CJCE, 6e ch., 13 février 2003, n° C-131/01
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Puissochet
Avocat général :
M. Léger.
Juges :
MM. Schintgen, Gulmann, Cunha Rodrigues, Mme Macken, M. J. N. (rapporteur)
LA COUR (sixième chambre),
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 mars 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en maintenant une réglementation qui impose aux agents en brevets établis dans d'autres États membres d'être inscrits au registre italien des agents en brevets et d'avoir une résidence ou un domicile professionnel en Italie, pour fournir des services devant l'Office italien des brevets, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE à 55 CE, relatifs à la libre prestation des services.
La réglementation nationale
2 L'article 94 du décret royal n° 1127, du 29 juin 1939, portant dispositions législatives en matière de brevets d'invention (GURI n° 215, du 7 août 1979, p. 6597), dans sa version résultant du décret n° 338 du président de la République, du 22 juin 1979, portant révision de la législation nationale en matière de brevets, en application de la loi de délégation n° 260 du 26 mai 1978 (ci-après le "décret n° 1127-39"), dispose:
"Nul n'est tenu de se faire représenter par un mandataire agréé dans les procédures devant l'Office central des brevets; les personnes physiques et morales peuvent agir par l'intermédiaire de l'un de leurs employés, même non agréé.
Le mandat ne peut être conféré qu'à des mandataires dont le nom figure sur le registre tenu à cet effet par l'Office.
Le mandat peut en outre être conféré à un avocat ou à un avoué inscrits à leurs ordres professionnels respectifs."
3 L'article 2 du décret n° 342 de la République italienne, du 30 mai 1995, portant règlement sur l'organisation de la profession des agents en propriété industrielle et la tenue du registre correspondant (GURI n° 192, du 18 août 1995, p. 15, ci-après le "décret n° 342-95"), soumet l'inscription au registre italien des agents en brevets aux conditions suivantes:
"Peut être inscrite au registre des agents agréés en propriété industrielle toute personne physique qui:
[...]
c) a sa résidence ou un domicile professionnel en Italie, sauf si elle a la nationalité d'un État qui admet l'inscription de ressortissants italiens sur son registre national en l'absence d'une telle condition;
d) a réussi l'examen d'habilitation visé à l'article 6 ou l'épreuve d'aptitude prévue à l'article 6, deuxième alinéa, du décret-loi n° 115 du 27 janvier 1992 pour les agents en propriété industrielle."
4 L'article 6, deuxième alinéa, du décret-loi n° 115 de la République italienne, du 27 janvier 1992, portant mise en œuvre de la directive 89-48-CEE relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (GURI n° 40, du 18 février 1992, p. 6, ci-après le "décret-loi n° 115-92"), dispose:
"La reconnaissance [des titres de formation professionnelle obtenus dans la Communauté européenne] est subordonnée à la réussite d'une épreuve d'aptitude pour ce qui est des professions d'avocat, d'expert comptable et d'agent en propriété industrielle."
5 Selon l'article 13, premier alinéa, du décret-loi n° 115-92, "[l]e décret de reconnaissance du titre de formation professionnelle donne à l'intéressé le droit d'accéder à la profession et de l'exercer, dans le respect des conditions imposées par la législation en vigueur aux ressortissants italiens, au-delà des exigences relatives à la formation et aux qualifications professionnelles".
La procédure précontentieuse
6 Par lettre de mise en demeure du 29 juillet 1998, la Commission a informé le gouvernement italien qu'elle considérait que les articles 94 du décret n° 1127-39 et 2 du décret n° 342-95 étaient incompatibles avec les articles 49 CE à 55 CE et invité ce gouvernement à lui transmettre ses observations à ce sujet.
7 Selon la Commission, il est excessif d'exiger des agents en brevets établis dans d'autres États membres, où ils exercent légalement leur profession, qu'ils s'inscrivent au registre italien des agents en brevets après avoir réussi une épreuve d'aptitude et acquièrent une résidence ou un domicile professionnel en Italie, même lorsque leur prestation devant l'Office italien des brevets n'est qu'isolée et occasionnelle. Ces exigences ne seraient ni justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général ni proportionnées au but poursuivi, et constitueraient par conséquent une entrave injustifiée à la libre prestation des services.
8 Jugeant la réponse des autorités italiennes insatisfaisante, la Commission leur a adressé, le 4 août 1999, une lettre de mise en demeure complémentaire, dans laquelle elle a réitéré ses griefs, ajoutant que les articles 6, deuxième alinéa, et 13, premier alinéa, du décret-loi n° 115-92 sont contraires à la directive 89-48-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (JO L 19, p. 16), dans la mesure où ils subordonnent l'exercice, même ponctuel et irrégulier, de la profession d'agent en brevets à la réussite d'une épreuve d'aptitude.
9 Dans leur réponse du 12 octobre 1999, les autorités italiennes ont contesté la réalité du manquement allégué.
10 Le 17 février 2000, la Commission a émis un avis motivé par lequel elle invitait la République italienne à adopter les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
11 Par lettre du 14 novembre 2000, les autorités italiennes ont fait savoir à la Commission qu'elles maintenaient leur point de vue. Elles ont notamment fait valoir que l'épreuve d'aptitude prévue par le décret-loi n° 115-92 était conforme à l'article 4, paragraphe 1, dernière phrase, de la directive 89-48 et qu'elle était justifiée, notamment, pour éviter toute discrimination au détriment des agents en brevets italiens.
12 Insatisfaite de la réponse du gouvernement italien, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le recours
Sur le régime de l'inscription obligatoire au registre italien des agents en brevets
Arguments des parties
13 La Commission relève que le régime de l'inscription obligatoire au registre italien des agents en brevets, tel qu'il est prévu en droit italien, empêche les agents en brevets exerçant régulièrement leur profession dans un autre État membre, dans lequel ils sont établis, de fournir une prestation occasionnelle et temporaire de mandataire auprès de l'Office italien des brevets, pour le compte de clients qui se sont adressés à eux, s'ils ne sont pas inscrits audit registre.
14 La Commission considère en effet que, si la République italienne peut fixer les règles applicables aux agents en brevets qui s'établissent sur son territoire, le fait d'appliquer ces mêmes règles aux agents en brevets établis dans d'autres États membres qui envisagent de fournir une prestation occasionnelle et temporaire en Italie et dont la profession est déjà réglementée dans l'État membre d'origine, représente un obstacle à la libre prestation des services au sens de l'article 49 CE.
15 La Commission rappelle, à cet égard, que, selon la jurisprudence de la Cour, le principe de la libre prestation des services ne peut être limité que par des réglementations justifiées par l'intérêt général, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi. En outre, de telles restrictions devraient être objectivement nécessaires en vue de garantir l'observation des règles professionnelles et d'assurer la protection des intérêts qui constitue l'objectif de celles-ci. Il appartiendrait à l'État membre intéressé de démontrer la nécessité et la proportionnalité des restrictions à la libre prestation des services. Or, pareille preuve n'aurait pas été rapportée en l'espèce.
16 Le gouvernement italien soutient, à titre principal, que l'exercice, par les agents en brevets, de l'activité de représentation des inventeurs auprès d'un office national des brevets n'est, par nature, ni occasionnel ni temporaire au sens de l'article 50 CE, de sorte que ladite activité n'entre pas dans le champ d'application des dispositions du traité CE sur la libre prestation des services.
17 En effet, l'activité de dépôt et d'enregistrement d'une invention ne constituerait pas une prestation ponctuelle, mais s'étalerait sur une longue période. Cette activité impliquerait un rapport permanent avec l'office concerné durant toute la période d'évaluation (demandes de clarification de l'office, dépôt de répliques, modification de la demande, etc.), laquelle se conclut par la décision d'octroi ou de refus du brevet. Ainsi, l'activité de représentation s'étendrait sur plusieurs années.
18 Le gouvernement italien considère qu'il est déraisonnable d'imaginer qu'un inventeur va s'adresser à un agent en brevets pour lui faire accomplir, comme unique acte, le dépôt d'une demande de brevet, puis accomplira lui-même ou fera accomplir par un autre agent en brevets la procédure d'examen qui s'ensuit et qui nécessite un maximum de professionnalisme. Il s'agirait en réalité d'une prestation complexe nécessitant des actes fréquents, périodiques et continus.
19 À supposer même que l'activité en question puisse être exercée à titre temporaire au sens de l'article 50 CE, le gouvernement italien fait valoir que l'inscription obligatoire au registre italien des agents en brevets, qui est subordonnée à la réussite d'un examen, vise à protéger l'intérêt général tenant à la protection des intérêts des destinataires des services concernés.
20 En effet, d'une part, en l'absence d'une inscription systématique audit registre, les autorités italiennes compétentes seraient dans l'impossibilité de contrôler le caractère occasionnel de l'activité exercée par l'agent en brevets établi dans un autre État membre, compte tenu du nombre des demandes adressées à l'Office italien des brevets. De plus, si, dans un cas particulier, un contrôle était effectué, le titulaire de l'invention courrait le risque de voir sa demande annulée, ce qui serait gravement préjudiciable à ses intérêts. D'autre part, la réglementation italienne en cause permettrait d'exercer un contrôle sur les compétences des agents en brevets en vue de protéger les destinataires des services qu'ils fournissent contre les préjudices pouvant résulter de conseils juridiques émanant de personnes n'ayant pas les qualifications professionnelles ou morales requises.
Appréciation de la Cour
21 Il convient d'abord de vérifier si l'affirmation du gouvernement italien, selon laquelle l'activité d'agent en brevets ne relève pas des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services parce qu'elle ne pourrait pas être exercée à titre "temporaire" dans l'État membre où la prestation est fournie, est fondée.
22 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le caractère "temporaire" de l'exercice d'une activité dans l'État membre d'accueil, au sens de l'article 50, troisième alinéa, CE, doit être apprécié non seulement en fonction de la durée de la prestation, mais également en fonction de sa fréquence, périodicité ou continuité, et que la notion d'"établissement" au sens du traité implique la possibilité pour un ressortissant communautaire de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d'un État membre autre que son État d'origine (arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165, points 25 et 27).
23 Le critère décisif aux fins de l'application du chapitre du traité relatif aux services à une activité économique est l'absence de caractère stable et continu de la participation de l'intéressé à la vie économique de l'État membre d'accueil.
24 Bien que l'activité de représentation de l'agent en brevets devant un office national des brevets, consistant notamment dans le dépôt et le suivi de demandes de brevets ainsi que dans la protection de ceux-ci, comprenne une série d'interventions qui se prolongent dans le temps, il ne saurait être considéré que l'exercice de cette activité comporte nécessairement une participation stable et continue à la vie économique de l'État membre d'accueil. D'ailleurs, rien n'empêche un destinataire de services d'avoir recours à un agent en brevets en vue de l'accomplissement d'un seul ou de plusieurs actes ponctuels liés à l'exercice de l'activité concernée. Les inconvénients qu'impliquerait pareille démarche, selon le gouvernement italien, sont sans pertinence pour qualifier l'activité en question dans l'État membre d'accueil de prestation de services au regard du droit communautaire.
25 Par conséquent, l'activité d'agent en brevets est susceptible de relever du champ d'application du chapitre du traité relatif à la libre prestation des services.
26 En outre, ainsi que la Cour l'a à maintes fois jugé, l'article 49 CE exige non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (voir, notamment, arrêt du 3 octobre 2000, Corsten, C-58-98, Rec. p. I-7919, point 33).
27 L'obligation imposée aux agents en brevets établis dans un État membre autre que la République italienne qui souhaitent fournir une prestation de services dans ce dernier État de s'inscrire au registre italien des agents en brevets constitue une restriction au sens de l'article 49 CE (voir notamment, en ce sens, arrêt Corsten, précité, point 34).
28 Même en l'absence d'harmonisation en la matière, une telle restriction au principe fondamental de la libre prestation des services ne peut être justifiée que par des réglementations qui trouvent leur fondement dans des raisons impérieuses d'intérêt général et s'appliquent à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État membre d'accueil, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi (voir, notamment, arrêt Corsten, précité, point 35).
29 La réglementation italienne en cause vise à garantir la qualité des services fournis par les agents en brevets et à protéger les destinataires de ces services. Si de tels objectifs constituent des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services, encore faut-il, conformément au principe de proportionnalité, que l'application des réglementations nationales d'un État membre aux prestataires établis dans d'autres États membres soit propre à garantir la réalisation des objectifs qu'elles poursuivent et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'ils soient atteints (voir, notamment, arrêts du 25 juillet 1991, Säger, C-76-90, Rec. p. I-4221, points 15 à 17, et Corsten, précité, points 38 et 39).
30 Or, ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre, le contrôle d'aptitude professionnelle à la réussite duquel est subordonnée l'inscription obligatoire des agents en brevets au registre italien de ces agents n'opère aucune distinction entre les prestataires de services dont les compétences et qualités professionnelles ont fait l'objet d'un contrôle dans l'État membre d'origine et ceux n'ayant pas subi un tel contrôle.
31 Par ailleurs, comme M. l'avocat général l'a relevé au point 45 de ses conclusions, d'autres mesures moins contraignantes auraient pu être adoptées afin de réaliser les objectifs légitimement poursuivis par la République italienne.
32 Par conséquent, la réglementation italienne en cause, même si elle s'applique indépendamment de la nationalité des prestataires de services et si elle paraît propre à assurer la réalisation d'objectifs consistant à protéger les destinataires des services fournis, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs.
33 Dans ces conditions, le premier grief apparaît fondé.
Sur le grief relatif à l'obligation de résidence ou de domicile professionnel en Italie
Arguments des parties
34 La Commission fait valoir que l'article 2 du décret n° 342-95, en tant qu'il prévoit, en vue de l'inscription au registre des agents en brevets autorisés à exercer leur profession en Italie, une obligation de résidence ou de domicile professionnel dans cet État membre, sauf pour les ressortissants d'États qui autorisent l'inscription des citoyens italiens sur leurs propres registres sans exiger le respect de cette condition, comporte une entrave injustifiée au principe de la libre prestation des services.
35 D'une part, l'agent en brevets établi dans un autre État membre serait dissuadé de fournir une prestation occasionnelle en Italie, dans la mesure où il serait difficilement à même de se doter d'une infrastructure professionnelle permanente dans l'État membre d'accueil. Aucun des arguments présentés par le gouvernement italien ne pourrait justifier pareille restriction à la libre prestation des services.
36 D'autre part, la condition de réciprocité, en vertu de laquelle la République italienne serait disposée à respecter le droit communautaire uniquement dans ses relations avec les États membres qui n'imposeraient pas pareille obligation de résidence, serait inacceptable au regard du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 25 septembre 1979, Commission/France, 232-78, Rec. p. 2729, et du 6 juin 1996, Commission/Italie, C-101-94, Rec. p. I-2691).
37 Le gouvernement italien relève que l'obligation d'élire domicile en Italie sert, conformément à sa réglementation nationale, à déterminer le tribunal territorialement compétent en cas de contestation opposant une partie sollicitant la nullité ou l'invalidité du brevet et le titulaire de celui-ci et/ou ceux qui en détiennent la licence et/ou les ayants cause. Cette obligation serait non seulement licite mais encore conforme à l'intérêt général tenant au système judiciaire.
38 Le gouvernement italien précise qu'il est satisfait à l'obligation d'indiquer un domicile professionnel en Italie par l'indication d'une simple adresse de service sur le territoire de cet État sans que soit exigé un transfert de résidence ou la mise en place d'une infrastructure en Italie. L'exigence d'une adresse de service serait, compte tenu des charges très minimes et économiquement peu significatives, tout à fait justifiée et proportionnée aux raisons impérieuses d'intérêt général que constituent la protection des destinataires des services concernés et le bon fonctionnement du système judiciaire.
39 Enfin, quant à la condition de réciprocité, le gouvernement italien observe qu'elle doit être interprétée comme exprimant la volonté du législateur italien d'anticiper des situations futures dans lesquelles des accords avec des pays tiers ou des règles communautaires et des accords entre la Communauté et des pays tiers permettraient de réglementer la matière de manière différente. Le gouvernement italien, tout en se montrant disposé à modifier ladite condition, considère qu'il s'agit en réalité d'une question marginale.
Appréciation de la Cour
40 Il convient de relever, à titre liminaire, que, selon les termes mêmes de l'article 2 du décret n° 342-95, seule peut être inscrite au registre italien des agents en brevets une personne physique qui a "sa résidence ou un domicile professionnel en Italie", sauf si elle a la nationalité d'un État qui admet l'inscription de ressortissants italiens sur son registre national en l'absence d'une telle condition.
41 Dès lors, l'argumentation du gouvernement italien, selon laquelle l'inscription au registre italien des agents en brevets suppose seulement l'existence d'une adresse de service en Italie, ne saurait être admise.
42 En ce qui concerne l'obligation de résidence ou de domicile professionnel au sens de l'article 2 du décret n° 342-95, il convient de constater que le fait d'exiger d'un agent en brevets, déjà établi et agréé dans un autre État membre et désireux de fournir des prestations de services, d'avoir une résidence ou un domicile professionnel stables dans l'État membre d'accueil constitue une restriction à la libre prestation des services (voir notamment, en ce sens, arrêt du 4 décembre 1986, Commission/Danemark, 252-83, Rec. p. 3713, point 18).
43 Pareille exigence ne peut être considérée comme compatible avec les articles 49 CE et 50 CE que s'il est établi qu'il existe, dans le domaine de l'activité considérée, des raisons impérieuses d'intérêt général qui justifient des restrictions à la libre prestation des services, que cet intérêt n'est pas déjà assuré par les règles de l'État d'établissement et que le même résultat ne peut pas être obtenu par des règles moins contraignantes (voir, notamment, arrêt Commission/Danemark, précité, point 19).
44 La nécessité de déterminer le tribunal territorialement compétent en cas de contestation portant sur un brevet enregistré en Italie ainsi que la préoccupation d'assurer le bon déroulement de la procédure peuvent être invoquées au titre des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services.
45 Toutefois, l'exigence d'une résidence ou d'un domicile professionnel en Italie va, en tout état de cause, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs, dans la mesure où la République italienne aurait pu adopter des mesures moins contraignantes pour réaliser lesdits objectifs.
46 S'agissant de la condition de réciprocité également prévue à l'article 2 du décret n° 342-95, dont rien ne démontre qu'elle ne s'applique pas aux prestataires de services établis dans les autres États membres, il suffit de relever que, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir arrêts Commission/France, précité, point 9; du 14 février 1984, Commission/Allemagne, 325/82, Rec. p. 777, point 11, et Commission/Italie, précité, point 27), un État membre ne saurait invoquer le non-respect du principe de réciprocité ou se fonder sur une méconnaissance éventuelle du traité par un autre État membre pour justifier son propre manquement.
47 Par conséquent, le second grief apparaît également fondé.
48 Dans ces conditions, il convient de constater que, en maintenant une réglementation qui impose aux agents en brevets établis dans d'autres États membres d'être inscrits au registre italien des agents en brevets et d'avoir une résidence ou un domicile professionnel en Italie, pour fournir des services devant l'Office italien des brevets, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE à 55 CE.
Sur les dépens
49 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
déclare et arrête:
1) En maintenant une réglementation qui impose aux agents en brevets établis dans d'autres États membres d'être inscrits au registre italien des agents en brevets et d'avoir une résidence ou un domicile professionnel en Italie, pour fournir des services devant l'Office italien des brevets, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE à 55 CE.
2) La République italienne est condamnée aux dépens. Haut
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