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Décisions

CJCE, 11 juillet 1989, n° 323-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Joliet, O'Higgins

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

Sir Gordon Slynn, MM. Mancini, Schockweiler, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias, Zuleeg

CJCE n° 323-87

11 juillet 1989

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 octobre 1987, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité en instituant un régime fiscal qui frappe l'alcool distillé à partir de canne à sucre et les produits contenant cet alcool plus lourdement que les autres alcools et les autres eaux-de-vie d'origine agricole.

2 Il ressort du dossier que, à la suite des arrêts de la Cour du 15 juillet 1982 et du 15 mars 1983 (Cogis, 216-81, Rec. p. 2701 et Commission c. Italie, 319-81, Rec. p. 601), la République italienne a amendé sa législation fiscale applicable aux spiritueux. Par décret-loi n° 232 du 15 juin 1984 (GURI du 18 juin 1984, n° 166), le droit d'État, qui visait exclusivement les spiritueux autres que ceux obtenus à partir de la distillation du vin et des matières vineuses, a été aboli et le droit de fabrication sur les alcools produits en Italie ainsi que la surtaxe de frontière correspondante sur les alcools importés ont été fixés à un taux unique de 350.000 lires par hectolitre anhydre d'alcool. Cependant, lorsque le décret-loi a été converti en loi par la loi n° 408 du 28 juillet 1984 (GURI du 2 août 1984, n° 212), le montant du droit de fabrication et celui de la surtaxe de frontière ont été portés à 420.000 lires et une disposition dérogatoire a été introduite en vertu de laquelle, jusqu'au 31 décembre 1988, ces droit et surtaxe sur les alcools obtenus à partir de la distillation du vin, des sous-produits de la vinification, des pommes de terre, des fruits, du sorgho, des figues, des caroubes et des céréales étaient fixés à 340 000 lires par hectolitre anhydre. Au cours de la procédure écrite dans la présente affaire, la République italienne a informé la Cour que les taux pleins et réduits de l'imposition mentionnés ci-dessus ont été portés respectivement à 546 000 et 442 000 lires par hectolitre anhydre et que la période d'application du taux réduit a été étendue jusqu'au 31 décembre 1992.

3 La Commission estime notamment que la taxation différenciée prévue par la loi n° 408 crée des catégories artificielles et non objectives de spiritueux dans le but de protéger indirectement les produits nationaux moins lourdement taxés que l'alcool éthylique distillé à partir de la canne à sucre et les produits contenant cet alcool, tels que par exemple le rhum, qui, n'étant pas produits en Italie et ne pouvant pas bénéficier de la réduction des droits, sont soumis au taux plein du régime fiscal appliqué aux alcools. En réponse aux questions écrites posées par la Cour, la Commission a précisé que son recours visait non seulement le traitement fiscal du rhum, mais également celui de l'alcool de canne en l'état, des alcools aromatisés tels que le gin et la vodka, et des liqueurs et autres boissons spiritueuses dans la mesure où elles sont fabriquées à partir d'alcool distillé à partir de la canne à sucre.

4 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur le traitement fiscal du rhum

5 La Commission fait valoir que le rhum et les autres eaux-de-vie sont des produits similaires au sens de l'article 95, premier alinéa, du traité. A titre subsidiaire, elle affirme qu'ils seraient en tout cas des produits concurrents au sens de l'article 95, deuxième alinéa.

6 La République italienne conteste que le rhum puisse être considéré comme un produit similaire à des eaux-de-vie fabriquées à partir de vin et de céréales, compte tenu des caractéristiques organoleptiques respectives de ces produits. Elle reconnaît toutefois que le rhum et les autres eaux-de-vie sont des produits concurrents au sens de l'article 95, deuxième alinéa.

7 Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que l'article 95, dans son ensemble, a pour but d'assurer la libre circulation des marchandises entre les États membres dans des conditions normales de concurrence, par l'élimination de toutes formes de protection pouvant résulter de l'application d'impositions intérieures discriminatoires à l'égard de produits des autres États membres, et de garantir la parfaite neutralité des impositions intérieures au regard de la concurrence entre produits nationaux et produits importés (voir arrêt du 9 juillet 1987, Commission c. Royaume de Belgique, 356-85, Rec. p. 3299).

8 En matière d'alcool de consommation humaine, il a déjà été précisé par les arrêts de la Cour du 27 février 1980 (Commission c. Italie, 169-78, Rec. p. 385) et du 15 juillet 1982 (216-81, précité), que les eaux-de-vie de céréales et le rhum, en tant que produits de la distillation, partagent avec les eaux-de-vie de vin et de marc suffisamment de propriétés communes pour constituer, du moins dans certaines circonstances, une alternative de choix pour le consommateur. Cette constatation suffit pour admettre que ces produits sont en concurrence entre eux et qu'ils ne doivent pas être taxés de manière à favoriser la production nationale.

9 Sur ce dernier point, la Commission fait valoir que le régime fiscal italien des eaux-de-vie est destiné à compenser la différence entre le coût de production des alcools obtenus à partir de matières vineuses et de fruits et celui des alcools de mélasse. Elle estime que la finalité de cette distinction fiscale suffit à elle seule à prouver l'absence de neutralité, les activités économiques liées à la viticulture étant infiniment plus importantes pour l'économie italienne que la production de l'alcool de mélasse.

10 La République italienne fait valoir pour sa part que, pour établir l'existence d'une violation de l'article 95, deuxième alinéa, du traité, il n'est pas suffisant de comparer simplement les charges fiscales respectives qui pèsent sur les produits en question mais qu'il faut établir concrètement que la différence entre ces charges est susceptible de produire des effets protectionnistes. Or, la Commission n'aurait fourni aucune démonstration à cet égard.

11 La République italienne soutient encore que le système fiscal en question remplit les critères qui, en vertu de la jurisprudence de la Cour, permettent aux États membres d'établir un système de taxation différenciée. Elle se réfère notamment à l'arrêt de la Cour du 4 mars 1986 (Walker, 243-84, Rec. p. 875) et affirme qu'une production importante d'alcools est assujettie au taux supérieur du droit contesté, notamment les alcools obtenus à partir de la mélasse de betterave et de canne d'importation.

12 Il y a lieu de rappeler qu'avant l'adoption de la loi n° 408 le système fiscal italien était caractérisé par le fait que les produits nationaux les plus typiques, à savoir les eaux-de-vie dérivées du vin et du marc, se retrouvaient dans la catégorie fiscale la plus favorisée, alors que deux produits importés presque en totalité d'autres États membres, à savoir les eaux-de-vie de céréales et le rhum, supportaient une imposition plus lourde. Dans ses arrêts du 27 février 1980 et du 15 juillet 1982 (169-78 et 216-81, précités), la Cour a constaté que ces différences de taxation influençaient le marché des produits en cause en diminuant la consommation des produits importés.

13 En l'espèce, il résulte du dossier que la nouvelle loi n° 408 a supprimé les différences de taxation par rapport au whisky tandis que le rhum supporte encore une imposition plus lourde. Dans ces conditions, il suffit de renvoyer aux constatations faites par la Cour dans les arrêts précités, sans que l'existence de l'effet protecteur de la taxation italienne par rapport au rhum doive encore être étayée par une comparaison des incidences des différentes charges sur les rapports de concurrence entre les produits en cause.

14 Dans ce contexte, la République italienne ne saurait valablement invoquer l'arrêt du 4 mars 1986 (Walker, précité). En effet, il ressort de cet arrêt qu'un système de taxation différenciée ne produit pas d'effet protecteur en faveur d'une production nationale lorsque, dans chacune des catégories fiscales, figure une partie essentielle de la production nationale des boissons alcooliques.

15 A cet égard, la République italienne affirme que la catégorie assujettie à la taxe plus élevée comprend toute la production nationale d'alcools autres que ceux de vin, de fruits ou de céréales, notamment les alcools de mélasse. Il convient cependant de noter que ces alcools sont des alcools purs qui, n'étant pas en tant que tels destinés à la consommation humaine, ne peuvent être considérés comme se trouvant dans un rapport de concurrence avec les eaux-de-vie. Dans ces conditions, la République italienne n'a pas démontré qu'une partie essentielle de la production nationale des boissons alcooliques figurait dans la même catégorie fiscale que le rhum.

16 Il convient donc de constater que, en instituant un régime fiscal qui frappe le rhum originaire d'autres États membres plus lourdement que d'autres eaux-de-vie d'origine agricole, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité.

Sur le traitement fiscal des autres produits alcooliques

17 En ce qui concerne le traitement fiscal des produits alcooliques autres que le rhum qui sont assujettis à la taxe élevée, la Commission a admis que les statistiques d'importation dont elle dispose n'établissent pas de distinction entre, d'une part, les alcools aromatisés et les liqueurs produits à partir d'alcool de canne et, d'autre part, ceux produits à partir d'autres alcools d'origine agricole.

18 En ce qui concerne les importations d'alcool de canne en l'état, la Commission a indiqué que les mêmes chiffres englobaient l'alcool d'origine industrielle (alcool de synthèse) et l'alcool d'origine agricole sans distinguer selon la matière agricole de base. En effet, à partir d'un certain titre alcoométrique et d'une certaine pureté, il ne serait pas possible de distinguer l'origine précise de l'alcool.

19 Il est de jurisprudence constante (voir en dernier lieu les arrêts de la Cour du 25 avril 1989 et du 30 mai 1989, Commission c/ Italie, 141-87 et 340-87, non encore publiés au Recueil) que dans le cadre d'une procédure en manquement en vertu de l'article 169 du traité, il incombe à la Commission d'établir l'existence du manquement allégué.

20 En l'espèce, la Commission n'a pas établi si et, le cas échéant, dans quelle mesure les produits importés étaient fabriqués à partir de l'alcool tiré de la canne à sucre et étaient, par conséquent, assujettis à la taxe la plus élevée. A défaut de telles preuves, la Cour ne peut se prononcer ni sur le rapport de concurrence entre les produits nationaux et les produits importés ni sur le caractère protecteur du régime fiscal en cause. Dans ces conditions, il convient de rejeter le recours pour autant qu'il concerne le traitement fiscal des produits alcooliques autres que le rhum.

Sur les dépens

21 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, alinéa premier, du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

22 La Commission ayant succombé pour partie en son action, il y a lieu de compenser les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1. En instituant un régime fiscal qui frappe le rhum originaire d'autres États membres plus lourdement que d'autres eaux-de-vie d'origine agricole, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité.

2. Le recours est rejeté pour le surplus.

3. Chacune des parties supportera ses propres dépens.