CA Pau, 2e ch. sect. 1, 28 mars 2000, n° 99-01169
PAU
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Arregui
Défendeur :
Zubillaga, Saralegui
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Larque
Conseillers :
MM. Roux, Courtaigne
Par jugement en date du 17 mars 1999 aux motifs duquel il convient de se reporter, le Tribunal de commerce de Pau s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à se pourvoir devant le Tribunal de Pampelune.
Monsieur Arregui a formé contredit à l'encontre de cette décision par acte du 31 mars 1999 auprès du Greffe de cette juridiction.
Il se fonde sur l'article 46 du nouveau Code de procédure civile qui en matière contractuelle l'autorise à saisir "la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service", Monsieur Zubillaga étant toujours venu enlever en France le bois qu'il achetait, et cette marchandise n'ayant jamais été livré à Leiza, puis, il fait valoir d'autre part qu'un contrat international est nécessairement rattaché à la loi d'un Etat, que les parties n'ont pas entendu expressément soumettre ces ventes exécutées en France à la loi Espagnole, qu'elles sont donc de plein droit soumises à la loi française, qui est celle du vendeur, que le lieu d'exécution du contrat est important pour déterminer la loi applicable, que toutes les ventes de bois se sont faites en France, avec enlèvement sur place par Monsieur Zubillaga qui s'est toujours déplacé sur le terrain, que c'est donc bien la loi française qui s'applique à ce contrat, qu'enfin il est bien fondé à invoquer le privilège de juridiction de l'article 14 du Code civil, manie pour la première fois en cause d'appel.
Puis dans des conclusions récapitulatives en date du 26 août 1999, Monsieur Arregui sollicite que son contredit soit déclaré bien fondé, que subsidiairement soit ordonnée à Monsieur Zubillaga la production des cartes grises des camions sous astreinte de 1 000 F par jour à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir et qu'il soit dit que le Tribunal de commerce de Pau est compétent pour statuer sur la demande en paiement des factures litigieuses, correspondant à des ventes de bois livrées en France.
Il est exposé que la cour n'est saisie dans le contredit de Monsieur Arregui que des problèmes de compétence, qu'il n'y a donc pas lieu d'évoquer le fond, que Monsieur Zubillaga prétend que les camions qui auraient chargé le bois ne sont pas les siens mais qu'il s'agit cependant de camions espagnols requis par Monsieur Zubillaga, Monsieur Arregui n'ayant jamais réglé des frais de transport, qu'il est amplement confirmé par les témoignages versés aux débats par Monsieur Arregui que l'enlèvement du bois se faisait en bord de route par Monsieur Zubillaga, donc en France, que Monsieur Arregui justifie que le lieu de livraison était en France et non en Espagne, que Monsieur Zubillaga voudrait prouver par la production des factures de Loiketa SL, transporteur espagnol, que la livraison avait bien lieu en Espagne, que cependant, Monsieur Beunza, représentant responsable de Loiketa SL atteste qu'il prenait livraison du bois en France au bord des routes et qu'ensuite la facturation était faite pour le compte de l'entreprise Zubillaga et Saralegui, que certains camions étaient la propriété de Loiketa SL et d'autres de Monsieur Zubillaga qui venait lui-même charger son bois en France.
Que, par ailleurs, l'article 46 du nouveau Code de procédure civile autorise Monsieur Arregui, en matière contractuelle, à saisir la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service, que s'agissant de ventes de bois conclues en France, l'article 46 s'applique incontestablement, que Monsieur Arregui fait valoir en outre qu'un contrat international est nécessairement rattaché à la loi d'un Etat, que les parties n'ont pas entendu expressément soumettre ces ventes exécutées en France à la loi espagnole, qu'elles sont donc de plein droit soumises à la loi française, qui est celle du vendeur.
Que le lieu d'exécution du contrat est important pour déterminer la loi applicable, que toutes les ventes de bois se sont faites en France avec enlèvement sur place par Monsieur Zubillaga qui s'est toujours déplacé sur le terrain, que c'est donc bien la loi française qui s'applique à ces ventes, qu'enfin la cour constatera que Monsieur Zubillaga n'a pas invoqué l'incompétence du Juge de l'Exécution ayant ordonné la saisie conservatoire, qu'il a immédiatement offert de consigner la somme due en compte Carpa avocat, qu'en ce qui concerne le privilège de l'article 14, il est de principe qu'il n'appartient qu'au demandeur de nationalité française mais qu'il a été jugé que les réfugiés peuvent invoquer ce privilège et que Monsieur Arregui habite et travaille en France depuis de très nombreuses années.
Par conclusions en date du 17 septembre 1999, l'Entreprise Zubillaga et Monsieur Zubillaga sollicitent que le jugement déféré soit confirmé, que Monsieur Arregui soit condamné à leur payer la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et que subsidiairement et si par impossible, la cour se déclarait compétente, il soit jugé, en cas d'évocation, qu'il ne doit aucune somme à Monsieur Arregui
Il est exposé que la Cour d'appel de Pau est incompétente en vertu des articles 46 et 42 du nouveau Code de procédure civile. Qu'en vertu de l'article 46 du nouveau Code de procédure civile, le tribunal compétent en matière contractuelle est celui du lieu de livraison de la marchandise.
Que la marchandise était livrée à Leiza par Monsieur Arregui qui utilisait le service des transporteurs espagnols-. que les véhicules chargés du transport du bois n'appartenaient pas à Monsieur Zubillaga (la production des cartes grises le démontre), que Monsieur Zubillaga n'est jamais allé à Orthez chercher le bois, que le bois était livré par un transporteur espagnol à Leiza, que les attestations produites par Monsieur Arregui sont des attestations de complaisance, que le transporteur (Loiketa) affirme que Monsieur Zubillaga ne l'a jamais accompagné chercher le bois, que le bois était bien livré à Leiza par l'intermédiaire d'un transporteur, qu'il faut prendre en considération le lieu de livraison effective.
Qu'ainsi le bois était remis par Monsieur Arregui au transporteur Loiketa, lequel était chargé d'amener le bois jusqu'à Leiza où il le remettait à Monsieur Zubillaga, que le lieu de livraison effective du bois était donc Leiza.
Que le tribunal compétent est aussi celui de Pampelune, que Monsieur Arregui soutient par ailleurs qu'un contrat international est nécessairement rattaché à la loi d'un Etat, et que les parties n'ont pas voulu soumettre le contrat à la loi espagnole mais à la loi française.
Que cela est faux, que toutes les factures ont été rédigées en langue espagnole, que pour soumettre un contrat à la loi française encore faut-il qu'il ait été rédigé en français, que la commune intention des parties était de se soumettre à la loi espagnole.
Que Monsieur Arregui soutient en outre que Monsieur Zubillaga n'aurait pas contesté les compétences du Juge de l'Exécution lors de la saisie conservatoire du bois, que Monsieur Zubillaga ne pouvait soulever l'incompétence du Juge de l'Exécution puisque le bois saisi était en France.
Que si par ailleurs, Monsieur Zubillaga a consigné les fonds en compte Carpa, cela ne constitue nullement une reconnaissance de dette, que le but du versement en compte Carpa était de permettre la main-levée de la saisie conservatoire afin de vendre le bois.
Que le Tribunal de commerce de Pau a estimé que le tribunal compétent était celui de Pampelune, en vertu des dispositions de l'article 42 du nouveau Code de procédure civile, le défendeur étant domicilié à Leiza (Navarre), que cependant Monsieur Arregui, demandeur, a saisi le tribunal de son lieu de domicile en violant les dispositions de l'article 42 du nouveau Code de procédure civile.
Que, sur le privilège de juridiction découlant de l'article 14 du Code civil, Monsieur Arregui soulève ce nouveau moyen pour la première fois en cause d'appel, que Monsieur Arregui ne peut soulever un tel argument puisque pour bénéficier du privilège de juridiction, il faut être de nationalité française, que tel n'est pas le cas de Monsieur Arregui qui est de nationalité espagnole, que subsidiairement, Monsieur Zubillaga ne sera pas reconnu débiteur de Monsieur Arregui, que celui-ci tente de soutenir qu'il a mis en demeure en 1994 Monsieur Zubillaga de payer les sommes, que Monsieur Arregui produit cette pièce en original, ce qui démontre qu'il ne l'a jamais envoyée, que de toutes les façons, il ne l'a pas envoyée dans les formes requises soit par lettre recommandée avec accusé de réception.
Que sur trois des factures Il y a lieu de relever que pour la somme de 79 000 F réclamée par Monsieur Arregui, Monsieur Zubillaga s'est acquitté de 55 000 F (lettres de change versées aux débats par Monsieur Zubillaga).
Que Monsieur Zubillaga n'a pas payé les autres factures qui correspondent à des livraisons de bois pourri, que la procédure de réserves n'existe pas en Espagne, que cependant Monsieur Zubillaga a verbalement demandé à Monsieur Arregui qu'il récupère sa marchandise inutilisable, que Monsieur Zubillaga produit des attestations de commerçants avec lesquels il traitait la vente de bois et qui attestent avoir vu que le bois livré par Monsieur Arregui était pourri et inutilisable, que Monsieur Arregui verse aux débats des documents justifiant de la bonne qualité du bois acheté mais qui ne démontrent en rien que la livraison faite à Monsieur Zubillaga était de bonne qualité.
Sur quoi LA COUR
Attendu qu'en application de l'article 46 du nouveau Code de procédure civile: "le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur:
- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ..."
Attendu que le lieu de la libération effective admise comme point de rattachement en matière contractuelle, doit s'entendre du lieu où la livraison est matériellement intervenue, et non de celui où elle aurait du intervenir "(Com. 3 novembre 1988 : Bull. Civ. IV n° 291 ...).
Que "le vendeur d'un matériel ne saurait soutenir que le lieu de livraison est situé non au domicile de l'acheteur, mais au siège de son propre établissement, sous prétexte que le transport, effectué par ses soins, devait avoir lieu aux risques de l'acquéreur" (Rouen 2 mai 1974, Gaz. Pal. 1980 - 1 somm, 81).
Que dans une attestation en date du 19 juillet 1999, Monsieur Beunza, responsable des transports Loiketa SL, déclare avoir effectué d'Orthez à Noain Navarre les transports de bois vendus par Monsieur Arregui à l'entreprise Zubillaga et Saralegui de 1989 à 1992, la facturation étant faite au nom de ces derniers.
Que dans une autre attestation en date du 30 août 1999, Monsieur Beunza ajoute que "les camions de l'entreprise Loiketa SL immatriculés OR 2466-E - camion remorque - NA 6729. A13 semi-remorque ... ont réalisé le transport de France en Espagne avec les marchandises de bois de Augustin Arregui pour Ramon Zubillaga qui a payé le transport".
Que plusieurs factures de transports de "Loiketa SL" à Monsieur Zubillaga sont versées aux débats.
Que Monsieur Boye et Monsieur Lahitte, propriétaires, certifient avoir vendu des peupliers à Monsieur Arregui, forestier, qui les a revendus à Monsieur Zubillaga, celui-ci étant venu en prendre livraison au bord de la route avec son chauffeur.
Que Monsieur Gallo, entrepreneur forestier, travaillant pour Monsieur Arregui, "atteste avoir assisté à la vente d'un lot de pins de 781 m3 à Monsieur et Madame Zubillaga Saralegui, un samedi du mois de janvier 1991 à 10 heures le matin, celui-ci était en bordure de route à TOSSE 40230 ..."
Que peu importe que les camions n'appartiennent pas à Monsieur Zubillaga compte tenu du fait qu'il est justifié que le transport s'effectuait pour le compte de ce dernier (avec des véhicules espagnols qui venaient donc prendre livraison des marchandises en France).
Que Monsieur Zubillaga ne justifie nullement que les frais de transports étaient à la charge de Monsieur Arregui (le contraire ayant été prouvé).
Qu'ainsi le lieu de livraison effective était en France à Orthez ou dans ses environs.
Que, par ailleurs, conformément à l'argumentation développée par Monsieur Arregui, les parties n'ayant pas entendu expressément soumettre ces ventes exécutées en France à la loi espagnole, celles-ci sont donc de plein droit soumises à la loi française qui est celle du vendeur.
Que Monsieur Zubillaga se prévaut des dispositions de l'article 2 de la loi n° 94 665 du 4 août 1994 alors que les contrats litigieux sont bien antérieurs à l'entrée en vigueur de cette loi (soit le 7 septembre 1995) et que de plus, celle-ci concerne l'emploi de la langue française pour la commercialisation des biens, produits et services en France et non les contrats internationaux.
Qu'il convient donc d'infirmer la décision déférée.
Attendu que conformément à l'article 89 du nouveau Code de procédure civile, dans le souci d'une bonne administration de la justice, il y a lieu d'évoquer le fond de l'affaire.
Que les parties devront constituer avoué conformément aux dispositions de l'article 90 du nouveau Code de procédure civile.
Qu'il y a lieu de surseoir à statuer sur la demande formée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile par Monsieur Zubillaga.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Déclare recevable le contredit formé par Monsieur Arregui. Infirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Pau. Dit que celui-ci était compétent pour connaître du présent litige. Vu les articles 89 et 90 du nouveau Code de procédure civile, évoquant pour une bonne administration de la justice, Invite les parties à constituer avoué dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Sursoit à statuer sur la demande formée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile par Monsieur Zubillaga Réserve les dépens.