CA Riom, 1re ch. civ., 28 janvier 1980, n° 439
RIOM
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bourgeon
Défendeur :
Durand
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Almairac
Conseillers :
MM. Combes, Vigneron
Avoués :
Mes Tixier, Sagorin
Avocats :
Mes Cointot, Janson
Procédure - moyens et prétentions des parties
René Bourgeon est régulièrement appelant d'un jugement rendu le 1er février 1979 par le Tribunal de grande instance de Cusset, qui, -statuant sur une demande formée contre lui par Durand, initialement en nullité, pour cause de dol, de vente d'un lapis et de deux ivoires, ainsi qu'en 60 000 F de dommages-intérêts et 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile-, a :
1° - annulé, pour cause d'erreur sur les qualités substantielles de la chose, la vente d'un vase lapis consentie en octobre 1975 par Bourgeon à Durand ; dit en conséquence que Bourgeon devrait rembourser à celui-ci le prix d'achat du vase (90 000 F), avec intérêts au taux légal à. compter du 24 avril 1978,
2° - débouté Durand de sa demande en annulation de la vente de deux statues en ivoire consentie à la même date par Bourgeon,
3° - dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
4° - condamné Bourgeon aux dépens.
Durand, intimé, a formé appel incident.
La cour se réfère expressément au jugement déféré en ce qui concerne l'exposé des faits de la cause, de la procédure et des prétentions antérieures des parties.
Il convient néanmoins de souligner les faits suivants :
La vente des objets a été verbale. Le seul document utile sur les conditions de la vente est constitué par une lettre adressée par Bourgeon à Durand le 10 octobre, laquelle précise la nature des objets à vendre et le prix demandé. Toutes les autres précisions sur les conditions de la vente sont pures allégations de la part de Durand, qui n'en a ni rapporté, ni offert la preuve.
La présente action en justice s'est initiée exclusivement sur le dol, après l'échec d'une procédure pénale ayant fait l'objet d'une enquête préliminaire classée sans suite, sur plainte de Durand pour fraude, "conformément aux dispositions de la loi du 1er août 1905".
Ce fondement juridique de dol mettant le demandeur dans une situation par trop inconfortable, il demanda par conclusions dès la première instance, le bénéfice de l'article 1110 du Code civil, c'est-à-dire invoqua l'erreur sur les qualités substantielles. Mais dans les motifs de ses conclusions, cette erreur entraînerait la "résolution" (sic) de la vente, ce qui est juridiquement inexact, cette inexactitude ayant orienté la partie adverse sur une discussion oiseuse sur le vice caché et l'action à bref délai.
Ces remarques étant faites, les prétentions et moyens des parties sont les suivants, dans le dernier état de leurs conclusions d'appel :
Bourgeon conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les prétentions de Durand sur le dol et sur les deux ivoires. Il demande son infirmation pour le surplus. Il soutient à cet égard que "l'action entreprise sur l'erreur" est irrecevable, car elle n'a pas été introduite à bref délai comme l'exige la jurisprudence. Il prétend, au surplus, que cette action est mal fondée : l'objet d'art dont il s'agit est bien un lapis-lazuli, donc l'erreur ne peut être invoquée. Le critère d'authenticité, retenu par les premiers Juges n'a pas été déterminant pour l'acquisition de cet objet. Et comment peut-on retenir un élément d'authenticité alors que seul compte la matérialité de l'objet, qui est effectivement un lapis-lazuli ? Au demeurant aucun élément ne peut mettre en doute l'authenticité du vase lapis-lazuli puisqu'il a été authentifié comme tel par le service public du contrôle des diamants.
Par son appel, incident, Durand reprend l'intégralité de ses demandes originaires. Il conclut à la "résiliation" (sic) de la vente tant du lapis-lazuli que des deux ivoires " aux torts exclusifs de Bourgeon ", tant par application de l'article 1110 (erreur sur la substance) que de l'article 1116 (dol) du Code civil.
Il réclame en conséquence le remboursement du prix (180 000 F), avec intérêts moratoires, contre restitution des objets.
Il reprend, en outre, sa demande de 60 000 F de dommages-intérêts sur laquelle le tribunal avait omis de statuer et sollicite 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur le fait, il invoque essentiellement l'avis de l'expert officieux Portier.
En droit, il prétend qu'il y eut erreur tant sur la matière que sur l'authenticité de l'objet. A ses dires le prix de 90 000 F, qui est élevé, ne pouvait représenter qu'un véritable lapis-lazuli, pierre bleue naturelle et non une pierre revêtue d'une épaisse couche de teinture bleue, telle que l'objet vendu. Par ailleurs il ne pouvait que représenter un objet non seulement authentique, mais ancien et non pas un objet très récent, couine c'est le cas. Ici, pour Durand, l'authenticité consiste en la matière elle-même il voulait acheter un lapis lazuli pur et non teint.
Mais plus loin, dans la suite de ses écritures, il semble formuler une autre notion de l'authenticité, lorsqu'il écrit que Durand a contracté alors que deux qualités substantielles déterminantes manquaient :
1° - l'authenticité,
2° - une pierre bleue naturelle, dite lapis-lazuli.
Ici l'erreur sur l'authenticité semble s'identifier à l'erreur sur l'ancienneté de l'objet, alors que l'erreur sur la nature même de l'objet (pierre teinte au lieu de pierre bleue naturelle) s'identifie avec l'erreur sur la matière.
Ainsi les notions invoquées d'erreurs sur la matière, l'authenticité et l'ancienneté demeurent confuses.
En ce qui concerne les ivoires, Durand invoque plus spécialement le défaut d'ancienneté. A ses dires, ces ivoires ne pouvaient être qualifiés d'objets d'art, -comme l'a fait Bourgeon que s'ils présentaient une certaine ancienneté. Or ils ont été fabriqués entre 1950 et 1070. En pareil cas leur valeur était de 25 000 F et non de 90 000 F.
Discussion
La cour trouve dans les moyens, explications et documents invoqués ou produits par les parties, qui ont fait l'objet d'un débat contradictoire, les éléments nécessaires pour trancher le litige.
1° - En ce qui concerne la nullité de la vente pour dol, Durand n'apporte pas la preuve que Bourgeon ait pratique des manœuvres ayant déterminé son consentement. Or, selon l'article 1116 du Code civil le dol ne se présume pas et doit être prouvé.
Il n'allègue même aucune manœuvre de cette sorte. Il reconnaît qu'il est allé voir les objets au domicile de Bourgeon à Loriges, et il prétend que, par la suite, Bourgeon l'a "relancé" à plusieurs reprises ; qu'il est enfin passé à son domicile, en Vendée, accompagné de son épouse et lui a sorti h objets litigieux de sa voiture, en prétendant qu'il allait les déposer à Paris chez un commissaire priseur en vue d'une vente éventuelle,
Cette version des faits est pure allégation de la part de Durand. Il n'en offre pas la preuve, et, la preuve en fut-elle rapportée, on n'y trouverait pas des manœuvres dolosives au sens de l'article 1116 du Code civil.
Ainsi l'action de Durand, en tant que fondée sur h dol, est sans fondement.
II° - En ce qui concerne la nullité pour erreur sur qualités substantielles, les premiers Juges ont admis la demande seulement pour le lapis-lazuli, mais non pour les ivoires.
Pour le lapis-lazuli ils ont admis que la roche était bien du lapis et qu'il n'y avait pas à proprement parler erre sur la matière, mais qu'il y avait manifestement erreur quant à l'authenticité du vase, qui, selon l'expert Portier, datait au plus d'une dizaine d'années et dont-la valeur marchande était d'environ 12 000 F (au lieu de 90 000 F) soit près de 8 fois moins que la valeur d'achat. Et le tribunal poursuit ainsi "Ce prix élevé, demandé et obtenu par Bourgeon (comparé à. la valeur réelle du vase) suffit à établir que les parties entendaient faire de l'authenticité une qualité substantielle du contrat et que Durand voulait acheter un vase en lapis-lazuli pur et non recouvert d'une épaisse couche de peinture bleue".
En réalité, il convient de reprendre les faits tels qu'ils sont établis par les documents de la cause.
Les conditions du contrat verbal de vente ne sont connues que partiellement par la lettre adressée par Bourgeon à Durand le 10 octobre 1975. Ce document fondamental établit les conditions de prix de l'offre de vente faite par Bourgeon cancer nant "les objets d'art que vous connaissez lapis 95 000 F, ivoires 95 000 F (les deux pièces, soit 190 000 F, prix ramené à 180 000 F en cas d'achat des trois objets, Bourgeon demandait une réponse dans le délai maximum de quinze cours, ce qui montre qu'il était pressé.
La vente fut conclue avant le 28 octobre 1975, car au bas de la lettre figure la mention d'un acompte de 100 000 F payé à cette date.
En ce qui concerne l'erreur sur les qualités substantielles, toute l'argumentation de Durand repose sur les avis officieux de Portier, expert près la Cour d'appel de Paris, spécialiste en objet d'art d'Extrême-Orient.
Son avis initial, contenu dans sa lettre du 24 juin 1976, doit être purement et simplement écarté, car il est contredit par son second avis (lettre du 18 octobre 1976) ; avis plus éclairé qu'il a donné après examen de la pierre par le service public du contrôle des diamants, perles fines et pierres précieuses de la chambre de commerce et d'industrie de Paris.
L'attestation de ce service établit que la pierre litigieuse formant vase, scellée au timbre dudit service sous le n° 50.850 est une " roche métamorphique très claire à calcite prédominante, diopside, pyrite, lazurite que l'on peut éventuellement nommer lapis-lazuli ". Ce document note que cette roche est recouverte d'une épaisse couche de teinture bleue.
Au vu de cette attestation, Portier explique que ce genre d'objet est communément appelé "lapis baigné" et que sa valeur est d'environ six fois moindre qu'un lapis aux coloris naturels et il apprécie sa valeur marchande à 12 000 F.
Enfin dans une lettre du 25 janvier 1977, Portier ajoutait que le lapis, -comme d'ailleurs les deux ivoires-, étaient très récents : deux à dix ans tout au plus. Les faits étant ainsi, force est tout d'abord d'admettre qu'il n'y eut pas erreur sur la matière : Bourgeon, si l'on s'en tient à sa lettre du 10 octobre 1975, vendit un lapis, sans même préciser s'il était lazuli (il existe en effet des lapis blancs par nature ; l'expert Portier le dit dans sa première lettre). D'autre part, l'attestation du service de contrôle des pierres précieuses établit que la pièce litigieuse peut être nommée lapis-lazuli.
Il n'y a pas non plus erreur sur l'authenticité, si l'on exclut de cette notion celle d'ancienneté : la pierre vendue a bien droit à. l'appellation lapis-lazuli ; elle n'est peut être pas d'une qualité extraordinaire, car elle est d'un bleu trop clair et pour y remédier on l'a plongée dans un bain de teinture mais la preuve n'est pas apportée, de façon indiscutable, que la couleur naturelle de la pierre et l'absence de teinture ait été considérée par Durand comme une qualité substantielle de la chose qu'il désirait acquérir. Le prix élevé ne saurait, à lui seul, suffire à établir que les parties entendaient faire de cette couleur naturelle une qualité substantielle de la chose vendue.
Il y eut assurément erreur sur la valeur, mais rien n'établit que cette erreur sur la valeur soit la conséquence d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose. Par suite, l'erreur sur la valeur s'identifie avec la lésion, qui n'est pas une cause de nullité des ventes mobilières.
Quant à l'erreur sur l'ancienneté de l'objet, qui semble alléguée par Durand en certains points de ses écritures, rien ne vient prouver que le contrat portait sur des objets d'époque. Il pouvait aussi bien avoir pour objet des copies d'ancien. Aucune preuve n 'est apportée que l'ancienneté fut une qualité substantielle dans l'intention de l'acheteur. De ce point de vue encore, il y eut simple erreur sur la valeur, équivalent à la lésion.
Il suit de là que le consentement de Durand n'a pas été vicié par une erreur sur les qualités substantielles de la chose, ce qui conduit au rejet de l'ensemble de ses demandes.
En ce qui concerne les ivoires, l'erreur sur les qualités substantielles était encore moins soutenable, car là il n'y avait pas la moindre erreur, substantielle ou non, sur i matière elle-même. Seul pouvait se poser le problème de l'ancienneté. Mais là encore, il n'existait à ce sujet au contrat aucune stipulation, dont la preuve soit apportée, faisant apparaître comme substantiel le critère de l'ancienneté.
L'échec de la demande de Durand est donc total, ce conduit à i 'infirmation partielle du jugement.
Durand, partie perdante, supportera tous les dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers Juges, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, Dit réguliers en la forme tant l'appel principal de Bourgeon que l'appel incident de Durand. Au fond : Infirmant partiellement le jugement déféré : Rejette l'ensemble des demandes formées par Durand contre Bourgeon. Le condamne aux dépens de première instance et d'appel Autorise pour ces derniers, Maître Tixier, avoué, à recouvrer directement contre lui la totalité ou la partie dont il a pu faire personnellement l'avance.