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Décisions

CJCE, 6e ch., 11 août 1995, n° C-63/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Groupement national des négociants en pommes de terre de Belgique

Défendeur :

ITM Belgium (SA), Vocarex (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Schockweiler

Avocat général :

M. Cosmas

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Murray, Hirsch

Avocats :

Mes Van Daele, Van Bunnen, Waelbroeck.

CJCE n° C-63/94

11 août 1995

LA COUR (sixième chambre),

1 Par jugement du 21 janvier 1994, parvenu à la Cour le 15 février suivant, le Tribunal de commerce de Mons a posé, en application de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 30 du traité CEE, devenu traité CE.

2 Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant le groupement national des négociants en pommes de terre de Belgique (ci-après "Belgapom") aux sociétés anonymes ITM Belgium (ci-après "ITM") et Vocarex au sujet d'une vente de pommes de terre réalisée par cette dernière avec une faible marge bénéficiaire.

3 En Belgique, l'article 40, premier et troisième alinéas, de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce prévoit:

"Il est interdit à tout commerçant d'offrir en vente ou de vendre un produit à perte.

Est considérée comme une vente à perte, toute vente à un prix qui n'est pas au moins égal au prix auquel le produit a été facturé lors de l'approvisionnement ou auquel il serait facturé en cas de réapprovisionnement.

Est assimilé à une vente à perte toute vente qui, compte tenu de ces prix ainsi que des frais généraux, ne procure qu'une marge bénéficiaire extrêmement réduite."

4 Vocarex est un établissement commercial indépendant, lié par une convention de franchise au groupement Intermarché, dirigé en Belgique par ITM. Averti par cette dernière, Vocarex a acheté, au cours du mois de septembre 1993, au prix de 27 BFR des sacs de 25 kg de pommes de terre du type "bintjes" qu'elle a revendus au prix de 29 BFR. A la même époque, le prix généralement pratiqué par les opérateurs était de 89 BFR.

5 Belgapom a intenté une action en cessation des ventes devant le Tribunal de commerce de Mons contre ITM et Vocarex. Ces dernières ont conclu au rejet de la demande en faisant valoir que l'article 40 de la loi, précité, contrevenait à l'article 30 du traité.

6 Estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation du droit communautaire, le Tribunal de commerce de Mons a sursis à statuer et a posé à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Dans quelle mesure l'article 40 de la loi du 14 juillet 1991 et, plus spécialement, ses alinéas 3 et 4, dans la généralité de leurs termes, sont-ils compatibles avec l'article 30 du traité CEE, lorsque ces alinéas assimilent à une vente à perte une vente réalisée au-dessus du prix facturé à l'approvisionnement mais avec une marge extrêmement réduite?"

7 Eu égard aux termes de la question préjudicielle, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la Cour n'est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d'une mesure nationale avec le droit communautaire. Elle a toutefois compétence pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent lui permettre d'apprécier cette compatibilité pour le jugement de l'affaire dont elle est saisie (voir, notamment, arrêt du 14 juillet 1994, Rustica Semences, C-438-92, Rec. p. I-3519, point 10).

8 La question posée par la juridiction nationale doit dès lors être comprise comme visant à faire préciser si l'article 30 du traité s'applique au cas où un État membre interdit, par la voie législative, toute vente qui ne procure qu'une marge bénéficiaire extrêmement réduite.

9 Selon une jurisprudence bien établie, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative toute mesure susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre États membres (voir arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5).

10 Il convient de constater qu'une mesure législative telle que celle en cause au principal, qui interdit la vente ne procurant qu'une marge bénéficiaire extrêmement réduite, n'a pas pour objet de régir les échanges de marchandises entre États membres.

11 Il est vrai qu'une telle interdiction est susceptible de restreindre le volume des ventes et, par conséquent, le volume des ventes des produits en provenance d'autres États membres, dans la mesure où elle prive les opérateurs d'une méthode de promotion des ventes. Il y a lieu cependant de se demander si cette éventualité suffit pour qualifier l'interdiction en cause de mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, au sens de l'article 30 du traité.

12 A cet égard, il convient de rappeler que n'est pas apte à entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre les États membres, au sens de la jurisprudence Dassonville, précitée, l'application à des produits en provenance d'autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu'elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d'autres États membres. En effet, dès lors que ces conditions sont remplies, l'application de réglementations de ce type à la vente des produits en provenance d'un autre État membre et répondant aux règles édictées par cet État n'est pas de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage qu'elle ne gêne celui des produits nationaux. Ces réglementations échappent donc au domaine d'application de l'article 30 du traité (voir arrêts du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard, C-267-91 et C-268-91, Rec. p. I-6097, points 16 et 17, du 15 décembre 1993, Huenermund e.a., C-292-92, Rec. p. I-6787, point 21, et du 9 février 1995, Leclerc-Siplec, C-412-93, non encore publié au Recueil, point 21).

13 Or, s'agissant d'une disposition telle que celle en cause au principal, il convient de constater qu'elle concerne des modalités de vente en ce qu'elle interdit toute vente qui ne procure qu'une marge bénéficiaire extrêmement réduite.

14 En outre, cette disposition, qui s'applique, sans distinguer selon les produits, à tous les opérateurs économiques dans le secteur en cause, n'affecte pas la commercialisation des produits en provenance d'autres États membres d'une manière différente de celle des produits nationaux.

15 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas au cas où un État membre interdit, par la voie législative, toute vente qui ne procure qu'une marge bénéficiaire extrêmement réduite.

Sur les dépens

16 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal de commerce de Mons, par jugement du 21 janvier 1994, dit pour droit:

L'article 30 du traité CE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas au cas où un État membre interdit, par la voie législative, toute vente qui ne procure qu'une marge bénéficiaire extrêmement réduite.