CJCE, 6e ch., 2 juin 1994, n° C-69/93
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Punto Casa SpA, Comune di Capena et Promozioni Polivalenti Venete Soc. coop. arl (PPV)
Défendeur :
Sindaco del Comune di Capena, Sindaco del Comune di Torri di Quartesolo et Comune di Torri di Quartesolo.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Mancini
Avocat général :
M. Van Gerven
Juges :
MM. Diez de Velasco, Kakouris, Schockweiler, Kapteyn
Avocats :
Mes Di Maria, Maestosi, Tedeschini, Paines.
LA COUR (sixième chambre),
1 Par ordonnances du 16 décembre 1992 et du 22 mars 1993, parvenues à la Cour respectivement le 15 mars et le 27 avril suivants, la Pretura circondariale di Roma, sezione distaccata di Castelnuovo di Porto, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité, en vue de lui permettre d'apprécier, au regard de ces dispositions, la réglementation italienne concernant la fermeture des commerces de détail le dimanche.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de mesures d'autorité publique prises à l'encontre des exploitants de deux supermarchés pour avoir enfreint ladite réglementation.
3 La loi italienne nº 558 du 28 juillet 1971 réglemente les heures d'ouverture des commerces et les activités de vente au détail. L'article 1er, paragraphe 2, sous a), de cette loi prévoit la fermeture totale des magasins les dimanches et jours fériés, sauf dans les cas exceptionnels prévus par la même loi.
4 L'article 10 de la loi prévoit des sanctions administratives en cas d'infraction. Les dispositions particulières concernant les heures d'ouverture sont fixées par les régions. Le contrôle du respect des règles en vigueur est confié aux maires des communes concernées, qui peuvent infliger des sanctions.
5 Les parties demanderesses au principal exploitent respectivement un supermarché, situé sur le territoire de la commune de Capena, et un centre commercial, situé sur le territoire de la commune de Torri di Quartesolo. Les surfaces commerciales dont il s'agit étant restées ouvertes pendant plusieurs dimanches et jours fériés, les maires des deux communes concernées ont prononcé des sanctions administratives à l'encontre de leurs exploitants.
6 Les parties demanderesses au principal se sont alors pourvues devant la juridiction compétente. Elles ont fait valoir qu'une importante partie du chiffre d'affaires réalisé dans les surfaces commerciales en question portait sur des produits en provenance d'autres États membres de la Communauté. A leur avis, les dispositions nationales en cause sont dès lors incompatibles avec l'article 30 du traité.
7 Dans ces conditions, la Pretura circondariale di Roma, sezione distaccata di Castelnuovo di Porto, a sursis à statuer et a posé, dans l'affaire C-69-93, les questions préjudicielles suivantes:
"1) Une disposition de droit national qui impose (sauf pour certains produits) aux commerces de détail la fermeture dominicale, mais sans interdire l'exercice d'une activité professionnelle le dimanche, et inflige la fermeture forcée à tout contrevenant à l'obligation de qua, entraînant de ce fait une diminution sensible des ventes réalisées dans ces magasins, y compris celles de marchandises produites dans d'autres États membres de la Communauté, avec comme conséquence une réduction du volume des importations en provenance de ces États, constitue-t-elle
a) une mesure d'effet équivalant à une restriction à l'importation au sens de l'article 30 du traité et de la réglementation communautaire qui a été ultérieurement adoptée en application des principes posés par le traité;
b) ou un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction dissimulée des échanges entre les États membres;
c) ou une mesure disproportionnée ou non appropriée au regard du but poursuivi par la disposition de droit national;
étant donné que:
- la grande distribution vend, en moyenne, davantage de produits importés des autres États membres que les petites et moyennes entreprises;
- le chiffre d'affaires que la grande distribution réalise le dimanche ne peut pas être compensé par des achats de substitution que la clientèle peut effectuer les autres jours de la semaine, ces achats s'orientant en effet vers un réseau commercial qui, dans son ensemble, s'approvisionne auprès des producteurs nationaux?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, la mesure adoptée par la disposition nationale en question relève-t-elle des dérogations à l'article 30 visées à l'article 36 du traité ou d'autres dérogations prévues par la réglementation communautaire?"
8 Des questions en substance identiques ont été déférées à la Cour dans l'affaire C-258-93.
Sur la première question
9 La première question vise le point de savoir si une réglementation nationale telle que celle visée en l'espèce au principal relève du champ d'application de l'article 30 du traité.
10 A titre liminaire, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 30 du traité les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres.
11 A cet égard, il y a lieu de souligner d'abord que, selon une jurisprudence constante, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative toute mesure susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5).
12 Il convient de rappeler également que n'est pas apte à entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre les États membres, au sens de la jurisprudence Dassonville, précitée, l'application à des produits en provenance d'autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu'elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d'autres États membres. En effet, dès lors que ces conditions sont remplies, l'application de réglementations de ce type à la vente des produits en provenance d'un autre État membre et répondant aux règles édictées par cet État n'est pas de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage qu'elle ne gêne celui des produits nationaux. Ces réglementations échappent donc au domaine d'application de l'article 30 du traité (voir arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard, C-267-91 et C-268-91, Rec. p. I-6097, points 16 et 17).
13 S'agissant d'une réglementation telle que celle en cause qui concerne les circonstances dans lesquelles les marchandises peuvent être vendues aux consommateurs, il y a lieu de constater que les conditions énoncées dans ce dernier arrêt sont remplies.
14 En effet, la réglementation dont il s'agit s'applique, sans distinguer selon l'origine des produits en cause, à tous les opérateurs concernés et n'affecte pas la commercialisation des produits en provenance d'autres États membres d'une manière différente de celle des produits nationaux.
15 Par conséquent, il convient de répondre à la juridiction nationale que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à une réglementation nationale en matière de fermeture des magasins qui est opposable à tous les opérateurs économiques exerçant des activités sur le territoire national et qui affecte de la même manière, en droit et en fait, la commercialisation des produits nationaux et celle des produits en provenance d'autres États membres.
Sur la seconde question
16 Étant donné la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de statuer sur la seconde question.
Sur les dépens
17 Les frais exposés par les Gouvernements hellénique et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par la Pretura circondariale di Roma, sezione distaccata di Castelnuovo di Porto, par ordonnances du 16 décembre 1992 et du 22 mars 1993, dit pour droit:
L'article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à une réglementation nationale en matière de fermeture des magasins qui est opposable à tous les opérateurs économiques exerçant des activités sur le territoire national et qui affecte de la même manière, en droit et en fait, la commercialisation des produits nationaux et celle des produits en provenance d'autres États membres.