CJCE, 4 mars 1982, n° 42-82 R
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes, République italienne
Défendeur :
République française
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 5 février 1982, la Commission a introduit, en vertu de l'article 186 du traité CEE et de l'article 83 du règlement de procédure, une demande de mesures provisoires visant à faire prescrire à la République française de prendre les mesures provisoires nécessaires pour assurer pendant la durée de l'affaire principale la libre circulation des produits viti-vinicoles.
2. Cette demande se réfère à un recours introduit par la Commission contre la République française au titre de l'article 169 du traité CEE par requête déposée le 4 février 1982 et visant à faire déclarer que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la réglementation communautaire viti-vinicole et de l'article 30 du traité CEE en soumettant les opérations de dédouanement, c'est-à-dire de mise à la consommation, des vins de table italiens à un délai dépassant considérablement le temps nécessaire à la réalisation des opérations matérielles admissibles et en subordonnant la mise à la consommation à une analyse systématique, en ayant omis d'ouvrir rapidement la procédure de régularisation des transports d'un certain nombre de lots de vin italien dès que les documents d'accompagnement ont été présentés à ses postes-frontière, en ayant subordonné dans de nombreux cas la régularisation du transport des vins italiens bloqués à des postes-frontière à la transmission, par les autorités italiennes, des documents et des pièces sur lesquels ces autorités fondent leur attestation, et en ayant retardé la mise à la consommation, même dans des cas régularisés.
3. Le recours principal a été introduit à la suite de deux avis motivés, adressés par la Commission au Gouvernement français les 2 et 9 octobre 1981, après que des retards considérables se furent produits dans la mise à la consommation de vins importés en France en provenance de l'Italie pendant l'été 1981 et que des quantités importantes de vin italien eurent été bloquées à différents postes-frontière. Ces avis motivés visent, d'une part, les analyses systématiques effectuées par les autorités françaises sur les vins importés en provenance d'Italie qui seraient en rapport avec des mesures d'autolimitation prises par certains importateurs en France et, d'autre part, les pratiques des autorités françaises en relation avec certaines irrégularités dans les documents d'accompagnement pour des transports de vin italien présentés à la frontière.
4. Par les mesures provisoires qu'elle demande à la Cour d'ordonner, la Commission vise la suspension, pendant la durée de la procédure principale, des pratiques nationales susmentionnées. D'une part, elle demande que les analyses systématiques sur les vins à la frontière soient immédiatement suspendues et remplacées par des contrôles par sondage, repartis, à chaque poste-frontière, entre tous les importateurs en proportion du nombre des lots présentés par chacun d'eux pour l'importation, et que les analyses éventuelles soient achevées au plus tard dans un délai de quinze jours. D'autre part, elle demande d'enjoindre aux autorités françaises de procéder immédiatement à la mise à la consommation de tous les lots de produits viti-vinicoles présentés pour l'importation, la mise à la consommation ne pouvant être retardée, en cas de documents d'accompagnement qui ne sont pas régulièrement établis, que pendant le temps strictement nécessaire à la régularisation des documents, sauf s'il existe des soupçons motivés de fraude quant à l'origine des produits ou à leur conformité aux dispositions communautaires en matière de composition ou de pratiques oenologiques.
5. Selon l'article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, la décision ordonnant des mesures provisoires est subordonnée à l'existence de circonstances établissant l'urgence et les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi d'une telle mesure.
6. Il y a donc lieu d'examiner si ces conditions sont réalisées en l'espèce.
7. Selon la Commission et le Gouvernement italien, les analyses litigieuses ainsi que les modalités du contrôle des documents d'accompagnement viseraient en réalité à empêcher ou à restreindre les importations de vins en provenance d'Italie. Ces mesures seraient prises dans le cadre d'un engagement d'autolimitation décidé par certains importateurs français que les pouvoirs publics français auraient entrepris de soutenir en soumettant les importations effectuées par d'autres importateurs à des délais de pénalisation.
8. Le Gouvernement français, quant à lui, soutient qu'en contrôlant la régularité des documents d'accompagnement et en effectuant des contrôles de qualité, il ne fait que remplir l'obligation que lui imposent la réglementation communautaire en la matière et la protection de la santé publique. Il se réfère dans ce contexte à des cas où des vins importés d'Italie auraient été pollués.
9. Il y a lieu d'observer que, durant des années, les formalités à accomplir avant la mise à la consommation des vins importés en provenance d'Italie n'ont pas donné lieu à des difficultés particulières. Ce n'est qu'après des manifestations violentes contre des importations de vin italien qui se sont produites pendant l'été 1981 que les contrôles ont été renforcés par l'effet des pratiques litigieuses et que des quantités importantes de vin ont été bloquées à la frontière.
10. Les autorités françaises n'ont procédé à la libération des transports bloqués pour motif d'irrégularité des documents d'accompagnement à la frontière, en automne 1981, qu'après un arrangement avec le Gouvernement italien, prévoyant notamment la libération du vin bloqué dans les deux mois ainsi que l'intervention des deux Gouvernements intéressés auprès de la Commission pour que ce déblocage soit accompagné d'aides communautaires à des contrats de stockage. Cette libération des transports concernés n'a été effectuée que selon des modalités et dans des délais prévus par cet arrangement.
11. A la suite de l'avis motivé que la Commission lui avait adressé, le Gouvernement français avait annoncé à la Commission qu'il se contenterait désormais d'analyses effectuées par sondage à raison d'une opération sur dix. A ce moment, le Gouvernement français avait connaissance des cas de pollution de vin et des infractions aux règles qu'il aurait constatés entre mars et juillet 1981, et auxquels il se réfère afin de justifier la nécessité d'un contrôle renforcé. Le Gouvernement français n'a apporté aucun élément susceptible d'établir qu'un changement de situation était intervenu depuis ce moment, en ce qui concerne les risques pour la santé pouvant résulter d'importations de vins italiens, justifiant d'effectuer des analyses désormais dans trois cas sur quatre.
12. Sous la date du 2 février 1982, le Gouvernement français a adressé à la Commission une communication comprenant, entre autres, le passage suivant : " une vive inquiétude est née dans les milieux vini-viticoles du Midi à la suite de la forte progression des importations de vin en provenance d'Italie au cours du mois de janvier 1982 à des prix nettement inférieurs à ceux du marché. En conséquence, le Gouvernement a pris dès le 30 janvier les dispositions nécessaires pour que des analyses de qualité plus nombreuses soient effectuées par les services administratifs compétents avant la mise sur le marché. Contrairement à ce qui a été indiqué par certains organes de presse, les importations n'ont pas été arrêtées mais ralenties en vue de revenir à un rythme normal ".
13. Les circonstances dans lesquelles les pratiques litigieuses ont été adoptées par les autorités françaises ainsi que l'existence de l'arrangement intervenu en octobre 1981 entre les Gouvernements français et italien, prévoyant une libération échelonnée et subordonnée à certaines conditions des transports arrêtés à la frontière, et enfin l'explication, ci-dessus rappelée, donnée à la Commission au sujet des analyses par des instances du Gouvernement français, constituent, à première vue, des indices sérieux à l'appui de l'allégation de la Commission que les pratiques reprochées au Gouvernement français ont été poursuivies par celui-ci en janvier 1982 en vue de restreindre le volume des importations.
14. Il en résulte que, compte tenu des moyens de fait et de droit invoqués à l'appui du recours principal, l'octroi des mesures provisoires apparaît, à première vue, comme justifié.
15. Il y a lieu ensuite d'examiner, conformément à l'article 186 du traité, si des mesures provisoires sont nécessaires, c'est-à-dire s'il y a urgence à ordonner de telles mesures en vue d'éviter durant la procédure principale des dommages graves et irréparables résultant, en l'absence de mesures provisoires, de la continuation des pratiques litigieuses.
16. A ce sujet, il convient de constater que les pratiques litigieuses ont pour effet non seulement de prolonger la durée des procédures administratives précédant la mise à la consommation, mais aussi de restreindre le volume du vin dont la mise à la consommation est possible et d'exclure ainsi du marché français une partie importante de la production italienne qui, en l'absence de ces mêmes pratiques, pourrait être écoulée sur ce marché.
17. Il n'a pas été contesté, au cours de la procédure en référé, qu'une quantité considérable de vins italiens demeure actuellement bloquée à la frontière française en raison des pratiques litigieuses. Il est donc urgent de remédier à cette situation afin d'éviter des préjudices graves et irréparables.
18. Le Gouvernement français objecte que l'octroi de mesures provisoires risquerait, à son tour, de provoquer un préjudice grave et irréparable. En l'absence de contrôles de qualité, il y aurait un risque important pour la santé publique car, une fois mis à la consommation, il serait souvent impossible de retrouver la trace des vins importés, non-conformes aux dispositions communautaires en la matière et aux exigences de la protection de la santé publique. Le Gouvernement français souligne à cet effet les risques particuliers qui seraient créés notamment par les moyens de transport maritimes du vin en vrac.
19. Il est vrai que la Cour ne saurait ordonner des mesures provisoires dont résulterait une violation de la réglementation communautaire ou un risque pour la santé publique. Tel n'est cependant pas le cas de mesures provisoires qui visent non à empêcher des contrôles nécessaires à ces fins, mais à assurer que les modalités de ces contrôles ne créent pas des préjudices injustifiés.
20. Au cours de la présente procédure, il a été question de difficultés économiques et politiques pouvant résulter d'une augmentation des importations de vin en provenance d'Italie ou d'un fonctionnement insatisfaisant de l'organisation commune du marché viti-vinicole. Toutefois, de telles difficultés ne sauraient justifier des mesures unilatérales de la part d'un Etat membre. Elles doivent, le cas échéant, trouver leur solution dans le cadre des procédures communautaires prévues à cet effet.
21. Il résulte de ce qui précède que les conditions auxquelles l'octroi de mesures provisoires est subordonné sont remplies en l'espèce et que, en attendant le prononcé de l'arrêt au principal, une suspension des pratiques litigieuses des autorités françaises est nécessaire au sens de l'article 186 du traité CEE.
22. En ce qui concerne les modalités des mesures à ordonner, il convient de rappeler que le Gouvernement français a estimé lui-même, en octobre 1981, qu'un contrôle par sondage à raison d'un lot sur dix environ serait suffisant pour parer à des risques éventuels, et qu'il n'a été apporté aucun élément susceptible d'établir que les bases de cette appréciation se seraient entre-temps modifiées. Il paraît donc approprié, en dehors de cas particuliers où des indices spécifiques peuvent justifier un soupçon de fraude, de limiter la fréquence des analyses avant la mise à la consommation des lots concernés. Compte tenu du caractère nécessairement provisoire de la mesure à ordonner et en vue de ne pas préjuger des éléments qui pourraient, dans un sens ou un autre, apparaître au cours de la procédure au fond, il y a lieu de limiter ces analyses à 15% au maximum des lots présentés à la frontière.
23. Une protection efficace de la santé publique ne nécessite pas, par ailleurs, que les lots de vin contrôlés avant leur mise à la consommation soient bloqués à la frontière. A cet égard, le Gouvernement français lui-même a considéré que les analyses nécessaires devraient normalement pouvoir être effectuées dans un délai de quinze jours, mais que des difficultés administratives peuvent éventuellement créer des retards. Il paraît donc approprié d'ordonner, comme mesure provisoire, que les analyses effectuées avant la mise à la consommation des lots concernés doivent être terminées dans un délai de 21 jours à partir de la présentation de ces lots et des documents à la frontière, sauf si des motifs particuliers justifient exceptionnellement des analyses spécifiques.
24. Pour ce qui est du contrôle des documents d'accompagnement, il n'a pas été contesté au cours de la présente procédure qu'il appartient aux autorités françaises de contrôler que tous les lots de vin présentés à la frontière sont munis de documents d'accompagnement appropriés et dûment remplis, émanant des services compétents italiens. Les difficultés et les obstacles créés par ce contrôle des documents doivent cependant être proportionnés au but recherché. Seules des irrégularités substantielles peuvent donc justifier un retard dans la mise à la consommation des lots concernés. Lorsque des irrégularités de cette nature sont constatées par les autorités françaises et qu'elles justifient, selon elles, le refus de la mise à la consommation, elles doivent en informer sans délai, avec la documentation nécessaire, les autorités italiennes afin de leur permettre d'apporter les vérifications ou précisions nécessaires. Tout lot dont le document d'accompagnement a été régularisé par les autorités italiennes doit immédiatement être mis à la consommation.
25. Compte tenu de l'obligation faite par l'article 155 du traité CEE à la Commission de veiller à l'application des dispositions prises par les institutions, en l'occurrence la présente ordonnance, il convient d'ordonner que, lorsque la mise à la consommation de quantités de vin en provenance d'Italie dépassant au total 50 000 hl est refusée durant une période dépassant 21 jours pour des motifs soit d'analyses, soit d'irrégularités des documents d'accompagnement, les autorités françaises devront informer la Commission des raisons d'un tel refus.
Par ces motifs,
Dispositif
LA COUR,
Statuant au provisoire,
Ordonne :
1°) en attendant l'arrêt au principal, la République française est tenue d'observer les limitations ci-après spécifiées en ce qui concerne les pratiques relatives à la mise à la consommation en France de vins importés en provenance d'Italie :
A) en dehors de cas particuliers où des indices spécifiques peuvent justifier un soupçon de fraude, la fréquence des analyses avant la mise à la consommation des lots concernés ne doit pas dépasser 15 % des lots présentés à la frontière.
B) la durée des analyses effectuées avant la mise à la consommation des lots concernés ne doit pas dépasser 21 jours à partir de la présentation de ces lots et des documents à la frontière, sauf si des motifs particuliers justifient exceptionnellement des analyses spécifiques.
C) la mise à la consommation des lots de vin ne peut être refusée pour des motifs d'irrégularité des documents d'accompagnement que s'il s'agit d'irrégularités substantielles.
D) lorsque des irrégularités substantielles sont constatées par les autorités françaises, elles doivent en informer sans délai, avec la documentation nécessaire, les autorités italiennes. Tout lot dont le document d'accompagnement a été régularisé par les autorités italiennes doit immédiatement être mis à la consommation.
2°) lorsque la mise à la consommation de quantités de vin en provenance d'Italie dépassant au total 50 000 hl est refusée durant une période dépassant 21 jours pour des motifs soit d'analyses, soit d'irrégularités des documents d'accompagnement, les autorités françaises devront informer la Commission des raisons d'un tel refus.
3°) les dépens sont réservés.