CJCE, 5 mai 1982, n° 15-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gaston Schul Douane Expediteur BV
Défendeur :
Inspecteur des droits d'importation et des accises de Roosendaal
LA COUR,
1. Par arrêt du 19 décembre 1980, parvenu à la Cour le 30 janvier 1981, le Gerechtshof de's- Hertogenbosch a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 13 et 95 du traité CEE ainsi qu'à la validité de l'article 2, point 2, de la sixième directive 77-388 du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO L 145, p. 1).
2. La société à responsabilité limitée Gaston Schul douane expéditeur BV, transitaire en douane, a importé le 16 février 1979 aux Pays-Bas un bateau de plaisance et de sport, à l'état de bien d'occasion, sur l'ordre et pour le compte d'un particulier domicilié aux Pays-Bas, lequel l'avait acheté en France à un autre particulier. L'administration fiscale néerlandaise a appliqué sur cette importation une taxe sur la valeur ajoutée au taux de 18 % sur le prix de vente, taux normal applique à l'intérieur du pays pour les livraisons à titre onéreux de biens. C'est la perception de cette taxe qui fait l'objet du litige au principal.
3. L'Administration néerlandaise s'est fondée sur la loi néerlandaise de 1968 relative à la taxe sur le chiffre d'affaires et notamment sur l'article 1 de celle-ci. En vertu de cette disposition, la taxe sur le chiffre d'affaires frappe, d'une part, les livraisons de marchandises et les prestations de services effectuées à l'intérieur du pays par des opérateurs commerciaux dans le cadre de leurs entreprises et, d'autre part, les importations de marchandises. Cette disposition met en œuvre l'article 2 de la deuxième directive 67-228 du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - structure et modalités d'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO p. 1303), article qui à été repris en substance par l'article 2 de la sixième directive 77-388 du Conseil, du 17 mai 1977, précitée.
4. La réclamation contre cette décision ayant été rejetée au motif que la taxation avait été effectuée conformément à la législation néerlandaise, la société Gaston Schul s'est pourvue devant le Gerechtshof de's-Hertogenbosch. Elle fait valoir que la taxation est contraire aux dispositions du traité CEE, notamment aux articles 12 et 13, d'une part, et à l'article 95, d'autre part.
5. C'est en vue d'être mis en mesure d'apprécier ce moyen que le Gerechtshof à posé les questions préjudicielles suivantes :
1) La taxe sur le chiffre d'affaires qu'un Etat membre perçoit, en cas d'importation de marchandises d'un autre Etat membre qui sont livrées par un particulier doit-elle être considérée comme une taxe d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation au sens de l'article 13, paragraphe 2, du traité, si la taxe sur le chiffre d'affaires n'est pas perçue au titre de la livraison par un particulier de marchandises qui se trouvent déjà dans cet Etat membre ?
2) En cas de réponse négative à la première question, la taxe sur le chiffre d'affaires qu'un Etat membre perçoit au titre de l'importation de marchandises d'un autre Etat membre qui sont livrées par un particulier doit-elle être considérée comme une imposition intérieure supérieure à celle qui frappe les produits nationaux similaires, et ce au sens de l'article 95 du traité, si aucune taxe sur le chiffre d'affaires n'est perçue au titre de la livraison de marchandises qui se trouvent déjà dans cet Etat membre, lorsque la livraison est effectuée par un particulier ?
3) En cas de réponse affirmative à une des deux questions précédentes, faut-il alors admettre que l'article 2, point 2, de la sixième directive en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires est incompatible avec le traité, et, partant, non valide, pour autant que cette disposition prescrit aux Etats membres d'assujettir à la taxe sur la valeur ajoutée l'importation de marchandises provenant d'autres Etats membres sans faire à cet égard une exception pour la livraison par des particuliers de marchandises, qui ne seraient pas assujetties à ladite, taxe si elles étaient livrées à l'intérieur de l'Etat membre concerné ?
4) Une réponse affirmative à la question n° 3 implique-t-elle qu'il est interdit à un Etat membre d'assujettir à la taxe sur la valeur ajoutée l'importation de marchandises provenant d'un autre Etat membre, livrées par un particulier, si la livraison de ces marchandises par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre n'était pas assujettie à cette taxe ?
6. Les questions posées par la juridiction nationale visent en substance à savoir s'il est conforme aux dispositions du traité, notamment aux articles 12 et 13, d'une part, et 95, d'autre part, qu'un Etat membre perçoive, conformément à des directives communautaires, la taxe sur le chiffre d'affaires, sous forme de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à l'occasion de l'importation de produits en provenance d'un autre Etat membre, livrés par un non-assujetti (ci-après particulier).
7. La demanderesse au principal conteste la compatibilité de cette imposition avec le traité en faisant valoir que les livraisons comparables effectuées à l'intérieur d'un Etat membre par un particulier ne seraient pas soumises à la TVA. Elle soutient, en outre, que la perception de la TVA à l'occasion de l'importation de produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par un particulier donne lieu à un cumul de taxes, étant donné que dans ce cas, à la différence des livraisons effectuées par des assujettis, il n'y aurait pas de dégrèvement sur la TVA perçue dans l'Etat membre d'exportation. En conséquence, la TVA perçue à l'occasion de l'importation de tels produits devrait être considérée soit comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, soit comme une imposition intérieure discriminatoire.
Sur le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée
8. Afin d'apprécier la portée de ces arguments et d'apporter les éléments nécessaires à une réponse aux questions posées, il y à lieu de rappeler brièvement les caractéristiques, pertinentes en l'espèce, du système de la taxe sur le chiffre d'affaires sous forme du système commun de la TVA.
9. Ce système commun à été instauré, sur la base des articles 99 et 100 du traité, par la première directive 67-227 du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO p. 1301). Il à été complété par la deuxième directive 67-228 du Conseil, de la même date, cette dernière ayant été remplacée par la sixième directive 77-388 du Conseil, du 17 mai 1977, précitée.
10. Le principe du système commun consiste, en vertu de l'article 2 de la première directive, à appliquer aux biens et aux services, jusqu'au stade du commerce de détail inclus, un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d'imposition. Toutefois, à chaque transaction, la TVA n'est exigible que déduction faite du montant de la TVA qui à grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix. Le mécanisme des déductions est amenagé par l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, de telle sorte que seuls les assujettis sont autorisés à déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA qui à déjà grevé les biens en amont.
11. C'est dans ce cadre général que s'inscrit l'article 2 de la sixième directive, aux termes duquel sont soumises à la TVA, d'une part, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel (point 1) et, d'autre part, les importations de biens (point 2). L'article 4 de cette directive définit comme assujetti quiconque accomplit, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une activité économique telle que les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. La livraison d'un bien est définie, à l'article 5, comme le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire, alors que l'importation d'un bien est définie, à l'article 7, comme l'entrée de ce bien à l'intérieur du pays.
12. La sixième directive harmonise également les notions de fait générateur et d'exigibilité de la taxe (article 10), et porte harmonisation de la base d'imposition (article 11). Des exonérations sont prévues tant pour les opérations à l'intérieur du pays que pour les importations (articles 13 et 14). Les opérations à l'exportation et les opérations assimilées sont exonérées de la taxe (article 15).
13. Il convient de souligner que les dites directives n'effectuent qu'une harmonisation partielle du système de la taxe sur la valeur ajoutée. Au stade actuel du droit communautaire, les Etats membres sont libres notamment de fixer le taux de la TVA, étant entendu toutefois que le taux applicable à l'importation d'un bien est celui appliqué à l'intérieur du pays pour la livraison d'un même bien (article 12 de la sixième directive).
14. L'analyse des caractéristiques du système commun de la TVA, ci-dessus rappelées, permet d'en déduire, d'une part, que, pour ce qui est des opérations à l'intérieur d'un Etat membre, le fait générateur de la taxe est constitué par la livraison d'un bien effectuée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel, alors que, pour ce qui est des opérations à l'importation, le fait générateur est constitué par la seule entrée d'un bien à l'intérieur d'un Etat membre, qu'il y ait ou non une transaction, que l'opération soit effectuée à titre onéreux ou à titre gratuit, par un assujetti ou par un particulier.
15. Il s'ensuit, d'autre part, que, si les livraisons à l'exportation elles-mêmes sont exonérées de la TVA, qu'elles soient effectuées par un assujetti ou un particulier, seuls les assujettis sont autorises à exercer le droit à déduction. Par voie de conséquence, seuls les biens livrés à l'exportation par des assujettis ou pour leur compte peuvent être dégrevés de toute TVA de l'Etat membre d'exportation, les biens livrés à l'exportation par des particuliers ou pour leur compte restant grevés de cette taxe au prorata de leur valeur au moment de l'exportation. Etant donne que toutes les importations sont soumises à la TVA de l'état d'importation, il y à dans ce cas un cumul de taxes, tant de l'état d'exportation que de l'état d'importation.
16. C'est sur la base de ces éléments du système commun qu'il convient d'examiner les questions préjudicielles.
Sur la première question : l'interprétation des articles 12 et 13 du traité
17. Par la première question, le Gerechtshof demande en substance si la perception de la TVA au titre de l'importation de produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par un particulier, lorsqu'une telle taxe n'est pas perçue au titre de la livraison de produits similaires effectuée par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre d'importation, est compatible avec les articles 12 et 13 du traité.
18. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que l'interdiction dans les rapports entre Etats membres de taxes d'effet équivalant à des droits de douane vise toute taxe exigée à l'occasion ou en raison de l'importation et qui, frappant spécifiquement un produit importé, à l'exclusion du produit national similaire, à pour résultat, en altérant son prix de revient, d'avoir sur la libre circulation des marchandises la même incidence restrictive qu'un droit de douane.
19. La caractéristique essentielle d'une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, qui la distingue d'une imposition intérieure, réside donc dans la circonstance que la première frappe exclusivement le produit importé en tant que tel, tandis que la seconde frappe à la fois les produits importés et les produits nationaux.
20. La Cour à toutefois reconnu qu'une charge pécuniaire qui frappe un produit importé d'un autre Etat membre, alors qu'elle ne frappe pas un produit national identique ou similaire, ne constitue pas une taxe d'effet équivalent mais une imposition intérieure au sens de l'article 95 du traité, si elle relève d'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment de l'origine des produits.
21. Ces considérations font apparaître qu'une taxe du type de celle visée par la juridiction nationale ne réunit pas les éléments constitutifs d'une taxe d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation, au sens des articles 12 et 13, paragraphe 2, du traité. En effet, une telle taxe fait partie du système commun de la TVA dont la structure et les modalités déterminantes ont été arrêtées par des directives d'harmonisation du Conseil. Celles-ci ont instauré un mécanisme fiscal uniforme appréhendant systématiquement et selon des critères objectifs tant des opérations effectuées à l'intérieur des Etats membres que les opérations à l'importation. Il convient de relever à cet égard notamment que le système commun assujettit au même taux les importations et les livraisons d'un même bien à l'intérieur d'un Etat membre. En conséquence, la taxe litigieuse doit être considérée comme faisant partie intégrante d'un régime général d'impositions intérieures au sens de l'article 95 du traité, et sa compatibilité avec le droit communautaire doit être appréciée dans le cadre de cet article et non pas dans celui des articles 12 et suivants du traité.
22. Il y à donc lieu de répondre à la première question que la taxe sur la valeur ajoutée qu'un Etat membre perçoit au titre de l'importation de produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par un particulier, lorsqu'une telle taxe n'est pas perçue au titre de la livraison de produits similaires effectuée par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre d'importation, ne constitue pas une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation au sens des articles 12 et 13, paragraphe 2, du traité.
Sur la deuxième question : l'interprétation de l'article 95 du traité
23. Par la deuxième question, le Gerechtshof demande en substance si la perception de la TVA au titre de l'importation de produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par un particulier, lorsqu'une telle taxe n'est pas perçue au titre de la livraison de produits similaires effectuée par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre d'importation, est compatible avec l'article 95 du traité.
24. La requérante au principal estime que cette différence de traitement est contraire à l'article 95 du traité, étant donné, d'une part, qu'elle défavorise la livraison de produits entre particuliers résidant dans différents Etats membres par rapport à celle effectuée entre particuliers résidant dans l'Etat membre d'importation, et, d'autre part, qu'elle donne lieu à un cumul de taxes en ce qui concerne les produits livrés par des particuliers à travers la frontière, lesquels - contrairement aux produits livrés par des assujettis - ne sont pas dégrevés à l'occasion de l'exportation.
25. Les Etats membres, parties à l'instance, le Conseil et la Commission font valoir que l'élimination du cumul de taxes à l'intérieur de la Communauté, pour souhaitable qu'elle soit, ne peut se faire que par la voie d'une harmonisation progressive des régimes fiscaux nationaux, conformément à l'article 99 ou 100 du traité, et non pas par l'application de l'article 95. A l'appui de cette thèse, il à été allégué que le cumul de taxes est un corollaire du fait que le traité, en réservant la compétence en matière d'impositions intérieures aux Etats membres, à laissé subsister les frontières fiscales.
26. Dans le système du traité, les dispositions de l'article 95 du traité, conjointement avec celles relatives à la suppression des droits de douane et des taxes d'effet équivalent, ont pour but d'assurer la libre circulation des produits, à l'intérieur de la Communauté, dans des conditions normales de concurrence, par l'élimination de toute forme de protection pouvant résulter de l'application d'impositions intérieures discriminatoires à l'égard de produits en provenance d'autres Etats membres.
27. L'article 95 du traité se fonde essentiellement sur une comparaison des impositions intérieures qui frappent les produits importés avec celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires. En vue de l'application correcte de cette disposition, il convient de comparer, du point de vue fiscal, ces produits en prenant en considération, à chaque stade de production ou de commercialisation, tant le taux de la taxe que son assiette et les modalités de sa perception.
28. L'article 95 du traité ne fait pas obstacle à ce que l'importation d'un produit soit soumise à la TVA dans la mesure où la livraison d'un produit similaire, à l'intérieur du pays, y est également soumise. Il y à lieu, des lors, d'examiner si l'importation d'un produit peut être soumise à la TVA lorsque la livraison d'un produit similaire, à l'intérieur du pays, soit en l'occurrence la livraison effectuée par un particulier, n'est pas soumise à la TVA.
29. A cet égard, les Etats membres, parties à l'instance, le Conseil et la Commission soutiennent que la soumission des importations à la TVA est admissible, pourvu que tant le taux de la TVA que son assiette et les modalités de sa perception soient les mêmes que ceux appliqués pour la livraison d'un produit similaire à l'intérieur de cet Etat membre par un assujetti. La taxation ne ferait que placer les produits importes dans la même position que les produits nationaux similaires, quant aux charges fiscales supportées par ces deux catégories. En effet, les produits nationaux auraient déjà été frappés de la TVA à l'intérieur de l'Etat membre à l'occasion de leur livraison à l'état neuf. Cette taxe se répercutant sur le prix de marché des biens d'occasion, la TVA appliquée à l'importation n'aurait pour effet que de compenser la rémanence de cette taxe et d'établir ainsi, dans la perspective d'une parfaite neutralité au regard des échanges intracommunautaires, l'égalité de traitement entre la production nationale et la production étrangère.
30. En revanche, la requérante au principal fait valoir que le principe de l'égalité de traitement est violé, étant donné que les produits importés par des particuliers sont déjà grevés de la TVA de l'Etat membre d'exportation, à défaut de leur dégrèvement à l'occasion de l'exportation.
31. Il convient de constater qu'au stade actuel du droit communautaire les Etats membres sont libres, en application de l'article 95, de compenser à l'occasion de l'importation de produits la TVA qu'ils perçoivent sur les produits nationaux similaires. Toutefois, une telle compensation n'est justifiée que dans la mesure ou les produits importés ne supportent pas déjà une charge de la TVA dans l'Etat membre d'exportation, étant donné qu'autrement la taxation à l'importation se révèlerait en réalité comme une charge supplémentaire qui grèverait les produits importés plus lourdement que les produits nationaux similaires.
32. Cette conception se dégage en premier lieu des termes de l'article 95 du traité, lequel interdit de frapper, non seulement directement mais encore indirectement, les produits des autres Etats membres d'impositions intérieures supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires. Cette interdiction ne serait pas respectée si les produits importés pouvaient être soumis à la TVA applicable aux produits nationaux similaires sans qu'il soit tenu compte de la part de la TVA qui grève encore ces produits au moment de l'importation.
33. Une telle interprétation correspond à la nécessité de tenir compte des finalités du traité, telles qu'énoncées aux articles 2 et 3 du traité, parmi lesquelles figure, en premier lieu, l'établissement d'un Marché commun. La notion de Marché commun telle que la Cour l'a dégagée dans une jurisprudence constante, vise à l'élimination de toutes les entraves aux échanges intracommunautaires en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant des conditions aussi proches que possible de celles d'un véritable marché intérieur. Il importe que les avantages de ce marché soient assurés, en dehors du commerce professionnel, également aux particuliers qui sont dans le cas de poursuivre des opérations économiques au-delà des frontières nationales.
34. Par voie de conséquence, il convient, en vue d'apprécier la compatibilité, avec les exigences de l'article 95, d'une imposition de la TVA aux produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par des particuliers, dans la mesure où la livraison de produits similaires effectuée par des particuliers à l'intérieur de l'Etat membre d'importation n'est pas imposée, de prendre également en considération la TVA perçue dans l'Etat membre d'exportation. Partant, dans la mesure ou un tel produit importé livré par un particulier, et ne pouvant pas légalement être dégrevé à l'occasion de l'exportation, reste effectivement grevé, au moment de son importation, d'une partie de la TVA acquittée dans l'Etat membre d'exportation, le montant de la TVA exigible à l'occasion de l'importation doit être diminué de la part résiduelle de la TVA de l'Etat membre d'exportation qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation . Le montant venant ainsi en diminution ne peut toutefois pas être supérieur au montant de la TVA effectivement acquitte dans l'Etat membre d'exportation .
35. Les Etats membres, parties à l'instance, ont objecté à cette interprétation que la TVA acquittée dans l'Etat membre d'exportation est difficile à vérifier, étant donné que tant le taux de la TVA que son assiette ont pu varier dans le temps .
36. Sous ce rapport, il convient de relever qu'il appartient à celui qui demande la suppression ou la réduction de la TVA normalement perçue à l'occasion de l'importation d'établir que les conditions pour en bénéficier sont remplies . Dès lors, il est loisible à l'Etat membre d'importation d'exiger d'un tel importateur de fournir les documents nécessaires prouvant la TVA perçue dans l'Etat membre d'exportation et qui grevé encore le produit au moment de l'importation .
37. En outre, les Etats membres ont soutenu que l'établissement d'un régime assurant la parfaite neutralité des impositions intérieures au regard des échanges intracommunautaires ne pouvait se faire que par une application stricte du principe de la taxation dans l'Etat membre de destination, application qui présupposerait le dégrèvement complet de tous les produits à l'exportation. Or, l'adoption d'une telle solution impliquant un choix politique appartiendrait aux institutions politiques de la Communauté.
38. Toutefois, si la mise en place d'un régime de parfaite neutralité concurrentielle comportant le dégrèvement complet à l'exportation appartient en effet au législateur communautaire, l'article 95 du traité s'oppose, aussi longtemps qu'un tel régime n'est pas instauré, à ce qu'un Etat membre d'importation applique son régime de TVA aux produits importés d'une manière contraire aux principes de cette disposition.
39. Enfin, doivent être écartées également les objections tirées d'éventuelles difficultés d'ordre technique et administratif, qui résulteraient de la prise en considération de la TVA de l'Etat membre d'exportation, ainsi que celles tirées de la nécessité de prévenir des circuits frauduleux et des distorsions de la concurrence à l'intérieur de la Communauté. En effet, le premier ordre d'objections doit être écarté, étant donné qu'il incombe au particulier, qui veut se prévaloir du bénéfice de la suppression ou réduction de la TVA à l'occasion de l'importation, de fournir la preuve que les conditions sont remplies. Le deuxième ordre d'objections est sans pertinence du fait que la perception du montant différentiel de la TVA supprime l'incitation aux détournements de trafic.
40. Il y à donc lieu de répondre à la deuxième question que la taxe sur la valeur ajoutée qu'un Etat membre perçoit au titre de l'importation de produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par un particulier, lorsqu'une telle taxe n'est pas perçue au titre de la livraison de produits similaires effectuée par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre d'importation, constitue une imposition intérieure supérieure à celle qui frappe les produits nationaux similaires, au sens de l'article 95 du traité, dans la mesure où n'est pas prise en considération la part résiduelle de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée dans l'Etat membre d'exportation qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation. La preuve des éléments justifiant la prise en considération de cette taxe incombe à l'importateur.
Sur la troisième question : la validité de l'article 2, point 2, de la sixième directive
41. La troisième question concerne la validité de l'article 2, point 2, de la sixième directive dans la mesure ou il soumet à la TVA les importations de produits en provenance d'un autre Etat membre, livrés par un particulier.
42. Les exigences de l'article 95 du traité sont de nature impérative et n'admettent pas de dérogation par un acte quelconque pris par une institution de la Communauté. Il ressort toutefois de ce qui précède que cette disposition n'interdit pas de façon générale de soumettre les importations de produits à la TVA lorsque la livraison des produits nationaux similaires à l'intérieur de l'Etat membre d'importation n'y est pas soumise, mais qu'elle oblige seulement de prendre en considération la part de la TVA de l'Etat membre d'exportation qui grevé encore le produit au moment de son importation.
43. Par voie de conséquence, il n'y à pas lieu de considérer comme non valide l'article 2, point 2, de la sixième directive aux termes duquel les importations de biens sont soumises à la taxe. Il convient seulement de définir la portée de cette disposition en l'interprétant dans un sens conforme aux impératifs du traité, tel qu'il à été indiqué ci-dessus.
44. Il y à donc lieu de répondre à la troisième question que l'article 2, point 2, de la sixième directive 77-388 du Conseil, du 17 mai 1977, est compatible avec le traité et, partant, valide, étant entendu qu'il doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à l'obligation découlant de l'article 95 du traité de prendre en considération, pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée aux importations de produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par un particulier, lorsqu'une telle taxe n'est pas perçue au titre de la livraison de produits similaires effectuée par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre d'importation, la part résiduelle de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée dans l'Etat membre d'exportation qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation.
Sur la quatrième question : l'effet direct de l'article 95 du traité
45. La quatrième question concerne selon son libellé les seuls effets d'une éventuelle invalidité de l'article 2, point 2, de la sixième directive. Il ressort toutefois de son analyse, notamment à la lumière des réponses données aux trois premières questions, que le juge national vise en substance l'effet direct de l'article 95 du traité et les conséquences de cet effet direct sur les législations nationales et sur leurs conditions d'application.
46. Selon une jurisprudence constante de la Cour, cette disposition énonce une interdiction de discrimination qui constitue une obligation claire et inconditionnelle qui n'est assortie d'aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte des institutions de la Communauté ou des Etats membres. Cette interdiction produit donc des effets directs et crée pour les particuliers des droits individuels que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder.
47. Par conséquent, dans la mesure où cette disposition, dans l'interprétation donnée par la Cour, limite les conditions d'imposition de la TVA au titre de l'importation de produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par un particulier, les Etats membres sont tenus de s'y conformer et de laisser inappliquée toute disposition éventuellement contraire de leur loi nationale.
48. Il y à donc lieu de répondre à la quatrième question que l'article 95 du traité interdit aux Etats membres de soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée les importations de produits en provenance d'autres Etats membres livrés par un particulier, lorsqu'une telle taxe n'est pas perçue au titre de la livraison de produits similaires effectuée par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre d'importation, dans la mesure ou n'est pas prise en considération la part résiduelle de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée dans l'Etat membre d'exportation qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation.
Sur les dépens
Les frais exposés par les Gouvernements néerlandais, français et italien, ainsi que par le Conseil et la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Gerechtshof de's-Hertogenbosch, par arrêt du 19 décembre 1980, dit pour droit :
1) La taxe sur la valeur ajoutée qu'un Etat membre perçoit au titre de l'importation de produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par un particulier, lorsqu'une telle taxe n'est pas perçue au titre de la livraison de produits similaires effectuée par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre d'importation, ne constitue pas une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation au sens des articles 12 et 13, paragraphe 2, du traité.
2) La taxe sur la valeur ajoutée qu'un Etat membre perçoit au titre de l'importation de produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par un particulier, lorsqu'une telle taxe n'est pas perçue au titre de la livraison de produits similaires effectuée par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre d'importation, constitue une imposition intérieure supérieure à celle qui frappe les produits nationaux similaires, au sens de l'article 95 du traité, dans la mesure ou n'est pas prise en considération la part résiduelle de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée dans l'Etat membre d'exportation qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation. La preuve des éléments justifiant la prise en considération de cette taxe incombe à l'importateur.
3) L'article 2, point 2, de la sixième directive 77-388 du Conseil, du 17 mai 1977, est compatible avec le traité et, partant, validé, étant entendu qu'il doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à l'obligation découlant de l'article 95 du traité de prendre en considération, pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée aux importations de produits en provenance d'un autre Etat membre livrés par un particulier, lorsqu'une telle taxe n'est pas perçue au titre de la livraison de produits similaires effectuée par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre d'importation, la part résiduelle de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée dans l'Etat membre d'exportation qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation.
4) L'article 95 du traité interdit aux Etats membres de soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée les importations de produits en provenance d'autres Etats membres livrés par un particulier, lorsqu'une telle taxe n'est pas perçue au titre de la livraison de produits similaires effectuée par un particulier à l'intérieur de l'Etat membre d'importation, dans la mesure ou n'est pas prise en considération la part résiduelle de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée dans l'Etat membre d'exportation qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation.