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Décisions

CJCE, 6e ch., 23 novembre 1989, n° C-145/88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Torfaen Borough Council

Défendeur :

B & Q plc

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Kakouris

Avocat général :

M. Van Gerven

Juges :

MM. Schockweiler, Koopmans, Mancini, Díez de Velasco

Avocats :

Mes Robinson, Barling, Askham, Hay

CJCE n° C-145/88

23 novembre 1989

LA COUR (sixième chambre),

1 Par ordonnance du 25 avril 1988, parvenue à la Cour le 24 mai 1988, le Cwmbran Magistrates'Court du Royaume-Uni a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE en vue d'apprécier la compatibilité avec ces dispositions d'une réglementation nationale interdisant l'exercice d'activités commerciales le dimanche.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre le Torfaen Borough Council (conseil municipal de Torfaen), ci-après "Council", et l'entreprise B & Q plc, anciennement B & Q (Retail) limited, ci-après "B & Q", qui exploite des centres de bricolage et de jardinerie.

3 Le Council fait grief à B & Q d'avoir contrevenu aux articles 47 et 59 du United Kingdom Shops Act de 1950 en ouvrant le dimanche ses magasins de vente au détail, afin de se livrer à des opérations commerciales autres que celles qui sont prévues par la cinquième annexe du Shops Act. B & Q serait ainsi passible d'une amende maximale de 1 000 UKL.

4 La cinquième annexe du Shops Act énumère en effet les articles qui, par dérogation, peuvent être vendus en magasin le dimanche. Il s'agit, notamment, des boissons alcoolisées, de certaines denrées alimentaires, du tabac, des journaux et d'autres produits de consommation courante.

5 Devant la juridiction nationale, B & Q a soutenu que l'article 47 du Shops Act de 1950 était une mesure d'effet équivalant aux restrictions quantitatives à l'importation au sens de l'article 30 du traité CEE et que cette mesure n'était pas justifiée au titre de l'article 36 du traité CEE ni au titre d'aucune "exigence impérative ".

6 Le Council a contesté que la restriction frappant les opérations commerciales effectuées le dimanche constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, au motif qu'elle s'applique également aux produits nationaux et aux produits importés, et qu'elle ne désavantage pas les importations.

7 La juridiction nationale a d'abord constaté, dans le cas d'espèce, que l'interdiction d'ouvrir le magasin le dimanche avait pour effet de réduire le total des ventes de l'entreprise, qu'à peu près 10 % des marchandises offertes par l'entreprise concernée provenaient d'autres États membres et qu'une réduction correspondante des importations en provenance d'autres États membres devait donc s'ensuivre.

8 Sur la base de ces constatations, la juridiction nationale a ensuite considéré que le litige soulevait des problèmes d'interprétation du droit communautaire. Elle a donc posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) Le fait pour un État membre d'interdire à des commerces de détail d'ouvrir le dimanche en vue de la vente d'articles à leur clientèle, à l'exception de certains articles déterminés dont la vente est autorisée, et en supposant que l'interdiction a pour effet de réduire en chiffres absolus le volume des ventes par ces magasins, notamment d'articles fabriqués dans d'autres États membres, et, dans cette mesure, le volume des importations de ces articles à partir d'autres États membres, constitue-t-il une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative aux importations au sens de l'article 30 du traité?

2) En cas de réponse affirmative à la question 1, cette mesure d'interdiction trouve-t-elle sa justification dans une des exceptions à l'article 30 du traité prévues par l'article 36 du traité ou dans toute autre exception admise en droit communautaire?

3) La réponse à la question 1 ou à la question 2 est-elle influencée par un élément dont il ressort que la mesure en cause constitue un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée aux échanges entre les États membres ou qu'elle ne respecte pas le principe de proportionnalité ou est injustifiée à d'autres égards?"

9 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la première question

10 Par sa première question, la juridiction nationale cherche à savoir si la notion de mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives, au sens de l'article 30 du traité, comprend également des dispositions interdisant à des commerces de détail d'ouvrir le dimanche, dans la mesure où cette interdiction aurait pour effet de réduire en chiffres absolus le volume des ventes par ces magasins, dont notamment celles d'articles importés d'autres États membres.

11 A titre liminaire, il convient de constater qu'une réglementation nationale interdisant à des commerces de détail d'ouvrir le dimanche est indistinctement applicable aux produits importés et nationaux. En principe, la commercialisation des produits importés d'autres États membres n'est donc pas rendue plus difficile que celle des produits nationaux.

12 Il y a lieu de rappeler ensuite que, dans l'arrêt du 11 juillet 1985, Cinéthèque (affaires jointes 60 et 61-84, Rec. p. 2618), la Cour a jugé, à propos d'une interdiction de location de vidéocassettes indistinctement applicable aux produits nationaux et importés, qu'une telle interdiction n'est compatible avec le principe de la libre circulation des marchandises prévu par le traité qu'à la condition que les entraves éventuelles qu'elle cause aux échanges communautaires n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l'objectif visé et que cet objectif soit justifié au regard du droit communautaire.

13 Dans ces conditions, il faut donc, dans un cas comme celui de la présente espèce, examiner, en premier lieu, si une réglementation telle que celle qui est en cause poursuit un but justifié au regard du droit communautaire. A cet égard, la Cour a déjà considéré, dans son arrêt du 14 juillet 1981, Oebel (155-80, Rec. p. 1993) qu'une réglementation nationale concernant les heures de travail, de livraison et de vente dans le secteur de la boulangerie et de la pâtisserie constitue un choix de politique économique et sociale légitime conforme aux objectifs d'intérêt général poursuivis par le traité.

14 La même considération doit s'appliquer en ce qui concerne les réglementations nationales régissant les horaires de vente au détail. De telles réglementations constituent en effet l'expression de certains choix politiques et économiques en ce qu'elles visent à assurer une répartition des heures de travail et de repos adaptée aux particularités socioculturelles nationales ou régionales dont l'appréciation appartient, dans l'état actuel du droit communautaire, aux États membres. Au surplus, de telles réglementations n'ont pas pour objet de régir les courants d'échanges entre ces États.

15 Il convient de vérifier, en second lieu, si les effets d'une telle réglementation nationale ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé. En effet, comme l'indique l'article 3 de la directive 70-50 de la Commission, du 22 décembre 1969 (JO 1970, L 13, p. 29), les mesures nationales régissant la commercialisation des produits relèvent de l'interdiction de l'article 30 lorsque leurs effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises dépassent le cadre des effets propres d'une réglementation de commerce.

16 La question de savoir si les effets d'une réglementation nationale déterminée restent effectivement dans ce cadre relève de l'appréciation des faits, qui appartient à la juridiction nationale.

17 Il convient donc de répondre à la première question que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens que l'interdiction qu'il prévoit ne s'applique pas à une réglementation nationale interdisant à des commerces de détail d'ouvrir le dimanche, lorsque les effets restrictifs sur les échanges communautaires qui peuvent éventuellement en résulter ne dépassent pas le cadre des effets propres à une réglementation de ce genre.

Sur les deuxième et troisième questions

18 Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.

Sur les dépens

19 Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Cwmbran Magistrates'Court du Royaume-Uni, par ordonnance du 25 avril 1988, dit pour droit :

L'article 30 du traité doit être interprété en ce sens que l'interdiction qu'il prévoit ne s'applique pas à une réglementation nationale interdisant à des commerces de détail d'ouvrir le dimanche, lorsque les effets restrictifs sur les échanges communautaires qui peuvent éventuellement en résulter ne dépassent pas le cadre des effets propres à une réglementation de ce genre.