CJCE, 29 juin 1995, n° C-391/92
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République hellénique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Schockweiler, Kapteyn, Gulmann, Jann
Avocat général :
M. Lenz.
Juges :
MM. Mancini, Kakouris, Moitinho de Almeida, Murray, Edward, Puissochet, Hirsch, Ragnemalm
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 novembre 1992, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en imposant, à l'article 10 de l'arrêté n° A2/oik.361 du 29 janvier 1988, la vente exclusive des laits transformés du premier âge en pharmacie, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du même traité.
2 En République hellénique, l'article 10 de l'arrêté n° A2/oik.361 du ministre de la Santé, du 29 janvier 1988, relatif à la vente de préparations pour nourrissons et laits de suite, prévoit que les laits transformés du premier âge ne peuvent être distribués qu'en pharmacie, sauf dans les communes dépourvues d'officine, ces produits pouvant alors être commercialisés dans d'autres magasins.
3 A la suite d'une plainte déposée en avril 1988 par l'association hellénique des entreprises d'aliments pour l'enfance, la Commission a estimé que la réglementation hellénique prédécrite constituait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, interdite par l'article 30 du traité, et allait au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs de protection de la santé des nourrissons et d'encouragement de l'allaitement maternel. En conséquence, par lettre du 10 août 1989, la Commission a, conformément à l'article 169 du traité, mis le Gouvernement hellénique en demeure de présenter, dans un délai d'un mois, ses observations sur le manquement reproché.
4 Le Gouvernement hellénique a répondu, dans une lettre du 5 mars 1990, que la vente exclusive en pharmacie des laits du premier âge n'affectait pas les importations de ces produits en provenance des autres États membres et ne constituait dès lors pas une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité. Par ailleurs, cette mesure lui paraissait justifiée, au regard de l'article 36 du traité CEE, en ce qu'elle était nécessaire et appropriée pour protéger la santé et la vie des nourrissons au cours des cinq premiers mois critiques de leur existence.
5 Estimant que la réglementation hellénique apportait une restriction grave à la libre circulation des marchandises dans la Communauté et n'était pas justifiée par la protection de la santé conformément à l'article 36 du traité, la Commission a, le 28 octobre 1991, émis un avis motivé conformément à l'article 169 du traité. Dans cet avis, elle a considéré que la République hellénique, en interdisant la vente en dehors des pharmacies des laits transformés du premier âge, avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité et l'a invitée à prendre les mesures requises pour se conformer dans un délai de deux mois à cet avis.
6 Le Gouvernement hellénique n'ayant ni répondu à cet avis motivé, ni modifié la réglementation incriminée par la Commission, celle-ci a introduit le présent recours.
7 A l'appui de son recours, la Commission soutient qu'une réglementation nationale qui réserve la vente d'une certaine catégorie de produits en principe aux seules pharmacies constitue une mesure d'effet équivalent interdite par l'article 30 du traité, au motif que la prohibition de certaines formes de commercialisation canalise les ventes et est dès lors susceptible d'entraver, fût-ce indirectement, le commerce intracommunautaire des produits concernés. En réponse à une question posée par la Cour, la Commission a précisé que la réglementation litigieuse ne constituait pas une simple limitation de certaines modalités de vente au sens de l'arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267-91 et C-268-91, Rec. p. I-6097), mais entraînait des effets restrictifs sur les échanges en rendant plus difficiles et plus onéreuses les importations des produits concernés à partir des autres États membres: en effet, si ces produits pouvaient être commercialisés dans les grandes surfaces, leur prix baisserait, ce qui conduirait à un accroissement de la demande et donc du volume des importations.
8 Le Gouvernement hellénique conteste que sa réglementation constitue une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité. Selon lui, la mesure mise en cause par la Commission aurait seulement pour effet de limiter la liberté commerciale des opérateurs économiques et remplirait les conditions énoncées par la Cour dans l'arrêt Keck et Mithouard, précité, pour échapper à l'application de l'article 30. Il fait par ailleurs observer que la mesure litigieuse n'a entraîné ni une baisse de la consommation de lait du premier âge au cours de l'année d'introduction de la mesure litigieuse par rapport à l'année précédente, ni une augmentation des prix des produits concernés, ni des difficultés d'approvisionnement pour les consommateurs.
9 Aux termes de l'article 30 du traité, les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres.
10 Selon une jurisprudence constante, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative toute mesure susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5).
11 Une réglementation nationale qui réserve la vente des laits transformés du premier âge aux seules pharmacies n'a pas pour objet de régir les échanges de marchandises entre les États membres.
12 Il est vrai qu'une telle réglementation est susceptible de restreindre le volume des ventes et, par conséquent, le volume des ventes des laits transformés du premier âge en provenance d'autres États membres, dans la mesure où elle prive les opérateurs économiques, autres que les pharmaciens, de la possibilité de commercialiser ces produits. Il y a lieu cependant de se demander si cette éventualité suffit pour qualifier la réglementation en cause de mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, au sens de l'article 30 du traité.
13 A cet égard, il convient de rappeler que n'est pas apte à entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce entre les États membres, au sens de la jurisprudence Dassonville, précitée, l'application à des produits en provenance d'autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu'elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d'autres États membres. Dès lors que ces conditions sont remplies, l'application de réglementations de ce type à la vente des produits en provenance d'un autre État membre et répondant aux règles édictées par cet État n'est pas de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage qu'elle ne gêne celui des produits nationaux. Ces réglementations échappent donc au domaine d'application de l'article 30 du traité (voir, notamment, arrêts Keck et Mithouard, précité, points 16 et 17, du 15 décembre 1993, Huenermund e. a., C-292-92, Rec. p. I-6787, point 21, et du 9 février 1995, Société d'importation Édouard Leclerc-Siplec, C-412-93, non encore publié au Recueil, point 21).
14 Or, s'agissant de la réglementation hellénique mise en cause en l'espèce par la Commission, il convient de constater que ces conditions sont remplies.
15 Ainsi, cette réglementation, qui a pour effet de limiter la liberté commerciale des opérateurs économiques sans porter sur les caractéristiques des produits visés eux-mêmes, concerne des modalités de vente de certaines marchandises, en ce qu'elle interdit la commercialisation, en dehors des seules pharmacies, des laits transformés du premier âge et détermine dès lors de façon générale les points de vente où ils peuvent être écoulés.
16 En outre, la réglementation incriminée par la Commission, qui s'applique, sans distinguer selon l'origine des produits en cause, à l'ensemble des opérateurs économiques exerçant leur activité sur le territoire national, n'affecte pas la commercialisation des produits en provenance d'autres États membres d'une manière différente de celle des produits nationaux.
17 Ces constatations ne sont pas mises en cause par la circonstance, invoquée par la Commission, que la République hellénique ne produit pas elle-même de laits transformés du premier âge. En effet, l'applicabilité de l'article 30 du traité à une mesure nationale de police générale du commerce, qui vise tous les produits concernés sans distinction quant à leur origine, ne saurait dépendre d'une telle circonstance factuelle purement fortuite et, de surcroît, variable dans le temps, sous peine d'aboutir à la conséquence illogique qu'une même réglementation relèverait de l'article 30 dans certains États membres, mais échapperait à l'application de cette disposition dans d'autres États membres.
18 Il n'en serait autrement que s'il apparaissait que le règlement litigieux protège une production nationale similaire aux laits transformés du premier âge en provenance d'autres États membres ou se trouvant dans un rapport de concurrence avec des laits de ce type.
19 Or, en l'espèce, la Commission n'a pas établi que tel était le cas.
20 Il résulte des développements qui précèdent que la réglementation hellénique mise en cause par la Commission se borne à limiter les lieux de distribution des produits concernés en réglementant leur commercialisation, sans empêcher pour autant l'accès au marché de produits en provenance d'autres États membres ou les désavantager spécifiquement.
21 Dans ces conditions, la réglementation hellénique qui réserve la vente des laits transformés du premier âge en principe aux seules pharmacies échappe au domaine d'application de l'article 30 du traité, de sorte que le recours de la Commission doit être rejeté.
Sur les dépens
22 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en son action, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission est condamnée aux dépens.