CJCE, 2e ch., 30 octobre 1980, n° 26-80
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Schneider-Import GmbH & Co. KG
Défendeur :
Hauptzollamt Mainz
LA COUR,
1. Par ordonnance du 20 décembre 1979, parvenue à la Cour le 17 janvier 1980, le Finanzgericht Rheinland-pfalz a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interpretation de l'article 95 du traité CEE, en vue de lui permettre d'apprécier la compatibilité avec le traité de certaines dispositions de la législation nationale relative à l'imposition de l'alcool, concernant l'application à différentes catégories de producteurs de taux d'imposition réduits.
2. Il résulte de l'ordonnance de renvoi que la requérante au principal a importé et mis à la consommation, en 1978, un lot de Cognac acquis auprès d'un grand producteur français et qu'elle a acquitté à cette occasion, au titre de " monopolausgleich ", le taux d'imposition régulier applicable à l'époque, soit 1 950 DM par hectolitre d'esprit de vin. La requérante a introduit un recours contre la décision de l'Administration douanière en faisant valoir que l'alcool importé ferait l'objet d'une discrimination contraire, notamment, à l'article 95 du traité, du fait que certaines catégories d'eaux-de-vie indigènes bénéficieraient d'un taux d'imposition plus favorable.
3. Il apparaît du dossier et des explications données par la requérante en cours de procédure qu'il n'est pas contesté que le taux appliqué en l'occurrence par l'administration douanière correspond bien au taux général d'imposition applicable à l'alcool indigène. L'objection de la requérante est tirée du fait que la législation nationale comporte certaines exceptions à ce taux général, en faveur de diverses catégories de petits producteurs qui jouissent d'un taux d'imposition réduit. Elle revendique l'application de ce taux d'imposition au produit qu'elle a importé.
4. Les dispositions légales dont le bénéfice est invoqué par la requérante font l'objet de l'article 79, alinéa 2, du " Branntweinmonopolgesetz ". Cette disposition prévoit une réduction du taux d'imposition en faveur de trois catégories de producteurs, a savoir :
- les distilleries sous régime de forfait (Abfindungsbrennereien);
- les " propriétaires de matières premières ", c'est-à-dire les producteurs de fruits utilisés pour la distillerie (Stoffbesitzer) et
- les petites distilleries sous scellés (Verschlusskleinbrennereien).
Le bénéfice du taux d'imposition réduit est réservé à ces producteurs dans les limites d'un contingent de production annuel qui se situe entre 50 litres et 3 hectolitres d'alcool par année pour ceux de la première, à un maximum de 50 litres d'alcool pour ceux de la seconde et à un maximum de 4 hectolitres d'alcool pour ceux de la troisième catégorie.
5. L'Administration fiscale allemande a repoussé le reproche de discrimination en faisant valoir qu'en vertu du paragraphe 151, alinéa 1, du " Branntweinmonopolgesetz ", tel qu'il a été modifié en dernier lieu par la loi du 13 juillet 1978 (BGBL. I, p. 1002), l'avantage des taux d'imposition réduits de l'article 79 a été étendu à toutes les eaux-de-vie importées d'autres Etats membres de la Communauté s'il est établi que celles-ci proviennent d'une distillerie dont la production annuelle ne dépasse pas 4 hectolitres d'alcool. Selon l'avis de l'Administration, ce régime est conforme aux exigences de l'article 95, étant donné que les avantages fiscaux assurés à certaines catégories d'eaux-de-vie indigènes et à certains groupes de producteurs nationaux seraient de ce fait étendus à toutes les eaux-de-vie importées qui remplissent les mêmes conditions. Tel ne serait pas le cas, par contre, du Cognac faisant l'objet du litige, qui provient d'un fabricant dont la production dépasse largement cette limite.
6. A cet égard, la requérante objecte que la limite de production de 4 hectolitres, applicable en vertu de l'article 151 de " Branntweinmonopolgesetz " aux eaux-de-vie importées, ne constituerait pas, en réalité, un équivalent des mesures fiscales applicables à la production nationale. Celles-ci n'étant ni objectives, ni transparentes, ne seraient pas susceptibles d'être transposées telles quelles aux produits importés. A cet égard, la requérante invoque, plus particulièrement, les circonstances suivantes : en ce qui concerne les distilleries sous régime de forfait, le fait que les limites de production, fixées sur base d'une imposition du mout, pourraient être dépassées au moyen d'une " surexploitation ", libre de tout impôt, qui varierait entre 20 % et 50 % selon les années ; le procédé dit " Brennen im abschnitt ", en vertu duquel le distillateur dispose librement de son droit de distillation à l'intérieur de tranches décennales, permettrait encore de valoriser ce résultat ; enfin, le cumul des droits de distillation des " propriétaires de matières premières " entre les mains de certaines distilleries, ce qui permettrait à ces dernières de dépasser largement la limite de 4 hectolitres.
7. C'est en vue de trancher ce litige que le Finanzgericht a posé deux questions libellées comme suit :
1. L'article 95, paragraphes 1 et 2, du traité CEE doit-il être interprété en ce sens que de l'alcool importé de la Communauté, qui est comparable (similaire au sens de l'article 95, paragraphe 1, du traité CEE) à l'alcool indigène à base de fruits (paragraphe 27, alinéa 1, de la loi allemande sur le monopole des alcools), ne peut bénéficier au regard des allègements fiscaux accordés à l'alcool indigène à base de fruits par l'article 79, paragraphe 2, de la loi sur le monopole des alcools, d'un taux réduit correspondant du droit compensatoire de monopole que si l'alcool importé provient d'une distillerie ayant une faible production annuelle (Kleinbrennerei - petite distillerie) au sens de l'article 79 de la loi sur le monopole des alcools (article 151, paragraphe 1, phrase 3 de la loi) ?
2. En cas de réponse affirmative à la première question :
Compte tenu des allègements fiscaux supplémentaires accordés à l'alcool indigène à base de fruits (exonération fiscale des excédents de production, dépassement des limites maximales de production par la distillation au cours d'une période), est-il compatible avec l'article 95, paragraphes 1 et 2, du traité CEE.
A°) que la réduction du droit compensatoire de monopole soit limitée aux taux de réduction (respectivement 21 % et 30,5 %) fixés à l'article 79, paragraphe 2, de la loi sur le monopole des alcools, ou bien la réduction doit-elle être supérieure à ces taux, et
B°) que la limite supérieure de la production annuelle de la distillerie étrangère aux fins de l'application du taux réduit du droit compensatoire de monopole soit fixée à 4 hectolitres d'esprit-de-vin ?
8. Ces questions soulèvent, en substance, le problème de savoir si une disposition telle que l'article 151, alinéa 1, du " Branntweinmonopolgesetz ", combinée avec l'article 79, alinéa 2, constitue une disposition conforme aux exigences de l'article 95 du traité. Il convient de donner au Finanzgericht les éléments d'interprétation tirés du droit communautaire qui lui permettent de porter cette appréciation.
9. A cet effet, il convient de rappeler en premier lieu que, dans son arrêt du 10 octobre 1978, dans l'affaire 148-77, Hansen & Balle (Recueil, p. 1787), la Cour a affirmé " qu'en l'état actuel de son évolution et en l'absence d'une unification ou harmonisation des dispositions pertinentes, le droit communautaire n'interdit pas aux Etats membres d'accorder des avantages fiscaux, sous forme d'exonération ou de réduction de droits, à certains types d'alcools ou à certaines catégories de producteurs ". Elle a ajouté que " des facilités fiscales de ce genre peuvent servir, en effet, des fins économiques ou sociales légitimes, telles que l'utilisation, par la distillerie, de matières premières déterminées, le maintien de la production d'alcools typiques de haute qualité, ou le maintien de certaines catégories d'exploitations, telles que les distilleries agricoles ", en ajoutant que, " selon les exigences de l'article 95, de tels régimes de faveur doivent cependant être étendus sans discrimination aux alcools originaires d'autres Etats membres ". Cette position a été confirmée dans une série d'arrêts datés du 27 février 1980, où la Cour a fait remarquer " que, si elle a reconnu dans l'arrêt Hansen & Balle - compte tenu de l'état d'évolution du droit communautaire - la légitimité de certaines exonérations ou de certains allègements fiscaux, c'est à la condition, pour les Etats membres qui font usage de ces possibilités, d'en étendre le bénéfice de manière non-discriminatoire aux produits importés se trouvant dans les mêmes conditions " (voir, en particulier, l'arrêt dans l'affaire 168-78, Commission/République française, n° 16).
10. Les difficultés d'interprétation exprimées dans la question de la juridiction nationale sont dues au lien étroit qui existe entre les avantages fiscaux prévus par l'article 79 du " Branntweinmonopolgesetz " et les techniques d'imposition et de contrôle de la législation allemande. Il est, pour cette raison, particulièrement malaisé de transposer ces dispositions au traitement fiscal d'eaux-de-vie produites sous le régime de la législation d'un autre Etat membre. Au vu d'une telle situation, il y a lieu de préciser qu'il est satisfait aux exigences de l'article 95 du traité dès lors que la législation d'un Etat membre permet d'appliquer à l'importation des eaux-de-vie originaires des autres Etats membres un régime qui, dans son effet pratique, puisse être considéré comme constituant l'équivalent du régime appliqué aux eaux-de-vie indigènes.
11. Il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre du recours en interpretation de l'article 177, de porter sous cet angle de vue un jugement sur la législation allemande, cette appréciation étant réservée à la juridiction nationale. Il suffira de constater, à cet égard, que, du point de vue du droit communautaire, aucun des arguments développés par la requérante n'a été de nature à susciter un doute sur la compatibilité, avec les exigences de l'article 95, d'un régime tel que celui qui est consacré par les articles 151 et 79 combinés de la loi allemande.
12. La requérante au principal n'a pas réussi à établir que les possibilités de " surexploitation " existant pour les distilleries à forfait permettraient d'atteindre, voire de dépasser, de manière sensible, la limite d'une production annuelle de 4 hectolitres ou d'abaisser notablement le niveau d'imposition. Il en est de même de ses observations relatives à l'utilisation des droits de distillation par tranches décennales (Brennen im abschnitt), alors qu'il s'est avéré que cette facilité ne permet que le transfert des droits de distillation à l'intérieur de la tranche décennale, mais non l'augmentation de ceux-ci. Quant aux droits de distillation des " propriétaires de matières premières ", il a été exposé par le Gouvernement allemand que la distillation ne constitue qu'un travail à façon et n'efface donc pas l'identité des droits concédés aux bénéficiaires individuels.
13. Les critiques développées devant la Cour par la requérante tombent encore à faux lorsque celle-ci prétend que les dispositions de l'article 151 ne seraient pas une transposition exacte, aux produits importés, des conditions dans lesquelles se poursuivent les diverses productions fiscalement favorisées par la loi allemande. Il y a lieu de faire remarquer, à cet égard, que le législateur allemand, en retenant comme seul critère de l'octroi des avantages fiscaux en cause le volume de la production annuelle de distilleries localisées dans d'autres Etats membres, s'est abstenu de transposer aux eaux-de-vie importées un ensemble de modalités techniques propres à la législation allemande qui, précisément, ne pourraient pas être remplies par les producteurs d'Etats membres dont la législation ne connaît pas l'équivalent des dispositions dont l'essentiel a été rappelé ci-dessus.
14. Enfin, il convient encore d'écarter l'argumentation développée par la requérante en ce sens que, compte tenu du grand nombre des bénéficiaires des dispositions prévues par l'article 79 du " Branntweinmonopolgesetz ", la part de la production fiscalement favorisée influencerait sensiblement la concurrence sur le marché des produits alcoolisés. Il résulte, en effet, des informations fournies en cours de procédure par le Gouvernement allemand, et ces données n'ont pas pu être contestées sérieusement par la requérante, que les quantités favorisées du point du vue fiscal ne constituent, en réalité, qu'une fraction insignifiante (5 %) de la production nationale globale.
15. A la lumière de ces considérations, il y a lieu de répondre aux questions posées que l'article 95 du traité CEE, dans son application aux avantages fiscaux réservés par une législation nationale à certaines catégories de petits producteurs d'eaux-de-vie, doit être interprété en ce sens qu'il est satisfait à l'exigence de non-discrimination formulée par cette disposition du traité dès lors que le régime applicable aux eaux-de-vie importées d'autres Etats membres peut être considéré comme constituant un équivalent du régime applicable à la production nationale, de telle manière que les produits importés puissent jouir effectivement des mêmes avantages que les produits nationaux comparables.
16. A cet égard, la détermination, par la législation d'un Etat membre, d'une limite de production maximale posée comme condition à l'admission de producteurs d'autres Etats membres au bénéfice d'une réduction du taux d'imposition est conforme aux exigences de l'article 95 lorsque cette limite correspond, globalement, à la limite maximale fixée en ce qui concerne les producteurs nationaux pour l'admission au même avantage fiscal. L'article 95 n'impose pas aux Etats membres l'obligation d'étendre le même avantage à des produits importés provenant d'entreprises dont la production dépasse la limite de production ainsi déterminée.
Sur les dépens
17. Les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Finanzgericht Rheinland-pfalz par ordonnance du 20 décembre 1979, dit pour droit :
1°) l'article 95 du traité CEE, dans son application aux avantages fiscaux réservés par une législation nationale à certaines catégories de petits producteurs d'eaux-de-vie, doit être interprété en ce sens qu'il est satisfait à l'exigence de non-discrimination formulée par cette disposition du traité dès lors que le régime applicable aux eaux-de-vie importées d'autres Etats membres peut être considéré comme constituant un équivalent du régime applicable à la production nationale, de telle manière que les produits importés puissent jouir effectivement des mêmes avantages que les produits nationaux comparables.
2°) la détermination, par la législation d'un Etat membre, d'une limite de production maximale posée comme condition à l'admission de producteurs d'autres Etats membres au bénéfice d'une réduction du taux d'imposition est conforme aux exigences de l'article 95 du traité CEE, lorsque cette limite correspond, globalement, à la limite maximale fixée en ce qui concerne les producteurs nationaux pour l'admission au même avantage fiscal. L'article 95 n'impose pas aux Etats membres l'obligation d'étendre le même avantage à des produits importés provenant d'entreprises dont la production dépasse la limite de production ainsi déterminée.