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Décisions

CJCE, 2 mars 1983, n° 155-82

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume de Belgique

CJCE n° 155-82

2 mars 1983

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 mai 1982, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et suivants du traité CEE en réservant, aux personnes établies en Belgique, le droit de demander l'autorisation ou l'agréation des pesticides à usage non agricole et des produits phytopharmaceutiques.

2. Par l'arrêté royal du 5 juin 1975 relatif à la conservation, au commerce et à l'utilisation des pesticides et des produits phytopharmaceutiques (moniteur belge, p. 13864), la Belgique a soumis à autorisation gouvernementale la commercialisation, sur son territoire, des pesticides à usage non agricole et de produits phytopharmaceutiques, plus amplement définis dans l'arrêté royal cité. Il résulte des formalités fixées par l'article 12 du même arrêté que cette autorisation ne peut être obtenue que par une personne établie en Belgique et responsable de la mise dans le commerce d'un des produits mentionnés en qualité de fabricant, d'importateur, de propriétaire ou de concessionnaire.

3. La Commission considère que cette disposition, en subordonnant l' admission des produits visés à l'obligation d'avoir un représentant en Belgique, a pour effet de désavantager les producteurs non belges et constitue de ce fait un obstacle au commerce intracommunautaire, incompatible avec l'article 30 du traité. Elle relève plus particulièrement que, selon l'article 2, paragraphe 3, alinéa g), de sa directive 70-50, du 22 décembre 1969, fondée sur les dispositions de l'article 33, paragraphe 7, portant suppression des mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation, non visées par d'autres dispositions prises en vertu du traité CEE (JO 1970, L 13, p. 29), sont à considérer comme mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives celles qui " subordonnent l'accès au marché national des produits importés à la condition d'avoir un répondant ou un représentant sur le territoire de l'Etat membre importateur ".

4. Elle a, en conséquence, engagé la procédure de l'article 169 du traité et émis, le 23 octobre 1981, un avis motivé, aux termes duquel elle exige du Royaume de Belgique la suppression, dans sa législation, de la condition relative à l'établissement, sur le territoire national, du bénéficiaire de l'autorisation de commercialiser l'un des produits visés.

5. Dans sa prise de position du 18 février 1982, le Gouvernement belge a fait connaître qu'il considérait la mesure critiquée comme étant justifiée, compte tenu du caractère dangereux des produits en cause, par les nécessités de la protection de la santé publique.

6. A la suite de cette prise de position, la Commission a introduit, le 17 mai 1982, un recours au titre de l'article 169.

7. Il n'est pas contesté que l'exigence posée par la législation belge constitue un obstacle à l'importation des produits visés en Belgique, en ce qu'elle impose aux entreprises établies dans les autres Etats membres les frais de l'établissement, en Belgique, d'un représentant et qu'elle peut, de ce fait, rendre difficile, voire impossible, l'accès au marché belge à certaines entreprises, surtout celles de moyenne et de petite importance.

8. Le Gouvernement belge reconnaît la gène pour le commerce intracommunautaire que constitue cette exigence, mais justifie celle-ci par les nécessités de la protection de la santé publique, reconnues par l'article 36 du traité.

9. Il attire l'attention sur le fait que le régime d'agréation n'est pas encore harmonisé au plan communautaire dans le domaine considéré, de manière que chaque Etat membre fixe les normes d'agréation pour son propre territoire. Or, l'exigence d'un représentant sur le territoire national ne serait, à cet égard, qu'un des éléments du système de l'agréation nationale, considéré comme un tout homogène.

10. Des mesures rigoureuses de contrôle et de responsabilité s'imposeraient dans ce domaine, compte tenu de la grande extension qu'a connue l'utilisation des produits en cause et la haute toxicité de certains d'entre eux. A cet égard, l'exigence, pour chaque producteur désireux de commercialiser un produit déterminé, d'avoir sur le territoire belge un répondant responsable, serait justifié par un ensemble de considérations tenant

- au bon déroulement des formalités d'agréation qui, pour certains produits, seraient particulièrement complexes et exigeraient, de ce fait, un contact direct entre le demandeur et l'administration ;

- au respect des normes en matière d'étiquetage des produits ;

- au contrôle de la conformité du produit commercialisé avec le produit faisant l'objet de l'agréation ; et

- à la présence, sur le territoire, d'une personne pouvant être facilement et rapidement jointe en cas d'accident ou en cas de réclamation de la part des consommateurs.

11. Au surplus, le Gouvernement belge fait valoir que seul l'établissement, sur le territoire national, d'une personne responsable garantirait l'efficacité des poursuites en cas d'infraction à la législation en matière de protection de la santé publique.

12. On ne saurait contester, dans leur principe, les arguments développés par le Gouvernement belge, en ce sens que chaque Etat membre est en droit de prendre, sur son territoire et, spécialement, dans une matière ou l'objectif de l'harmonisation des mesures de contrôle sanitaire n'est pas encore réalisé, les dispositions appropriées en vue de garantir la protection de la santé publique. Toutefois, de telles mesures ne sont justifiées qu'à condition qu'il soit établi qu'elles sont nécessaires en vue d'assurer l'objectif de protection visé par l'article 36 et que cette protection ne puisse pas être réalisée par des moyens moins restrictifs de la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté.

13. Les arguments développés par le Gouvernement belge appellent, sous cet angle, deux observations.

14. D'une part, il apparaît que les objectifs visés par le Gouvernement belge en ce qui concerne l'accomplissement des formalités d'agréation, les normes en matière d'étiquetage, le contrôle de la conformité du produit commercialisé avec le produit agréé ainsi que la disponibilité d'informations en cas d'accident ou de réclamation peuvent être pleinement satisfaits par des mesures d'organisation appropriées au stade de l'instruction des dossiers et de la délivrance de l'agréation, sans rendre nécessaire l'établissement d'un représentant sur le territoire national.

15. D'autre part, les questions de responsabilité pénale n'ont un intérêt, du point de vue de l'objectif de l'article 36, que dans la mesure ou la mise en œuvre de dispositions répressives peut avoir un effet préventif. Il apparaît, à cet égard, que, du point de vue d'une prévention efficace, seuls les formalités préalables de l'agréation ainsi que les contrôles accomplis à ce stade et, éventuellement, au moment de la mise des marchandises sur le marché, peuvent donner une sécurité adéquate à l'objectif de l'article 36 et que, même si des sanctions pénales sont de nature à exercer un effet de prévention des comportements qu'ils répriment, cet effet n'est ni assuré ni, en tout cas, renforcé à l'égard d'un fabricant d'un autre Etat membre bénéficiaire de l'agréation du seul fait de la présence sur le territoire national d'une personne ayant qualité pour représenter juridiquement ce fabricant.

16. L'exigence de l'établissement d'un représentant sur le territoire national n'est donc pas de nature à donner, en vue de l'objectif de protection de la santé publique, des garanties additionnelles suffisantes pour justifier une exception à l'interdiction de l'article 30.

17. Il convient donc de conclure que l'exigence formulée par la législation belge, selon laquelle l'agréation des pesticides a usage non agricole et des produits phytopharmaceutiques est réservée aux personnes établies en Belgique, n'est pas justifiée au titre de l'article 36 et qu'elle constitue, des lors, une restriction au commerce intracommunautaire incompatible avec l'article 30 du traité.

Sur les dépens

18. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) en réservant aux personnes établies en Belgique le droit de demander l'autorisation ou l'agréation des pesticides à usage non agricole et des produits phytopharmaceutiques, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et suivants du traité CEE.

2) la partie défenderesse est condamnée aux dépens de l'instance.