CA Caen, 1re ch., 11 mars 1993, n° 1359-90
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Beaufils
Défendeur :
Société mécanique marine et industrielle Granvillaise (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonne
Conseillers :
Mme Varin, M. Le Henaf
Avoués :
SCP Duhaze Mosquet, Me Sebire
Avocats :
Mes Trehet, Esnault.
En 1986, Monsieur Beaufils a fait construire un navire de pêche en polyester armé, d'une largeur de 7 mètres par le chantier Corron.
Il a commandé à la Société de Mécanique Marine et Industrielle Granvillaise (SMMIG) un moteur diesel de marque Bukh et une embase ainsi que le montage de cet ensemble de propulsion, les parties ayant opté pour une transmission de type "sali-drive".
Le navire, baptisé "Père Pinoche", a été mis à l'eau en mai 1986 et depuis Monsieur Beaufils a subi de nombreuses avaries ; jusqu'au mois d'août 1989 il s'est adressé à la SMMIG pour effectuer les réparations.
Par acte du 22 mars 1990 la SMMIG a assigné Monsieur Beaufils devant le Tribunal de commerce de Granville en paiement de la somme principale de 33 278,88 F correspondant au montant de factures restées impayées.
Monsieur Beaufils n'a pas comparu et par jugement rendu le 27 avril 1990 le tribunal a fait droit à la demande et a condamne également Monsieur Beaufils à payer une somme de 1 200 F pour les frais irrépétibles.
Monsieur Beaufils a fait appel de cette décision et il a sollicité la désignation d'un expert au motif que le système de propulsion était inadapté à un navire destiné à la pêche professionnelle.
Par ordonnance rendue le 12 février 1991 le conseiller de la mise en état a fait droit à la demande et Monsieur Postel, expert, a déposé son rapport au greffe le 4 novembre 1991.
Monsieur Beaufils demande à la Cour de prononcer la nullité du jugement, de débouter la SMMIG de toutes ses demandes et de la condamner au paiement d'une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts et 10 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il soutient essentiellement que les dispositions de l'article 870 du nouveau Code de procédure civile n'ont pas été respectées, que la SMMIG, concepteur de l'ouvrage litigieux, a engagé sa responsabilité en exécutant un ouvrage dont il devait savoir qu'il serait source d'incident et que son préjudice comprend les réparations rendues nécessaires par le vice initial, les pertes d'exploitation et les soucis et demandes divers~s qu'il a du faire.
La SMMIG demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter Monsieur Beaufils de ses demandes et de le condamner au paiement d'une indemnité de 12 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soutient que l'appelant n'apporte pas la preuve qu'il n'a pas reçu le courrier du greffe l'avisant de la date de l'audience ; qu'il a choisi une coque sur laquelle il ne pouvait faire monter qu un moteur de hors bord ou un moteur fixe avec transmission sail drive ; que le système mis en place ne s'est pas avéré déficient les avaries résultant de la maladresse et qu'il ne justifie pas de son préjudice dont il n'a fait état qu'à partir du moment ou la SMMIG a demandé paiement de ses factures.
I Sur la demande en nullité
Attendu que Monsieur Beaufils a été assigné pour comparaître devant le Tribunal de commerce de Granville à l'audience du 13 avril 1990 ; qu'il n'est pas contesté qu'il ne s'est pas présenté et que le tribunal n'a pas constaté qu'il avait été avisé du renvoi de l'affaire à l'audience du 27 avril 1990 à l'issue de laquelle sa condamnation a été prononcée
Attendu que le tribunal a violé les dispositions des articles 14 et 870 du nouveau Code de procédure civile ; qu'il y a lieu de prononcer l'annulation du jugement et de statuer à nouveau la Cour étant saisie par application des dispositions de l'article 562 du même Code.
II Sur la demande de la SMMIG
Attendu que la SMMIG réclame le paiement de la facture n° 891081 d'un montant de 3 194,12 F et la facture n° 8910082 d'un montant de 30 084,76 F ;
Attendu qu'il s'agit de factures relatives à des travaux d'entretien et de réparation à la suite d'un événement de mer survenu le 30 août 1989 ; que l'expert a noté que le montant des réparations était justifié ;
Attendu qu'il y a lieu de faire droit à la demande présentée par la SMMIG et de condamner Monsieur Beaufils à lui régler la somme de 33 278,88 F avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 1988.
III Sur la demande de Monsieur Beaufils
Attendu que Monsieur Beaufils et la SMMIG ont fait le choix d'installer un système de propulsion comprenant un moteur diesel dont le mouvement était transmis non pas par un arbre de transmission jusqu'à une hélice située en arrière mais par une embase dépassant sous la coque et servant de support à l'hélice ; qu'il y a lieu de noter que ce système présentait l'avantage, par rapport à un moteur hors bord, d'être fixe, économique par l'emploi du diesel mais qu'il présentait également un inconvénient évident en ce que l'embase, dépassant sous le fond plat du navire, se trouvait dépourvue de toute protection alors même que cette partie ne présentait pas la solidité d'un arbre en ligne du fait de la présence d'engrenages ;
Attendu qu'il ressort des investigations effectuées par l'expert auprès du fabricant que l'embase montée sur le navire n était pas prévue pour des travaux en continu et ne pouvait être utilisée à la pêche professionnelle ; que la SMMIG a donc commis une faute en adaptant un système destiné à la plaisance sur un navire destiné à une utilisation professionnelle ;
Attendu également que la SMMIG avait nécessairement connaissance des conditions d'utilisation futures du navire et des risques auxquels l'embase, dépassant de cinquante centimètres sous un fond plat, serait exposée qu'elle a manqué à son obligation de conseil en n'imposant pas une protection efficace à l'origine et par la suite alors que les avaries se multipliaient ;
Attendu cependant que Monsieur Beaufils comme professionnel de la pêche ne pouvait manquer de mesurer la vulnérabilité du système en fonction du type et des lieux de pêche ; qu'il a donc participé à la réalisation du dommage par le mauvais choix initial et en omettant dès le premier incident en mars 1987, résultant de la prise d'un cordage dans l'hélice, de faire monter immédiatement un dispositif de protection permettant d'éviter le renouvellement d'avaries semblables ;
Attendu en conséquence qu'il ne pourra obtenir la réparation de son préjudice qu'à proportion de deux tiers ;
Attendu que Monsieur Beaufils allègue avoir subi le préjudice suivant :
- coût des réparations en relation avec l'embase : 78 939,56 F
- travaux inutiles en raison du remplacement ultérieur, facture juin : 1986 93 266 F
- perte d'exploitation 25 jours : 162 500 F
il estime son préjudice global à la somme de 500 000 F ;
La SMMIG conclut que le moteur Bukh n'était pas en cause, que l'appelant ne saurait valablement réclamer une indemnité pour l'immobilisation du navire en raison du chargement de moteur, que les délais d'intervention de la SMMIG ne sont pas critiquables, que le nombre de jours d'arrêt est surprenant puisque certaines avaries ont été réparées dès le lendemain, que la pêche a parfois continué pendant l'arrêt et enfin que la compagnie d'assurance a pris en charge intégralement les frais ;
Attendu que l'expert a noté que le moteur Bukh était adapté à l'usage auquel il était destiné ; que Monsieur Beaufils, qui a fait monter un moteur IVECO de même puissance, n'apporte pas la preuve que la destruction du moteur résulte de son inadaptation alors qu'il n'est pas contesté que c'est à la suite de la déchirure d'un point d'étanchéité qu'une fuite d'huile s'est produite entraînant le sinistre ;
Attendu que Monsieur Beaufils n'a pas verse aux débats la facture de juin 1986 qu'il a réglée et dont il prétend obtenir le remboursement au motif que les travaux auraient été inutiles ; qu'il ressort du rapport d'expertise que les interventions sur le moteur de juin 1986 à juin 1987 sont des interventions normales non couvertes par la garantie ; que Monsieur Beaufils ne saurait prétendre obtenir le remboursement des travaux d'entretien ou de réparation que nécessitait son activité professionnelle ;
Attendu que l'expert a fait l'inventaire des réparations consécutives à des avaries survenues du fait que des objets ont bloqué l'hélice ou en raison d'un choc direct contre l'embase ; qu'il apparaît que Monsieur Beaufils était assuré et que la garantie a été accordée dans les limites du contrat ; que Monsieur Beaufils n'a pas subi à ce titre d'un montant supérieur à 13 530,40 F ;
Attendu que l'expert a examiné d'une part la durée d'immobilisation consécutive à quatre avaries antérieures à 1990 et qu'il a également examiné les bordereaux de criée pour conclure que l'immobilisation du navire n'avait pas dépassé une dizaine de jours ;
Attendu cependant que Monsieur Beaufils a subi, après avoir cessé ses relations avec la SMMIG, de nouvelles avaries ; qu'il a versé aux débats plusieurs attestations ; qu'il s'est trouvé plusieurs fois dans l'obligation de se faire remorquer pour rentrer au port et que la répétition des avaries a constitué un facteur défavorable pour son équilibre psychologique ;
Attendu qu'il y a lieu de fixer son préjudice résultant de l'immobilisation du navire à la somme de 20 000 F ; que le préjudice global s'élève à la somme de 33 530 F ;
Attendu en conséquence qu'il y a lieu de faire droit à la demande de Monsieur Beaufils et de condamner la SMMIG à lui payer deux tiers du préjudice soit la somme de 22 353 F ;
Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais exposés non compris dans les dépens ;
Attendu que chaque partie succombe pour partie de ses demandes ; qu'il y a lieu de dire que les dépens de première instance et d'appel seront partagés par moitié entre elles ;
Par ces motifs - Annule le jugement entrepris, - Statuant à nouveau, - Condamne Monsieur Beaufils à payer à la SMMIG la somme de 33 278,88 F avec intérêts à compter du 22 mars 1988 - Condamne la SMMIG à payer à Monsieur Beaufils la somme de 22 353 F à titre de dommages et intérêts - Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile - Fait masse des dépens de première instance et d'appel, dit qu'ils seront supportés par moitié par chaque partie et qu'il sera fait application des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile au profit de Maître Sebire et de la SCP Duhaze-Mosquet, avoué.