CJCE, 1re ch., 2 mai 1990, n° C-111/89
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Staat der Nederlanden
Défendeur :
P. Bakker Hillegom BV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Sir Gordon Slynn
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
MM. Joliet, Rodríguez Iglesias
Avocat :
Me Plas
LA COUR (première chambre),
1 Par arrêt du 31 mars 1989, parvenu à la Cour le 6 mai 1989, le Hoge Raad der Nederlanden a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 12, 16 et 36 du traité CEE.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant le service phytosanitaire néerlandais et P. Bakker Hillegom BV (ci-après "Bakker "), au sujet de redevances qui ont été réclamées au titre des frais d'inspection de végétaux destinés à l'exportation.
3 La décision du 23 juin 1967, prise en vertu de l'article 6 a de la loi néerlandaise du 5 avril 1951 sur les maladies des végétaux, porte fixation du tarif du service phytosanitaire. Selon cette décision, les redevances perçues à l'occasion des contrôles phytosanitaires sont calculées en fonction soit du poids des lots de végétaux présentés à l'exportation, soit du montant net porté sur la facture.
4 Selon le régime national en vigueur à l'époque des faits du litige au principal, les frais des contrôles des végétaux sur pied, qui, de par leur nature même, sont effectués sur tous les produits, qu'ils soient ou non exportés ultérieurement, étaient facturés exclusivement aux exportateurs, et ce à concurrence de 75 % de leur montant global, au motif que seuls 75 % de la production sont destinés à l'exportation. Les 25 % restants n'étaient exigés ni des exportateurs ni des commerçants qui vendaient leurs produits sur le marché national et restaient à charge de l'État.
5 Entre 1974 et 1977, le service phytosanitaire a procédé chez Bakker à de nombreux contrôles des végétaux destinés à l'exportation et lui a réclamé, à ce titre, des redevances d'un montant total de 317 400,09 HFL. Bakker ayant refusé de payer, l'État a entamé une procédure de recouvrement devant la juridiction civile. Le rechtbank a fait droit à la demande de l'État, à l'exclusion des frais d'inspection des végétaux sur pied. L'État a interjeté appel de ce jugement devant le gerechtshof de La Haye, alors que Bakker formait un appel incident. Le gerechtshof a confirmé le jugement du rechtbank et les deux parties se sont pourvues en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden.
6 Le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour de se prononcer à titre préjudiciel sur les questions suivantes :
"1) Le droit communautaire, en particulier les articles 12, 16 et 36 du traité instituant la Communauté économique européenne, permet-il de ne pas considérer les redevances, perçues à l'occasion des contrôles de lots de (parties de) végétaux présentés à l'exportation et calculées conformément à l'article 1er, paragraphe 1, du tarif du service phytosanitaire, c'est-à-dire en fonction du poids ou du montant de la facture, comme des taxes d'effet équivalant à des droits de douane lorsque le montant total, perçu au titre de ces contrôles à l'exportation, ne dépasse pas le montant global des coûts directs et indirects, occasionnés par ces contrôles,
ou est-ce seulement lorsque le montant de chaque redevance est fonction du coût du contrôle concret à l'occasion duquel cette redevance est perçue qu'il n'est pas permis de considérer ces redevances comme des taxes d'effet équivalant à des droits de douane?
2) S'il est exact :
a) que les contrôles de végétaux sur pied ont lieu parce que certaines maladies ne peuvent être constatées que si les végétaux se trouvent encore sur pied, maladies dont l'absence dans les végétaux destinés à l'exportation doit être mentionnée dans les déclarations, et
b) qu'au moment des contrôles de végétaux sur pied le marché de destination des végétaux sur pied n'est pas encore connu, ce qui fait que ces contrôles à l'exportation concernent inévitablement aussi les végétaux destinés au marché néerlandais,
le fait que 75 % du coût des contrôles des végétaux sur pied sont imputés à l'exportation (au motif que 75 % des bulbes et oignons à fleurs visés par ces contrôles sont exportés) et que les 25 % restants de ce coût ne sont pas facturés aux commerçants qui vendent ces bulbes et oignons à fleurs sur le marché néerlandais permet-il d'inférer que la facturation du coût des contrôles de végétaux sur pied aux exportateurs n'est pas compatible avec le droit communautaire?"
7 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
8 Il convient de relever à titre liminaire que l'article 36 du traité, mentionné dans l'arrêt de renvoi, ne saurait être appliqué dans une situation telle que celle de l'espèce au principal. En effet, selon une jurisprudence constante, l'article 36 est d'interprétation stricte et ne saurait être compris comme autorisant des mesures d'une nature autre que celles envisagées par les articles 30 à 34 (voir, notamment, arrêt du 25 janvier 1977, Bauhuis, point 12, 46-76, Rec. p. 5).
Sur la première question
9 Il convient de rappeler d'abord, ainsi que la Cour l'a constaté à maintes reprises, que la justification de l'interdiction des droits de douane et de toutes taxes d'effet équivalent réside dans l'entrave que des charges pécuniaires, fussent-elles minimes, appliquées en raison du franchissement des frontières, constituent pour la circulation des marchandises, aggravée par les formalités administratives consécutives. Dès lors, toute charge pécuniaire, unilatéralement imposée, quelle que soit son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité.
10 Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour, une telle charge échappe à cette qualification si elle relève d'un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement, selon les mêmes critères, les produits nationaux et les produits importés ou exportés (arrêt du 31 mai 1979, Denkavit, 132-78, Rec. p. 1923), si elle constitue la rémunération d'un service effectivement rendu à l'opérateur économique, d'un montant proportionné audit service (arrêt du 9 novembre 1983, Commission/Danemark, 158-82, Rec. p. 3573), ou encore, sous certaines conditions, si elle est afférente à des contrôles effectués pour satisfaire à des obligations imposées par le droit communautaire (arrêt du 25 janvier 1977, Bauhuis, 46-76, précité).
11 Il ressort de l'arrêt de renvoi que les redevances en cause dans le litige au principal sont afférentes à des contrôles phytosanitaires à l'exportation, prévus par une convention internationale ayant pour objet de favoriser la libre circulation de végétaux dans le pays de destination par l'instauration d'un système de contrôles effectués dans l'Etat membre d'expédition, mutuellement reconnus et organisés sur des prémisses identiques. Dans l'arrêt du 12 juillet 1977, Commission/Pays-Bas (89-76, Rec. p. 1355), la Cour a reconnu la compatibilité de ces redevances avec les règles du traité "à condition que leur montant ne dépasse pas le coût réel des opérations à l'occasion desquelles elles sont perçues" (point 16). La première question de la juridiction nationale vise à préciser la portée de cette condition.
12 A cet égard, il y a lieu de relever que la condition en cause ne peut être considérée comme remplie qu'en présence d'un lien direct entre le montant de la redevance et le contrôle concret à l'occasion duquel la redevance est perçue. En effet, en l'absence d'un tel lien, il serait impossible de constater avec certitude que le montant de la redevance ne dépasse pas le coût réel de l'opération à l'occasion de laquelle elle est perçue.
13 Ainsi que la Commission l'a exposé à juste titre, un tel lien existe lorsque le montant de la redevance est calculé en fonction de la durée du contrôle, du nombre de personnes qui y sont affectées, des frais matériels, des frais généraux ou, éventuellement, d'autres facteurs du même genre, ce qui n'exclut pas une évaluation forfaitaire des coûts du contrôle, par exemple par un tarif horaire fixe.
14 En revanche, il n'y a pas de lien direct entre le contrôle concret et le montant de la redevance lorsque le montant de celle-ci est calculé en fonction du poids ou du montant de la facture des produits exportés. Dans un tel système, les redevances sont donc à considérer comme des taxes d'effet équivalent incompatibles avec les articles 12 et 16 du traité.
15 Cette conclusion n'est pas en contradiction avec l'arrêt de la Cour du 31 janvier 1984, IFG (1-83, Rec. p. 349), invoqué par le Gouvernement néerlandais. Il est vrai que, dans cet arrêt, la Cour a reconnu aux Etats membres la faculté de répercuter sur l'importateur non seulement le coût d'opérations de contrôle spécifiques concernant les marchandises en cause, mais encore la charge des frais administratifs occasionnés par l'organisation du contrôle sanitaire (point 17). Toutefois, il s'agissait, dans cette affaire, de taxes afférentes à un contrôle sanitaire de marchandises importées de pays tiers. Or, ainsi que la Cour l'a relevé dans le même arrêt, le contrôle sanitaire des marchandises importées de pays tiers se fait dans un contexte de fait et de droit distinct du contrôle des marchandises originaires de la Communauté (point 10).
16 Il convient donc de répondre à la première question que les dispositions des articles 12 et 16 du traité doivent être interprétées en ce sens que des redevances perçues à l'occasion de contrôles de végétaux à l'exportation, effectués en vertu d'une convention internationale ayant pour objet de favoriser la libre circulation des végétaux, sont des taxes d'effet équivalant à des droits de douane lorsque leur montant est fixé en fonction du poids des végétaux ou du montant de la facture, même si le montant total, perçu au titre de ces contrôles, ne dépasse pas le montant global des coûts directs et indirects occasionnés par ces contrôles. Cette qualification n'est exclue que si le montant de chaque redevance est fixé en fonction du coût réel du contrôle concret à l'occasion duquel la redevance est perçue.
Sur la seconde question
17 La seconde question ne vise que le point de savoir si le droit communautaire s'oppose à la perception des redevances afférentes aux contrôles des végétaux sur pied sur les seuls produits exportés, à l'exclusion des produits destinés au commerce intérieur.
18 Le Gouvernement néerlandais fait valoir que les inspections de végétaux sur pied n'ont lieu que parce qu'elles sont prévues pour les produits exportés dans le cadre de conventions internationales. Étant donné que les commerçants qui écoulent leurs produits sur le marché national n'obtiennent aucun bénéfice de ces contrôles, il est équitable que les coûts de ces contrôles ne leur soient pas répercutés.
19 Cette argumentation ne saurait être admise que s'il était établi que seuls les exportateurs bénéficient des inspections en cause. En revanche, si la production destinée au marché national tire un profit quelconque de ces contrôles, même dans une faible mesure, le fait que les redevances soient perçues sur les seuls produits exportés confère à celles-ci le caractère de taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'exportation, interdites par les articles 12 et 16 du traité. Il appartient au juge national d'établir, à cet égard, les constatations de fait pertinentes.
20 Il convient donc de répondre à la seconde question que les articles 12 et 16 du traité doivent être interprétés en ce sens que des redevances afférentes à des contrôles de végétaux sur pied, perçues sur les seuls produits exportés à l'exclusion de ceux qui sont destinés au commerce intérieur, constituent des taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'exportation même si les contrôles en cause répondent à des exigences découlant de conventions internationales qui concernent seulement les produits exportés. Il n'en irait autrement que s'il était établi que la production destinée au marché national ne tire aucun profit des contrôles en cause.
Sur les dépens
21 Les frais exposés par le Gouvernement des Pays-Bas et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêt du 31 mars 1989, dit pour droit :
1) Les dispositions des articles 12 et 16 du traité doivent être interprétées en ce sens que des redevances perçues à l'occasion de contrôles de végétaux à l'exportation, effectués en vertu d'une convention internationale ayant pour objet de favoriser la libre circulation des végétaux, sont des taxes d'effet équivalant à des droits de douane lorsque leur montant est fixé en fonction du poids des végétaux ou du montant de la facture, même si le montant total, perçu au titre de ces contrôles, ne dépasse pas le montant global des coûts directs et indirects occasionnés par ces contrôles. Cette qualification n'est exclue que si le montant de chaque redevance est fixé en fonction du coût réel du contrôle concret à l'occasion duquel la redevance est perçue.
2) Les articles 12 et 16 du traité doivent être interprétés en ce sens que des redevances afférentes à des contrôles de végétaux sur pied, perçues sur les seuls produits exportés à l'exclusion de ceux qui sont destinés au commerce intérieur, constituent des taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'exportation, même si les contrôles en cause répondent à des exigences découlant de conventions internationales qui concernent seulement les produits exportés. Il n'en irait autrement que s'il était établi que la production destinée au marché national ne tire aucun profit des contrôles en cause.