notamment prévues au règlement nº 259-93. Même en ce qui concerne les exportations vers d'autres États parties à la convention de Bâle, bien que les cotisations versées à l'occasion de ces exportations ne soient pas directement concernées par le présent recours, les possibilités ouvertes aux opérateurs établis en Allemagne sont identiques à celles dont bénéficient les autres exportateurs communautaires, eu égard au fait que la Communauté et tous ses États membres sont parties à cette convention et que les obligations qui en découlent sont mises en œuvre, dans l'ordre juridique communautaire, par le règlement nº 259-93.
33 En outre, il n'est pas contesté que, en acceptant de supporter les coûts afférents à la réintroduction de déchets, y compris leur transfert et leur élimination ou valorisation, lorsqu'il est impossible d'imputer ces coûts à un opérateur déterminé, la République fédérale d'Allemagne ne fait que se conformer à une obligation imposée de manière uniforme à tous les États membres par l'article 33, paragraphe 2, du règlement nº 259-93.
34 Ainsi que la relevé M. l'avocat général au point 37 de ses conclusions, le respect de cette obligation contribue à garantir qu'aucun mouvement transfrontière de déchets ne soit mis en œuvre à défaut de garanties adéquates en termes de protection de l'environnement et de la santé. La même finalité est poursuivie par beaucoup d'autres obligations qui pèsent sur les États d'exportation en vertu de diverses dispositions du droit international et du droit communautaire régissant la circulation des déchets. Or, il est évident que le bon fonctionnement du système particulier de circulation des déchets ainsi institué présuppose que chaque État observe l'ensemble des obligations qui lui incombent.
35 Dans ces conditions, l'accomplissement par la République fédérale d'Allemagne d'une obligation que le droit communautaire impose à tous les États membres, dans un but d'intérêt général, à savoir la protection de la santé et de l'environnement, ne procure aux exportateurs de déchets établis sur son territoire aucun avantage spécifique ou certain (voir, en ce sens, arrêt Commission/Allemagne, précité, point 7).
36 Cette conclusion est renforcée par le fait que l'obligation de cotiser au fonds de solidarité naît avec l'obligation de notifier un transfert de déchets en dehors du territoire allemand et que, en réalité, la charge pécuniaire supportée par les exportateurs est déterminée exclusivement en fonction du type et de la quantité des déchets à transférer. Elle na donc pour contrepartie aucun service qui leur soit effectivement rendu, ni en tant que catégorie d'opérateurs, ni à titre individuel.
37 Dès lors, la cotisation litigieuse ne saurait être considérée comme la rémunération d'un service effectivement et individuellement rendu aux opérateurs économiques concernés.
Sur la cotisation versée en tant que compensation d'une mesure imposée par le droit communautaire aux fins de promouvoir la libre circulation des marchandises
38 Compte tenu de ce qui précède, il convient d'examiner si, comme le prétend le Gouvernement allemand, la cotisation au fonds de solidarité peut être considérée comme une charge licite en tant que compensation d'une mesure imposée par le droit communautaire aux fins de promouvoir la libre circulation des marchandises.
39 Il y a lieu de rappeler à cet égard que, dès lors que la charge pécuniaire en cause a pour seul objet la compensation, financièrement et économiquement justifiée, d'une obligation imposée de façon égale à tous les États membres par le droit communautaire, elle ne saurait être assimilée à un droit de douane, ni, par conséquent, tomber sous le coup de l'interdiction énoncée aux articles 23 CE et 25 CE (arrêts du 25 janvier 1977, Bauhuis, 46-76, Rec. p. 5, points 34 à 36, et Commission/Allemagne, précité, point 14). En principe, la seule circonstance que d'autres États membres acceptent de financer eux-mêmes la réintroduction de déchets, y compris leur transfert et leur élimination ou valorisation, au moyen de leurs budgets publics, ne fait pas obstacle à cette conclusion (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 1977, Commission/Pays-Bas, 89-76, Rec. p. 1355, point 18; du 31 janvier 1984, IGF, 1-83, Rec. p. 349, points 21 et 22, et Commission/Allemagne, précité, point 15).
40 Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour, la charge pécuniaire imposée aux opérateurs économiques doit être économiquement justifiée, en ce sens qu'il doit exister un lien direct entre son montant et le coût réel de l'opération quelle vise à financer, en l'occurrence l'éventuelle réintroduction des déchets transférés, y compris leur transfert et leur élimination ou valorisation (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 1990, Bakker Hillegom, C-111-89, Rec. p. I-1735, points 11 et 12).
41 Le Gouvernement allemand fait valoir, dans ce contexte, que les cotisations au fonds de solidarité prévues en Allemagne ne dépassent pas les coûts exposés par l'État et que chaque redevance, prise séparément, est proportionnelle à l'avantage concret obtenu individuellement par chaque opérateur. En outre, selon ce Gouvernement, l'article 33, paragraphe 2, du règlement n° 259-93 laisse aux États membres une certaine marge pour déterminer les modalités de financement des coûts qu'ils exposent en tant que garants de la réintroduction de déchets, notamment par voie de redevances.
42 Il y a cependant lieu d'observer que l'article 33, paragraphe 2, du règlement nº 259-93 prévoit déjà que les coûts afférents à la réintroduction des déchets, y compris le transfert, l'élimination ou la valorisation des déchets selon d'autres méthodes écologiquement saines, sont imputés aux notifiants. Les coûts en question ne sont supportés par les États membres concernés que si cette imputation s'avère impossible.
43 Il convient également de rappeler que, en vertu des articles 25, paragraphe 1, et 26, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 259-93, les opérateurs ayant notifié des transferts de déchets qui ne peuvent être menés à terme ou qui viennent à être considérés comme illégaux sont tenus de procéder eux-mêmes à la réintroduction de ces déchets.
44 En outre, conformément à l'article 27, paragraphe 1, du règlement n° 259-93, tout transfert de déchets relevant du champ d'application de ce règlement est soumis à la constitution d'une garantie financière ou d'une assurance équivalente couvrant, entre autres, les coûts afférents à l'éventuelle réintroduction des déchets, y compris leur transfert et leur élimination ou valorisation.
45 Il n'est donc pas établi que la cotisation perçue à l'occasion de chaque transfert de déchets, lorsque celui-ci est notifié selon les dispositions du règlement nº 259-93, ait un quelconque lien avec les coûts réels que cette opération est susceptible d'engendrer pour l'État, au cas où il serait nécessaire de réintroduire les déchets transférés et de les éliminer ou les valoriser. Compte tenu des dispositions de ce règlement rappelées aux points 42 à 44 du présent arrêt, il semble d'ailleurs que les hypothèses dans lesquelles l'État sera le plus fréquemment tenu de supporter les coûts afférents à la réintroduction de déchets, y compris leur transfert et leur élimination ou valorisation, sont précisément celles où, en l'absence de notification, la garantie ou l'assurance équivalente n'auront pas été constituées, ni, partant, la cotisation versée.
46 L'absence de lien entre le montant de la cotisation et le coût réel de l'opération quelle vise à financer doit être constatée nonobstant le fait que, en application de la règle énoncée à l'article 8, paragraphe 1, septième phrase, de l'AbfVerbrG, les cotisations non utilisées par le fonds de solidarité à l'issue d'une période de trois ans sont restituées aux opérateurs, proportionnellement aux montants qu'ils ont payés. À supposer que ce système de remboursement périodique ait pour finalité, comme le soutient le Gouvernement allemand, d'adapter les cotisations individuelles aux coûts réels encourus par l'État, il convient de relever que la partie de ces cotisations utilisée pour couvrir les frais administratifs du fonds de solidarité n'est pas restituée. De même, la perte financière que représente la privation pendant trois ans des montants en cause, laquelle n'est pas compensée par le versement d'intérêts, reste, en toute hypothèse, à la charge des opérateurs concernés. La réduction progressive du volume global du fonds de solidarité, dont le montant avait été initialement établi à 75 millions de DEM et ne dépassait pas 16 millions de DEM au moment de l'introduction du présent recours, ne permet pas non plus de déterminer le montant des coûts réellement exposés par l'État pour exécuter l'obligation de réintroduction, ni de conclure que les cotisations individuelles sont fixées à un niveau adéquat par rapport à ces coûts.
47 S'agissant du caractère proportionnel de chaque cotisation par rapport au prétendu avantage obtenu par chaque opérateur, il suffit de rappeler que, ainsi que la Cour la constaté aux points 35 à 37 du présent arrêt, les opérateurs économiques appelés à payer la cotisation au fonds de solidarité ne retirent aucun avantage effectif et individuel des activités financées par ce fonds.
48 Quant à la marge de manœuvre éventuellement laissée aux États membres par l'article 33, paragraphe 2, du règlement nº 259-93, elle ne saurait, en tout état de cause, être exercée pour imposer aux notifiants des charges supplémentaires qui ne soient pas justifiées.
49 Par ailleurs, il convient de souligner que les frais administratifs appropriés pour la mise en œuvre de la procédure de notification et de surveillance, ainsi que les coûts habituels des analyses et inspections appropriées, peuvent être imputés au notifiant, ainsi qu'il est précisé à l'article 33, paragraphe 1, du règlement n° 259-93.
50 En conséquence, il y a lieu de considérer la cotisation au fonds de solidarité comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation, interdite par les articles 23 CE et 25 CE.
51 Il convient donc de constater que, en soumettant les transferts de déchets vers d'autres États membres à une cotisation obligatoire au fonds de solidarité institué par l'AbfVerbrG, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 23 CE et 25 CE.
Sur les dépens
52 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, sil est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d'Allemagne et cette dernière ayant succombé en sa défense, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
Déclare et arrête:
1) En soumettant les transferts de déchets vers d'autres États membres à une cotisation obligatoire au fonds de solidarité pour la réintroduction de déchets, institué par le Gesetz über die Überwachung und Kontrolle der grenzüberschreitenden Verbringung von Abfällen (Abfallverbringungsgesetz), du 30 septembre 1994, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 23 CE et 25 CE.
2) La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.