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Décisions

CJCE, 3e ch., 13 décembre 1984, n° 251-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Eberhard Haug-Adrion

Défendeur :

Frankfurter Versicherungs-AG

CJCE n° 251-83

13 décembre 1984

LA COUR,

1. Par ordonnance du 26 octobre 1983, parvenue au greffe de la Cour le 10 novembre 1983, complétée par une seconde ordonnance du 14 novembre 1983, enregistrée au greffe de la Cour le 21 novembre 1983, l'amtsgericht aachen a posé, en vertu de l'article 177 du traité, une question préjudicielle relative à l'interprétation des dispositions pertinentes du droit communautaire en vue d'être mis en mesure d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire d'un régime d'assurance excluant qu'un bonus de bon conducteur soit accordé aux assurés, propriétaires d'un véhicule immatriculé sous plaques de douane.

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Haug-Adrion, ressortissant de nationalité allemande, fonctionnaire des Communautes européennes, en service à la Commission et résidant à Bruxelles, à la compagnie d'assurances Frankfurter Versicherungs-AG, dont le siège est à Francfort.

3. En 1981, M. Haug-Adrion, requérant au principal, a acheté une automobile en République fédérale d'Allemagne où celle-ci a été immatriculée sous 'plaques de douane', l'intéressé ayant l'intention de l'exporter en Belgique. L'assurance responsabilité civile requise pour l'immatriculation de ce véhicule a été délivrée à M. Haug-Adrion par la Frankfurter Versicherungs-AG qui applique, pour l'assurance des véhicules immatriculés sous plaques de douane, et par dérogation à sa tarification habituelle, un tarif qui ne tient pas compte, pour le calcul de la prime d'assurance, de la qualité de la conduite de l'assuré au cours des années écoulées.

4. Il ressort du dossier au principal que M. Haug-Adrion avait droit à un bonus de bon conducteur au taux maximal, dans le cadre de la catégorie précédente de contrat qui le liait à la Frankfurter Versicherungs-AG. M. Haug-Adrion a ainsi demandé que le bonus de bon conducteur, qu'il avait acquis à l'occasion de son précédent contrat d'assurance, soit transféré sur son nouveau contrat d'immatriculation sous plaques de douane.

5. S'étant heurté à un refus de la compagnie d'assurances, il a demandé à la juridiction nationale la restitution de la partie de la prime d'assurance qu'il n'aurait pas eu à payer si ce bonus avait été transféré, soit une somme de l'ordre de 100 DM.

6. L'amtsgericht aachen a tout d'abord décidé, par ordonnance du 26 octobre 1983, de demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur la question suivante, telle qu'elle avait été formulée par le demandeur au principal :

'Est-il compatible avec le traité CEE et d'autres dispositions du droit communautaire que des conditions d'assurance officiellement agréées régissant l'assurance responsabilité civile obligatoire des véhicules automobiles dans un Etat membre excluent systématiquement les assurés résidant dans un autre Etat membre de la Communauté des réductions tarifaires accordées à titre individuel aux résidents de l'Etat membre premier cité?'

7. Par une seconde ordonnance en date du 14 novembre 1983, qui doit être regardée comme s'étant substituée à la précédente, le même tribunal a reformulé comme suit la question préjudicielle :

'Est-il compatible avec le traité CEE et d'autres dispositions du droit communautaire qu'un bonus de bon conducteur ne soit pas accordé aux assurés qui résident dans un autre Etat membre et sont propriétaires d'un véhicule immatriculé sous plaques de douane?'

Sur la compétence de la Cour :

8. Selon la compagnie d'assurance, défenderesse au principal, la question préjudicielle ainsi posée serait "irrecevable", car formulée d'une manière si générale qu'il ne serait pas possible à la Cour d'y répondre en interprétant le traité. La juridiction nationale n'ayant cité aucune disposition de droit communautaire qu'elle souhaiterait voir interpréter, ni exposé dans quelle mesure une telle disposition pourrait revêtir une quelconque importance pour sa décision, il s'agirait, dès lors, d'une véritable demande de consultation juridique adressée à la Cour.

9. Ainsi que la Cour l'a déjà plusieurs fois jugé, s'il est indispensable que les juridictions nationales expliquent les raisons pour lesquelles elles considèrent qu'une réponse à leurs questions est nécessaire à la solution du litige au principal et définissent le cadre juridique dans lequel l'interprétation demandée doit se placer, il reste réservé à la Cour, en présence de questions formulées de manière imprécise, d'extraire de l'ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale et du dossier du litige au principal les éléments de droit communautaire qui appellent une interprétation, compte tenu de l'objet du litige.

10. En l'espèce, il ressort sans équivoque du dossier du litige au principal que le requérant au principal a fait état d'une éventuelle incompatibilité, avec les articles 7 et 65 du traité, des stipulations relatives à l'octroi du bonus prévues par les conditions générales d'assurance proposées par la compagnie défenderesse au principal, en ce qu'elles l'excluraient, en raison de sa qualité de résident à l'étranger, du bénéfice des réductions tarifaires accordées à titre individuel.

11. Il en résulte que l'objet de la question préjudicielle est suffisamment identifiable et que les objections soulevées à cet égard par la défenderesse au principal ne peuvent être retenues.

Sur la réponse à apporter à la question préjudicielle :

12. Par la question posée à la Cour, la juridiction nationale vise, en substance, à savoir si le principe fondamental de non-discrimination en raison de la nationalité, énoncé à l'article 7 du traité, précisé en matière de libre prestation de services par les articles 59 et 65 qui interdisent toute restriction fondée sur des considérations tirées de la nationalité ou de la résidence, doit être interprété comme s'opposant à des stipulations contractuelles du type de celles qui sont prévues par les conditions générales d'assurance proposées par la défenderesse au principal.

13. Comme suite aux observations présentées devant la Cour, la question de la juridiction nationale doit être regardée comme portant également sur le point de savoir si le refus de bonus opposé au requérant au principal n'était pas contraire, d'une part, à l'article 48 du traité qui interdit toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail et, d'autre part, aux articles 30 et 34 du traité, relatifs à l'élimination des restrictions quantitatives dans le commerce entre les Etats membres.

14. S'agissant, en premier lieu, tant du principe général de non-discrimination énoncé à l'article 7, que des règles posées par les articles 48, 59 et 65, qui en font application, il convient de relever que ces dispositions visent à éliminer toutes les mesures qui, dans les domaines respectifs de la libre-circulation des travailleurs et de la libre prestation de services, imposent à un ressortissant d'un autre Etat membre un traitement plus rigoureux, ou le placent dans une situation de droit ou de fait désavantageuse, par rapport à la situation faite, dans les mêmes circonstances, à un national.

15. Pour établir la méconnaissance des dispositions du droit communautaire qu'il a invoquées, le requérant au principal s'est borné à affirmer l'existence d'une discrimination résultant du fait que le refus de bonus opposé en République fédérale d'Allemagne aux assurés qui possèdent un véhicule immatriculé sous plaques de douane concernerait principalement des ressortissants des pays membres autres que la République fédérale d'Allemagne ou des personnes qui ne résident pas en République fédérale d'Allemagne.

16. Cette argumentation ne saurait être retenue dans le cas de conditions générales tarifaires du type de celles qui font l'objet du litige au principal. En effet, ces conditions de tarification ne prennent aucunement en considération la nationalité ou le lieu de résidence de l'assuré mais sont exclusivement fondées sur des données objectives relatives à la technique même de l'assurance et sur le critère objectif de l'immatriculation sous plaques de douane.

17. Même si une telle immatriculation peut concerner essentiellement des ressortissants autres que ceux de l'Etat membre en cause, il convient de relever que l'exclusion du bonus pour les véhicules ainsi immatriculés est également susceptible d'affecter, indépendamment de toute considération de nationalité, soit les nationaux de l'Etat membre en question qui y résident et ont acquis un véhicule destiné à être exporté, soit les nationaux de cet Etat membre qui résident dans un autre Etat membre et désirent exporter dans l'Etat membre de résidence un véhicule acheté dans l'Etat membre dont ils sont ressortissants. Tel est d'ailleurs le cas du requérant au principal.

18. Il convient donc de déduire de ce qui précède que le principe de non-discrimination, édicté par les articles 7, 48, 59 et 65 du traité, ne fait pas obstacle à l'application de conditions de tarification de contrats d'assurance du type de celles faisant l'objet du litige au principal.

19. S'agissant, en second lieu, des dispositions invoquées relatives à la libre-circulation des marchandises, en l'occurrence l'article 34 du traité, qui interdit les restrictions quantitatives à l'exportation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, le requérant au principal soutient que ces dispositions s'opposeraient à ce qu'une discrimination fût opérée entre des régimes d'assurances de véhicules selon que ces derniers stationnent habituellement en République fédérale d'Allemagne ou dans d'autres Etats membres.

20. Il convient d'observer à cet égard que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l'article 34 ne vise que les mesures nationales ayant pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un Etat membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marche intérieur de l'Etat intéressé.

21. Tel n'est pas le cas d'une réglementation nationale du type de celle qui est en cause dans le litige au principal, laquelle se borne à autoriser les compagnies d'assurance à prendre en compte dans leurs clauses tarifaires les conditions d'utilisation particulières des véhicules qui augmentent ou diminuent le risque d'assurance, comme c'est notamment le cas pour l'utilisation des véhicules immatriculés sous plaques de douane.

22. En effet, outre qu'une réglementation de ce type édictée par un Etat membre n'interdit en aucune manière aux assureurs de cet Etat membre d'accorder un bonus pour les véhicules immatriculés sous plaques de douane, rien ne permet de penser qu'une clause tarifaire, comme celle qui fait l'objet du litige au principal, s'inscrivant dans un tel cadre réglementaire soit de nature à assurer un avantage quelconque à la production nationale ou au marché intérieur de l'Etat membre concerné.

23. Il convient, par suite, de répondre à la question posée par la juridiction nationale qu'aucune disposition de droit communautaire ne s'oppose à ce qu'un bonus de bon conducteur soit refusé aux assurés qui résident dans un autre Etat membre et sont propriétaires d'un véhicule immatriculé sous plaques de douane, dès lors que ce refus s'opère sur le seul fondement de critères objectifs tenant à la technique même de l'assurance et appliqués de façon non discriminatoire.

Sur les dépens :

24. Les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et par la Commission des Communautés européennes qui ont soumis des observations à la Cour ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par l'amtsgericht aachen, par ordonnance du 14 novembre 1983, dit pour droit :

Aucune disposition de droit communautaire ne s'oppose à ce qu'un bonus de bon conducteur soit refusé aux assurés qui résident dans un autre Etat membre et sont propriétaires d'un véhicule immatriculé sous plaques de douane, dès lors que ce refus s'opère sur le seul fondement de critères objectifs tenant à la technique même de l'assurance et appliqués de façon non-discriminatoire.