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Décisions

CJCE, 22 juin 1982, n° 220-81

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Timothy Frederick Robertson

CJCE n° 220-81

22 juin 1982

LA COUR,

1. Par jugement du 26 avril 1979, parvenu à la Cour le 20 juillet 1981, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 30 à 36 du traité CEE, en vue d'apprécier la compatibilité, avec le droit communautaire, de la réglementation belge relative au poinçonnage des objets en métal argenté.

2. Cette question a été soulevée dans le cadre de procédures pénales engagées contre des importateurs pour avoir vendu des couverts en métal argente en provenance d'autres Etats membres dont le poinçonnage ne répondait pas aux exigences de la réglementation belge.

3. En vertu de l'article 10 de l'arrêté royal belge n° 80, du 28 novembre 1939, complétant et modifiant la loi du 5 juin 1868 relative à la liberté du travail des matières d'or et d'argent et portant institution de la garantie obligatoire du titre des objets en métaux précieux, tel que modifié par l'arrêté-loi du 28 février 1947, les ouvrages d'orfèvrerie en métal argente doivent porter deux poinçons, l'un constituant la marque-signature du fabricant, l'autre portant un chiffre indiquant le nombre de grammes d'argent fin déposé sur l'ouvrage. Cette disposition précise toutefois que les couverts et la coutellerie de table doivent porter le grammage à la douzaine. Ledit arrêté prévoit en outre que les fabricants ou les importateurs d'ouvrages en métal argente sont tenus de déposer au préalable l'empreinte du poinçon de marque utilisé auprès des autorités belges compétentes, dépôt qui doit être accompagné d'une caution, s'ils ne possèdent pas la nationalité belge.

4. L'arrêté royal n° 80 a été complété par l'arrêté du régent du 13 juillet 1948, qui en établit les modalités d'exécution. Ce dernier disposé à son article 7, pour ce qui est des ouvrages en métal argenté, que tant le poinçon de marque que le poinçon de charge doivent revêtir une forme déterminée, à savoir la forme tonneau pour le poinçon de marque et la forme rectangulaire pour le poinçon de charge, que le nombre de grammes d'argent fin déposé doit être indiqué au moyen de chiffres arabes et que les indications doivent être faites dans le sens longitudinal. La réglementation précitée ne prévoyant aucune dérogation pour les ouvrages en métal argenté de fabrication étrangère, ceux-ci ne sont admis à la vente en Belgique que lorsqu'ils sont poinçonnes de la même manière que les ouvrages en métal argenté de fabrication belge.

5. Un examen comparatif des législations des Etats membres fait apparaître qu'alors que les législations de tous ces états prévoient, d'une façon ou d'une autre, l'obligation de poinçonner les ouvrages en métaux précieux (or, argent ou platine), le poinçonnage obligatoire des ouvrages en métal argenté n'est prévu qu'en belgique. La plupart des autres Etats membres n'ont pas adopté de dispositions spécifiques pour le poinçonnage de tels ouvrages. Toutefois, en Allemagne, le poinçonnage des ouvrages en métal ressemblant à de l'or ou de l'argent, dont les ouvrages en métal argente font partie, est interdit, sauf pour les couverts et ustensiles de table, lesquels peuvent être revêtus d'un poinçon de nombre indiquant la quantité d'argent fin déposée sur eux. Dans ce cas, ainsi qu'il en est l'usage, la charge d'argent fin est mesurée par rapport à une surface de 24 dm.

6. Estimant que sa décision dépendait de la question de savoir si la réglementation belge précitée était compatible avec l'interdiction des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives énoncée aux articles 30 et suivants du traité et que, partant, une interprétation de ces dispositions lui était nécessaire pour rendre son jugement, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé la question suivante:

'les articles 30 a 36 du traité instituant la communauté économique européenne doivent-ils être interprètes comme interdisant, dans le secteur des métaux précieux, des dispositions légales du type de l'arrêté Royal n 80 du 28 novembre 1939 complétant et modifiant la loi du 5 juin 1868, confirmé par la loi du 16 juin 1947 et modifié par l'arrêté-loi du 28 février 1947, lesquelles déterminent, selon des procédés propres, le titre d'un alliage contenant de l'argent fin et règlementant la forme et les détails des poinçons garantissant le titre ainsi déterminé?'

7. Il résulte du dossier que les procédures au principal ne concernent que des importations, en provenance d'autres Etats membres, d'ouvrages en métal argenté. Des lors, la question préjudicielle peut être limitée à la question de savoir si les articles 30 a 36 du traité s'opposent à ce qu'un Etat membre applique une réglementation nationale prohibant la mise en vente des ouvrages en métal argenté non revêtus de poinçons répondant aux exigences de cette réglementation, à des ouvrages de ce type importés d'un autre Etat membre dans lequel ils ont été légalement commercialisés.

8. La réponse à cette question ne peut être donnée que sur la base de l'article 30 du traité à l'exclusion de l'article 36, étant donne que des mesures du genre de celles prescrites par la réglementation en cause ne rentrent pas dans le champ d'application des exceptions limitativement énumérées par l'article 36.

9. Aux termes de l'article 30 du traité, sont interdites dans le commerce entre Etats membres les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent. Selon une jurisprudence constante de la Cour, est à considérer comme mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire. Toutefois, ainsi que la Cour l'a constaté itérativement, en premier lieu dans l'arrêt du 20 février 1979 (Rewe, 120-78, Recueil p. 649), en l'absence d'une réglementation commune de la commercialisation des produits dont il s'agit, les obstacles à la libre circulation intracommunautaire résultant de disparités des réglementations nationales doivent être acceptés dans la mesure ou une telle réglementation, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant, entre autres, à la défense des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales.

10. Au regard de ces principes, il y a lieu de constater d'abord qu'une réglementation nationale du genre de celle décrite par la juridiction de renvoi, dont l'effet est d'interdire la commercialisation des ouvrages en métal argenté, importés d'autres Etats membres, dépourvus de poinçons répondant aux exigences de cette réglementation, constitue une entrave à la libre circulation des marchandises entre les Etats membres. Elle a en effet pour conséquence d'exiger soit un poinconnage en cours de fabrication lorsqu'il s'agit des ouvrages destinés au marché belge, soit le poinconnage par l'importateur, conformément aux règles du droit belge, rendant ainsi la commercialisation des produits en provenance d'autres Etats membres et notamment les importations parallèles plus difficiles et plus coûteuses.

11. Cependant, il faut reconnaître que l'obligation, pour le fabricant ou l'importateur, d'apposer sur les ouvrages en métal argenté, par leur nature susceptibles d'être confondus avec des ouvrages en argent massif, des poinçons spéciaux inamovibles et inséparables de l'ouvrage, indiquant la charge d'argent fin déposée ainsi que le fabricant de l'ouvrage, est dans son principe de nature à assurer une protection efficace des consommateurs et à promouvoir la loyauté des transactions commerciales. En effet, le poinçon de charge répond à cette double finalité en mettant le consommateur en mesure de finalité d'une manière suffisamment précise la nature et la qualité du produit et de le distinguer d'autres produits avec lesquels il pourrait être confondu. Le poinçon de marque-signature, au surplus, permet à l'acquéreur de l'ouvrage d'en identifier le fabricant.

12. Toutefois, la nécessité d'une telle protection n'existe plus lorsque de tels ouvrages sont importés d'un autre Etat membre, dans lequel ils ont été légalement commercialisés, et qu'ils sont déjà poinçonnés conformément à la législation de cet état à condition toutefois que les indications fournies par les poinçons prescrits par cet état, quelle qu'en soit la forme, aient un contenu informatif qui comporte des informations équivalant à celles fournies par les poinçons prescrits par l'Etat membre d'importation et compréhensibles pour le consommateur de cet état.

13. Il appartient au juge national de porter les appréciations de fait nécessaires en vue d'établir l'existence ou non d'une telle équivalence.

14. Il y a donc lieu de répondre à la question posée par le Tribunal de première instance de Bruxelles que l'article 30 du traité ne s'oppose pas a ce qu'un Etat membre applique une réglementation nationale, prohibant la mise en vente des ouvrages en métal argenté non revêtus de poinçon répondant aux exigences de cette réglementation, à des ouvrages de ce type importés d'un autre Etat membre dans lequel ils ont été légalement commercialisés, pour autant que ces ouvrages n'ont pas fait l'objet, conformément à la législation de l'Etat membre d'exportation, d'un poinconnage ayant un contenu informatif équivalant à celui des poinçons prescrits par la réglementation de l'Etat membre d'importation et compréhensible pour le consommateur de cet état. Les appréciations de fait nécessaires en vue d'établir l'existence ou non d'une telle équivalence sont à porter par le juge national, compte tenu des éléments d'interprétation spécifiés par la Cour.

Sur les dépens

15. Les frais exposés par les Gouvernements belge et britannique ainsi que par la commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question a elle soumise par le Tribunal de première instance de Bruxelles, par jugement du 26 avril 1979, dit pour droit:

1) L'article 30 du traité ne s'oppose pas a ce qu'un Etat membre applique une réglementation nationale, prohibant la mise en vente des ouvrages en métal argenté non revêtus de poinçon répondant aux exigences de cette réglementation, à des ouvrages de ce type importés d'un autre Etat membre dans lequel ils ont été légalement commercialisés, pour autant que ces ouvrages n'ont pas fait l'objet, conformément à la législation de l'Etat membre d'exportation, d'un poinconnage ayant un contenu informatif équivalant à celui des poinçons prescrits par la réglementation de l'Etat membre d'importation et compréhensible pour le consommateur de cet état.

2) Les appréciations de fait nécessaires en vue d'établir l'existence ou non d'une telle équivalence sont à porter par le juge national, compte tenu des éléments d'interprétation spécifiés par la Cour.