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Décisions

CJCE, 11 décembre 1990, n° 47-88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume de Danemark

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, O'Higgins, Moitinho de Almeida, Díez de Velasco

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

MM. Schockweiler, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn

CJCE n° 47-88

11 décembre 1990

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 février 1988, la Commission a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en percevant, en vertu de la loi relative à une taxe d'immatriculation des véhicules automobiles (loi codifiée n° 13 du 16 janvier 1985), une taxe sur les voitures particulières tellement élevée qu'elle entrave la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté européenne, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité CEE, et à faire reconnaître qu'en ce qui concerne les véhicules automobiles d'occasion le Royaume de Danemark a enfreint également ledit article 95, dans la mesure où la taxe d'immatriculation des véhicules automobiles importés est généralement assise sur une valeur forfaitaire supérieure à la valeur réelle du véhicule, avec pour conséquence que les véhicules automobiles d'occasion importés sont taxés plus lourdement que les véhicules d'occasion vendus au Danemark après y avoir été préalablement immatriculés.

2 Il ressort du dossier qu'en vertu de la loi précitée les véhicules automobiles immatriculés conformément aux dispositions du Code de la route sont soumis au Danemark à une taxe d'immatriculation. Cette taxe n'est prélevée qu'au moment de la première immatriculation du véhicule sur le territoire danois. Les taux applicables aux voitures particulières, qui sont fonction de la valeur du véhicule, TVA comprise, s'établissent comme suit : 105 % sur les 19 750 premières DKR et 180 % sur le reste du prix.

3 En ce qui concerne les véhicules d'occasion importés, la valeur taxable est égale à 100 % du prix du véhicule neuf lorsqu'il a moins de six mois et à 90 % de ce prix lorsqu'il a plus de six mois. Par contre, la vente de véhicules déjà immatriculés au Danemark ne donne pas lieu à la perception d'une nouvelle taxe d'immatriculation.

4 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la taxe d'immatriculation des véhicules automobiles neufs

5 La Commission fait d'abord valoir que la taxe d'immatriculation danoise qui frappe les véhicules automobiles neufs est incompatible avec l'article 95 du traité, car, en raison de son niveau très élevé et en l'absence de production nationale, elle compromet la libre circulation des marchandises dans le marché commun et n'entre pas dans le cadre du système fiscal général danois. Elle soutient ensuite que la circonstance qu'un État membre ne fabrique pas un produit déterminé ne fait pas obstacle à l'application des principes énoncés par l'article 95.

6 Le Gouvernement danois indique qu'il est d'accord avec la Commission pour qualifier la taxe d'immatriculation danoise d'imposition intérieure au sens de l'article 95. La convergence de vues s'arrête cependant là, car le Gouvernement défendeur considère que cet article ne peut s'appliquer dans le cas où il n'y a pas de production nationale similaire ou concurrente dans l'État membre d'importation.

7 Dès lors, il importe d'examiner si les interdictions prévues à l'article 95 peuvent trouver à s'appliquer en l'absence de production nationale similaire ou concurrente.

8 A cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que d'après ses termes l'article 95 interdit de frapper les produits d'autres États membres d'impositions intérieures supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires ou d'impositions intérieures de nature à protéger indirectement d'autres productions.

9 Il y a lieu de rappeler, encore, ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour (voir, en dernier lieu, l'arrêt du 3 mars 1988, Bergandi, 252-86, Rec. 1343), que l'article 95, dans son ensemble, a pour but d'assurer la libre circulation des marchandises entre les États membres dans des conditions normales de concurrence, par l'élimination de toutes formes de protection pouvant résulter de l'application d'impositions intérieures discriminatoires à l'égard des produits originaires d'autres États membres. Ce texte doit ainsi garantir la parfaite neutralité des impositions intérieures au regard de la concurrence entre produits nationaux et produits importés.

10 En revanche, l'article 95 ne saurait être invoqué à l'encontre d'impositions intérieures frappant des produits importés, en l'absence de production nationale similaire ou concurrente. En particulier, il ne permet pas de censurer le caractère excessif du niveau de taxation que les États membres pourraient arrêter pour des produits donnés en l'absence de tout effet discriminatoire ou protecteur.

11 Il convient de constater qu'il n'existe actuellement au Danemark aucune production nationale de voitures ni de produits nationaux susceptibles de concurrencer les voitures. Dans ces conditions, il faut, dès lors, conclure que la taxe d'immatriculation danoise frappant les véhicules neufs échappe aux interdictions énoncées à l'article 95.

12 Il est vrai que, comme la Cour l'a jugé dans son arrêt du 4 avril 1968, Stier (31-67, Rec. p. 348), les États membres ne peuvent pas frapper les produits qui, à défaut de production intérieure comparable, échappent à l'application des prohibitions de l'article 95, de taxes d'un montant tel que la libre circulation des marchandises à l'intérieur du marché commun serait, en ce qui concerne ces produits, compromise.

13 Une telle atteinte à la libre circulation des marchandises ne saurait toutefois être appréciée éventuellement qu'à la lumière des règles générales contenues dans les articles 30 et suivants du traité. Or, le recours de la Commission est fondé exclusivement sur la violation de l'article 95.

14 Il y a donc lieu de constater que, en ce qui concerne le grief touchant les véhicules automobiles neufs, le manquement allégué n'est pas établi.

Sur la taxe d'immatriculation des véhicules d'occasion importés

15 La Commission fait valoir que le Danemark applique une taxe d'immatriculation différenciée selon qu'il s'agit de voitures d'occasion importées ou de voitures d'occasion achetées au Danemark. En effet, la taxe d'immatriculation qui frappe les voitures d'occasion importées au Danemark est calculée sur la base d'une valeur taxable forfaitaire qui ne peut jamais être inférieure à 90 % de la valeur taxable de la voiture à l'état neuf, alors qu'aucune nouvelle taxe d'immatriculation n'est perçue sur les voitures d'occasion vendues au Danemark après avoir été préalablement immatriculées. Il en résulte que la taxation est plus élevée pour les véhicules d'occasion importés que pour les véhicules achetés sur le marché danois.

16 Le Gouvernement danois allègue d'abord que la nature même de la taxe d'immatriculation implique qu'elle ne s'applique qu'aux voitures d'occasion importées et non aux voitures d'occasion vendues sur le marché danois, pour lesquelles les taxes ont déjà été acquittées lors de l'immatriculation comme voitures neuves ou comme voitures d'occasion importées. Il estime, par ailleurs, qu'il n'y a pas de véritable discrimination en faveur des produits danois, puisqu'il n'y a pas de production danoise d'automobiles et que toutes les voitures d'occasion sont, par conséquent, d'origine étrangère.

17 Il y a lieu d'observer d'emblée que, comme la Commission l'a souligné à juste titre, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de production danoise de véhicules automobiles que le Danemark n'a pas de marché de véhicules d'occasion. En effet, un produit devient national dès lors qu'il a été importé et mis sur le marché. Les voitures d'occasion importées et celles qui sont achetées sur place constituent des produits similaires ou concurrents. Les dispositions de l'article 95 s'appliquent, par conséquent, pour la taxe d'immatriculation à l'importation des voitures d'occasion.

18 Il convient de rappeler ensuite, ainsi que la Cour l'a déjà jugé dans son arrêt du 22 mars 1977, Iannelli/Meroni (74-76, Rec. p. 557), que pour l'application de l'article 95 il y a lieu de prendre en considération non seulement le taux de l'imposition intérieure frappant directement ou indirectement les produits nationaux et importés, mais également l'assiette et les modalités de ladite taxe.

19 A cet égard, il est constant que, pour les véhicules d'occasion importés, la valeur taxable est égale à 100 % du prix du véhicule à l'état neuf lorsqu'il a moins de six mois et à 90 % de ce prix lorsqu'il a plus de six mois. Par contre, la vente de véhicules déjà immatriculés au Danemark ne donne pas lieu à la perception d'une nouvelle taxe d'immatriculation.

20 Il en résulte que, même s'il apparaît qu'en raison du montant très élevé de la taxe frappant les voitures neuves la part de la taxe encore incorporée dans la valeur du véhicule s'amortit de manière plus lente au Danemark que dans d'autres États membres qui ont une taxe d'une valeur moins élevée, cette circonstance n'empêche pas que la perception d'une taxe d'immatriculation dont la base est d'au moins 90 % de la valeur de la voiture neuve constitue généralement une surtaxation manifeste de ces véhicules par rapport à la valeur résiduelle de la taxe d'immatriculation pour les voitures d'occasion préalablement immatriculées, achetées sur le marché danois, quels que soient leur ancienneté ou état d'utilisation.

21 En conséquence, il y a lieu d'admettre que la règle établissant que l'assiette de la taxe d'immatriculation danoise grevant les voitures d'occasion importées est au moins égale à 90 % du prix de la voiture neuve entraîne une taxation discriminatoire des voitures d'occasion importées.

22 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater qu'en percevant une taxe d'immatriculation sur les voitures d'occasion importées assise sur une valeur forfaitaire supérieure à la valeur réelle du véhicule, avec pour conséquence que les véhicules automobiles d'occasion importés sont taxés plus lourdement que les véhicules automobiles d'occasion vendus au Danemark après y avoir été préalablement immatriculés, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95.

Sur les dépens

23 Aux termes de l'article 69, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels. Les deux parties ayant succombé partiellement en leurs moyens, il y a lieu de compenser les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête :

1) En percevant une taxe d'immatriculation sur les voitures d'occasion importées généralement assise sur une valeur forfaitaire supérieure à la valeur réelle du véhicule, avec pour conséquence que les véhicules automobiles d'occasion importés sont taxés plus lourdement que les véhicules automobiles d'occasion vendus au Danemark après y avoir été préalablement immatriculés, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité CEE.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Chaque partie supportera ses propres dépens.