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Décisions

CJCE, 6e ch., 25 février 1988, n° 299-86

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Rainer Drexl

CJCE n° 299-86

25 février 1988

LA COUR,

1. Par ordonnance du 12 novembre 1986, parvenue a la cour le 1er décembre suivant, la Corte d'Appello de Genes a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interpretation de l'article 95 du traité, en vue de déterminer la compatibilité, avec cette disposition, de la législation italienne en matière d'application de la taxe sur la valeur ajoutée aux produits importés d'un autre Etat membre par un particulier.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une poursuite pénale contre M. Rainer Drexl, ressortissant allemand, résidant à Loano, Italie, prévenu du délit de contrebande pour avoir importé de façon illicite un véhicule automobile de la République Fédérale d'Allemagne, en introduisant et en utilisant ce véhicule sur le territoire italien sans satisfaire aux dispositions en matière d'importation temporaire.

3. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que le prévenu a acheté en République Fédérale d'Allemagne une voiture d'occasion de type Volkswagen Golf immatriculée dans ce pays alors qu'il continuait à être domicilié en Italie ou il exerçait la profession de mécanicien- dentiste.

4. Le Pretore d'Albenga, juge en première instance, a évalué la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : " TVA ") à 1 134 000 LIT, soit à 18 % de la valeur non contestée du véhicule d'occasion. Il a condamné le prévenu, en lui accordant des circonstances atténuantes, à une amende de 1 600 000 LIT avec sursis et à la confiscation du véhicule.

5. Devant la cour d'appel, le prévenu a fait valoir, entre autres, que le véhicule en question avait été régulièrement acheté et immatriculé en République Fédérale d'Allemagne ou la TVA, au taux de 13 %, soit un montant de 2 148,57 DM aurait été acquittée.

6. C' est dans ces conditions que la Corte d'Appello de Genes a sursis à statuer pour soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

1°) les dispositions communautaires en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives à la taxe sur le chiffre d'affaires (article 95 du traité de Rome) interdisent-elles aux Etats membres d'assujettir à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) les importations en provenance d'un Etat membre de véhicules automobiles qui y ont été achetés moyennant paiement de la TVA et immatriculation dans cet état, sans tenir compte du montant résiduel de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée dans l'Etat membre d'exportation, qui est encore inclus dans la valeur de la marchandise au moment de l'importation ?

2°) la TVA perçue par un Etat membre à l'importation, sans tenir compte du montant résiduel de la taxe encore inclus dans la valeur de la marchandise, constitue-t-elle, lorsque le recouvrement de ce montant n'est pas opéré dans le cadre des cessions portant sur les mêmes marchandises et effectuées entre particuliers à l'intérieur de l'état, une imposition intérieure supérieure à celle qui frappe les produits nationaux similaires, qui en tant que telle est interdite en vertu de l'article 95 du traité ?

3°) les dispositions de l'ordre juridique communautaire qui soumettent au même taux de taxation les importations et les cessions de la même marchandise à l'intérieur de l'Etat membre s'opposent-elles à une disposition nationale qui, en cas de non-paiement de la taxe à l'importation, prévoit un régime de sanctions différentes, du point de vue de leur nature et de leur gravité, de celles prévues en cas de non-paiement de la taxe afférente aux échanges à l'intérieur du pays. En particulier, les dispositions communautaires relatives à l'uniformité du système fiscal et à la suppression des droits de douane à l'intérieur de la communauté, en combinaison avec les principes de proportionnalité et de non-discrimination élaborés par la cour de justice, font-elles obstacle à une disposition nationale (article 70 du décret du Président de la République n° 633, du 26 octobre 1972) qui, considérant les infractions à la TVA à l'importation de biens en provenance d'Etats membres comme un délit de contrebande, frappe ces dernières des sanctions, mêmes pénales, prévues par la législation douanière relative aux droits de douane, à la différence d'infractions analogues concernant au contraire les cessions des mêmes biens à l'intérieur de l'état (article 50 du décret du Président de la République) ?

7. Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des faits de l'affaire au principal, ainsi que des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

8. Les deux premières questions, qu'il convient d'examiner ensemble, concernent le montant de la TVA à l'importation qu'un Etat membre peut appliquer à un particulier ayant importé un bien usagé d'un autre Etat membre. La troisième question vise un problème différent, à savoir celui des sanctions appliquées aux infractions à la TVA, plus sévères dans le cas d'importations que dans celui de transactions à l'intérieur du pays.

Sur les première et deuxième questions

9. Il y a lieu de rappeler d'abord que, sur la base des articles 99 et 100 du traité, un système commun de la TVA a été instauré par des directives communautaires. La sixième directive du conseil, du 17 mars 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO L 145, p. 1), prévoit dans son article 2 que sont soumises à la TVA non seulement les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti, mais également les importations de biens, que ce soit par un assujetti ou par un particulier. La TVA à l'importation vise, en vue de garantir la neutralité du système commun quant à l'origine des biens, à placer les produits importés dans la même situation que les produits nationaux similaires quant aux charges fiscales supportées par ces deux catégories de marchandises.

10. Selon une jurisprudence constante de la Cour, l'application de la TVA à l'importation ne peut pas avoir pour conséquence qu'un produit importé soit doublement imposé, un tel résultat étant contraire à l'article 95 du traité. Ce problème se pose notamment lorsqu' un particulier importé un bien d'un autre Etat membre, sans bénéficier d'une franchise fiscale, étant donné qu'un tel bien est déjà grevé de la TVA de cet Etat membre, à défaut de son dégrèvement à l'occasion de l'exportation tel que pratiqué si l'exportateur est un assujetti.

11. La Cour en a déduit que l'importation de biens d'un autre Etat membre par un particulier, dans la mesure ou ce bien n'a pas été dégrevé à l'exportation, ne peut donner lieu à la perception de la TVA à l'importation que dans la mesure ou est prise en considération la part résiduelle de la TVA acquittée dans l'Etat membre d'exportation qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation.

12. Dans son arrêt du 21 mars 1985 (Gaston Schul, 47-84, Rec. p. 1501), la Cour a précisé que, dans un tel cas, le montant de la TVA à l'importation doit être calculé compte tenu du montant de la TVA acquitté dans l'Etat membre d'exportation et encore incorporé dans la valeur du produit, de manière telle que ce montant ne fasse pas partie de la base d'imposition et soit en outre déduit de la TVA due à l'importation.

13. Au vu des considérations qui précédent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l'article 95 du traité doit être interprété dans le sens que, au cas de l'importation d'un bien d'un autre Etat membre par un particulier, qui n'a donné lieu ni à un dégrèvement à l'exportation ni à une franchise fiscale dans l'Etat membre d'importation, l'application de la TVA à l'importation doit prendre en considération la part résiduelle de la TVA acquittée dans l'Etat membre d'exportation et encore incorporée dans la valeur du bien au moment de l'importation, de manière que le montant de cette part résiduelle ne fasse pas partie de la base d'imposition et soit déduit de la TVA due à l'importation.

Sur la troisième question

14. Par cette question, la juridiction nationale veut savoir si un régime de sanctions qui prévoit des sanctions plus sévères pour les infractions à la TVA à l'importation que pour celles à la TVA afférente aux transactions à l'intérieur du pays n'est pas contraire à l'article 95 du traité, à l'égalité de traitement, ainsi qu' au principe de proportionnalité.

15. Il ressort du dossier que la législation italienne fait une distinction entre ces deux catégories d'infractions. En effet, pour les infractions relatives à la TVA à l'importation, il est fait application des dispositions de la législation douanière, alors qu' un autre régime est applicable aux violations des obligations relatives au paiement de la TVA sur les cessions des biens et sur les prestations de services à l'intérieur du pays. Il est constant que les sanctions prévues dans le cadre de ce dernier régime sont, en règle générale, moins sévères que celles résultant de l'application de la législation douanière.

16. A cet égard, le Gouvernement italien a observe, a titre liminaire, que les Etats membres restent exclusivement compétents en matière de sanctions aux infractions à leur législation fiscale et que cette compétence ne serait ni limitée par l'article 95 du traité et par les principes de non-discrimination et de proportionnalité ni affectée par l'harmonisation en matière de TVA, celle-ci ne visant que les dispositions matérielles des législations nationales à l'exclusion des questions d'ordre pénal.

17. Cet argument ne saurait être accueilli dans sa généralité. S' il est vrai que la législation pénale et le régime de sanctions, même en matière fiscale, relèvent de la competence des Etats membres, le droit communautaire pose des limites au cas ou la législation nationale est susceptible d'avoir un impact sur la neutralité des impositions intérieures au regard des échanges intracommunautaires telle que voulue par l'article 95 du traité, ainsi que sur le bon fonctionnement du système commun de la TVA tel que résultant des directives communautaires.

18. Comme la Cour l'a déjà jugé dans un autre contexte, celui de la libre circulation des personnes, un système de sanctions ne saurait avoir pour effet de compromettre les libertés prévues par le traité. Tel serait le cas si une sanction était si disproportionnée à la gravité de l'infraction qu'elle deviendrait une entrave à la liberté garantie par le droit communautaire (voir arrêt du 3 juillet 1980, Stanislaus Pieck, 157-79, Rec. p. 2171).

19. Par conséquent, il y a lieu d'examiner, sous ce point de vue, la compatibilité avec le traité d'un double système de sanctions aux infractions à la TVA du type de celui prévu par la législation italienne.

20. Le requerrant au principal fait valoir que le non-paiement de la TVA doit être considéré comme une même infraction, qu'il intervienne à l'importation ou dans les échanges internes, et que, partant, une différenciation du niveau des sanctions serait contraire au droit communautaire. La commission défend un point de vue comparable, en soutenant qu'une législation nationale qui aboutit à réprimer systématiquement le non-paiement de la TVA à l'importation par des sanctions plus sévères que celles appliquées en cas de non-paiement de la TVA sur les livraisons effectuées à l'intérieur du pays serait incompatible avec l'article 95 du traité.

21. Le Gouvernement italien, en revanche, considère que les deux catégories d'infractions ne sont comparables ni du point de vue des éléments constitutifs des infractions ni quant aux textes qui leur sont applicables. Sur le dernier point, ce gouvernement attire l'attention sur l'article 10, paragraphe 3, de la sixième directive (précitée), selon lequel les dispositions relatives aux droits de douane peuvent s'appliquer en ce qui concerne le fait générateur et l'exigibilité de la TVA à l'importation; la directive reconnaîtrait ainsi la justification d'un régime de TVA à l'importation aligné sur celui des droits de douane. Quant aux éléments constitutifs de l'infraction, le gouvernement fait valoir que les infractions à la TVA à l'importation consistent à faire entrer un bien à l'intérieur du pays sans payer la taxe, alors que les infractions à la TVA à l'intérieur ne peuvent être commises que par des assujettis qui sont soumis à un ensemble d'obligations relatives à la tenue d'une comptabilité, la facturation, la déclaration, etc.

22. Il y a lieu de constater à cet égard que les deux catégories d'infraction en cause se distinguent par différentes circonstances qui concernent aussi bien les éléments constitutifs de l'infraction que la plus ou moins grande facilité à la découvrir. En effet, la TVA à l'importation est perçue à l'occasion de la simple entrée physique du bien sur le territoire de l'Etat membre concerné, plutôt qu'à celle d'une transaction. Ces différences impliquent notamment que les Etats membres ne sont pas obligés de prévoir un régime identique pour les deux catégories d'infraction.

23. Toutefois, lesdites différences ne sauraient justifier un écart manifestement disproportionné dans la sévérité des sanctions prévues pour les deux catégories d'infraction. Une telle disproportion existe lorsque la sanction prévue en cas d'importation comporté, en règle générale, des peines d'emprisonnement et la confiscation de la marchandise en vertu des règles prévues pour la répression de la contrebande alors que des sanctions comparables ne sont pas prévues, ou pas appliquées de façon générale, en cas d'infraction a la TVA afférente aux transactions internes. Une telle situation pourrait effectivement avoir pour effet de compromettre la liberté de faire circuler les marchandises à l'intérieur de la communauté, et serait ainsi incompatible avec l'article 95 du traité.

24. En effet, comme la Cour l'a considéré dans son arrêt du 5 mai 1982 (Gaston Schul, 15-81, Rec. p. 1409), l'interprétation de l'article 95 doit tenir compte des finalités du traité telles qu'énoncées aux articles 2 et 3, parmi lesquels figure, en premier lieu, l'établissement d'un marché commun dans lequel toutes les entraves aux échanges seront éliminées en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant les conditions aussi proches que possible de celles d'un véritable marché intérieur. La Cour a ajouté qu'il importé que les avantages de ce marché soient également assurés, en dehors du commerce professionnel, aux particuliers qui réalisent des opérations économiques au-delà des frontières nationales.

25. Dès lors, il y a lieu de répondre à la troisième question qu'une législation nationale qui sanctionne plus sévèrement les infractions à la TVA à l'importation que celles à la TVA afférente aux cessions de biens à l'intérieur du pays est incompatible avec l'article 95 du traité dans la mesure ou cette différence est disproportionnée par rapport à la dissimilitude des deux catégories d'infraction.

Sur les dépens

26. Les frais exposes par le Gouvernement de la République italienne et par la commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations a la cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

La Cour (sixième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par la Corte d'Appello de Genes, par ordonnance du 12 novembre 1986, dit pour droit :

1°) l'article 95 du traité doit être interprété dans le sens que, au cas de l'importation d'un bien d'un autre Etat membre par un particulier, qui n'a donné lieu ni à un dégrèvement à l'exportation ni à une franchise fiscale dans l'Etat membre d'importation, l'application de la TVA à l'importation doit prendre en considération la part résiduelle de la TVA acquittée dans l'Etat membre d'exportation et encore incorporée dans la valeur du bien au moment de l'importation, de manière que le montant de cette part résiduelle ne fasse pas partie de la base d'imposition et soit déduit de la TVA due à l'importation.

2°) une législation nationale qui sanctionne plus sévèrement les infractions à la TVA à l'importation que celles à la TVA afférente aux cessions de biens à l'intérieur du pays est incompatible avec l'article 95 du traité dans la mesure ou cette différence est disproportionnée par rapport à la dissimilitude des deux catégories d'infraction.