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Décisions

CJCE, 15 décembre 1982, n° 286-81

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Oosthoek's Uitgeversmaatschappij BV

CJCE n° 286-81

15 décembre 1982

LA COUR,

1. Par arrêt du 9 octobre 1981, parvenu à la Cour le 3 novembre 1981, le Gerechtshof d'Amsterdam a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 30 et 34 du traité CEE, en vue d'être mis en mesure d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire, de la législation néerlandaise visant à restreindre la liberté d'offrir et de donner des primes en nature dans le cadre de l'exercice d'une activité commerciale.

2. Cette question a été soulevée au cours d'une procédure ayant pour objet l'appel interjeté par la société néerlandaise Oosthoek's Uitgeversmaatschappij BV (ci-après Oosthoek) contre un jugement de l'Arrondissementsrechtbank d'Utrecht la condamnant à trois amendes de 85 florins chacune pour avoir commis une infraction à la Wet Beperking Cadeaustelsel 1977 (loi portant restriction au système des primes en nature).

3. L'article 2, paragraphe 1, de cette loi interdit d'offrir ou de donner en prime des produits dans le cadre de l'exercice d'une activité commerciale. Plusieurs exceptions et dérogations à cette interdiction sont toutefois prévues, notamment celle figurant à l'article 4, paragraphe 3, qui permet d'offrir ou de remettre un produit en prime si celui-ci est habituellement utilisé ou consommé à l'occasion de l'utilisation ou de la consommation de tous les produits pour l'achat desquels ledit produit est offert ou remis - critère habituellement désigné par le terme de rapport de consommation (Consumptieverwantschap)-, s'il est revêtu d'une marque, indélébile et apparente lors de l'usage normal, qui lui confère un caractère publicitaire évident, et si sa valeur n'excède pas 4 % du prix de vente de l'ensemble des produits pour l'achat desquels ledit produit est offert ou remis.

4. Oosthoek commercialise, aux Pays-Bas, en Belgique ainsi que dans une petite partie du Nord de la France, différentes encyclopédies en langue néerlandaise dont certaines sont composées et fabriquées aux Pays-Bas par Oosthoek et d'autres en Belgique par une société qui lui est affiliée. Depuis 1974, dans sa publicité au moyen d'annonces insérées dans des journaux et magazines, ainsi qu'au moyen de dépliants, Oosthoek offrait en prime un dictionnaire, un atlas universel ou une petite encyclopédie à tous les souscripteurs d'une encyclopédie. Apres l'entrée en vigueur de la Wet Beperking Cadeaustelsel 1977, des poursuites ont, en raison de cette pratique, été engagées contre Oosthoek aux Pays-Bas pour infraction aux dispositions de cette loi.

5. La même pratique est, selon Oosthoek, compatible avec les dispositions de la législation belge en la matière qui, tout en comportant également une interdiction de l'offre de primes en nature à des fins de promotion des ventes, assortie d'une exception similaire à celle de l'article 4, paragraphe 3, de la Wet Beperking Cadeaustelsel 1977, ne soumet pas l'application de cette exception au critère du rapport de consommation.

6. Le Gerechtshof d'Amsterdam, tout comme l'Arrondissementsrechtbank d'Utrecht dans le jugement dont il est fait appel dans la procédure au principal, a considéré qu'il n'y avait pas, entre les encyclopédies vendues et les livres offerts en prime, le rapport de consommation visé par l'article 4, paragraphe 3, de la Wet Beperking Cadeaustelsel, et que le système de promotion de vente pratiqué par Oosthoek constituait donc une infraction à cette loi. Toutefois, Oosthoek ayant invoqué l'incompatibilité de la Wet Beperking Cadeaustelsel de 1977 avec les articles 30 et 34 du traité CEE, le Gerechtshof d'Amsterdam a estimé nécessaire de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

'Est-il conforme au droit communautaire (en particulier au principe de la libre circulation des marchandises) que par suite des dispositions de la 'Wet Beperking Cadeaustelsel', un éditeur qui tente de promouvoir la vente de divers ouvrages de référence destinés à l'ensemble du territoire de langue néerlandaise et qui proviennent en partie des Pays-Bas et en partie de la Belgique, en offrant des primes sous forme de livres, soit obligé de cesser de pratiquer cette méthode de promotion des ventes aux Pays-Bas, alors qu'elle est autorisée en Belgique, pour la seule raison que la réglementation néerlandaise exige l'existence, entre la prime en nature et le produit qui forme la base de l'offre de prime, d'un rapport de consommation?'

7. Par cette question, le Gerechtshof d'Amsterdam vise en substance à savoir si les articles 30 et 34 du traité CEE s'opposent à l'application, par un Etat membre, aux produits en provenance ou à destination d'un autre Etat membre d'une législation nationale qui interdit d'offrir ou de remettre, aux fins de la promotion des ventes, des primes sous forme de livres aux acheteurs d'une encyclopédie, et exige, lorsqu'elle fait exception à cette interdiction, l'existence d'un rapport de consommation entre la prime en nature et le produit vendu.

8. Dans leurs observations, les Gouvernements néerlandais, allemand et danois font, à titre préliminaire, valoir qu'une législation nationale, comme celle de l'espèce, n'a aucune incidence particulière sur le commerce intracommunautaire et ne rentre pas dans le champ d'application des articles 30 et 34 du traité CEE.

9. A cet égard, il y a lieu de constater que l'application de la législation néerlandaise à la vente aux Pays-Bas d'encyclopédies produites aux Pays-Bas n'a effectivement aucun lien avec l'importation ou l'exportation des marchandises et ne relève donc pas du domaine des articles 30 et 34. Toutefois, dans le cas de la vente aux Pays-Bas d'encyclopédies produites en Belgique et de la vente dans d'autres Etats membres d'encyclopédies produites aux Pays-Bas, il s'agit de transactions du commerce intracommunautaire. A cet égard, compte tenu de la question posée par la juridiction nationale, il y a lieu d'apprécier si des dispositions du type de celle de la législation néerlandaise sont compatibles tant avec l'article 30 qu'avec l'article 34 du traité CEE.

10. Oosthoek soutient que la législation néerlandaise la contraint à adopter des systèmes différents de promotion de ses ventes dans les différents Etats membres constituant un même marché et lui occasionne des frais supplémentaires et d'autres inconvénients, rendant ainsi plus difficiles l'importation et l'exportation des encyclopédies en question. L'exigence d'un rapport de consommation ne serait justifiée ni par la protection des consommateurs ni par la sauvegarde des rapports de concurrence.

11. La Commission estime que si l'on ne saurait exclure qu'une telle mesure puisse entraver indirectement l'importation d'encyclopédies, elle ne serait cependant pas contraire à l'article 30 puisqu'elle s'appliquerait indistinctement à toutes les marchandises et serait justifiée par des objectifs de protection des consommateurs et d'organisation de l'économie.

12. En vue de répondre à la juridiction nationale, il y a lieu d'examiner séparément la question relative à l'exportation et la question relative à l'importation.

13. En ce qui concerne l'exportation, l'article 34 vise les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un Etat membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'Etat intéressé. Tel n'est manifestement pas le cas d'une législation comme celle de l'espèce pour ce qui est de la vente, dans d'autres Etats membres de la Communauté, d'encyclopédies produites aux Pays-Bas. Cette législation se limite à apporter certaines restrictions aux conditions de commercialisation à l'intérieur des Pays-Bas sans affecter la vente des marchandises destinées à l'exportation.

14. Quant aux restrictions à l'importation visées par l'article 30 du traité CEE, il faut rappeler, ainsi que la Cour l'a constaté itérativement depuis son arrêt du 20 février 1979 (Rewe, 120-78, Recueil p. 649), qu'en l'absence d'une réglementation commune de la commercialisation, les obstacles à la libre circulation intracommunautaire résultant de disparités des réglementations nationales doivent être acceptés dans la mesure ou une telle réglementation, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant, entre autres, à la défense des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales.

15. Une législation qui limite ou interdit certaines formes de publicité et certains moyens de promotion des ventes, bien qu'elle ne conditionne pas directement les importations, peut être de nature à restreindre le volume de celles-ci par le fait qu'elle affecte les possibilités de commercialisation pour les produits importés. On ne saurait exclure la possibilité que le fait, pour un opérateur concerné, d'être contraint soit d'adopter des systèmes différents de publicité ou de promotion des ventes en fonction des Etats membres concernés, soit d'abandonner un système qu'il juge particulièrement efficace, puisse constituer un obstacle aux importations même si une telle législation s'applique indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés.

16. Il y donc lieu d'examiner si une interdiction du système de vente avec primes en nature, tel qu'il résulte de la législation néerlandaise, peut être justifiée par des nécessités tenant à la défense des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales.

17. A cet égard, il ressort du dossier que la Wet Beperking Cadeaustsel 1977 poursuit un double objectif qui est, d'une part, d'éviter que les relations normales de concurrence ne soient perturbées par des entreprises qui proposent des produits à titre gratuit ou à très bas prix en vue de promouvoir la vente de leur propre assortiment et, d'autre part, d'assurer la protection des consommateurs par la réalisation d'une plus grande transparence du marché.

18. On ne saurait méconnaître que l'offre de primes en nature comme moyen de promotion des ventes peut induire en erreur les consommateurs sur les prix réels des produits et fausser les conditions d'une concurrence basée sur la compétitivité. Une législation qui, pour cette raison, restreint ou même interdit de telles pratiques commerciales est donc de nature à contribuer à la protection des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales.

19. Dans le cadre d'une telle législation, la question posée par la juridiction nationale vise en particulier le critère de l'existence d'un rapport de consommation, critère qui sert en l'espèce à délimiter le champ d'application d'une des exceptions assouplissant l'interdiction de principe des primes en nature.

20. Même si un tel critère n'a pas été retenu par les législations d'autres Etats membres, et notamment de la Belgique, celui-ci n'apparaît pas comme étant sans rapport avec les objectifs susvisés de la législation néerlandaise et notamment avec le souci d'assurer la transparence du marché jugée nécessaire pour la protection des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales. Dès lors, en adoptant un tel critère pour délimiter le champ d'application d'une exception à une interdiction d'offrir des primes en nature, une législation nationale n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs en question.

21. Il y a dès lors lieu de répondre à la question posée que les articles 30 et 34 du traité CEE ne s'opposent pas à l'application, par un Etat membre, aux produits en provenance ou à destination d'un autre Etat membre, d'une législation nationale interdisant d'offrir ou de remettre, aux fins de la promotion des ventes, des primes sous forme de livres aux acheteurs d'une encyclopédie, et exigeant, aux fins de l'application d'une exception à cette interdiction, l'existence d'un rapport de consommation entre la prime en nature et le produit qui forme la base de l'offre de primes.

Sur les dépens

22. Les frais exposés par les Gouvernements néerlandais, allemand et danois, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par le Gerechtshof d'Amsterdam, par arrêt du 9 octobre 1981, dit pour droit:

Les articles 30 et 34 du traité CEE ne s'opposent pas à l'application, par un Etat membre, aux produits en provenance ou à destination d'un autre Etat membre d'une législation nationale interdisant d'offrir ou de remettre, aux fins de la promotion de ventes, des primes sous forme de livres aux acheteurs d'une encyclopédie, et exigeant, aux fins de l'application d'une exception à cette interdiction, l'existence d'un rapport de consommation entre la prime en nature et le produit qui forme la base de l'offre de prime.