Livv
Décisions

CJCE, 3 octobre 2000, n° C-58/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Corsten

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida, Edward, Sevón, Schintgen

Avocat général :

M. Cosmas.

Juges :

MM. Kapteyn, Gulmann, Ragnemalm, Wathelet

CJCE n° C-58/98

3 octobre 2000

LA COUR,

1 Par ordonnance du 13 février 1998, parvenue à la Cour le 27 février suivant et complétée le 22 juin 1998, l'Amtsgericht Heinsberg a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE), 60, 65 et 66 du traité CE (devenus articles 50 CE, 54 CE et 55 CE), et de la directive 64-427-CEE du Conseil, du 7 juillet 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non salariées de transformation relevant des classes 23 - 40 C.I.T.I. (Industrie et artisanat) (JO 1964, 117, p. 1863).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre de poursuites exercées devant ladite juridiction contre M. Corsten, prévenu d'avoir enfreint la législation allemande relative à la lutte contre le travail au noir.

Le droit communautaire

3 L'article 59, premier alinéa, du traité dispose:

"Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont progressivement supprimées au cours de la période de transition à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation."

4 L'article 66 du traité dispose que les articles 55 du traité CE (devenu article 45 CE), 56 et 57 du traité CE (devenus, après modification, articles 46 CE et 47 CE) ainsi que 58 du traité CE (devenu article 48 CE), qui figurent dans la troisième partie du traité, titre III, chapitre 2, intitulé "Le droit d'établissement", sont applicables à la libre prestation des services.

5 Aux termes de l'article 56, paragraphe 1, du traité:

"Les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l'applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique."

6 Le 18 décembre 1961, le Conseil a adopté, sur le fondement des articles 54, paragraphe 1, et 63, paragraphe 1, du traité CE (devenus, après modification, articles 44, paragraphe 1, CE et 52, paragraphe 1, CE), deux programmes généraux pour la suppression des restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services (JO 1962, 2, respectivement p. 36 et 32). Pour faciliter la réalisation de ces programmes, le Conseil a notamment adopté, le 7 juillet 1964, la directive 64-427.

7 Cette directive prévoit essentiellement un système de reconnaissance mutuelle de l'expérience professionnelle acquise dans le pays d'origine et s'applique tant à l'établissement qu'à la prestation des services dans un autre État membre.

8 Aux termes de l'article 3 de la directive 64-427:

"Lorsque, dans un État membre, l'accès à l'une des activités mentionnées à l'article premier paragraphe 2 [activités non salariées de transformation relevant des classes 23 - 40 C.I.T.I. (Industrie ou artisanat)], ou l'exercice de celles-ci, est subordonné à la possession de connaissances et d'aptitudes générales, commerciales ou professionnelles, cet État membre reconnaît comme preuve suffisante de ces connaissances et aptitudes l'exercice effectif dans un autre État membre de l'activité considérée:

a) soit pendant six années consécutives à titre indépendant ou en qualité de dirigeant chargé de la gestion de l'entreprise;

b) soit pendant trois années consécutives à titre indépendant ou en qualité de dirigeant chargé de la gestion de l'entreprise, lorsque le bénéficiaire peut prouver qu'il a reçu, pour la profession en cause, une formation préalable d'au moins trois ans sanctionnée par un certificat reconnu par l'État ou jugée pleinement valable par un organisme professionnel compétent;

c) soit pendant trois années consécutives à titre indépendant lorsque le bénéficiaire peut prouver qu'il a exercé à titre dépendant la profession en cause pendant cinq ans au moins;

d) soit pendant cinq années consécutives dans des fonctions dirigeantes, dont un minimum de trois ans dans des fonctions techniques impliquant la responsabilité d'au moins un secteur de l'entreprise, lorsque le bénéficiaire peut prouver qu'il a reçu, pour la profession en cause, une formation préalable d'au moins trois ans sanctionnée par un certificat reconnu par l'État ou jugée comme pleinement valable par un organisme professionnel compétent.

Dans les cas visés aux litteras a) et c) ci-dessus, cette activité ne doit pas avoir pris fin depuis plus de 10 ans à la date du dépôt de la demande prévu à l'article 4 paragraphe 3."

L'article 4 de la directive 64-427 dispose:

"Pour l'application de l'article 3:

1. Les États membres dans lesquels l'accès à l'une des professions mentionnées à l'article premier paragraphe 2, ou l'exercice de cette activité, est subordonné à la possession de connaissances et aptitudes générales, commerciales ou professionnelles, informent avec l'aide de la Commission les autres États membres des caractéristiques essentielles de la profession (description de l'activité de ces professions).

2. L'autorité compétente désignée à cet effet par le pays de provenance atteste les activités professionnelles qui ont été effectivement exercées par le bénéficiaire ainsi que leur durée. L'attestation est établie en fonction de la monographie professionnelle communiquée par l'État membre dans lequel le bénéficiaire veut exercer la profession de manière permanente ou temporaire.

3. L'État membre d'accueil accorde l'autorisation d'exercer l'activité en cause sur demande de la personne intéressée lorsque l'activité attestée concorde avec les points essentiels de la monographie professionnelle communiquée en vertu du paragraphe 1 et que les autres conditions éventuellement prévues par sa réglementation sont remplies."

9 Il convient d'ajouter que la directive 64-427, en vigueur au moment des faits au principal, a été abrogée par la directive 1999-42-CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 juin 1999, instituant un mécanisme de reconnaissance des diplômes pour les activités professionnelles couvertes par les directives de libéralisation et portant mesures transitoires, et complétant le système général de reconnaissance des diplômes (JO L 201, p. 77).

Le droit national

10 En Allemagne, les activités artisanales sont régies par la Handwerksordnung (loi sur l'artisanat), dont la version en vigueur à la date des faits au principal est celle du 20 décembre 1993 (BGBl. 1993 I, p. 2256). Conformément à l'article 1er, paragraphe 1, première phrase, de la Handwerksordnung, l'activité artisanale à titre indépendant n'est autorisée qu'aux personnes physiques et morales ainsi qu'aux sociétés de personnes inscrites au registre des métiers ("Handwerksrolle"). Cette inscription correspond à l'octroi d'une autorisation professionnelle d'exercer ladite activité.

11 Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, première phrase, de la Handwerksordnung, est "inscrite au registre des métiers toute personne ayant réussi l'examen de maîtrise pour le métier qu'elle entend exercer ou pour un métier apparenté...".

12 L'article 8, paragraphe 1, première phrase, de la Handwerksordnung prévoit qu'"une autorisation d'inscription au registre des métiers est exceptionnellement accordée lorsque le demandeur apporte la preuve de ses connaissances et de son habileté à exercer en qualité d'indépendant le métier qu'il entend pratiquer".

13 L'article 9 de la Handwerksordnung habilite le ministre fédéral de l'Économie à arrêter les conditions selon lesquelles les ressortissants des autres États membres peuvent bénéficier d'une telle autorisation exceptionnelle d'inscription au registre des métiers en dehors des cas visés à l'article 8, paragraphe 1, de la Handwerksordnung. C'est sur le fondement de cette disposition que le ministre fédéral de l'Économie a adopté, le 4 août 1966, un règlement relatif aux conditions d'inscription au registre des métiers des ressortissants des autres États membres (BGBl. 1966 I, p. 469, ci-après la "Verordnung"). La Verordnung a transposé dans le droit allemand les dispositions des articles 3 et 4, paragraphes 2 et 3, de la directive 64-427.

14 Aux termes de l'article 1er de la Verordnung, dans sa version modifiée du 20 décembre 1993 (BGBl. 1993 I, p. 2256):

"L'autorisation exceptionnelle d'inscription au registre des métiers concernant un métier de l'annexe A de la Handwerksordnung, à l'exception des métiers mentionnés aux points 17, 89 à 91 et 93 à 95, sauf dans les cas prévus à l'article 8, paragraphe 1, de la Handwerksordnung, doit être accordée à un ressortissant des États membres de la Communauté économique européenne ou d'un autre État partie à l'accord relatif à l'Espace économique européen, lorsque

1. le demandeur a exercé l'activité considérée dans un autre État membre dans les conditions suivantes:

a) soit pendant au moins six années consécutives à titre indépendant ou en qualité de dirigeant de l'entreprise;

b) soit pendant au moins trois années consécutives à titre indépendant ou en qualité de dirigeant de l'entreprise, après avoir suivi une formation d'au moins trois ans à la profession en cause;

c) soit pendant au moins trois années consécutives à titre indépendant et au moins cinq années à titre dépendant;

d) soit pendant au moins cinq années consécutives dans des fonctions dirigeantes, dont au moins trois années dans des fonctions techniques impliquant la responsabilité d'au moins un secteur de l'entreprise, après avoir suivi une formation d'au moins trois ans à la profession en cause, et lorsque

2. l'activité exercée est conforme aux caractéristiques essentielles de la monographie professionnelle pour laquelle la dérogation est demandée."

15 Selon l'ordonnance de renvoi, la procédure d'autorisation d'exercer des activités artisanales et d'inscription au registre des métiers se déroule de la manière suivante: l'organisme compétent de l'État membre d'origine de l'entrepreneur fournit à ce dernier une attestation relative à la durée de son activité professionnelle et aux qualifications obtenues. L'entrepreneur est tenu de fournir personnellement cette attestation à la chambre des métiers compétente, traduite en allemand le cas échéant. Cette dernière vérifie si les conditions mentionnées dans la Verordnung sont remplies et transmet l'attestation, accompagnée d'une demande d'autorisation d'inscription exceptionnelle remplie par l'entrepreneur, au Regierungspräsident (autorité administrative compétente). Ladite autorisation est soumise au versement d'un droit compris entre 300 et 500 DEM. Une fois délivrée par le Regierungspräsident, l'autorisation d'inscription exceptionnelle est envoyée à l'adresse privée de l'entrepreneur. Muni de cette autorisation d'inscription exceptionnelle, et après avoir en outre produit un extrait récent du registre du commerce et acquitté un second droit, l'entrepreneur peut alors solliciter son inscription au registre des métiers auprès de la chambre des métiers compétente. Une carte d'artisan est alors envoyée à l'entrepreneur étranger à son adresse professionnelle. À compter de la réception de cette carte, l'entrepreneur étranger est autorisé à exercer des activités artisanales à titre indépendant en Allemagne.

Le litige au principal et la question préjudicielle

16 M. Corsten, architecte indépendant, a confié à une entreprise établie aux Pays-Bas des travaux de dallage dans le cadre d'un projet de construction en Allemagne. L'entreprise chargée de ces travaux effectuait légalement de tels travaux aux Pays-Bas, mais elle n'était pas inscrite au registre des métiers en Allemagne. Le prix au mètre carré réclamé par cette entreprise pour les travaux de dallage était sensiblement inférieur à celui que des entreprises artisanales allemandes auraient facturé pour les mêmes travaux.

17 Par décision du 2 janvier 1996, le service allemand compétent de l'inspection du travail a infligé à M. Corsten une amende administrative de 2 000 DEM pour infraction à la législation allemande relative à la lutte contre le travail au noir. Conformément à celle-ci, est passible d'une amende administrative toute personne qui confie à une entreprise non inscrite au registre des métiers l'exécution de travaux d'artisanat indépendants. Il est constant que, en Allemagne, les travaux de dallage relèvent de cette catégorie de travaux.

18 M. Corsten a formé opposition à cette décision devant l'Amtsgericht Heinsberg.

19 Éprouvant des doutes quant à la compatibilité de la réglementation allemande, notamment en ce qui concerne l'exigence de l'inscription au registre des métiers, avec le droit communautaire relatif à la libre prestation des services, l'Amtsgericht Heinsberg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"est[-il] compatible avec le droit communautaire relatif à la libre circulation des services qu'une entreprise néerlandaise, qui remplit aux Pays-Bas toutes les conditions pour exercer une activité professionnelle, doive remplir d'autres conditions - même purement formelles - pour exercer cette activité en Allemagne[?]"

Sur la question préjudicielle

20 Il y a lieu de préciser, à titre liminaire, que la question posée par la juridiction de renvoi ne concerne pas directement la situation de M. Corsten, mais celle de l'entreprise néerlandaise qu'il avait chargée d'effectuer des travaux artisanaux en Allemagne. En effet, il ressort du dossier que, si cette entreprise n'était pas soumise à l'obligation de s'inscrire au registre des métiers en Allemagne, en sorte qu'il lui aurait été loisible de réaliser les travaux convenus sans effectuer une telle formalité, M. Corsten ne saurait être poursuivi pour infraction à la législation relative à la lutte contre le travail au noir.

21 Dans ces conditions, il convient de comprendre la question comme demandant en substance si le droit communautaire relatif à la libre prestation des services s'oppose à la réglementation d'un État membre qui subordonne l'accomplissement, sur son territoire, d'activités artisanales par des prestataires de services établis dans d'autres États membres à la condition que ces prestataires soient inscrits au registre des métiers dudit État membre.

22 Le Kreis Heinsberg conteste l'exactitude de la description de la procédure d'autorisation d'exercer des activités artisanales et d'inscription au registre des métiers faite par la juridiction de renvoi. Selon lui, l'entrepreneur doit d'abord adresser une demande d'autorisation exceptionnelle d'inscription au registre des métiers à l'autorité qui délivre cette autorisation, à savoir, dans l'affaire au principal, le Gouvernement du district compétent. Celui-ci entendrait la chambre des métiers compétente avant de prendre sa décision. Dès lors que l'autorisation exceptionnelle a été délivrée, l'entrepreneur la présenterait à la chambre des métiers concernée, laquelle procéderait alors à l'inscription au registre des métiers.

23 Selon le Kreis Heinsberg, l'ensemble de cette procédure se déroule normalement dans une période de quatre à six semaines, donc dans des délais tout à fait raisonnables. Le Kreis Heinsberg soutient en outre que, contrairement aux constatations de la juridiction de renvoi, l'entrepreneur n'est pas tenu de présenter un extrait récent du registre du commerce ni d'acquitter un second droit lors de l'inscription au registre des métiers.

24 Il convient de rappeler d'emblée que la Cour n'est compétente ni pour juger si l'interprétation que donne la juridiction de renvoi des dispositions de droit national est correcte ni pour se prononcer, dans le cadre d'un renvoi préjudiciel, sur la conformité de ces dispositions avec le droit communautaire. Il appartient uniquement à la Cour d'interpréter les dispositions du droit communautaire pour donner à la juridiction de renvoi tous les éléments utiles relevant du droit communautaire afin de permettre à cette dernière de trancher l'affaire pendante devant elle.

25 À cet égard, ce qui importe et qui n'est, au demeurant, pas contesté est que la procédure d'autorisation d'exercer des activités artisanales et d'inscription au registre des métiers se déroule en plusieurs étapes. En effet, l'entreprise qui demande son inscription au registre des métiers doit s'adresser non seulement à la chambre des métiers compétente, mais également à l'autorité administrative compétente. Ainsi, l'"autorisation exceptionnelle" délivrée par l'autorité administrative à l'entreprise ne confère pas à cette dernière le droit d'exercer telle ou telle activité artisanale, mais ne comporte que l'autorisation d'obtenir exceptionnellement l'inscription au registre des métiers auprès de la chambre des métiers compétente.

26 En effet, les personnes qui demandent leur inscription au registre des métiers doivent normalement avoir réussi l'examen prévu par le droit national ("Meisterprüfung"). Ce n'est qu'à titre exceptionnel que celui-ci renonce à cette exigence en vue de permettre l'inscription d'autres catégories de personnes, y compris les ressortissants d'autres États membres, dans le but de se conformer au droit communautaire.

27 L'examen permettant d'établir si les conditions mentionnées dans la Verordnung sont remplies est effectué avant que l'autorisation exceptionnelle d'inscription au registre ne soit délivrée.

28 Le Gouvernement allemand soutient que l'inscription obligatoire au registre des métiers qui résulte de la Handwerksordnung, avec pour conséquence l'affiliation obligatoire aux chambres des métiers des entreprises concernées, n'est pas contraire au droit communautaire dérivé. En effet, selon lui, la directive 64-427 ne concernait que la reconnaissance d'activités dans le cadre de l'examen des conditions matérielles relatives à l'exercice pour la première fois d'une activité dans un autre État membre, mais ne régissait pas la procédure d'inscription au registre des métiers.

29 La Commission, après avoir rappelé les conditions dans lesquelles les autorités compétentes de l'État membre d'accueil délivrent l'autorisation d'exercer l'activité professionnelle en cause, conformément à l'article 4 de la directive 64-427, relève que celle-ci ne contient aucune autre disposition quant à la suite de la procédure d'octroi de l'autorisation. Elle ajoute que le paragraphe 3 de ladite disposition confère même expressément à l'État membre d'accueil la faculté d'imposer des conditions supplémentaires à l'octroi de l'autorisation. Toutefois, la Commission fait valoir que cet État n'a pas pleine liberté en la matière, mais qu'il est tenu de déterminer la procédure d'octroi de l'autorisation de manière telle que la directive 64-427 ne perde pas tout effet utile.

30 À cet égard, il convient de rappeler que la directive 64-427 visait à faciliter la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services, dans un large éventail d'activités professionnelles relevant de l'industrie et de l'artisanat, en attendant l'harmonisation des conditions d'accès aux activités en cause dans les différents États membres, préalable indispensable à une libéralisation complète dans ce domaine (arrêt du 29 octobre 1998, De Castro Freitas et Escallier, C-193-97 et C-194-97, Rec. p. I-6747, point 19).

31 S'il est vrai que, en l'absence d'une telle harmonisation en ce qui concerne les activités en cause au principal, les États membres demeurent, en principe, compétents pour définir les conditions d'accès auxdites activités, il n'en reste pas moins qu'ils doivent exercer leurs compétences dans ce domaine dans le respect tant des libertés fondamentales garanties par les articles 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) et 59 du traité que de l'effet utile des dispositions d'une directive comportant des mesures transitoires (arrêt De Castro Freitas et Escallier, précité, point 23). Cela vaut non seulement pour les conditions matérielles d'accès auxdites activités, mais également pour les exigences d'ordre procédural prévues par le droit national.

32 Eu égard à la nature des activités en cause au principal, il convient donc d'examiner si l'inscription au registre des métiers et la procédure administrative y afférente sont compatibles avec le principe de la libre prestation des services et ne compromettent pas l'effet utile de la directive 64-427, et notamment de son article 4.

33 Il est de jurisprudence constante que l'article 59 du traité exige non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (voir arrêts du 25 juillet 1991, Säger, C-76-90, Rec. p. I-4221, point 12; du 9 août 1994, Vander Elst, C-43-93, Rec. p. I-3803, point 14; du 28 mars 1996, Guiot, C-272-94, Rec. p. I-1905, point 10; du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede, C-3-95, Rec. p. I-6511, point 25; du 9 juillet 1997, Parodi, C-222-95, Rec. p. I-3899, point 18, et du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369-96 et C-376-96, Rec. p. I-8453, point 33).

34 À cet égard, l'obligation, imposée à une entreprise établie dans un État membre qui souhaite en tant que prestataire de services exercer une activité artisanale dans un autre État membre, de s'inscrire au registre des métiers de ce dernier État constitue une restriction au sens de l'article 59 du traité.

35 Or, il est également de jurisprudence constante que, même en l'absence d'harmonisation en la matière, une telle restriction au principe fondamental de la libre prestation des services ne peut être justifiée que par des réglementations qui trouvent leur fondement dans des raisons impérieuses d'intérêt général et s'appliquent à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État membre d'accueil, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi (voir, notamment, arrêts du 17 décembre 1981, Webb, 279-80, Rec. p. 3305, point 17; du 26 février 1991, Commission/Italie, C-180-89, Rec. p. I-709, point 17; Commission/Grèce, C-198-89, Rec. p. I-727, point 18; Säger, précité, point 15; Vander Elst, précité, point 16; Guiot, précité, point 11, et Arblade e.a., précité, point 34).

36 Le Gouvernement allemand relève que l'ensemble du système de qualification des artisans, qui repose sur l'exigence du diplôme de maîtrise et sur l'affiliation obligatoire à la chambre des métiers, est destiné notamment à maintenir le niveau de prestation et des capacités professionnelles du secteur de l'artisanat. Ces intérêts constitueraient des raisons impérieuses d'intérêt général et ne seraient pas sauvegardés par les dispositions de l'État membre dans lequel le prestataire de services est établi.

37 Le Kreis Heinsberg fait valoir que le registre des métiers remplit la fonction d'un registre public qui contient des informations sur les artisans exerçant leurs activités à titre indépendant dans la circonscription de la chambre des métiers concernée. Ainsi, le registre des métiers serait destiné à permettre aux autorités et au public de connaître les entreprises ayant reçu l'autorisation d'exercer des activités artisanales à titre indépendant dans la circonscription de la chambre des métiers concernée et, partant, de confier des services artisanaux à des prestataires qui sont en mesure de fournir des services de qualité.

38 À cet égard, il y a lieu d'admettre, ainsi que la Commission l'a relevé, que l'objectif de garantir la qualité des travaux d'artisanat exécutés et de protéger les destinataires de ces travaux constitue une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services.

39 Toutefois, conformément au principe de proportionnalité, l'application des réglementations nationales d'un État membre aux prestataires établis dans d'autres États membres doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint (voir, notamment, arrêts précités Säger, point 15, et Arblade e.a., point 35).

40 Or, une réglementation, telle que la réglementation nationale en cause au principal, même si elle s'applique indépendamment de la nationalité des prestataires de services et semble propre à assurer la réalisation d'objectifs qui visent tous à maintenir la qualité des services fournis, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs.

41 L'examen qui précède l'octroi de l'autorisation exceptionnelle d'inscription au registre des métiers ne peut que revêtir un caractère essentiellement formel, parce qu'il doit se limiter à vérifier si les conditions énoncées à l'article 3 de la directive 64-427 sont réunies. En effet, il résulte de l'article 4 de cette directive que, à l'occasion de cet examen, les autorités de l'État membre d'accueil sont en principe liées par les constatations, concernant tant les activités professionnelles qui ont été effectivement exercées par le prestataire de services concerné que la durée de celles-ci, contenues dans l'attestation délivrée par l'État membre de provenance de ce dernier. Au stade de l'inscription au registre des métiers, il n'est procédé à aucun examen supplémentaire.

42 Dans la mesure où les raisons pour l'exigence d'inscription au registre des métiers seraient d'ordre purement administratif, il convient de rappeler que de telles considérations ne sauraient justifier une dérogation, par un État membre, aux règles du droit communautaire, et ce d'autant plus lorsque la dérogation en cause revient à exclure ou à restreindre l'exercice d'une des libertés fondamentales du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 26 janvier 1999, Terhoeve, C-18-95, Rec. p. I-345, point 45, et Arblade e.a., précité, point 37).

43 Ainsi que le Gouvernement autrichien le relève à juste titre, un État membre ne saurait subordonner la réalisation de la prestation de services sur son territoire à l'observation de toutes les conditions requises en cas d'établissement, sous peine de priver de tout effet utile les dispositions du traité destinées précisément à assurer la libre prestation de services (voir arrêt Säger, précité, point 13).

44 Dans l'affaire au principal, le droit national de l'État membre d'accueil ne fait pas de distinction, en ce qui concerne les entreprises d'autres États membres voulant fournir des services artisanaux dans le premier État, entre celles qui ne sont établies que dans l'État membre de provenance et celles qui ont également un établissement, au sens de l'article 52 du traité, dans l'État membre d'accueil. Ces deux catégories d'entreprises sont, de la même manière, soumises à l'obligation d'être inscrites au registre des métiers pour pouvoir effectuer des travaux artisanaux dans l'État membre d'accueil.

45 Même si l'exigence d'inscription au registre des métiers, qui a pour conséquence l'affiliation obligatoire aux chambres des métiers des entreprises concernées et, partant, le versement des cotisations y afférentes, pouvait être justifiée en cas d'établissement dans l'État membre d'accueil, hypothèse qui n'est pas celle de l'affaire au principal, il n'en va pas nécessairement de même pour les entreprises qui n'ont l'intention de fournir des services dans l'État membre d'accueil qu'à titre occasionnel, voire une seule fois.

46 En effet, ces dernières sont susceptibles d'être dissuadées de poursuivre leur projet si, en raison de l'inscription obligatoire de celles-ci au registre des métiers, la procédure d'autorisation est rendue plus longue et plus coûteuse, de sorte que le profit escompté, tout au moins pour les petits projets, n'est plus intéressant sur le plan économique. Ainsi, pour ces entreprises, la libre prestation des services, principe fondamental du traité, tout comme la directive 64-427 risquent de perdre leur effet utile.

47 Par conséquent, la procédure d'autorisation instaurée par l'État membre d'accueil ne devrait ni retarder ni compliquer l'exercice du droit d'une personne établie dans un autre État membre de fournir ses services sur le territoire du premier État, dès lors que l'examen des conditions d'accès aux activités concernées a été effectué et qu'il a été établi que ces conditions sont remplies.

48 En outre, l'éventuelle exigence d'inscription au registre des métiers de l'État membre d'accueil, à supposer qu'elle soit justifiée, ne devrait ni engendrer des frais administratifs supplémentaires ni entraîner le versement obligatoire de cotisations à la chambre des métiers.

49 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question que l'article 59 du traité et l'article 4 de la directive 64-427 s'opposent à une réglementation d'un État membre qui subordonne l'accomplissement, sur son territoire, d'activités artisanales par des prestataires de services établis dans d'autres États membres à une procédure d'autorisation de nature à retarder ou compliquer l'exercice du droit à la libre prestation de services, dès lors que l'examen des conditions d'accès aux activités concernées a été effectué et qu'il a été établi que ces conditions sont remplies. En outre, l'éventuelle exigence d'inscription au registre des métiers de l'État membre d'accueil, à supposer qu'elle soit justifiée, ne devrait ni engendrer des frais administratifs supplémentaires ni entraîner le versement obligatoire de cotisations à la chambre des métiers.

Sur les dépens

50 Les frais exposés par les Gouvernements allemand et autrichien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par l'Amtsgericht Heinsberg, par ordonnance du 13 février 1998, complétée le 22 juin suivant, dit pour droit:

L'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) et l'article 4 de la directive 64-427-CEE du Conseil, du 7 juillet 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non salariées de transformation relevant des classes 23 - 40 C.I.T.I. (Industrie et artisanat), s'opposent à une réglementation d'un État membre qui subordonne l'accomplissement, sur son territoire, d'activités artisanales par des prestataires de services établis dans d'autres États membres à une procédure d'autorisation de nature à retarder ou compliquer l'exercice du droit à la libre prestation de services, dès lors que l'examen des conditions d'accès aux activités concernées a été effectué et qu'il a été établi que ces conditions sont remplies. En outre, l'éventuelle exigence d'inscription au registre des métiers de l'État membre d'accueil, à supposer qu'elle soit justifiée, ne devrait ni engendrer des frais administratifs supplémentaires ni entraîner le versement obligatoire de cotisations à la chambre des métiers.