CJCE, 12 mars 1987, n° 178-84
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mackenzie Stuart
Présidents de chambre :
MM. Galmot, Kakouris, O'higgins, Schockweiler
Avocat général :
Sir Gordon Slynn
Juges :
MM. Bosco, Koopmans, Due, Everling, Bahlmann, Joliet, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 juillet 1984, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître qu'en interdisant la commercialisation de bières légalement fabriquées et mises sur le marché dans un autre Etat membre lorsque ces bières ne sont pas conformes aux articles 9 et 10 du biersteuergesetz (loi du 14 mars 1952, BGBL., I, p. 149), la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité.
2. En ce qui concerne les faits de l'affaire, le déroulement de la procédure et les arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la législation interne applicable
3. Au cours de la procédure devant la Cour, le Gouvernement allemand a fait de sa législation relative à la bière la présentation suivante qui n'a pas été contestée par la Commission et qui doit être retenue aux fins du présent litige.
4. Le biersteuergesetz (loi fiscale sur la bière) comporte, pour ce qui intéresse le présent litige, d'une part des règles de fabrication qui ne s'appliquent comme telles qu'aux brasseries établies en République fédérale d'Allemagne, et, d'autre part, une réglementation sur l'utilisation de la dénomination "bier" (bière) qui vaut tant pour les bières fabriquées en République fédérale d'Allemagne que pour les bières importées.
5. Les règles de fabrication sont énoncées dans l'article 9 du biersteuergesetz. Le paragraphe 1 de cette disposition prévoit que pour la préparation de bière de fermentation basse, il ne peut être utilisé que du malt d'orge, du houblon, de la levure et de l'eau. Le paragraphe 2 du même article soumet la préparation de la bière de fermentation haute aux mêmes prescriptions, mais autorise toutefois l'utilisation d'autres malts et l'utilisation de sucre de canne, de sucre de betterave ou de sucre inverti techniquement pur, ainsi que de glucose et de colorants obtenus à partir de sucres des types précités. Dans son paragraphe 3, l'article 9 précise qu'il faut entendre par malt toute céréale portée artificiellement a germination. Il y a lieu de noter à cet égard que selon l'article 17, paragraphe 4, du règlement portant dispositions d'application du biersteuergesetz (" durchfuehrungsbestimmungen zum biersteuergesetz" du 14 mars 1952) (BGBL., I, p. 153), le riz, le maïs et le sorgho ne sont pas des céréales au sens de l'article 9, paragraphe 3, du biersteuergesetz. Des dérogations aux règles de fabrication des paragraphes 1 et 2 de l'article 9 du biersteuergesetz peuvent, aux termes du paragraphe 7 de cette même disposition, être accordées sur demande dans des cas particuliers pour la préparation de bières spéciales et de bière destinée à l'exportation ou à des essais scientifiques. Par ailleurs, le paragraphe 8 de ce même article rend ses paragraphes 1 et 2 inapplicables aux brasseries qui ne produisent la bière que pour leur propre usage (hausbrauer). Les règles de fabrication de l'article 9 du biersteuergesetz sont assorties de sanctions pénales édictées par l'article 18, paragraphe 1, (1), de cette même loi.
6. La règle sur l'utilisation dans le commerce de la dénomination "bier" (bière) est contenue dans l'article 10 du biersteuergesetz. Aux termes de celui-ci, ne peuvent être commercialisées sous la dénomination "bier" (bière) - seule ou en tant qu'élément d'une dénomination composée -, ou bien sous d'autres appellations ou des représentations figuratives qui susciteraient l'impression qu'il s'agit de bière, que des boissons fermentées conformes aux prescriptions de l'article 9, paragraphes 1 et 2 et 4 à 6 du biersteuergesetz. Cette règle ne comporte qu'une interdiction de commercialisation relative en ce sens que des boissons non-conformes aux règles de fabrication énoncées ci-dessus peuvent être vendues sous d'autres dénominations, à condition que ces dénominations ne tombent pas sous le coup des restrictions énoncées par l'article 10. Cette règle de dénomination est assortie des sanctions pénales édictées par l'article 18, paragraphe 1, (4), du biersteuergesetz.
7. Si des bières contiennent des additifs, leur importation en République fédérale d'Allemagne se heurte, en outre, à l'interdiction de commercialisation absolue édictée par une autre disposition législative, à savoir l'article 11, paragraphe 1, (2), de la loi régissant le commerce des denrées alimentaires, des produits à base de tabac, des produits cosmétiques et autres biens de consommation (" gesetz ueber den verkehr mit lebensmitteln, tabakerzeugnissen, kosmetischen mitteln und sonstigen bedarfsgegenstaenden "), "lebensmittel - und bedarfsgegenstaendegesetz", du 15 août 1974 (BGBL., I, p. 1945) (ci-après le "LMBG ").
8. Fondée sur des considérations de prévention sanitaire, cette dernière loi repose, en matière d'additifs, sur un principe d'interdiction, sous réserve d'autorisation. Dans son article 2, elle définit les additifs comme étant "les substances destinées à être ajoutées aux produits alimentaires pour influencer leurs caractéristiques ou pour obtenir des propriétés ou des effets particuliers" et exclut de cette définition "les substances d'origine naturelle ou chimiquement identiques aux substances naturelles et qui, d'après les usages, sont principalement utilisées en raison de leur valeur nutritive, olfactive ou gustative pour l'agrément, ainsi que l'eau potable et l'eau de table ".
9. Dans son article 11, paragraphe 1, (1), le LMBG interdit l'utilisation d'additifs non autorisés, à l'état pur ou en composition avec d'autres substances, pour la fabrication ou le traitement à titre professionnel de produits alimentaires destinés à être commercialisés. Elle précise, dans le paragraphe 2, (1), et dans le paragraphe 3 du même article, que ne tombent pas sous le coup de cette interdiction les adjuvants techniques et les enzymes. Par adjuvants techniques, la loi entend selon le paragraphe 2, (1), du même article "les additifs qui sont séparés du produit alimentaire, soit totalement, soit de telle sorte qu'ils ne soient contenus dans le produit destiné au consommateur que sous forme de résidus techniquement inévitables et dépourvus d'effet du point de vue technologique, dans des proportions négligeables du point de vue de la santé, des odeurs et du goût".
10. Dans son article 11, paragraphe 1, (2), le LMBG interdit la commercialisation à titre professionnel de produits qui ont été fabriqués ou traités en violation de l'interdiction de fabrication énoncée au paragraphe 1, (1), ou qui ne sont pas conformes à un règlement pris sur la base de son article 12, paragraphe 1. En vertu de cette dernière disposition, un règlement ministériel approuvé par le Bundesrat peut autoriser l'emploi de certains additifs de manière générale, ou pour certains produits alimentaires ou encore pour certaines utilisations, dans la mesure où une telle autorisation est compatible avec la protection du consommateur compte tenu des nécessités technologiques, nutritionnelles et diététiques. Ces autorisations sont contenues dans les annexes du règlement concernant l'autorisation de l'emploi d'additifs dans les produits alimentaires (" verordnung ueber die zulassung von zusatzstoffen zu lebensmitteln ") du 22 décembre 1981 (BGBL., I, p. 1633) (ci-après la "ZZULV").
11. En tant que denrée alimentaire, la bière tombe sous l'application de la législation sur les additifs, mais elle est soumise à cet égard à un régime particulier. Les règles de fabrication contenues dans l'article 9 du biersteuergesetz excluent l'utilisation de toutes substances autres que celles qui y sont énumérées, y compris les additifs. Elles constituent, des lors, des dispositions particulières en matière d'additifs au sens de l'article 1, paragraphe 3, de la ZZULV. Cette disposition réserve l'application des règles qui interdisent, limitent ou autorisent l'utilisation d'additifs pour certains produits alimentaires dans des conditions différentes de celles de la ZZULV. L'utilisation d'additifs autorisés de manière générale ou pour certaines utilisations dans les annexes de la ZZULV est en conséquence exclue dans le cas de la bière. Cette exclusion ne vaut cependant que pour les substances qui constituent des additifs au sens du LMBG et pour l'emploi desquelles le LMBG lui-même, en tant que loi postérieure au biersteuergesetz, ne prévoit pas de dérogation. L'interdiction des additifs dans la bière n'englobe donc ni celle des adjuvants techniques ni celle des enzymes.
12. Il en résulte que l'article 11, paragraphe 1, (2), du LMBG en liaison avec l'article 9 du biersteuergesetz a pour effet d'interdire l'importation en République fédérale d'Allemagne des bières contenant des substances tombant sous le coup de l'interdiction d'utilisation des additifs édictée par l'article 11, paragraphe 1, (1), du LMBG.
Sur l'objet du litige
13. Il y a lieu de déterminer si le litige porte uniquement sur l'interdiction de commercialiser sous la dénomination "bier" (bière) des bières qui ont été fabriquées dans d'autres Etats membres selon des règles ne correspondant pas à celles de l'article 9 du biersteuergesetz ou bien s'il s'étend à l'interdiction d'importer des bières qui contiennent des additifs autorisés dans l'Etat membre de provenance, mais interdits en République fédérale d'Allemagne.
14. Dans sa lettre de mise en demeure, la Commission a dirigé ses critiques contre les dispositions des articles 9 et 10 du biersteuergesetz en ce qu'elles excluaient l'importation en République fédérale d'Allemagne de bières fabriquées légalement dans d'autres Etats membres, des lors que ces bières n'avaient pas été brassées conformément aux dispositions applicables en République fédérale d'Allemagne. La Commission a estimé que cette interdiction de commercialisation ne pouvait être justifiée par des considérations d'intérêt général tenant à la protection des consommateurs ou à la sauvegarde de la santé publique.
15. Dans sa réponse à cette lettre, le Gouvernement allemand a fait valoir que les dispositions législatives relatives à la pureté de la bière étaient indispensables à la sauvegarde de la santé publique parce que la fabrication de bière à partir des seules matières premières énumérées par l'article 9 du biersteuergesetz permettait d'éviter le recours à des additifs. Dans une lettre complémentaire du 15 décembre 1982, adressée à un membre de la Commission, le Gouvernement allemand a repris cet argument, en précisant que la prescription de n'utiliser que les matières premières énumérées dans l'article 9 du biersteuergesetz incluait l'interdiction des additifs, interdiction destinée à sauvegarder la santé publique.
16. Dans son avis motivé, la Commission a maintenu son point de vue. Selon la Commission, le fait que la bière brassée selon la tradition allemande de la règle de pureté peut être fabriquée sans additif ne permet pas d'exclure de manière générale la nécessité technologique d'utiliser des additifs pour de la bière brassée selon d'autres traditions ou à partir d'autres matières premières. La Commission estime que la question de la nécessité technologique d'utiliser des additifs ne peut être tranchée qu'en considération des méthodes de fabrication utilisées et par rapport à des additifs déterminés.
17. Dans sa réponse à cet avis motivé, le Gouvernement allemand a réitéré les considérations de prévention sanitaire qui justifiaient, selon lui, les dispositions des articles 9 et 10 du biersteuergesetz. Il ne s'est toutefois pas expliqué sur la portée exacte de cette législation ni sur ses rapports avec le régime des additifs.
18. Dans les motifs de sa requête, la Commission a dénoncé les entraves aux importations qu'entraînait l'application du biersteuergesetz aux bières fabriquées dans d'autres Etats membres à partir d'autres matières premières ou avec des additifs autorisés dans ces états.
19. Ce n'est qu'au stade de son mémoire en défense que le Gouvernement allemand a exposé que le régime de pureté de la bière reposait sur deux législations distinctes mais complémentaires, et qu'il a fait de sa législation la présentation reproduite ci-dessus.
20. Dans sa réplique, la Commission a exposé de façon distincte les objections qu'elle formulait à l'encontre de la règle de dénomination contenue dans l'article 10 du biersteuergesetz et les objections qu'appelait de sa part l'interdiction absolue des additifs dans la bière. De l'avis de la Commission, la présentation complète du droit applicable fournie par le Gouvernement allemand ne modifie pas fondamentalement les données du présent litige. La Commission a insisté à cet égard sur le fait qu'elle n'avait pas dirigé son recours exclusivement contre les articles 9 et 10, du biersteuergesetz mais qu'elle avait visé de façon générale l'interdiction de commercialiser de la bière en provenance d'autres Etats membres qui n'était pas conforme aux critères de fabrication contenus dans ces dispositions, le fondement législatif exact de cette interdiction étant par ailleurs sans importance.
21. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer, pour deux raisons, que le recours est dirigé à la fois contre l'interdiction de commercialiser sous la dénomination "bier" (bière) des bières qui ont été fabriquées dans d'autres Etats membres selon des règles ne correspondant pas à celles de l'article 9 du biersteuergesetz et contre l'interdiction d'importer des bières contenant des additifs dont l'emploi est autorisé dans l'Etat membre de provenance, mais interdit en République fédérale d'Allemagne.
22. En premier lieu, en s'en prenant dès le début de la procédure précontentieuse à l'interdiction de commercialisation à laquelle se heurte en République fédérale d'Allemagne l'importation de bières en provenance d'autres Etats membres, dès lors qu'elles n'ont pas été brassées selon des règles correspondant à celles en vigueur en République fédérale d'Allemagne, la Commission a identifié des l'origine la substance du manquement. Elle n'a visé l'article 9 du biersteuergesetz que pour préciser ces règles. Ainsi que le Gouvernement allemand l'a exposé, la portée de cette disposition n'est d'ailleurs pas limitée aux matières premières mais s'étend aux additifs. Les arguments développés par la Commission au cours de la procédure précontentieuse au sujet du caractère inapproprié d'une interdiction absolue des additifs démontrent au surplus qu'elle avait l'intention d'inclure celle-ci dans l'objet de son recours.
23. En second lieu, il importe de relever que c'est le Gouvernement allemand lui-même qui, dès le début de la procédure, s'est pour l'essentiel défendu sur le terrain des additifs et de la sauvegarde de la santé publique, ce qui, d'une part, implique qu'il avait compris et reconnu que l'objet du litige englobait aussi l'interdiction absolue d'emploi des additifs, et, d'autre part, exclut qu'il puisse y avoir atteinte aux droits de la défense.
Sur l'interdiction de commercialiser sous la dénomination "bier" (bière) des bières ne répondant pas aux exigences de l'article 9 du biersteuergesetz
24. Il y a lieu de souligner d'abord que la règle de fabrication contenue dans l'article 9 du biersteuergesetz ne saurait constituer en elle-même une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative interdite par l'article 30 du traité, puisqu'elle ne s'applique qu'aux brasseries établies en République fédérale d'Allemagne. L'article 9 du biersteuergesetz n'est en cause ici que dans la mesure où l'article 10 du biersteuergesetz, qui vise quant à lui aussi bien les produits importés d'autres Etats membres que les produits fabriqués sur le territoire national, s'y réfère pour déterminer les boissons pour la commercialisation desquelles la dénomination "bier" (bière) peut être utilisée.
25. Pour ce qui est de cette règle de dénomination, la Commission admet que tant qu'une harmonisation n'a pas été réalisée au niveau communautaire, les Etats membres ont en principe compétence pour déterminer les règles relatives à la fabrication, à la composition et à la commercialisation des boissons. Elle souligne, toutefois, l'incompatibilité avec le droit communautaire d'un système qui, comme l'article 10 du biersteuergesetz, interdit d'utiliser une dénomination générique pour le commerce de produits fabriqués en partie avec des matières premières, telles le riz et le maïs, autres que celles prescrites sur le territoire national. Une telle réglementation irait en toute hypothèse au-delà de ce qui est nécessaire à la protection du consommateur allemand, celle-ci pouvant fort bien être assurée par voie d'étiquetage ou d'avis. Elle constituerait donc une entrave interdite par l'article 30 du traité.
26. Le Gouvernement allemand a d'abord cherché à justifier sa réglementation par des considérations de santé publique. Selon lui, l'utilisation de matières premières autres que celles admises par l'article 9 du biersteuergesetz entraînerait immanquablement le recours à des additifs. Lors de l'audience, le Gouvernement allemand a toutefois reconnu que l'article 10 du biersteuergesetz, qui se réduit à une règle de dénomination, n'avait d'autre objectif que la protection des consommateurs. Ceux-ci associeraient la dénomination "bier" (bière) à une boisson fabriquée à partir des seules matières premières énumérées dans l'article 9 du biersteuergesetz. Il s'agirait donc d'empêcher qu'ils soient induits en erreur sur la nature du produit en étant amenés à croire qu'une boisson appelée "bier" (bière) répond à la loi de pureté lorsque tel n'est pas le cas. Le Gouvernement allemand a maintenu que sa réglementation ne poursuivait aucune fin protectionniste. Il a souligné à cet égard que les matières premières dont l'utilisation est prescrite par l'article 9, paragraphes 1 et 2, du biersteuergesetz, ne sont pas nécessairement d'origine nationale et que l'emploi de la dénomination "bier" (bière) est permis à tout opérateur qui commercialise des produits fabriqués selon les règles prescrites, règles qui peuvent aisément être respectées ailleurs qu'en République fédérale d'Allemagne.
27. Il convient d'abord de rappeler la jurisprudence constante de la Cour (en premier lieu arrêt du 11 juillet 1974, Procureur du Roi/Dassonville, 8-74, Rec. p. 837) selon laquelle l'interdiction des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives édictée à l'article 30 du traité englobe "toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible de faire obstacle directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement au commerce intracommunautaire".
28. Il y a lieu de souligner, ensuite, qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour (notamment arrêt du 20 février 1979, Rewe, 120-78, Rec. p. 649, et arrêt du 10 novembre 1982, Rau, 261-81, Rec. p. 3961) "que, en l'absence d'une réglementation commune de la commercialisation des produits dont il s'agit, les obstacles à la libre circulation intracommunautaire résultant de disparités des réglementations nationales doivent être acceptés dans la mesure où une telle réglementation, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant, entre autres, à la défense des consommateurs. Encore faut-il qu'une telle réglementation soit proportionnée à l'objet visé. Si un Etat membre dispose d'un choix entre différentes mesures aptes à atteindre le même but, il lui incombe de choisir le moyen qui apporte le moins d'obstacles à la liberté des échanges."
29. Il n'est pas contesté que l'application de l'article 1° du biersteuergesetz à des bières en provenance d'autres Etats membres pour la fabrication desquelles ont été utilisées légalement d'autres matières premières que le malt d'orge et notamment du riz et du maïs, est susceptible d'entraver leur importation en République fédérale d'Allemagne.
30. Il reste donc à vérifier si cette application peut être justifiée par des exigences impératives tenant à la protection des consommateurs.
31. A cet égard, l'argument du Gouvernement allemand, selon lequel la règle de l'article 10 du biersteuergesetz serait indispensable à la protection des consommateurs allemands parce que, dans l'esprit de ceux-ci, la dénomination "bier" (bière) serait indissociable d'une boisson fabriquée à partir des seuls ingrédients prescrits par l'article 9 du biersteuergesetz, doit être rejeté.
32. En premier lieu, les représentations des consommateurs qui peuvent varier d'un Etat membre à l'autre sont aussi susceptibles d'évoluer au fil du temps à l'intérieur d'un même Etat membre. L'institution du Marché commun est d'ailleurs un des facteurs essentiels qui peuvent contribuer à cette évolution. Alors qu'un régime de protection des consommateurs contre la tromperie permet de tenir compte de cette évolution, une législation du type de l'article 10 du biersteuergesetz l'empêche de se produire. Ainsi que la Cour a déjà eu l'occasion de le souligner dans un autre contexte (arrêt du 27 février 1980, Commission/Royaume-Uni, 170-78, Rec. p. 417), il ne faut pas que la législation d'un Etat membre "serve à cristalliser des habitudes de consommation données et à stabiliser un avantage acquis par les industries nationales qui s'attachent à les satisfaire".
33. En second lieu, dans les autres Etats membres de la communauté, les dénominations correspondant à la dénomination allemande "bier" (bière) ont un caractère générique pour désigner une boisson fermentée fabriquée à base de malt d'orge, que celui-ci soit utilisé exclusivement ou concurremment avec du riz ou du maïs. Il en est de même en droit communautaire, ainsi qu'il ressort de la position 22.03 du tarif douanier commun. Le législateur allemand lui-même a utilisé la dénomination "bier" (bière) de cette manière dans l'article 9, paragraphes 7 et 8, du biersteuergesetz pour se référer à des boissons ne répondant pas aux règles de fabrication des paragraphes 1 et 2 du même article.
34. La dénomination allemande "bier" (bière) et les dénominations correspondantes dans les langues des autres Etats membres de la Communauté ne sauraient donc être réservées aux bières fabriquées selon les règles en vigueur en République fédérale d'Allemagne.
35. Il est certes légitime de vouloir donner aux consommateurs qui attribuent des qualités particulières aux bières fabriquées à partir de matières premières déterminées la possibilité d'opérer leur choix en fonction de cet élément. Cependant, ainsi que la Cour l'a déjà souligné (arrêt du 9 décembre 1981, Commission/Italie, 193-80, Rec. p. 3019), pareille possibilité peut être assurée par des moyens qui n'entravent pas l'importation de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres Etats membres, et notamment "par l'apposition obligatoire d'un étiquetage adéquat concernant la nature du produit vendu". En indiquant les matières premières utilisées dans la fabrication de la bière, "un tel procédé permettrait au consommateur de fixer son choix en toute connaissance de cause et assurerait la transparence des transactions commerciales et des offres au public". Il convient d'ajouter que ce système d'information obligatoire ne doit pas comporter d'appréciations négatives pour les bières qui ne sont pas conformes aux exigences de l'article 9 du biersteuergesetz.
36. Contrairement à ce qu'a soutenu le Gouvernement allemand, pareil système d'information peut parfaitement fonctionner même pour un produit qui, comme la bière, n'est pas nécessairement livré aux consommateurs en bouteilles ou en boîtes pouvant être pourvues des mentions appropriées. Cela est à nouveau confirmé par la réglementation allemande elle-même. L'article 26, paragraphes 1 et 2, du règlement précité portant dispositions d'application du biersteuergesetz prévoit un système d'information du consommateur pour certaines bières, même lorsqu'elles sont débitées à la pression. Les informations requises doivent alors figurer sur les fûts ou les siphons.
37. Des considérations qui précèdent, il résulte que l'application de la règle de dénomination, contenue dans l'article 10 du biersteuergesetz, aux bières importées d'autres Etats membres qui ont été fabriquées et commercialisées légalement dans ces Etats constitue un manquement par la République fédérale d'Allemagne aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité.
Sur l'interdiction de commercialisation absolue de bières contenant des additifs
38. Pour la Commission, l'interdiction de commercialisation absolue dont sont frappées les bières contenant des additifs ne saurait être justifiée par des considérations tenant à la sauvegarde de la santé publique. Selon l'institution requérante, les autres Etats membres font preuve d'une grande sévérité quant à l'utilisation des additifs dans les produits alimentaires, et n'autorisent l'emploi d'un additif donné qu'après que des examens minutieux aient établi son innocuité. Les bières fabriquées dans ces Etats qui contiennent des additifs qui y sont autorisés doivent, selon la Commission, être présumées ne comporter aucun danger pour la santé publique. Si la République fédérale d'Allemagne veut s'opposer à leur importation, c'est à elle qu'incombe, selon la Commission, la charge de prouver que ces bières sont dangereuses pour la santé publique. La Commission estime que, en l'espèce, une telle preuve n'a pas été apportée. Le régime des additifs applicable à la bière en République fédérale d'Allemagne serait en tout cas disproportionné en ce qu'il exclut complètement l'emploi d'additifs, alors que le régime qui est appliqué aux autres boissons, telles les boissons rafraîchissantes, est nettement plus souple.
39. Le Gouvernement allemand, quant à lui, estime que, eu égard aux dangers résultant de l'utilisation des additifs, dont les effets à long terme ne sont pas encore connus, et compte tenu spécialement des risques que présentent l'accumulation des additifs dans l'organisme et leur interaction avec d'autres substances comme l'alcool, il est nécessaire de limiter le plus possible la quantité d'additifs absorbés. Comme la bière est un aliment largement consommé en Allemagne, le Gouvernement allemand considère qu'il est particulièrement indiqué d'exclure l'emploi de tout additif dans sa fabrication. Un tel choix s'imposerait d'autant plus que l'emploi des additifs n'est pas technologiquement nécessaire puisque l'utilisation des seuls ingrédients prescrits par le biersteuergesetz permet de l'éviter. Dans ces conditions, le régime allemand des additifs applicable à la bière serait entièrement justifié par la nécessité de sauvegarder la santé publique et ne violerait pas le principe de proportionnalité.
40. Il n'est pas contesté que l'interdiction de commercialiser des bières qui contiennent des additifs entrave l'importation de bières en provenance d'autres Etats membres qui contiennent des additifs autorisés dans ces Etats et est donc dans cette mesure visée par l'article 30 du traité. Il convient toutefois de vérifier si l'application de cette interdiction peut être justifiée, au titre de l'article 36 du traité, par des raisons de protection de la santé des personnes.
41. Ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour (notamment arrêt du 14 juillet 1983, Sandoz, 174-82, Rec. p. 2445), "dans la mesure où des incertitudes subsistent en l'état actuel de la recherche scientifique, il appartient aux Etats membres, à défaut d'harmonisation, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et la vie des personnes, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté".
42. De la jurisprudence de la Cour (et spécialement des arrêts du 14 juillet 1983, Sandoz, précité; du 10 décembre 1985, Motte, 247-84, Rec. p. 3887; et du 6 mai 1986, Muller, 304-84, Rec. p. 1511), il résulte également que dans ces conditions, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les Etats membres mettent en place une législation qui soumet l'utilisation d'additifs à une autorisation préalable accordée par un acte de portée générale pour des additifs déterminés, soit pour tous les produits, soit pour certains d'entre eux seulement, soit en vue de certains emplois. Une législation de ce type répond à un objectif légitime de politique sanitaire qui est de restreindre la consommation incontrôlée d'additifs alimentaires.
43. L'application aux produits importés des interdictions de commercialiser des produits contenant des additifs autorisés dans l'Etat membre de production, mais interdits dans l'Etat membre d'importation n'est toutefois admissible que pour autant qu'elle soit conforme aux exigences de l'article 36 du traité tel qu'il a été interprété par la Cour.
44. Il faut rappeler, en premier lieu, que dans ses arrêts Sandoz, Motte et Muller précités, la Cour a déduit du principe de proportionnalité, qui est à la base de la dernière phrase de l'article 36 du traité, que les interdictions de commercialiser des produits contenant des additifs autorisés dans l'Etat membre de production, mais interdits dans l'Etat membre d'importation doivent être limitées à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé publique. La Cour en a également conclu que l'utilisation d'un additif déterminé, admis dans un autre Etat membre, doit être autorisée dans le cas d'un produit importé de cet Etat membre, des lors que, compte tenu, d'une part, des résultats de la recherche scientifique internationale et spécialement des travaux du Comité scientifique communautaire de l'alimentation humaine et de la Commission du codex alimentarius de la FAO et de l'Organisation mondiale de la santé, et, d'autre part, des habitudes alimentaires dans l'Etat membre d'importation, cet additif ne présente pas un danger pour la santé publique et qu'il répond à un besoin réel, notamment d'ordre technologique.
45. Il convient de rappeler, en second lieu, que, ainsi que la Cour l'a constaté dans son arrêt du 6 mai 1986 (Muller, précité), le principe de proportionnalité exige également que les opérateurs économiques soient en mesure de demander, par une procédure qui leur soit aisément accessible et qui puisse être menée à terme dans des délais raisonnables, que soit autorisé par un acte de portée générale l'emploi d'additifs déterminés.
46. Il y a lieu de préciser qu'une absence injustifiée d'autorisation doit pouvoir être mise en cause par les opérateurs économiques dans le cadre d'un recours juridictionnel. Sans préjudice de la faculté qu'elles ont de demander aux opérateurs économiques les données dont ceux-ci disposent et qui peuvent être utiles à l'appréciation des faits, c'est, ainsi qu'il a déjà été jugé dans l'arrêt du 6 mai 1986 (Muller, précité), aux autorités nationales compétentes de l'Etat membre d'importation qu'il incombe de démontrer que l'interdiction est justifiée par des raisons de protection de la santé de leur population.
47. Il importe de relever que le régime allemand des additifs applicable à la bière, d'une part, aboutit à une exclusion de tous les additifs autorisés dans les autres Etats membres, et non à une exclusion de certains d'entre eux justifiée concrètement par les dangers qu'ils comporteraient eu égard aux habitudes alimentaires de la population allemande, et, d'autre part, ne comporte aucune procédure qui permette aux opérateurs économiques d'obtenir que tel additif déterminé soit admis par un acte de portée générale dans la fabrication de la bière.
48. En ce qui concerne plus particulièrement la nocivité des additifs, le Gouvernement allemand a fait état, en s'appuyant sur des expertises, des dangers inhérents à l'absorption d'additifs en général. Il a exposé qu'il importait, pour des motifs de prévention générale, de limiter le plus possible la quantité d'additifs absorbés et qu'il était particulièrement indiqué d'exclure complètement leur emploi dans la fabrication de la bière qui est un aliment largement consomme par sa population.
49. Il découle toutefois des tableaux des additifs admis pour les différents aliments, présentés par le Gouvernement allemand lui-même, que certains des additifs autorisés dans d'autres Etats membres dans la fabrication de la bière sont également admis par la réglementation allemande, et notamment par la ZZULV, pour la fabrication de toutes ou de presque toutes les boissons. La seule référence aux risques potentiels résultant de l'absorption d'additifs en général et le fait que la bière soit un aliment largement consommé ne suffisent pas à justifier l'institution d'un régime plus sévère dans le cas de ce produit.
50. En ce qui concerne le besoin, notamment technologique, d'additifs, le Gouvernement allemand a fait valoir qu'il n'existait pas, dès lors que la bière était fabriquée selon les prescriptions de l'article 9, de la biersteuergesetz.
51. A cet égard, il convient de souligner qu'il ne suffit pas, pour exclure que certains additifs puissent répondre à un besoin technologique, d'invoquer le fait que la bière peut être fabriquée sans additifs des lors qu'elle est fabriquée à partir des matières premières prescrites en République fédérale d'Allemagne. Pareille interprétation de la notion de besoin technologique, qui aboutit à privilégier les méthodes de production nationales, constitue un moyen de restreindre de façon déguisée le commerce entre Etats membres.
52. La notion de besoin technologique doit s'apprécier en fonction des matières premières utilisées et en tenant compte de l'appréciation qui en a été faite par les autorités de l'Etat membre où le produit a été légalement fabriqué et commercialisé. Il convient de tenir compte également des résultats de la recherche scientifique internationale, et en particulier de ceux des travaux du Comité scientifique communautaire de l'alimentation humaine et de la Commission du codex alimentarius de la FAO et de l'Organisation mondiale de la santé.
53. Dès lors, dans la mesure où le régime allemand des additifs relatif à la bière comporte une exclusion générale des additifs, son application aux bières importées d'autres Etats membres n'est pas conforme aux exigences du droit communautaire telles qu'elles ont été mises en évidence par la jurisprudence de la Cour, car elle est contraire au principe de proportionnalité et n'est donc pas couverte par l'exception de l'article 36 du traité.
54. Des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure qu'en interdisant la commercialisation de bières légalement fabriquées et mises sur le marché dans un autre Etat membre lorsque ces bières ne sont pas conformes aux articles 9 et 10 du biersteuergesetz, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité.
Sur les dépens
55. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République fédérale d'Allemagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1) en interdisant la commercialisation de bières légalement fabriquées et mises sur le marché dans un autre Etat membre lorsque ces bières ne sont pas conformes aux articles 9 et 10 du biersteuergesetz, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité.
2) la République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.