Livv
Décisions

CJCE, 13 décembre 1990, n° 347-88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République hellénique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, O'Higgins, Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Kapteyn

CJCE n° 347-88

13 décembre 1990

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 29 novembre 1988, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater qu'en adoptant la loi n° 1571-85 et les dispositions d'exécution de cette loi qui prévoient le maintien partiel des droits exclusifs d'importation et de commercialisation des produits pétroliers en Grèce, de même que certaines mesures concernant la procédure d'importation, d'exportation et de commercialisation et un régime de prix maximaux à la consommation, qui ont pour effet de restreindre les importations et les exportations de ces produits en provenance ou à destination des autres États membres, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30, 34 et 37, paragraphe 1, du traité CEE.

2 La loi n° 1571-85, du 21 octobre 1985, portant organisation de la politique pétrolière et du commerce des produits pétroliers (Efimeris tis Kivernisseos, n° 192, du 14.11.1985, série I), prévoit, en son article 7, paragraphe 2, que les importations de pétrole brut et de produits pétroliers sont réalisées exclusivement par l'État, conformément, notamment, aux dispositions de l'article 1er de la loi et sous réserve, entre autres, des dispositions de l'article 4.

3 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 2, de cette loi, "l'État a le droit exclusif de raffiner et donc d'importer le pétrole brut ".

4 L'article 4 de la loi concerne l'aménagement du monopole national de commercialisation des produits pétroliers. Jusqu'au 31 décembre 1985, les sociétés de distribution de produits pétroliers étaient tenues de s'approvisionner exclusivement auprès de l'État. En vertu de l'article 4, paragraphes 1 et 2, ces sociétés ont, depuis le 1er janvier 1986, le droit de s'approvisionner auprès du fournisseur de leur choix à concurrence d'un certain pourcentage des besoins du marché hellénique. Depuis lors, ce pourcentage a été progressivement augmenté, pour atteindre 100 % à partir du 1er janvier 1990. L'article 4, paragraphe 3, de la loi n° 1571-85 prévoit cependant que le pourcentage à concurrence duquel le monopole national de commercialisation est aménagé peut être modifié "afin de prévenir les répercussions que peuvent avoir d'éventuelles crises nationales ou internationales sur la sécurité publique et la défense nationale ".

5 En vertu de l'article 9 de la loi n° 1571-85 et de l'arrêté ministériel n° 3662 du 17 février 1987 (Efimeris tis Kivernisseos, n° 121, du 16.3.1987, série II), chaque société de distribution est tenue de soumettre annuellement aux autorités helléniques un programme, dénommé "programme d'approvisionnement ", indiquant les ventes de produits pétroliers qu'elle prévoit de réaliser l'année suivante par zone géographique, et les approvisionnements correspondants. L'article 9, paragraphe 4, de la loi prévoit que les sociétés de distribution doivent soumettre, à l'appui de leur programme, les copies de contrats établissant qu'elles s'approvisionneront auprès des raffineries helléniques du secteur public à concurrence du pourcentage des besoins du marché national correspondant à la partie non aménagée du monopole national de commercialisation, et auprès de ces mêmes raffineries ou de raffineries établies dans d'autres États membres à concurrence de 70 % du pourcentage correspondant à la partie aménagée de ce monopole. Les programmes d'approvisionnement peuvent être révisés en cours d'année. Tant les programmes que les modifications éventuelles sont soumis à l'approbation des autorités helléniques, qui, lorsqu'elles estiment que le programme n'est pas justifié, peuvent exiger qu'il soit modifié ou que des garanties soient apportées afin d'assurer qu'il sera respecté.

6 Par ailleurs, la quantité de produits pétroliers que chaque société de distribution est en droit de se procurer auprès du fournisseur de son choix est déterminée conformément aux dispositions de l'arrêté ministériel n° 3663 du 17 février 1987 (Efimeris tis Kivernisseos, n° 121, du 16.3.1987, série II). Cette quantité (dénommée "quota de commercialisation ") dépend de plusieurs facteurs, dont le pourcentage des besoins du marché hellénique correspondant à la partie aménagée du monopole national de commercialisation et la quantité de produits pétroliers vendue par la société en cause au cours de l'année écoulée. En vertu de l'article 4 de l'arrêté, toute société peut transférer tout ou partie de son quota à une autre, mais un tel transfert entraîne une diminution du quota attribué l'année suivante à la société cédante lorsque les autres facteurs intervenant dans le calcul du quota demeurent inchangés.

7 En vertu de l'article 3 de l'arrêté ministériel n° 3663, les sociétés de distribution sont tenues de soumettre aux autorités helléniques, préalablement à toute importation de produits pétroliers et pour chaque cargaison, une déclaration indiquant, entre autres, le pays de provenance et le prix d'importation.

8 De même, en vertu de l'arrêté ministériel n° 5414, du 12 mars 1987 (Efimeris tis Kivernisseos, n° 115, du 16.3.1987, série II), adopté sur la base de l'article 12 de la loi n° 1571-85, les sociétés de distribution sont tenues de soumettre une déclaration aux autorités helléniques, préalablement à toute exportation de produits pétroliers. Cette déclaration doit comporter une attestation indiquant que l'exportation n'affecte pas l'obligation de la société en cause de couvrir les besoins du marché hellénique conformément à son programme d'approvisionnement.

9 L'article 15, paragraphe 1, de la loi n° 1571-85 prévoit que l'exercice du commerce des produits pétroliers est surbordonné à l'obtention préalable d'une autorisation des autorités helléniques. Cette autorisation n'est délivrée qu'à certaines conditions, parmi lesquelles figure l'obligation pour l'entreprise de posséder en propre des camions-citernes dont un arrêté ministériel fixe le nombre maximal et le nombre minimal.

10 L'article 11 de la loi précitée prévoit la fixation de prix de vente maximaux à la consommation pour les produits pétroliers raffinés en Grèce ou importés. Ces prix sont établis à partir d'un prix de base dans la formation duquel interviennent divers facteurs. En vertu de cet article, les facteurs entrant dans la formation du prix de base sont déterminés par l'administration, mais doivent se rapporter à des données économiques internationales ou nationales tenant compte également des tendances du marché, telles que le prix fob Italie des produits pétroliers finis et le rapport entre le coût des produits finis raffinés en Grèce et le coût moyen de production des mêmes produits raffinés dans les autres États membres. Le prix de base, d'abord déterminé en dollars américains puis converti en drachmes, est en principe fixé pour une période de trois mois. Au prix de base ainsi déterminé sont ajoutées diverses données, dont le coût de conservation des stocks, afin d'obtenir le prix de commercialisation. Le prix maximal à la consommation est obtenu en majorant le prix de commercialisation des taxes imposées par l'État.

11 Pour un plus ample exposé de la législation nationale, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

12 Dans sa requête, la Commission a fait valoir que la possibilité que s'est réservée le gouvernement hellénique de réaménager le monopole national de commercialisation des produits pétroliers, prévue par l'article 4, paragraphe 3, de la loi n° 1571-85, était contraire aux articles 30 et 37 du traité. Dans sa réplique, la Commission a toutefois déclaré qu'elle ne demandait pas la condamnation de la République hellénique sur ce point. Il y a donc lieu de considérer que cette disposition de la loi n° 1571-85 ne fait pas partie de l'objet du recours.

Sur la recevabilité

a) Sur l'autorisation préalable afin d'exercer le commerce des produits pétroliers

13 Dans sa requête, la Commission soutient que l'article 15, paragraphe 1, de la loi n° 1571-85 est contraire à l'article 30 en ce qu'il subordonne l'exercice du commerce des produits pétroliers en Grèce à l'autorisation préalable des autorités helléniques.

14 La République hellénique fait valoir que ce grief n'apparaît ni dans la lettre de mise en demeure ni dans l'avis motivé et qu'il doit, par conséquent, être déclaré irrecevable.

15 La Commission souligne que l'article 15 de la loi n° 1571-85 est mentionné dans l'avis motivé et que la lettre de mise en demeure évoque les conditions que doivent remplir les entreprises qui souhaitent exercer le commerce des produits pétroliers.

16 A cet égard, il convient tout d'abord de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour (voir, notamment, l'arrêt du 10 juillet 1990, Commission/Allemagne, C-217-88, point 10, Rec. p. I-0000), le recours introduit en vertu de l'article 169 du traité CEE ne peut être fondé que sur des motifs et des moyens déjà énoncés dans l'avis motivé.

17 Il y a lieu de relever ensuite que, si, dans son avis motivé, la Commission a critiqué l'une des conditions auxquelles est soumis l'octroi de l'autorisation d'exercer le commerce des produits pétroliers, elle n'a cependant pas fait valoir que l'exigence d'une telle autorisation serait en elle-même contraire aux dispositions du traité.

18 Par conséquent, le grief concernant l'obligation, pour les entreprises souhaitant exercer le commerce des produits pétroliers en Grèce, d'obtenir l'autorisation préalable des autorités helléniques doit être déclaré irrecevable.

b) Sur certains griefs concernant le régime des prix maximaux à la consommation

19 La Commission fait valoir que le régime des prix maximaux à la consommation pour les produits pétroliers est contraire à l'article 30 du traité, entre autres parce que la prise en considération du facteur "tendance du marché" rendrait la détermination des prix incertaine, que les modalités de calcul du "coût de conservation des stocks" inciteraient les sociétés de distribution à s'approvisionner auprès des raffineries helléniques et qu'il appartient à l'administration hellénique de déterminer les facteurs intervenant dans la formation du prix de base.

20 La République hellénique souligne que ces trois griefs ne sont pas énoncés dans l'avis motivé et considère qu'ils sont, par conséquent, irrecevables.

21 La Commission soutient que, dans son avis motivé, elle a contesté en général le système de fixation des prix maximaux à la consommation pour les produits pétroliers importés et que ces griefs ne constituent, par conséquent, que le développement d'un moyen présenté au cours de la phase précontentieuse.

22 En ce qui concerne le grief tiré de l'octroi à l'administration hellénique du pouvoir de déterminer les facteurs entrant dans la formation du prix de base, il ressort de la réplique de la Commission que ce grief concerne en fait le contenu de la réglementation adoptée par l'administration hellénique et, plus particulièrement, les facteurs "tendance du marché" et "coût de conservation des stocks ". Il ne s'agit donc pas d'un grief distinct de ceux relatifs à ces deux facteurs. Par conséquent, il n'y a pas lieu de statuer séparément sur ce grief.

23 Il convient de relever ensuite que l'avis motivé ne contient aucune référence aux facteurs "tendance du marché" et "coût de conservation des stocks ". Alors que la législation en vigueur au cours de la phase précontentieuse prévoyait que les facteurs "tendance du marché" et "coût de conservation des stocks" étaient pris en considération dans le mécanisme de formation des prix, les griefs relatifs à ces facteurs ont été formulés pour la première fois par la Commission dans la réplique.

24 Par ailleurs, l'argument de la Commission selon lequel les griefs relatifs aux facteurs "tendance du marché" et "coût de conservation des stocks" ne sont que le développement d'un moyen présenté au cours de la phase précontentieuse ne saurait être accepté. En effet, ainsi que la Cour l'a indiqué à plusieurs reprises (voir, notamment, l'arrêt du 28 avril 1985, Commission/Italie, point 21, 274-83, Rec. p. 1077), l'avis motivé doit contenir un exposé cohérent et précis des raisons ayant amené la Commission à la conviction que l'État intéressé a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité. Par conséquent, même si la Commission entendait contester en général le régime des prix maximaux à la consommation, il lui incombait d'indiquer, dans son avis motivé, les raisons précises pour lesquelles elle estimait ce régime contraire aux dispositions du traité.

25 Il s'ensuit que les griefs concernant les facteurs "tendance du marché" et "coût de conservation des stocks" doivent être déclarés irrecevables.

c) Sur les griefs non formulés dans la requête

26 Dans sa requête, la Commission indique qu'elle demande la condamnation de la République hellénique, entre autres, "pour tous les motifs indiqués dans la lettre de mise en demeure et dans l'avis motivé ".

27 La République hellénique fait valoir que les griefs qui ne figurent pas dans la requête, à tout le moins dans leur contenu essentiel, sont irrecevables.

28 L'exception d'irrecevabilité soulevée par la République hellénique doit être accueillie. En effet, en vertu de l'article 19 du protocole sur le statut CEE de la Cour de justice et de l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête doit contenir, entre autres, un exposé sommaire des moyens invoqués. Par conséquent, il incombe à la Commission, dans toute requête déposée au titre de l'article 169 du traité, d'indiquer les griefs précis sur lesquels la Cour est appelée à se prononcer, ainsi que, de manière à tout le moins sommaire, les éléments de droit et de fait sur lesquels ces griefs sont fondés.

29 Il convient en outre de souligner que tout recours introduit en vertu de l'article 169 est précédé d'une procédure précontentieuse qui peut amener la Commission à renoncer, comme en l'espèce, à certains griefs formulés dans la lettre de mise en demeure ou dans l'avis motivé. Par conséquent, l'indication dans la requête des griefs sur lesquels la Cour est appelée à statuer est indispensable à une délimitation précise de l'objet du recours.

30 Il s'ensuit que les griefs énoncés dans la lettre de mise en demeure et dans l'avis motivé, qui ne sont pas formulés dans la requête, doivent être déclarés irrecevables.

Sur le fond

a) Sur le droit de l'État en matière d'importation de pétrole brut

31 La Commission relève que l'article 7, paragraphe 2, de la loi n° 1571-85 confère à l'État le droit exclusif d'importer le pétrole brut. Elle fait valoir que cette disposition est contraire aux articles 30 et 37, paragraphe 1, parce qu'elle exclut toute possibilité d'importation par des opérateurs autres que l'État.

32 Aux termes de l'article 37, paragraphe 1, les États membres aménagent progressivement les monopoles nationaux présentant un caractère commercial afin d'assurer, dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés, l'exclusion de toute discrimination entre ressortissants des États membres.

33 Par ailleurs, en vertu de l'article 30, toute restriction quantitative à l'importation et mesure d'effet équivalent est interdite entre les États membres. Selon une jurisprudence constante de la Cour (voir, en premier lieu, l'arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, point 5, 8-74, Rec. p. 837), cette disposition vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible de faire obstacle directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, au commerce intracommunautaire.

34 Il convient de relever qu'en vertu de l'article 7, paragraphe 2, de la loi précitée les importations de pétrole brut sont effectuées exclusivement par l'État conformément aux dispositions de l'article 1er de la loi. Cet article prévoit, en son paragraphe 2, que "l'État a le droit exclusif de raffiner et par conséquent d'importer le pétrole brut ". Il ressort de ces dispositions que l'État a le droit exclusif d'importer le pétrole brut destiné au raffinage.

35 Il y a lieu cependant de souligner que, indépendamment de toute disposition conférant à l'État un droit exclusif d'importation, la détention par l'État du monopole du raffinage lui permet de contrôler tant le volume des importations de pétrole brut destiné au raffinage que les conditions auxquelles elles sont effectuées. En d'autres termes, le fait que ces importations soient effectuées exclusivement par l'État, ou sous son contrôle, est inhérent à l'existence du monopole national de raffinage. Par conséquent, les dispositions législatives conférant à l'État le droit exclusif d'importer le pétrole brut destiné au raffinage ne font que confirmer l'existence d'une prérogative indissociable du monopole national de raffinage.

36 Dans ces conditions, la légalité, au regard du droit communautaire, du droit exclusif de l'État hellénique en matière d'importation de pétrole brut ne saurait être mise en cause que si la légalité du monopole national de raffinage au regard du droit communautaire est elle-même contestée. Or, la Commission a expressément indiqué qu'elle ne mettait pas en cause le monopole national de raffinage.

37 Il s'ensuit que les griefs relatifs au droit de l'État en matière d'importation de pétrole brut doivent être rejetés.

b) Sur les droits de l'État en matière d'importation et de commercialisation de produits pétroliers

38 La Commission fait de plus valoir que l'article 7, paragraphe 2, ainsi que l'article 4, paragraphe 1, de la loi n° 1571-85 sont contraires aux articles 30 et 37, paragraphe 1, parce qu'ils confèrent à l'État le droit exclusif d'importer et de commercialiser les produits pétroliers finis et qu'ils privent les sociétés de distribution de la possibilité de s'approvisionner auprès d'entreprises établies dans d'autres États membres pour une quantité de produits correspondant à la partie non aménagée du monopole national de commercialisation.

39 Dans son mémoire en défense, la République hellénique fait tout d'abord valoir que l'article 7, paragraphe 2, et l'article 4, paragraphe 1, de la loi n° 1571-85 ne confèrent pas à l'État un monopole au sens de l'article 37, paragraphe 1, parce que les droits de l'État en matière d'importation et de commercialisation des produits pétroliers finis portaient, à la date du dépôt du mémoire en défense, sur une quantité de produits limitée à 25 % des besoins du marché national.

40 A cet égard, il convient de relever que l'objet du recours introduit en vertu de l'article 169 est de faire constater que l'État intéressé a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité et qu'il n'a pas mis fin à ce manquement dans le délai fixé à cet effet par l'avis motivé de la Commission. Il en résulte que, aux fins du présent recours, l'étendue des droits de l'État en matière d'importation et de commercialisation des produits pétroliers doit être déterminée en prenant en considération la situation existant à l'expiration du délai imparti à la République hellénique pour se conformer à l'avis motivé.

41 A ce moment, en vertu de l'article 7, paragraphe 2, et de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la loi n° 1571-85, ainsi que des mesures d'exécution de ces dispositions, l'État hellénique avait le droit exclusif d'importer et de commercialiser une quantité de produits pétroliers correspondant à 65 % des besoins du marché national. Par conséquent, à l'expiration du délai imparti pour se conformer à l'avis motivé, l'État hellénique détenait le pouvoir d'influencer sensiblement les importations de produits pétroliers en provenance des autres États membres, et cela en vertu tant de son droit en matière d'importation que de son droit en matière de commercialisation des produits pétroliers. Il s'ensuit qu'aux fins du présent recours les droits de l'État hellénique en matière d'importation et de commercialisation des produits pétroliers doivent être considérés comme constituant un monopole national à caractère commercial au sens de l'article 37.

42 Par ailleurs, ainsi que la Cour l'a indiqué notamment dans son arrêt du 7 juin 1983, Commission/Italie, point 11 (78-82, Rec. p. 1955), il résulte du texte de l'article 37 ainsi que de sa place dans le système du traité que cet article vise à assurer le respect de la règle fondamentale de la libre circulation des marchandises dans l'ensemble du marché commun, en particulier par l'abolition des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent dans les échanges entre les États membres, et à maintenir ainsi des conditions normales de concurrence entre les États membres dans le cas où, dans l'un ou l'autre de ces États, un produit déterminé est soumis à un monopole national à caractère commercial.

43 A cet égard, il y a lieu de relever qu'en vertu de l'article 9, paragraphe 4, de la loi n° 1571-85, les sociétés de distribution sont tenues de s'approvisionner auprès des raffineries helléniques du secteur public à concurrence d'un pourcentage des besoins du marché national correspondant à la partie non aménagée du monopole de commercialisation. Il ressort clairement de cette disposition qu'en maintenant en vigueur les droits de l'État en matière d'importation et de commercialisation des produits pétroliers, la République hellénique vise, ainsi qu'elle l'a elle-même reconnu, à assurer un débouché à la production des raffineries helléniques du secteur public.

44 Il s'ensuit que le maintien en vigueur des droits de l'État hellénique en matière d'importation et de commercialisation des produits pétroliers entraîne, à l'encontre des exportateurs établis dans d'autres États membres, une discrimination visée par l'article 37, paragraphe 1.

45 La République hellénique fait valoir, en second lieu, que le maintien en vigueur de tels droits n'est pas contraire à l'article 30 parce que les produits commercialisés par l'État peuvent être des produits importés ou des produits résultant de la transformation de matières premières ou de produits semi-finis importés.

46 Cet argument ne saurait être accepté. En effet, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus (point 43), le maintien en vigueur des droits en cause vise à garantir un débouché à la production des raffineries helléniques du secteur public. Une telle mesure constitue par conséquent une entrave aux importations de produits pétroliers en provenance d'autres États membres, et cela indépendamment de la question de savoir si la matière brute utilisée par les raffineries helléniques du secteur public est elle-même importée ou non.

47 La République hellénique fait valoir, en troisième lieu, que le maintien en vigueur de ces droits est justifié par des raisons de sécurité publique. La situation géopolitique particulière de la Grèce rendrait indispensable l'adoption de mesures assurant un approvisionnement régulier du pays en pétrole brut et en produits pétroliers. Cet objectif ne pourrait être atteint qu'en maintenant les raffineries du secteur public en activité. A cet effet, il serait nécessaire d'imposer aux sociétés de distribution de s'approvisionner en partie auprès de ces raffineries jusqu'au moment où il leur sera possible de commercialiser leur production à des prix compétitifs.

48 Il est vrai que, dans son arrêt du 10 juillet 1984, Campus Oil Limited, point 51 (72-83, Rec. p. 2727), la Cour a indiqué qu'un État membre dont l'approvisionnement en produits pétroliers dépend totalement ou presque totalement des importations peut se prévaloir de raisons de sécurité publique au sens de l'article 36 du traité pour imposer aux importateurs l'obligation de couvrir un certain pourcentage de leurs besoins, auprès d'une raffinerie située sur son territoire, par des achats à des prix fixés par le ministère compétent sur la base des frais supportés en rapport avec l'exploitation de cette raffinerie, si la production de la raffinerie en cause ne peut pas être écoulée librement, à des prix compétitifs, sur le marché concerné.

49 Il convient cependant de relever que la République hellénique n'a pas démontré que, dans l'hypothèse où les droits de l'État en matière d'importation et de commercialisation des produits pétroliers ne seraient pas maintenus en vigueur, les raffineries du secteur public ne pourraient pas écouler leur production sur le marché à des prix compétitifs et assurer ainsi leur maintien en activité. Par conséquent, l'argument invoqué à cet égard par la République hellénique doit être rejeté.

50 Il y a dès lors lieu de constater qu'en maintenant en vigueur les droits de l'État en matière d'importation et de commercialisation des produits pétroliers la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et 37, paragraphe 1.

c) Sur le système des quotas de commercialisation et des programmes annuels d'approvisionnement

51 La Commission fait valoir que l'obligation imposée aux sociétés de distribution par l'article 9 de la loi n° 1571-85 de soumettre des programmes annuels d'approvisionnement en produits pétroliers et le régime des quotas de commercialisation applicable à ces sociétés, tel qu'il est prévu par l'arrêté n° 3663, sont contraires à l'article 30 parce qu'ils restreignent la commercialisation des produits importés et qu'ils privent les sociétés de distribution de la possibilité d'exploiter la part de marché qu'elles pourraient acquérir en régime de libre concurrence.

52 La République hellénique objecte, en premier lieu, que l'obligation de présenter des programmes annuels d'approvisionnement et le régime des quotas de commercialisation n'ont aucune incidence sur les importations ou sur le jeu de la libre concurrence parce que les programmes d'approvisionnement constituent un inventaire objectif des besoins de chaque société et que tant ces programmes que les quotas de commercialisation sont dépourvus de caractère rigide.

53 Il convient de relever que le fait que les programmes et les modifications qui y sont éventuellement apportées soient soumis à l'approbation des autorités helléniques signifie que les sociétés de distribution ne peuvent déterminer librement le volume et les conditions d'exercice de leur activité, ni s'adapter librement aux fluctuations du marché. Ce régime d'approbation constitue par conséquent une mesure susceptible d'entraver le commerce intracommunautaire, visée par l'article 30.

54 En ce qui concerne les quotas de commercialisation, il convient de relever que le régime instauré par l'arrêté ministériel n° 3663 est susceptible de rester en vigueur même après l'abolition des droits de l'État en matière de commercialisation des produits pétroliers. Par ailleurs, ce régime consiste à fixer, en fonction de divers facteurs, la quantité de produits pétroliers que les sociétés de distribution pourront acheter auprès du fournisseur de leur choix au cours de l'année à venir. Par conséquent, il prive les sociétés de distribution de la possibilité de déterminer librement la quantité de produits qu'elles achètent auprès des exportateurs communautaires. L'argument soulevé par la République hellénique et tiré du fait que les quotas de commercialisation sont cessibles est à cet égard dépourvu de pertinence, ne serait-ce que parce que la possibilité pour une société d'importer une quantité de produits pétroliers supérieure au montant de son quota dépend de la volonté d'une autre société de lui céder une partie de son propre quota. Il s'ensuit que, indépendamment du pourcentage à concurrence duquel le monopole national de commercialisation est aménagé, le régime des quotas de commercialisation constitue une mesure susceptible d'entraver le commerce intracommunautaire, visée par l'article 30.

55 La République hellénique fait valoir, en second lieu, que l'obligation de présenter les programmes annuels d'approvisionnement et le régime des quotas de commercialisation sont indispensables à l'exercice du droit de l'État en matière de commercialisation des produits pétroliers.

56 Il suffit, à cet égard, de relever que le maintien en vigueur des droits de l'État hellénique en matière de commercialisation des produits pétroliers constitue une mesure prohibée par les articles 30 et 37, paragraphe 1. Par conséquent, l'argument invoqué par la République hellénique ne saurait aboutir à faire échapper les mesures en cause à l'interdiction prévue par l'article 30.

57 La République hellénique fait valoir, en troisième lieu, que la présentation des programmes d'approvisionnement est indispensable pour permettre aux autorités helléniques de déterminer la politique à suivre en matière pétrolière et assurer ainsi en tout temps la couverture des besoins du pays en produits pétroliers.

58 A cet égard, il convient tout d'abord de rappeler que, ainsi que la Cour l'a indiqué dans son arrêt du 10 juillet 1984, Campus Oil Limited, précité, point 35, le but d'assurer, en tout temps, un approvisionnement minimal en produits pétroliers peut constituer un objectif couvert par la notion de sécurité publique au sens de l'article 36 du traité CEE. Toutefois, des mesures prises sur la base de l'article 36 ne sauraient être justifiées que si elles sont nécessaires pour atteindre l'objectif visé par cet article et si cet objectif ne peut pas être atteint par des mesures restreignant d'une manière moindre les échanges intracommunautaires (voir arrêt du 11 octobre 1990, Nespoli, point 15, C-196-89, Rec. p. I-0000).

59 Il est exact que la présentation des programmes d'approvisionnement contribue à assurer en tout temps l'approvisionnement du pays en produits pétroliers. Les informations que contiennent ces programmes, relatives aux prévisions de vente des sociétés de distribution par zone géographique ainsi qu'à leurs sources d'approvisionnement, permettent en effet aux autorités helléniques d'établir dans quelle mesure les besoins minimaux du pays en produits pétroliers pourraient être couverts par l'activité des sociétés de distribution en cas de crise et de déterminer la politique à suivre en matière d'achat et de raffinage de pétrole brut afin de garantir en tout temps un approvisionnement minimal en produits pétroliers.

60 Toutefois, la République hellénique n'a présenté aucun argument tendant à démontrer que le pouvoir conféré aux autorités d'approuver les programmes d'approvisionnement et les modifications qui y sont apportées, et donc d'intervenir sur les conditions d'exercice de l'activité des sociétés de distribution, dont résulte l'entrave aux échanges intracommunautaires, serait indispensable afin d'assurer en tout temps l'approvisionnement minimal du pays en produits pétroliers. A cet égard, il convient d'observer qu'il existe en Grèce deux raffineries qui relèvent du secteur public et dont la capacité de production excède les besoins minimaux du pays en période de crise. Par conséquent, l'approvisionnement du pays en produits pétroliers peut être assuré en imposant aux sociétés de distribution de communiquer en temps utile aux autorités helléniques les programmes d'approvisionnement et les modifications significatives qui y seraient apportées en cours d'exécution.

61 Dans ces conditions, l'entrave aux échanges intracommunautaires qui résulte du pouvoir conféré aux autorités helléniques d'approuver les programmes d'approvisionnement et les modifications éventuelles de ces programmes ne saurait être considérée comme justifiée au regard de l'article 36.

62 Il y a par conséquent lieu de constater qu'en adoptant l'arrêté ministériel n° 3662 qui prévoit que les programmes annuels d'approvisionnement des sociétés de distribution en produits pétroliers et les modifications éventuelles de ces programmes sont soumis à l'approbation des autorités helléniques et en adoptant l'arrêté ministériel n° 3663 qui établit un régime de quotas de commercialisation, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30.

d) Sur les procédures d'importation et d'exportation

63 La Commission fait valoir que l'article 3 de l'arrêté ministériel n° 3663 est contraire à l'article 30 en ce qu'il institue un système d'autorisation préalable pour les importations de produits pétroliers. Elle soutient également que l'article 12 de la loi n° 1571-85 et l'arrêté ministériel n° 5414 sont contraires aux articles 34 et 37, paragraphe 1, parce qu'ils instaurent un régime d'autorisation pour les exportations de produits pétroliers. Elle ajoute que, même si les dispositions nationales précitées n'imposaient qu'une obligation de déclaration, elles seraient contraires aux articles 30, 34 et 37 dans la mesure où elles tendraient à assurer le respect des quotas de commercialisation.

64 La République hellénique maintient que les dispositions nationales en cause imposent aux importateurs et aux exportateurs une simple obligation de déclaration des opérations d'importation et d'exportation sans incidence sur l'exercice du droit d'importation ou d'exportation correspondant. Elle estime que cette information est nécessaire afin de surveiller la mise en œuvre des programmes annuels d'approvisionnement. Par conséquent, lesdites dispositions ne seraient pas contraires aux articles 30, 34 et 37.

65 Il convient de constater d'abord que la Commission n'a pas apporté des éléments de preuve pour établir que les dispositions nationales en cause imposeraient plus qu'une simple obligation de déclaration des opérations d'importation et d'exportation.

66 La Commission fait valoir toutefois que, même dans de telles circonstances, les dispositions en cause seraient contraires aux articles 30, 34 et 37 parce qu'elles tendraient à surveiller le régime des quotas et, dès lors, à maintenir un tel régime.

67 Or, l'examen du dossier ne révèle aucun élément permettant de conclure à l'existence d'un lien quelconque entre, d'une part, les régimes de déclaration obligatoires prévus par les arrêtés ministériels, précités, et, d'autre part, le maintien du régime des quotas.

68 Par conséquent, le grief concernant l'article 3 de l'arrêté ministériel n° 3663, ainsi que l'arrêté ministériel n° 5414, qui établissent des procédures de déclaration des opérations d'importation et d'exportation, doit être rejeté.

e) Sur l'obligation de disposer d'une capacité de transport

69 La Commission fait valoir que l'obligation imposée aux sociétés de distribution, par l'article 15, paragraphe 3, sous d), de la loi n° 1571-85, de disposer d'un certain nombre de camions-citernes afin d'être autorisées à exercer le commerce des produits pétroliers est susceptible de restreindre les importations de produits pétroliers et est, par conséquent, contraire à l'article 30.

70 Il convient de relever que la Commission n'a avancé aucun élément de droit ou de fait qui tendrait à démontrer que l'obligation en cause, qui constitue une réglementation de commerce indistinctement applicable aux produits nationaux et importés, est susceptible d'entraver le commerce intracommunautaire.

71 Il y a dès lors lieu de déclarer ce grief non fondé.

f) Sur le régime des prix maximaux à la consommation

72 Ainsi qu'il a déjà été indiqué (points 19 à 25 ci-dessus), certains griefs formulés à l'encontre du régime des prix maximaux à la consommation doivent être déclarés irrecevables. Outre ces griefs, la Commission fait encore valoir que le régime des prix maximaux à la consommation ne tient pas suffisamment compte des frais afférents aux produits importés, tels que les frais de transport, et qu'il accorde une importance disproportionnée aux critères nationaux. Ce régime serait, par conséquent, contraire à l'article 30.

73 A cet égard, il convient d'observer que la réglementation hellénique relative au régime des prix maximaux à la consommation pour les produits pétroliers prévoit la prise en considération, dans le mécanisme de formation des prix, de nombreux facteurs se rapportant tant aux produits importés qu'aux produits nationaux.

74 Par ailleurs, ainsi que la République hellénique l'a relevé, les griefs énoncés par la Commission sont formulés en des termes vagues et généraux. En outre, la Commission n'a avancé aucune argumentation afin de les étayer.

75 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter ces griefs.

Sur les dépens

76 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, premier alinéa, du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La requérante ayant succombé en plusieurs de ses moyens, il y a lieu de compenser les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) En adoptant la loi n° 1571-85 et les dispositions d'exécution de cette loi qui prévoient le maintien en vigueur des droits de l'État en matière d'importation et de commercialisation des produits pétroliers, soumettent les programmes annuels d'approvisionnement des sociétés de distribution et les modifications éventuelles de ces programmes à l'approbation des autorités helléniques, et instaurent un régime de quotas de commercialisation, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30, 34 et 37, paragraphe 1, du traité CEE.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Chaque partie supportera ses propres dépens.