CJCE, 6e ch., 11 août 1995, n° C-367/93
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Roders BV; RSK Internationale Expeditie- en Vervoeronderneming BV; Damco van Swieten BV; VGL Internationale Expeditie BV; Zaans Veem BV
Défendeur :
Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Schockweiler
Avocat général :
M. Tesauro
Juges :
MM. Kapteyn, Mancini, Kakouris, Murray
LA COUR (sixième chambre),
1 Par onze ordonnances du 7 juillet 1993, parvenues à la Cour le 30 juillet suivant, la Tariefcommissie a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 95 du même traité.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre des litiges opposant des importateurs de boissons alcoolisées à l'Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen (inspecteur des droits de douanes et accises) d'Amsterdam au sujet des accises sur le vin et des accises spéciales sur le vin perçues sur des vins importés d'autres États membres.
3 En vertu de la convention portant unification des droits d'accises et de la rétribution pour la garantie des ouvrages en métaux précieux (Staatsblad 1951, 215, ci-après la "convention d'unification"), conclue entre la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas le 18 février 1950, les taux et critères des accises sur les boissons fermentées à base de fruits et les boissons fermentées mousseuses ont été unifiés. En effet, les articles 9, 9 bis et 10 de la convention d'unification, tels qu'ils résultent du sixième protocole du 26 janvier 1976 (Tractatenblad 1976, 46), établissent un droit d'accise commun pour les trois États et un droit d'accise supplémentaire perçu aux Pays-Bas et en Belgique, tant à la fabrication que lors de l'importation. L'article 18 de cette convention prévoit l'adoption de mesures aux Pays-Bas et dans l'Union économique belgo-luxembourgeoise pour assurer l'unification des dispositions législatives et réglementaires relatives à la perception des droits d'accise pour lesquels un régime commun est établi. En vertu de l'article 19, paragraphe 2, les droits d'accise perçus par l'une des parties contractantes sur des marchandises soumises à un régime d'accise commun, qui sont expédiées de son territoire vers celui de l'autre partie, reviennent à cette dernière. Le décompte entre les parties a lieu d'après les règles établies par les ministres compétents.
4 En application de ces règles, le droit d'accise commun pouvait être perçu sur les produits importés d'autres États, en fonction du point d'entrée dans le territoire Benelux, par l'autorité douanière territorialement compétente. Un décompte des droits ainsi perçus était opéré régulièrement entre les parties.
5 Sur la base de l'article 9 bis, paragraphe 3, de la convention d'unification, dans la version résultant du sixième protocole, les ministres compétents des parties contractantes ont pu accorder pour les boissons fermentées de fruits, autres que de raisins frais ou de raisins secs, fabriquées au Benelux ou importées sur ce territoire, une exemption totale ou partielle des droits d'accise.
6 Les vins de raisins luxembourgeois bénéficiaient également, dans le cadre du Benelux, d'une exemption des droits d'accise. Cette exemption était fondée à l'origine sur l'article 6 de la convention d'union économique belgo-luxembourgeoise du 25 juillet 1921 (Recueil des traités de la société des nations, 1922, p. 224). Elle a été reprise dans le traité du 3 février 1958 instituant l'Union économique Benelux (Recueil des traités des Nations unies, 381, p. 165) dont l'article 80, paragraphe 2, dans la version du sixième protocole précité, prévoyait que les vins naturels fabriqués au Grand-Duché, conformément aux dispositions légales et réglementaires de ce pays, à l'aide de raisins frais qui y avaient été récoltés, ne pouvaient être grevés du droit d'accise et du droit d'accise supplémentaire visés à la convention d'unification.
7 A l'époque des faits des litiges au principal, le septième protocole à la convention d'unification, du 14 septembre 1984 (Tractatenblad 1984, 122), était en vigueur en ce qui concerne les taux des accises. Les droits qui y étaient prévus figuraient également dans la loi néerlandaise du 30 mai 1963, relative aux accises sur les substances alcooliques (Staatsblad 240, ci-après la "loi de 1963"), laquelle a été modifiée à plusieurs reprises.
8 Dans sa version en vigueur à l'époque des faits, la loi de 1963 établissait, en ses articles 4 et 5, une distinction entre, d'une part, les vins tranquilles, comprenant tant les vins de raisins dont le titre alcoométrique n'excède pas 22 % vol. que les vins de fruits dont le titre alcoométrique n'excède pas 15 % vol. et, d'autre part, les vins mousseux, comprenant les vins mousseux à base de raisins et les vins mousseux à base de fruits autres que les raisins. Les produits ne relevant pas de ces catégories, notamment parce qu'ils ont un titre alcoométrique supérieur à celui indiqué, étaient considérés comme des "substances alcooliques" et, en tant que tels, grevés d'une accise sur l'alcool, qui était plus élevée.
9 Tous les vins tranquilles, fabriqués ou importés aux Pays-Bas sont, en principe, soumis à une accise sur le vin et à une accise spéciale sur le vin (article 2, paragraphes 2 et 3, de la loi de 1963). De même, tous les vins mousseux sont, en principe, soumis à une accise sur les vins mousseux et à une accise spéciale sur les vins mousseux (article 2, paragraphes 4 et 5, de la loi de 1963). Toutefois, en vertu des articles 85a et 88d de la loi de 1963, les vins de fruits tranquilles ont été exemptés des accises à condition qu'ils satisfassent à certaines prescriptions en matière d'étiquetage et de conditionnement. D'autre part, les vins mousseux de fruits ont été soumis à un taux d'accise inférieur à celui appliqué aux vins mousseux de raisins. En outre, les vins mousseux de raisins importés ont été soumis à l'accise sur le vin, tandis que les vins mousseux de fruits importés en ont été exemptés.
10 Le 11 janvier 1991, l'Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen d'Amsterdam a rejeté onze réclamations dirigées contre l'application des accises sur le vin et des accises spéciales sur le vin perçues à l'importation à partir des autres États membres des produits suivants:
- madère, originaire du Portugal, ayant une teneur en alcool de 18 % (affaire C-367-93);
- vin rouge, originaire de France, ayant une teneur en alcool de 12 % (affaires C-368-93, C-372-93 et C-375-93);
- champagne, originaire de France, ayant une teneur en alcool de 12 % (affaires C-369-93, C-373-93 et C-377-93);
- vermouth, originaire d'Italie, ayant une teneur en alcool de 13,5 % (affaire C-370-93);
- xérès, originaire d'Espagne, ayant une teneur en alcool de 17 % (affaires C-371-93, C-374-93 et C-376-93).
Dans leurs réclamations, les importateurs, qui n'avaient pu bénéficier des exemptions prévues pour les vins de fruits, soutenaient que la législation néerlandaise, dans la mesure où elle taxait de manière différenciée les vins de raisins et les vins de fruits autres que les raisins, était incompatible avec l'article 95 du traité.
11 Les importateurs ont formé des recours contre chacune de ces décisions de rejet. C'est dans le cadre de ces litiges que la Tariefcommissie a décidé de surseoir à statuer et d'inviter la Cour à répondre aux questions préjudicielles suivantes:
"1) La perception d'accises sur le vin en cause en l'espèce, effectuée lors de l'importation aux Pays-Bas de [produit en cause] originaire d'[État membre en cause] et ayant une teneur en alcool de [pourcentage en cause] est-elle contraire à l'article 95 du traité CEE, compte tenu notamment de la manière dont le vin de fruits était traité par la législation relative aux accises en vigueur à ce moment aux Pays-Bas et de la circonstance que les Pays-Bas font partie du Benelux?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, quel doit être l'effet dans le temps de cette décision?"
12 Par une ordonnance du 6 septembre 1993, la Cour a, conformément à l'article 43 du règlement de procédure, joint les affaires C-367-93, C-368-93, C-369-93, C-370-93, C-371-93, C-372-93, C-373-93, C-374-93, C-375-93, C-376-93 et C-377-93 aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt.
Sur la première question
13 A titre liminaire, il convient de rappeler que, s'il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre de l'article 177 du traité, de se prononcer sur la compatibilité d'une réglementation nationale avec le droit communautaire, elle est, en revanche, compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant de ce droit qui peuvent lui permettre d'apprécier cette compatibilité pour le jugement de l'affaire dont elle est saisie (voir, notamment, arrêt du 8 octobre 1992, Van der Tas, C-143-91, Rec. p. I-5045, point 12).
14 Par la première question, la Cour est appelée à interpréter l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité CEE. Ces dispositions prévoient:
"Aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires.
En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États membres d'impositions intérieures de nature à protéger indirectement d'autres productions."
15 Ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante, l'article 95, dans son ensemble, a pour but d'assurer la libre circulation des marchandises entre les États membres dans des conditions normales de concurrence, par l'élimination de toutes formes de protection pouvant résulter de l'application d'impositions intérieures discriminatoires à l'égard des produits originaires d'autres États membres. Ce texte doit ainsi garantir la parfaite neutralité des impositions intérieures au regard de la concurrence entre produits nationaux et produits importés (voir arrêt du 11 décembre 1990, Commission/Danemark, C-47-88, Rec. p. I-4509, point 9).
16 Il ressort des ordonnances de renvoi que le juge national s'interroge plus particulièrement sur la notion de produits nationaux qui figure à l'article 95 et, dans le cas de l'application du premier alinéa, sur le caractère éventuellement similaire des produits en cause avec les vins de fruits bénéficiant des exemptions. S'il apparaissait que les produits en cause ne sont pas similaires aux produits nationaux, il conviendrait alors d'examiner l'applicabilité de l'article 95, deuxième alinéa.
Sur la notion de produits nationaux
17 Un élément essentiel de l'application de l'article 95 est la définition de la notion de "produits nationaux".
18 A cet égard, le gouvernement néerlandais expose que, en l'espèce, cette définition dépend du rapport entre l'article 95 et la réglementation Benelux précitée. Il rappelle que, selon l'article 233 du traité, les dispositions du droit communautaire ne font pas obstacle à l'existence et à l'accomplissement de l'union établie entre la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, dans la mesure où les objectifs de cette union ne sont pas atteints en application du traité. La Cour aurait interprété cette disposition comme ayant pour but d'éviter que l'application du droit communautaire ait pour effet de désintégrer cette union régionale ou de faire obstacle à son développement. L'article 233 permettrait donc aux trois États membres concernés d'appliquer les règles en vigueur dans le cadre de leur union par dérogation aux règles de la Communauté, dans la mesure où cette union se trouve en avance sur la mise en œuvre du marché commun (arrêt du 16 mai 1984, Pakvries, 105-83, Rec. p. 2101, point 11).
19 Le gouvernement néerlandais soutient donc que, vu l'état d'unification des droits d'accises entre la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, ces trois États membres doivent être considérés comme un seul État membre pour l'application de l'article 95 du traité. Dès lors, étant donné l'importance de la production de vin de fruits et de vin de raisins au sein des États du Benelux, le vin de raisins devrait être considéré comme un produit national. Le vin de fruits et le vin de raisins étant tous les deux des produits nationaux, il n'y aurait pas de discrimination au sens de l'article 95 du traité.
20 A cet égard, il convient de constater que les territoires de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg doivent être considérés comme un territoire unique en ce qui concerne les droits d'accise sur les vins. En effet, ainsi qu'il résulte des points 3 et suivants du présent arrêt, la convention d'unification a unifié les taux et critères des accises perçues sur les boissons fermentées à base de fruits et les boissons fermentées mousseuses, en prévoyant un taux commun et un taux complémentaire applicable en Belgique et aux Pays-Bas. En outre, les États du Benelux ont instauré un régime unifié de perception des droits d'accise et un mécanisme de décompte entre les parties.
21 Il en résulte que tous les vins de fruits ou de raisins produits dans les États du Benelux doivent être considérés comme des produits nationaux au sens de l'article 95 du traité.
22 Le traitement fiscal de faveur dont bénéficiait le vin de raisins luxembourgeois sur le territoire du Benelux, par rapport aux vins importés, n'était pas contraire au traité. En effet, en vertu de l'article premier, paragraphe 1, second alinéa, du protocole concernant le grand-duché de Luxembourg, annexé au traité CEE, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas appliquaient le régime prévu par l'article 6, troisième alinéa, de la convention d'union économique belgo-luxembourgeoise du 25 juillet 1921. Cette dérogation a été maintenue, sur la base de l'article 2 du règlement (CEE) n 541-70 du Conseil, du 20 mars 1970, relatif à l'agriculture du grand-duché de Luxembourg (JO L 68, p. 3) et d'autres règlements successifs. Ces exonérations fiscales ont été supprimées le 1er janvier 1993, en vertu de l'article 2 du règlement (CEE) n° 204-90 du Conseil, du 22 janvier 1990, relatif à l'agriculture du grand-duché de Luxembourg (JO L 22, p. 11).
23 Si, dès lors, les États du Benelux ne contrevenaient pas à l'article 95, en accordant un traitement de faveur aux vins de raisins produits au Luxembourg, ils ne pouvaient pas pour autant privilégier les vins de fruits produits dans l'un des trois États du Benelux au détriment de boissons éventuellement similaires provenant d'un autre État membre de la Communauté.
24 Or, ainsi qu'il résulte des points 3 à 5, les vins de fruits fabriqués au Benelux bénéficiaient d'un régime fiscal de faveur par rapport aux vins de raisins importés que la Commission et les parties requérantes au principal considèrent comme similaires aux vins de fruits.
25 Cette discrimination fiscale des produits importés ne peut pas être considérée comme nécessaire au fonctionnement du régime institué dans le cadre du Benelux et dès lors comme justifiée sur la base de l'article 233 du traité.
Sur la similarité des produits concernés
26 Il convient d'examiner ensuite si les divers vins de raisins en cause dans les affaires au principal sont similaires aux vins de fruits au sens de l'article 95, premier alinéa, du traité.
27 Selon la jurisprudence constante de la Cour, qui a interprété la notion de similitude de manière extensive, il y a lieu d'apprécier celle-ci en examinant si les produits en cause présentent des propriétés analogues et répondent aux mêmes besoins auprès des consommateurs, et ce en fonction d'un critère non pas d'identité rigoureuse, mais d'analogie et de comparabilité dans l'utilisation. En ce qui concerne plus particulièrement l'appréciation de la similitude entre les vins de fruits et les vins de raisins, la Cour a précisé qu'il importe de prendre en considération, d'une part, un ensemble de caractéristiques objectives des deux catégories de boissons, telles que leur origine, leurs procédés de fabrication, leurs qualités organoleptiques, notamment leur goût et leur teneur en alcool, et, d'autre part, le fait que les deux catégories de boissons sont susceptibles ou non de répondre aux mêmes besoins des consommateurs (voir arrêt du 4 mars 1986, Commission/Danemark, 106-84, Rec. p. 833, point 12).
28 En l'espèce, il convient d'appliquer ces critères successivement aux vins rouges, aux vins de liqueur de type xérès et madère, au vermouth et au champagne.
29 En ce qui concerne les vins rouges, une distinction doit être établie entre les vins de table, en cause dans les affaires C-368-93 et C-372-93, et les vins rouges de qualité produits dans une région déterminée, dont il est question dans l'affaire C-375-93.
30 Dans l'arrêt du 4 mars 1986, Commission/Danemark, précité, points 14 et 15, la Cour a déjà considéré que les vins de table, qu'ils soient des vins de fruits ou des vins de raisins, sont fabriqués à partir du même genre de produits de base, à savoir des produits agricoles, et selon un même procédé, à savoir la fermentation naturelle. Elle a en outre observé que les deux catégories de vins présentent des caractéristiques organoleptiques - notamment le goût et la teneur en alcool - analogues et qu'elles répondent aux mêmes besoins auprès des consommateurs en ce qu'elles peuvent se prêter aux mêmes modes de consommation, tant comme boisson désaltérante et rafraîchissante que pour accompagner des repas.
31 Eu égard aux critères dégagés par la Cour, il incombe à la juridiction de renvoi d'apprécier si les vins rouges de qualité produits dans une région déterminée doivent également être considérés comme similaires aux vins de fruits, au sens de l'article 95, premier alinéa, du traité.
32 Pour les vins du type vin de liqueur en cause dans les affaires C-371-93, C-374-93 et C-376-93 (xérès) et l'affaire C-367-93 (madère), il convient de reconnaître la distinction avec les vins de table au motif qu'ils sont habituellement consommés, d'une part, comme apéritifs et, d'autre part, comme vins de dessert et répondent donc à des besoins différents des consommateurs. Par ailleurs, il convient d'observer que la teneur en alcool du xérès (soit 17 % vol.) et du madère (18 % vol.) est plus élevée que celle des vins de fruits (15 % vol.) qui bénéficient d'un traitement privilégié.
33 Le vermouth, quant à lui, en cause dans l'affaire C-370-93, a un titre alcoométrique de 13,5 % vol. et pourrait, de ce fait, être assimilé aux vins de fruits tranquilles dont le titre alcoométrique n'excède pas 15 % vol. Néanmoins, il convient de tenir compte du fait que le vermouth n'est pas fabriqué à partir des mêmes matières premières que les vins de fruits puisqu'au vin de raisins est ajouté non seulement de l'alcool éthylique, mais également une petite quantité d'un mélange de plantes qui confère au vermouth son goût particulier. Il s'ensuit que les qualités organoleptiques du vermouth ne correspondent pas à celles des vins de fruits tranquilles et que ces deux catégories de boissons répondent à des besoins différents des consommateurs.
34 Sous réserve des constatations qu'il incombe à la juridiction de renvoi de faire quant à l'existence de vins de fruits ayant des caractéristiques analogues, il lui appartient d'apprécier si le vin en cause peut être considéré comme similaire.
35 En ce qui concerne le champagne en cause dans les affaires C-369-93, C-373-93 et C-377-93, il y a lieu de constater tout d'abord que, s'il est vrai que tant les vins mousseux de fruits que le champagne sont obtenus à partir du même genre de produits de base, ils ne sont toutefois pas fabriqués selon le même procédé. Alors que le champagne est rendu mousseux par une méthode naturelle, c'est-à-dire par une deuxième fermentation alcoolique en bouteille, les vins mousseux de fruits nécessitent l'addition de bioxyde de carbone, procédé de fermentation qui n'est pas naturel. Ensuite, les qualités organoleptiques du champagne ne sont pas comparables à celles des vins mousseux de fruits. Enfin, ces deux catégories de boissons ne répondent pas aux mêmes besoins auprès des consommateurs, notamment parce que la consommation de champagne est habituellement associée à des occasions particulières.
36 Eu égard à ces critères, il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier si le champagne en cause dans les affaires C-369-93, C-373-93 et C-377-93 peut être considéré comme un produit similaire aux vins mousseux de fruits dont le titre alcoométrique n'excède pas 15 % vol.
Sur l'application de l'article 95, deuxième alinéa
37 Bien qu'une législation nationale comme celle en cause dans les affaires au principal soit compatible avec l'article 95, premier alinéa, en ce qui concerne le xérès, le madère, le vermouth et le champagne, elle pourrait néanmoins être contraire au deuxième alinéa de cet article. Il paraît dès lors utile de fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments qui lui permettront de se prononcer sur la compatibilité d'une telle législation avec cette disposition.
38 A cet égard, la Cour a déjà constaté que l'article 95, deuxième alinéa, du traité a pour fonction d'appréhender toute forme de protectionnisme fiscal indirect dans le cas de produits qui, sans être similaires, au sens du premier alinéa, à des produits nationaux, se trouvent néanmoins, avec certains d'entre eux, dans un rapport de concurrence même partielle, indirecte ou potentielle (voir arrêt du 9 juillet 1987, Commission/Belgique, 356-85, Rec. p. 3299, point 7).
39 En outre, selon une jurisprudence constante, l'appréciation de la compatibilité d'une charge fiscale avec l'article 95, deuxième alinéa, doit se faire au regard des incidences de cette charge sur les rapports de concurrence entre les produits en cause. La question essentielle est donc de savoir si cette charge est de nature à influencer le marché en cause en diminuant la consommation potentielle des produits importés au profit des produits nationaux concurrents (voir arrêt Commission/Belgique, précité, point 15). A cet égard, la juridiction de renvoi doit tenir compte de la différence existant entre les prix de vente des produits en cause et de l'incidence de cette différence sur le choix du consommateur, ainsi que de l'évolution de la consommation de ces produits.
40 Il convient donc de répondre à la première question posée par la Tariefcommissie que:
- un État membre ne saurait invoquer l'article 233 du traité pour se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 de ce même traité, dès lors que cela n'est pas indispensable au bon fonctionnement du régime Benelux;
- l'article 95, premier alinéa, du traité CEE doit être interprété en ce sens que, eu égard aux critères dégagés par la Cour, il incombe à la juridiction de renvoi d'apprécier si:
- des produits tels que, d'une part, le vin rouge de table, le vin rouge de qualité produit dans des régions déterminées, le xérès, le madère et le vermouth et, d'autre part, les vins de fruits tranquilles dont le titre alcoométrique n'excède pas 15 % vol. sont similaires;
- des produits tels que le champagne et les vins mousseux de fruits dont le titre alcoométrique n'excède pas 15 % vol. sont similaires;
- l'article 95, deuxième alinéa, du traité CEE doit être interprété en ce sens que l'appréciation de la compatibilité d'une charge fiscale doit se faire au regard des incidences de cette charge sur les rapports de concurrence entre les produits en cause, de sorte qu'il importe notamment de vérifier si cette charge est de nature à influencer le marché en cause en diminuant la consommation potentielle des produits importés au profit des produits nationaux concurrents. A cet égard, la juridiction de renvoi doit tenir compte de la différence existant entre les prix de vente des produits en cause et de l'incidence de cette différence sur le choix du consommateur, ainsi que de l'évolution de la consommation de ces produits.
Sur la seconde question
41 Par la seconde question, la Cour est invitée à décider si, en cas de réponse affirmative à la première question, il y a lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.
42 A cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'interprétation que, dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 177 du traité, la Cour de justice donne d'une disposition de droit communautaire éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu'elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l'application de ladite règle se trouvent réunies (voir arrêt du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61-79, Rec. p. 1205, point 16).
43 Eu égard à ces principes, une limitation des effets de l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation apparaît tout à fait exceptionnelle (voir, notamment, arrêt Denkavit italiana, précité, point 17). En effet, la Cour n'a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, lorsqu'il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur, et qu'il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à un comportement non conforme à la réglementation communautaire en raison d'une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d'autres États membres ou par la Commission (voir, notamment, arrêt du 16 juillet 1992, Legros e.a., C-163-90, Rec. p. I-4625).
44 En l'espèce, il n'existe aucun élément de nature à justifier une dérogation au principe de la rétroactivité des arrêts d'interprétation.
45 Il convient en effet de constater que l'interprétation de l'article 95 ainsi que la question de son applicabilité directe font l'objet d'une jurisprudence ancienne, abondante et diversifiée, qui ne laisse pas subsister de doute sur la portée de cette disposition (voir, notamment, arrêt du 27 mai 1981, Essevi et Salengo, 142-80 et 143-80, Rec. p. 1413, point 33). De surcroît, il convient d'observer que, le 17 octobre 1990, la Commission avait engagé à l'encontre du royaume des Pays-Bas une procédure en manquement qui lui faisait précisément grief de l'incompatibilité de la législation en cause dans les affaires au principal avec l'article 95 du traité. Cette procédure a été abandonnée par la suite, après que les Pays-Bas ont adopté la nouvelle législation en la matière, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1993.
46 Pour le reste, le gouvernement néerlandais souligne l'importance du préjudice financier qu'il aurait à subir si l'arrêt s'appliquait immédiatement. Il ajoute qu'il en résulterait un avantage inéquitable pour les contribuables concernés, étant donné qu'ils ont déjà répercuté cet impôt sur leurs clients et qu'ils ne restitueront pas la somme en cause à ces derniers, si elle leur est remboursée.
47 Ces arguments ne peuvent être retenus.
48 D'une part, les conséquences financières qui pourraient découler pour un gouvernement de l'illégalité d'un impôt n'ont jamais justifié, par elles-mêmes, la limitation des effets d'un arrêt de la Cour (voir arrêt du 31 mars 1992, Dansk Denkavit et Poulsen Trading, C-200-90, Rec. p. I-2217). Au demeurant, s'il en était autrement, les violations les plus graves seraient traitées plus favorablement, dans la mesure où ce sont elles qui sont susceptibles d'avoir les implications financières les plus importantes pour les États membres. En outre, limiter les effets d'un arrêt en s'appuyant uniquement sur ce type de considérations aboutirait à réduire de façon substantielle la protection juridictionnelle des droits que les contribuables tirent de la réglementation fiscale communautaire.
49 D'autre part, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, bien que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'il soit tenu compte du fait que la charge des taxes indûment perçues a pu être répercutée sur d'autres opérateurs économiques ou sur le consommateur, il incombe aux États membres d'assurer le remboursement de taxes perçues en violation de l'article 95 conformément aux dispositions de leur droit interne dans des conditions qui ne doivent pas être moins favorables que celles qui concernent des recours semblables de nature interne et qui, de toute manière, ne doivent pas rendre pratiquement impossible l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (voir arrêt du 27 février 1980, Just, 68-79, Rec. p. 501, point 27).
50 Il convient donc de répondre à la seconde question qu'il n'y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.
Sur les dépens
51 Les frais exposés par les gouvernements néerlandais et portugais, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par la Tariefcommissie, par ordonnances du 7 juillet 1993, dit pour droit:
1) Un État membre ne saurait invoquer l'article 233 du traité CEE pour se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 de ce même traité, dès lors que cela n'est pas indispensable au bon fonctionnement du régime Benelux.
2) L'article 95, premier alinéa, du traité CEE doit être interprété en ce sens que, eu égard aux critères dégagés par la Cour, il incombe à la juridiction de renvoi d'apprécier si:
- des produits tels que, d'une part, le vin rouge de table, le vin rouge de qualité produit dans des régions déterminées, le xérès, le madère et le vermouth et, d'autre part, les vins de fruits tranquilles dont le titre alcoométrique n'excède pas 15 % vol. sont similaires;
- des produits tels que le champagne et les vins mousseux de fruits dont le titre alcoométrique n'excède pas 15 % vol. sont similaires.
3) L'article 95, deuxième alinéa, du traité CEE doit être interprété en ce sens que l'appréciation de la compatibilité d'une charge fiscale doit se faire au regard des incidences de cette charge sur les rapports de concurrence entre les produits en cause, de sorte qu'il importe, notamment, de vérifier si cette charge est de nature à influencer le marché en cause en diminuant la consommation potentielle des produits importés au profit des produits nationaux concurrents. A cet égard, la juridiction de renvoi doit tenir compte de la différence existant entre les prix de vente des produits en cause et de l'incidence de cette différence sur le choix du consommateur, ainsi que de l'évolution de la consommation de ces produits.
4) Il n'y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.