CJCE, 10 novembre 1982, n° 261-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Walter Rau Lebensmittelwerke
Défendeur :
De Smedt PVBA
LA COUR,
1. Par ordonnance du 16 septembre 1981, parvenue à la Cour le 25 septembre 1981, le Landgericht Hamburg a posé, en vertu de l'article 177 du traité, une question préjudicielle relative a l'interprétation de l'article 30 du traité en vue d'être mis en mesure d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire d'une prescription de la législation belge relative à la forme de l'emballage de la margarine mise dans le commerce de détail (arrêté Royal du 2. 10. 1980, Moniteur Belge du 14. 10. 1980, p. 11845).
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige concernant un contrat de fourniture de margarine qui oppose un vendeur allemand à un acheteur belge. Selon ce contrat, conclu le 23 juillet 1980, le vendeur garantissait que la margarine livrée par lui et emballée en pots de plastique en forme de tronc de cône, pouvait être commercialisée en Belgique en vertu des dispositions communautaires. A l'époque de la signature du contrat, la législation applicable en Belgique prévoyait que la margarine ne pouvait être importée ou détenue pour la vente que sous forme de masse cubique, condition non satisfaite par la marchandise en cause.
3. Cette législation a été remplacée par l'arrêté royal du 2 octobre 1980 qui interdit la mise dans le commerce de détail de la margarine lorsque la masse ou l'emballage extérieur de la motte individuelle n'a pas la forme cubique.
4. Informée par les autorités compétentes que la commercialisation de la margarine conditionnée en pots en forme de tronc de cône restait interdite, la société défenderesse au principal a refuse d'accepter les livraisons prévues par le contrat. La partie demanderesse n'acceptant pas ce refus l'a assignée devant le Landgericht Hamburg.
5. La défenderesse a fait valoir devant le tribunal que l'arrêté royal belge selon lequel la margarine ne peut être commercialisée que sous un emballage de forme cubique ne serait pas contraire a l'article 30 du traité CEE au motif que la Belgique aurait pu prendre cet arrêté parce qu'il s'agissait de différencier correctement le beurre de la margarine vendus dans le commerce de détail. Elle estime qu'elle ne serait donc pas tenue de remplir les obligations concernant la réception et le paiement de la margarine commandée qui découlent pour elle du contrat conclu avec la requérante.
6. Le landgericht Hamburg n'estime pas exclu que la réglementation belge, applicable au seul commerce de détail, dissimule une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation. Il considère qu'une telle réglementation peut rendre plus difficile la commercialisation de la margarine conditionnée légalement dans un autre Etat membre dans des récipients de forme tronconique.
7. En conséquence, dans son ordonnance du 16 septembre 1981, le Landgericht Hamburg a sursis à statuer et a pose à la Cour la question suivante:
'Est-on en présence d'une mesure équivalant a une restriction quantitative prohibée au sens de l'article 30 du traité instituant la Communauté économique européenne lorsque, comme dans l'article 8 de l'arrêté royal belge du 2 octobre 1980 relatif à la fabrication et à la mise dans le commerce de la margarine et de graisses comestibles, il est interdit de mettre dans le commerce la margarine ou des graisses comestibles des lors que la masse ou l'emballage extérieur de la motte individuelle n'a pas la forme cubique et lorsque cela entraîne comme conséquence que la margarine conditionnée sous une forme différente aux dispositions nationales qui y sont en vigueur, doit être spécialement conditionnée sous une forme cubique pour l'importation dans le royaume de Belgique?'
Sur la compétence de la Cour
8. Le Gouvernement belge indique que l'importation de la margarine en Belgique par la défenderesse au principal ferait déjà l'objet de poursuites pénales en Belgique, et que la Cour devrait, en conséquence, se poser la question de savoir si le litige qui est a l'origine de la question préjudicielle est un litige réel. A cet égard, le Gouvernement belge rappelle l'arrêt de la Cour du 16 décembre 1981 (Foglia, affaire 244-80, Recueil p. 3045).
9. Dans le cas d'espèce, les éléments du dossier ne permettent pas de mettre en doute le caractère réel du litige. Il n'y a donc pas lieu de conclure à l'incompétence de la Cour.
Sur le fond
10. La question posée par le Landgericht vise à savoir si l'application, dans un Etat membre, à la margarine importée d'un autre Etat membre, d'une législation qui n'admet la commercialisation de ce produit au niveau de la vente au détail que sous forme d'un conditionnement détermine- en l'occurrence en masse ou emballage cubique - constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30.
11. La partie défenderesse au principal et le Gouvernement belge soutiennent que l'arrêté Royal belge ne peut être qualifié de mesure équivalant à une restriction quantitative. Les précédents arrêts de la Cour n'auraient concerné que des interdictions d'importer et de commercialiser résultant de la législation nationale relative à la qualité des produits, ce qui n'était pas le cas en l'espèce puisqu'il suffisait d'adapter la présentation du produit pour le commercialiser. Au surplus, la forme d'emballage ne constituerait pas une entrave réelle au commerce. De toute façon, même si le commerce de détail était interdit, d'autres possibilités telles que le commerce de gros seraient ouvertes.
12. A ce propos, il faut rappeler, ainsi que la Cour l'a constate itérativement depuis son arrêt du 20 février 1979 (Rewe, affaire 120-78, Recueil p. 649), qu'en l'absence d'une réglementation commune de la commercialisation des produits dont il s'agit, les obstacles a la libre circulation intracommunautaire résultant de disparités des réglementations nationales doivent être acceptés dans la mesure ou une telle réglementation, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences imperatives tenant, entre autres, à la défense des consommateurs. Encore faut-il qu'une telle réglementation soit proportionnée à l'objet visé. Si un Etat membre dispose d'un choix entre différentes mesures aptes à atteindre le même but, il lui incombe de choisir le moyen qui apporte le moins d'obstacles à la liberté des échanges.
13. S'il est vrai que l'extension, aux produits importés, d'une obligation d'utiliser une certaine forme d'emballage n'exclut pas de façon absolue l'importation dans l'Etat membre concerné de produits originaires d'autres Etats membres, il n'en reste pas moins qu'elle est de nature à rendre leur commercialisation plus difficile ou plus onéreuse, soit en fermant à ces produits certains circuits de distribution, soit encore en raison des frais supplémentaires occasionnés par la nécessité de conditionner les produits en cause dans des emballages spéciaux, conformes aux exigences prévalant sur le marche de leur destination.
14. Dans le cas d'espèce, l'effet protecteur de la réglementation belge est d'ailleurs démontre par le fait, affirmé par la Commission et non contesté par le Gouvernement belge, que, malgré des prix sensiblement plus élevés que dans certains autres Etats membres, il n'existe pratiquement aucune margarine d'origine étrangère sur le marche belge.
15. On ne saurait donc prétendre que l'exigence d'un conditionnement spécial du produit ne constituerait pas un obstacle à la commercialisation.
16. En outre, le Gouvernement belge fait valoir que l'exigence de la forme cubique serait nécessaire pour la protection du consommateur, afin d'éviter la confusion entre le beurre et la margarine. Il expose que la forme cubique utilisée pour la vente de la margarine serait 'ancrée' dans les habitudes des consommateurs belges et constituerait des lors une protection efficace à cet égard.
17. On ne saurait contester, dans son principe, la justification de mesures législatives destinées à éviter la confusion, aux yeux du consommateur, entre le beurre et la margarine. Toutefois, l'application, par un Etat membre, à la margarine légalement produite et commercialisée dans un autre Etat membre, de dispositions législatives qui prévoient impérativement, pour ce produit, un type d'emballage déterminé, comme la forme cubique, a l'exclusion de toute autre forme de conditionnement, dépasse notablement les nécessités de l'objectif visé. En effet, la protection des consommateurs peut être assurée de manière aussi efficace par d'autres mesures qui apportent moins d'obstacles à la liberté des échanges, telles que les prescriptions relatives à l'étiquetage.
18. A l'audience, le représentant du Gouvernement belge a également présenté l'argument selon lequel la Belgique était liée par l'article 11, paragraphe 2, de la directive 79-112 du Conseil, du 17 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard (JO 1979, L 33). Cette disposition de droit communautaire réglementerait le mode d'inscription sur le paquet de margarine et de beurre et empêcherait le Gouvernement belge de prescrire une inscription suffisamment grande pour avertir le public d'une modification touchant ses habitudes.
19. L'article en question prévoit que les mentions qui doivent figurer sur l'emballage " sont facilement compréhensibles et inscrites à un endroit apparent et de manière a être facilement visibles, clairement lisibles et indélébiles ". Cette disposition autorise et oblige les Etats membres à prendre les mesures nécessaires pour l'information du consommateur, tout en leur laissant une marge de discrétion considérable. La disposition n'a nullement pour effet d'empêcher le Gouvernement belge d'édicter des normes d'étiquetage adéquates applicables de façon uniforme aux margarines produites en Belgique et à celles produites dans d'autres Etats membres.
20. Il y a donc lieu de répondre à la question posée que l'application, dans un Etat membre, a la margarine importée d'un autre Etat membre et légalement produite et commercialisée dans cet état, d'une législation interdisant de mettre dans le commerce la margarine ou des graisses comestibles des lors que la masse ou l'emballage extérieur de la motte individuelle n'a pas une forme déterminée, telle que la forme cubique, dans des circonstances ou la protection et l'information du consommateur peuvent être assurées par des moyens qui apportent moins d'obstacles à la liberté des échanges, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité.
Sur les dépens
21. Les frais exposés par le Gouvernement belge et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question a elle soumise par le Landgericht Hamburg, par ordonnance du 16 septembre 1981, dit pour droit:
L'application, dans un Etat membre, a la margarine importée d'un autre Etat membre et légalement produite et commercialisée dans cet état, d'une législation interdisant de mettre dans le commerce la margarine ou des graisses comestibles des lors que la masse ou l'emballage extérieur de la motte individuelle n'a pas une forme déterminée, telle que la forme cubique, dans des circonstances ou la protection et l'information du consommateur peuvent être assurées par des moyens qui apportent moins d'obstacles à la liberté des échanges, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité.