CJCE, 6e ch., 11 juillet 1990, n° C-23/89
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Quietlynn Limited et Brian James Richards
Défendeur :
Southend Borough Council
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Kakouris
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Schockweiler, Mancini, O'Higgins, Díez de Velasco
Avocats :
Mes Peters, Tesler, Reid, Paines.
LA COUR (sixième chambre),
1 Par ordonnance du 7 septembre 1988, parvenue à la Cour le 30 janvier 1989, la Chelmsford Crown Court (Royaume-Uni) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE en vue d'apprécier la compatibilité avec ces dispositions d'une réglementation nationale interdisant la vente d'articles pornographiques licites par des boutiques d'articles pornographiques non autorisées.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre, d'une part, l'entreprise Quietlynn Limited et M. Brian James Richards, son gérant, qui exploitent un magasin où sont vendus au détail, entre autres, des articles pornographiques, et, d'autre part, le Southend Borough Council.
3 L'article 2 du Local Government (Miscellaneous Provisions) Act de 1982 (ci-après "loi ") fournit aux autorités locales de l'Angleterre et du pays de Galles un moyen de contrôler les boutiques d'articles pornographiques dans leur circonscription. Il leur donne notamment la possibilité d'adopter une résolution rendant applicables, dans la circonscription concernée, les dispositions de l'annexe 3 de la loi qui permet de soumettre à une autorisation la vente de ces articles.
4 Le Southend Borough Council a usé de cette possibilité à compter du 23 juin 1983. Il a engagé des poursuites contre Quietlynn Limited et M. Richards au motif qu'ils avaient exploité leurs locaux sans autorisation les 13 mars et 11 avril 1985. Ils ont été déclarés coupables de deux infractions par le Magistrates Court de Southend le 11 février 1986 et condamnés à une amende de 1 000 UKL pour chacune d'elles, ainsi qu'aux dépens.
5 Quietlynn Limited et M. Richards ont interjeté appel de ce jugement devant la Chelmsford Crown Court en faisant uniquement valoir pour leur défense que les dispositions de la loi traitant du régime d'autorisation auquel sont soumis les établissements pornographiques sont incompatibles avec l'article 30 du traité CEE parce qu'elles constituent une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation à partir d'autres États membres et qu'elles ne font l'objet ni d'une des exceptions prévues à l'article 36 ni d'aucune autre dérogation.
6 La Chelmsford Crown Court a considéré que le litige soulevait des problèmes d'interprétation du droit communautaire et a donc posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"Question 1
Le fait pour un État membre ((une fois que les autorités locales ont décidé que la législation en cause est applicable dans leur ressort, sous réserve de soumettre à un régime d'autorisation (licence) les locaux qui constituent des "sex establishments" (boutiques d'articles pornographiques))) d'interdire la vente (entre autres) d'articles pornographiques licites par des " sex establishments " non titulaires d'une autorisation constitue-t-il une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative aux importations au sens de l'article 30 du traité CEE lorsque cette interdiction a pour effet de permettre aux autorités locales d'exercer un contrôle sur les "sex establishments"situés dans leur ressort, et lorsqu'elle a eu pour effet de limiter la vente par les appelants de marchandises provenant d'autres États membres, puisqu'ils se sont efforcés de ne pas enfreindre la " loi " par les mesures qu'ils ont prises en matière de stockage et ont ainsi vendu moins d'articles importés des États membres qu'ils n'en auraient sinon vendu, et, par conséquent, de restreindre l'offre d'articles pornographiques fabriqués dans d'autres États membres?
Question 2
En cas de réponse affirmative à la question 1, une telle mesure bénéficie-t-elle de la justification visée à l'article 36?
Question 3
Si l'interdiction visée dans la question 1 enfreint l'article 30 et ne se justifie pas au titre de l'article 36, est-elle tout à fait inopposable à un commerçant de l'État membre ou ne l'est-elle que dans la mesure où elle fait obstacle à des opérations portant sur des marchandises fabriquées dans d'autres États membres ou importées à partir de ceux-ci?"
7 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la première question
8 Par sa première question, la juridiction nationale cherche à savoir si des dispositions interdisant la vente d'articles pornographiques licites par des boutiques d'articles pornographiques non autorisées constituent une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives au sens de l'article 30 du traité.
9 A titre liminaire, il convient de constater qu'une réglementation nationale interdisant la vente d'articles pornographiques par des boutiques non autorisées est indistinctement applicable aux produits importés et nationaux. Elle ne constitue donc pas une interdiction absolue de vendre les produits en cause, mais simplement une règle de distribution qui régit les points de vente par l'intermédiaire desquels les produits peuvent être commercialisés. En principe, la commercialisation des produits importés d'autres États membres n'est donc pas rendue plus difficile que celle des produits nationaux.
10 A cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà considéré, dans des situations similaires qui concernaient les modalités de commercialisation de certains produits, que l'article 30 du traité ne s'appliquait pas. Ainsi, dans son arrêt du 14 juillet 1981, Oebel (155-80, Rec. p. 1993), la Cour a jugé qu'une réglementation nationale concernant les heures de travail, de livraison et de vente dans le secteur de la boulangerie et de la pâtisserie était compatible avec l'article 30 du traité puisque les échanges intracommunautaires restaient en effet possibles à tout moment. De même dans son arrêt du 31 mars 1982, Blesgen (75-81, Rec. p. 1211), la Cour a estimé qu'une disposition législative qui ne concerne que la vente en vue de la consommation sur place des alcools de fort degré dans tous les endroits accessibles au public et qui ne concerne pas les autres formes de commercialisation des mêmes boissons n'a, en réalité, pas de lien avec l'importation des produits et, pour cette raison, n'est pas de nature à entraver le commerce entre États membres.
11 Il convient de constater également que les dispositions interdisant la vente des articles pornographiques par des boutiques pornographiques non autorisées ne présentent, en réalité, aucun lien avec les échanges intracommunautaires puisque la commercialisation des produits visés par cette loi est possible par l'intermédiaire de boutiques autorisées ainsi que par d'autres circuits, à savoir les magasins dans lesquels les articles pornographiques ne constituent qu'une proportion insignifiante des ventes et qui, pour cette raison, ne sont pas soumis à une autorisation ou la vente par correspondance. Au surplus, ces dispositions n'ont pas pour objet de régir les échanges intracommunautaires de marchandises et, donc, elles ne sont pas de nature à entraver le commerce entre États membres.
12 Il convient donc de répondre à la première question que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens que ne constituent pas une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation des dispositions nationales interdisant la vente d'articles pornographiques licites par des boutiques d'articles pornographiques non autorisées.
Sur les deuxième et troisième questions
13 Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.
Sur les dépens
14 Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par la Chelmsford Crown Court du Royaume-Uni, par ordonnance du 1er septembre 1988, dit pour droit :
L'article 30 du traité doit être interprété en ce sens que ne constituent pas une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation des dispositions nationales interdisant la vente d'articles pornographiques licites par des boutiques d'articles pornographiques non autorisées.